A la découverte d’Arrietty : Le Petit Monde des Chapardeurs

En ce mois de décembre où les journées sont courtes et de plus en plus froides, rien de mieux que de rester sous la couette devant… un film ? Pour ce thème « Minuscule », l’occasion est parfaite pour mettre en avant nos personnages miniatures préférés, car être petit n’empêche pas d’accomplir de grandes choses ou bien de figurer parmi nos héros favoris. Si on se tourne vers l’Antiquité, la victoire de David sur Goliath l’illustre parfaitement ou même encore bon nombre de fables de La Fontaine telle que le Lion et le Rat. C’est notamment la fantasy qui a permis aux êtres de petite taille, qu’on intègre bien souvent sous la mention de « petit peuple », d’imprégner nos références littéraires et cinématographiques. Parmi les très nombreux films avec des héros minuscules, j’ai choisi aujourd’hui de vous parler d’un long métrage d’animation qui m’a particulièrement plu étant enfant et que je souhaite vous faire découvrir dans ce numéro : Arrietty : Le Petit Monde des Chapardeurs. Ce film n’est autre qu’une des nombreuses adaptations de la série de romans de l’autrice britannique Mary Norton, The Borrowers

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RECETTE : les bombes de chocolat chaud

 

Les expériences scientifiques ne sont pas votre tasse de thé ? Il n’y a aucun problème et vous pouvez même épater votre entourage sans avoir à vous casser la tête tout en vous faisant plaisir. 

Les journées raccourcissent et le froid gagne petit à petit votre appartement. Pour cela, rien de tel qu’une bonne tasse de chocolat chaud pour se remonter le moral après une longue journée remplie de cours d’HGA. 

Voici une petite recette toute sympathique et amusante : les bombes de chocolat chaud. Et rassurez-vous, il n’y a pas besoin d’être Einstein pour y arriver !

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Drôles d’images scientifiques : croiser l’estampe et la science au XVIe siècle

Pour ce numéro Science, le Louvr’Boîte vous propose un petit partenariat avec le compte Instagram de la spé Estampe, l’Art sous Presse (@l_art_sous_presse). Laissez-vous guider dans les méandres des estampes scientifiques du XVIe siècle !

 

Les estampes dans les ouvrages scientifiques

Lorsqu’un problème scientifique nous paraît suffisamment abscons ou difficile pour n’y rien comprendre, on a souvent le réflexe de chercher sur Internet ou sur Youtube une explication plus détaillée pour tenter d’appréhender différemment les choses. Ces autres types de médiations scientifiques passent souvent par des représentations imagées pour faciliter la compréhension scientifique du problème posé. En posant ses idées sur une feuille blanche de façon efficace, on arrive à se mettre les idées au clair.

Planche Anatomie, encyclopédie de Diderot et d’Alembert, premier volume des planches d’illustration, 1762

Les Anciens étaient déjà au fait de cette nécessité, en témoigne l’omniprésence des images dans les ouvrages depuis la période antique. Tout le monde connaît probablement les grandes planches illustrées de l’encyclopédie de Diderot et d’Alembert qu’on nous montre si régulièrement à l’École du Louvre pour nous parler des techniques de création (eh oui, mais ici c’est de l’anatomie !), mais il ne faut pas oublier que les premières illustrations scientifiques étaient d’abord faites à la main.

Le XVIe siècle va donc cependant apporter une nouveauté d’importance dans le domaine de l’édition scientifique : l’image gravée et imprimée, d’abord gravée sur bois puis très rapidement sur cuivre. Le basculement de ces dessins manuscrits vers cette technique d’impression qui permet de démultiplier les exemplaires facilite grandement la diffusion européenne de la connaissance. C’est un des facteurs qui participe véritablement au développement du courant humaniste de l’Italie à l’Allemagne.

Le premier problème des techniques du bois et de la gravure au burin sur cuivre, c’est qu’elles nécessitent une formation à l’art de graver que nos humanistes européens du XVIe siècle n’ont que rarement. Aussi il est encore assez rare avant la deuxième moitié du XVIe siècles de trouver des traités illustrés (par des gravures) et écrits par une même personne. Cette disjonction entre d’un côté le contenu textuel et scientifique et les images qui peuvent être insérées dans les ouvrages donne parfois d’étonnants (voire détonnants) décalage à nos yeux aujourd’hui.

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Test : Quel domaine scientifique êtes-vous ?

Sciences formelles (la logique, les mathématiques, les statistiques), naturelles (biologie, zoologie, écologie, génétique ou neuroscience) ou sociales (l’individu et la société) qu’est-ce qui vous correspond le mieux ?

Que vous soyez littéraires, économistes, ou encore matheux en perdition… n’hésitez pas à  voir quel domaine vous conviendrait le mieux ! (le mieux du pire)

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Entomologie et art : les insectes, ces drôles de petites bêtes

J’adore les insectes. Ce petit peuple fascinant aux capacités physiques plus qu’extraordinaires (vous êtes capable, vous, de vous jeter d’une hauteur qui équivaut à 100 fois la vôtre et d’être encore parfaitement en vie ? Ou de porter 1000 fois votre poids ? Je ne crois pas, non). Je les trouve tellement mal aimés que je veux aujourd’hui leur donner leurs lettres de noblesse et tenter de vous faire aimer les insectes et leurs particularités géniales à travers leur symbolique et présence dans l’art (Je vais rester fidèle stricto-sensu au terme d’entomologie qui désigne « l’étude scientifique des insectes » donc rassurez-vous pour les plus arachnophobes d’entre vous, on ne parlera ni d’araignée, ni de scorpion aujourd’hui) !

  • Ursule, la libellule

Notre amie la libellule, toute jolie qu’elle est, est pourtant symbole de péché, notamment dans les natures mortes nordiques baroques. Mais pourquoi est-elle emblème du mal, à l’instar de la mouche ? Il faut remonter le temps et aller chercher dans la mythologie germanique, l’association des libellules à la déesse de l’amour, Freyja. Puis, lors de la christianisation, elles sont réutilisées comme symbole du diable en lui attribuant faussement un dard et tout cela pour lutter contre la paganisation. Ainsi, les libellules sont craintes dans beaucoup de traditions populaires : elles sont surnommées « marteaux du diable » en wallon par exemple mais aussi « papillons d’amour » en savoyard. En effet, en Savoie, un dicton veut que si l’on rapporte une libellule à la maison et qu’elle meurt avant l’arrivée, c’est un mauvais présage d’amour. Ainsi, la libellule est tantôt associée à l’amour, tantôt au mal qui lutte contre les forces du bien.

Je sors ma science : Il est possible que les différentes croyances associant la libellule et l’amour viennent de l’observation du mode de reproduction de cet insecte. En effet, lors de l’accouplement les libellules créent une très jolie forme que l’on nomme « cœur copulatoire ». En fait, le mâle saisit la femelle au niveau du thorax avec ses pinces pour bien la maintenir pendant l’acte puis la femelle place son pore génital au niveau des organes reproducteurs mâles. Le tout forme un cœur (un peu dessiné par un enfant de maternelle mais bon c’est l’intention qui compte). Certaines espèces peuvent même s’envoler dans cette position si elles sont dérangées au cours de l’accouplement. Peut être que cette forme fascinante a intrigué nos ancêtres jusqu’à les laisser penser que la libellule était un envoyé de l’amour !

 

Ici, un exemple de cœur copulatoire entre deux libellules. Le mâle est en vert et la femelle en bleu. Joli mariage de couleurs !

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Deux légendes fantastiques praguoises

L’Atlas de Mala Strana. Crédit : Djama ESPINOLA SERRANO (@toucan_nwar_neg)

De toutes les légendes praguoises, la plus fameuse est sans doute celle de Faust. Mais pour ce numéro Magie, laissez-moi vous faire découvrir deux autres histoires fantastiques sur des monuments de la capitale tchèque. L’une est plus malheureuse que l’autre mais toutes deux s’achèvent sur une belle touche d’humanité qui réchauffera peut-être votre cœur en ces premiers jours de froid.

 

L’enfant innocent du pont Charles

Au XIVe siècle, dans le contexte des luttes du grand schisme d’Occident, Wenceslas IV, roi des Romains et de Bohême, fit arrêter Jean Népomucène, vicaire général de l’archevêque de Prague, et le fit précipiter dans la rivière Vltava du pont Charles. L’événement fut suivi d’une crue soudaine et violente qui brisa le pont. Ce dernier demeura longtemps irréparable : chaque jour, à l’aube, les maçons constataient avec effroi que tous leurs efforts s’étaient comme évaporés dans la nuit. Jusqu’au jour où l’un d’entre eux décida qu’il en avait assez.

Curieux, le jeune homme veilla une nuit sur le pont et le Diable en personne lui apparut. Comprenant qu’il n’obtiendrait rien du Mal incarné par la simple raison, il accepta sa proposition : les maçons pourraient réparer le pont à condition que la première personne à le traverser soit livrée au Diable. Le lendemain soir, le pont était achevé. Mais entretemps, le jeune homme s’était rendu compte de la cruauté de son pacte. Il décida de se faire plus malin que le Diable et plaça des gardes aux entrées du pont. Le lendemain, à l’aube, il y lâcherait un coq.

Mais le Diable avait une longueur d’avance. Sous l’apparence d’un maçon, il se rendit chez le jeune homme pour hâter sa femme de rejoindre son mari sur le pont. Les gardes, la reconnaissant, la laissèrent passer. Quelle fut l’horreur du jeune homme lorsqu’il comprit le destin tragique qui attendait son épouse et l’enfant qu’elle portait encore en son sein. A nouveau, il crut échapper aux desseins du Diable et renvoya sa femme chez lui en espérant livrer sa propre vie à la place. Mais le Diable ne vint jamais et, à l’aube, le jeune homme regagna sa maison pour constater le décès de son épouse et de leur enfant. Peu après, le jeune homme mourut à son tour.

Il est dit que, des siècles durant, le fantôme du mort-né hantait le pont Charles et qu’on pouvait discerner ses éternuements dans le brouillard des froides matinées. Mais un jour, un homme l’entendit et répondit « A tes souhaits ». Ces simples mots, empreints d’humanité, suffirent à libérer l’âme de l’enfant qui put enfin reposer en paix.

 

L’Atlas de Malá Strana

Depuis les années 1820, une statue géante d’Atlas garde l’entrée du jardin Vrtbovska. Un jour, une petite fille du voisinage la remarqua en levant les yeux et fut prise de pitié pour le destin d’Atlas, chargé de porter le poids du monde sur ses épaules. Dès lors, elle vint tous les jours saluer la statue et parfois déposer des fleurs devant le portail.

Elle ne comprenait pas comment les fleurs qu’elle déposait chaque jour sur le sol pavé pouvaient se retrouver le lendemain au pied de la statue. Mais cela ne la préoccupait pas beaucoup. Du reste, elle rêvait de pouvoir atteindre le pauvre Atlas, de pouvoir le toucher, pour lui partager qu’il n’était pas seul.

Un jour, elle vint le saluer et lui déposer des fleurs, comme à l’accoutumée, et s’en retourna insouciamment en gambadant dans la rue. Au même moment, les chevaux effrayés d’un boucher du marché de Lesser Town surgirent, dévalant la rue Klimentska en direction du jardin. Craignant qu’ils ne la renversent, Atlas se réveilla, sauta du portail et jeta son globe à terre. D’un geste, il stoppa net les chevaux. La petite fille put enfin atteindre le géant qu’elle étreignit avant qu’il ne retourne sur son portail. Une fois rentrée, elle raconta ses aventures à sa mère et dès lors, reconnaissantes, elles déposèrent chaque jour ensemble des fleurs aux portes du jardin.

Sur le sol pavé de la cour où Atlas a jeté son globe, demeure un renfoncement qui s’emplit d’eau les jours de pluie. Il est dit que cette eau ouvre les portes à toutes les légendes du monde et que les oiseaux du jardin Vrtbovska qui s’en abreuvent peuvent entonner toutes les chansons du monde et chanter les légendes de Prague dans le monde entier.

 

D’après la chaîne YouTube Old Prague Legends.

 

Suzon GAUTHIER

Ce qu’il en est des « witch marks » anglaises : réalité spirituelle

Comme la sorcellerie nous attire, et surtout en ce mois d’octobre (…qui nous pousse tout de même au pumpkin latte et aux photos de feuilles mortes) certains ne seront donc pas étonnés de voir le titre de ce billet !

Par ailleurs, vous avez sûrement déjà croisé un de ces motifs : effacé ou reproduit sur un bâtiment historique. [Si par hasard vous êtes déjà allés à Norfolk en Angleterre, où ont commencé les premières enquêtes/ études]. 

Et si ce n’est pas le cas, belle découverte à vous ! ouvrez l’œil (de la providence).

Oeil de la Providence, crédit Naïs Ollivier

En réalité, ce qui est regroupé sous le terme « witch marks » ne sont rien d’autre que des graffitis médiévaux et post médiévaux. Ces symboles intrigants, regroupés par familles, sont explicités par des hypothèses assez larges.

Le motif de rosette à 6 pétales par exemple est un des plus fréquemment rencontrés au cours des regroupements. Ce dessin exécuté au compas, avant d’être gravé la plupart du temps, a encore la côte parmi les plus jeunes qui s’ennuient en cours (hum). Il nous est familier, cependant on lui attribue plutôt à l’époque des vertus apotropaïques/de protection, un signe qui repousserait le démon, un peu comme une alternative païenne à la croix.

« Witch mark ». Crédit @Historic England

Certains sont sûrement sceptiques sur la tolérance de ces marques, à forte charge spirituelle, en contexte chrétien. En effet ce sont majoritairement – ironiquement- des murs d’églises qui accueillent ces motifs, présents par dizaines. Et pour cause, certains pensent qu’ils redoublent les protections chrétiennes. Une fois la peur de la sorcellerie estompée : ces graffitis sont considérés comme apportant chance et protection, et autonomes. Selon l’état des recherches, on les retrouve plus en contexte domestique à partir de la fin du Moyen Âge : sur des coffrets, occasionnellement, et près des ouvertures (fenêtres, cheminées), jugées plus vulnérables.

Anges et démons sont représentés dans l’église dans une forme de dichotomie moralisatrice : certains graffitis comme ici à Beachamwell dans le Norfolk, sont des contre-sorts, grotesques ou comiques, qui me rappellent l’esprit du sort « Riddikulus » de Rowling.

Crédit Naïs Ollivier

Cette autre forme de croyance est l’écho des voix populaires que ne relatent pas les textes, pour cause d’analphabétisme. Or le tracé de ces dessins informels n’implique pas la connaissance d’un alphabet. Ils pouvaient aussi bien être de la main d’un clerc que d’un marchand ou paysan. Bien évidemment on ne connaît pas tous les détails de la raison du placement et si quelqu’un était réellement missionné, mais on peut imaginer ce raisonnement-là ! Ils permettent historiquement de mieux comprendre l’ambiance et les mœurs de la société la plus populaire, dont les graffitis rituels sont nourris de ses peurs et convictions les plus fortes. Les motifs et leurs significations semblent par ailleurs évoluer en même temps que sa société.

Cela comble les limites archéologiques que l’on peut rencontrer, n’ayant pas tout cet aspect traditionnel du quotidien.

Pour aller plus loin, sachez que ces marques sont assez endémiques d’un territoire, de certaines églises, et qu’il en existe une variété immense : tout un bestiaire animal également, assez mythologique, ou bien lié à l’agriculture. On retrouve aussi beaucoup de bateaux, qui peuvent être très symbolique dans le passage d’un état à un autre, comme le souhait qu’un des leurs soit en sécurité sur les mers. Entre autres aspirations transcrites. Ces graffitis sont des prières rendues solides dans la pierre, qui permettent une intercession directe personnelle avec le monde supérieur, sans avoir à passer par des membres de la hiérarchie comme un évêque ou le pape.

 

Cet article est basé sur les recherches de Medieval Graffiti: The Lost Voices of England’s Churches (2015), De Matthew champion

Point historiographie : ces marques, à distinguer de celles plus explicites dites « marques de tâcherons », intéressent les chercheurs depuis des décennies, mais un des précurseurs reste Ralph Merrifield, dans les années 80.

Naïs 

Critique : Dinh. Q. Lê – Histoires morcelées

Crédit : Dinh. Q. Lê

Le fil de la mémoire et autres photographies – une exposition au musée du quai Branly du 8 février au 20 novembre 2022

 

Dinh. Q. Lê est un photographe né au Vietnam qui a étudié aux États-Unis où il vit et travaille aujourd’hui. Son œuvre se situe dans une zone poreuse entre l’histoire complexe de son pays natal et son parcours personnel au-delà les frontières. Le musée du quai Branly lui rend hommage lors de cette rétrospective qui met en scène ses recherches transdisciplinaires où l’image photographique est sans cesse « interrogée, découpée, transformée ». Ce parcours chronologique, concentré sur les quinze dernières années de la production de l’artiste, découvre la technique exceptionnelle du tissage de photographies.

 

« Trop souvent nous avons vu notre histoire racontée par d’autres que nous, ou mise de côté. » déclare Dinh. Q. Lê. Tel est le constat amer de l’artiste ayant choisi de replonger dans ce lourd passé pour le réécrire. En effet, ce plasticien hors norme instaure un dialogue entre le regardeur contemporain et sa mémoire la plus intime. Cette exposition nous raconte comment le vécu du déchirement d’un pays remonte le fil des générations à travers les corps et les mentalités.

 

Les images créées par Dinh. Q. Lê laissent une trace qui brouille les repères entre la vision, le souvenir et l’immédiateté. Le spectateur est ainsi projeté dans une zone hybride entre l’immatériel, le lointain et la présence physique vibrante et sombre de ces œuvres multiformes.

 

Au détour d’un couloir de l’exposition, nous rencontrons des nuées de confettis d’images photographiques qui flottent dans l’air. Il s’agit d’une « dérive dans les ténèbres » comme nous l’indique le titre A drift in darkness (2017). Ces tirages numériques sur papier Awagami bambou tissés sur une structure en rotin reprennent la technique du tissage d’images pour former un ensemble de trois nuages et rondes-bosses évoquant l’instabilité des réfugiés politiques ayant fui le Vietnam.

 

Les pérégrinations de l’artiste induisent ainsi une sorte de transcription dans le domaine tangible et concret des arts plastiques d’une identité en déshérence. Les réalisations de Dinh. Q. Lê sont des chimères, des personnages amphibies pris au piège dans un couloir sur les parois duquel se reflètent les échos lointains de la trame historique décousue du Vietnam.

 

Cambodia Reamker (2021), un tissage photographique monumental, entremêle le portrait d’une jeune victime du génocide cambodgien Tuol Song et des fresques du Palais royal de Phnom Penh, illustrant un poème épique traditionnel écrit entre 1500 et 600 avant notre ère. L’Ensemble est un tableau nébuleux et solennel où des temps distincts s’interpénètrent avec magie.

 

Les images sont déconstruites et reconstruites, traduisant la perpétuelle métamorphose des mémoires. Ces représentations d’une perception vagabonde nous transportent dans le cœur palpitant et douloureux d’une nation morcelée.

Elio Cuilleron

Quand un balai sème le désordre : origine des symboles de la sorcière

Sorcière. Chapeau, baguette, nez crochu à verrue, toute de noire vêtue (couleur associée au deuil depuis l’Antiquité). C’est ainsi que j’imaginais celle qui se cachait dans un placard de mon école maternelle. La maîtresse, souhaitant nous dissuader d’y fouiller, nous avait mis en garde contre son occupante: une sorcière qui dévorait les petits enfants trop curieux.

 

Si ma camarade d’Art-Thémis vous parle de la symbolique de notre sorcière bien mal-aimée, c’est l’image même de celle-ci que nous allons aborder ensemble. Quelles sont les origines de ces attributs que l’imaginaire collectif associe à la Sorcière occidentale?

 

On commence par un voyage dans le temps:

Le terme de sorcellerie  apparaît au Moyen Âge, un dérivé du latin sortiarius, diseur de sort.

  • 1330: première mention de Sabbat à Carcassonne
  • 1460: premier procès pour sorcellerie, dans le Nord de la France, nommé «Vauderie d’Arras». Hommes et femmes, sous la torture, se reconnaissent coupables, entre autres, de voler sur des baguettes et de célébrer des messes noires en l’honneur du diable. Cet épisode donne lieu à de premières enluminures.
  • 1486: publication du Malleus malleficarum, manuel de chasse à la sorcière. C’est un véritable succès éditorial, 40 ans après l’invention de l’imprimerie à caractères mobiles.
  • XVIe et XVIIe siècles: l’image se stabilise via la circulation des gravures de Bruegel l’Ancien (1565), période des Grandes Chasses (1580-1670), scènes de départ au Sabbat
  • XVIIIe siècle, raréfaction de la figure de sorcière, reléguée au rang de légende, au conte, à la mascarade (bals costumés, théâtre)
  • 1751: Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, Sorcellerie est définie comme une «opération magique honteuse ou ridicule attribuée stupidement par la superstition à l’invocation et au pouvoir des démons»
  • XIXe: repopularisation du sujet par les romantiques (poésie, danse, peinture, littérature)
  • XXe-XXIe: figure incontournable d’Halloween, reprise par les mouvements féministes

 

 

En contexte de peur des hérétiques, de guerres de religions, de maladies et de catastrophes naturelles, la sorcière est la figure de l’ennemi intérieur, celle qui pactise avec le diable, maître de la tromperie, et menace l’organisation de la société chrétienne. Le judaïsme étant une hérésie pour l’Église catholique, l’antisémitisme se mêle à la femme un peu trop libre pour construire l’image de la sorcière: elle est dessinée avec un long nez crochu, et se rend au si scandaleux sabbat, un ancien mot pour désigner la synagogue.

En plus du judaïsme, elle cristallise de nombreux mythes païens. Ainsi leur matrone est Hécate, liée à la lune, la nuit et la magie. Les trois vieilles femmes dans Macbeth, sous la plume de Shakespeare, ne sont pas sans rappeler les Parques. Dans le folklore alpin, Perchta, accompagnée de démons de l’hiver, récompense d’une pièce d’argent les enfants sages, et punit les turbulents par l’éviscération.

 

Le cercle de Waterhouse résume bien ce syncrétisme: une sorcière brune, dans un désert aux ruines égyptiennes, concocte une potion dans un chaudron. Dans sa main gauche une serpe, outil druidique, tandis que des gorgones antiques ornent le bas de sa robe.

Les artistes n’ont cessé d’enrichir, de renouveler et d’ajuster l’image de la sorcière en accord avec leur époque.

 

 

 

C’est donc parti pour un roomtour des accessoires favoris de la sorcière.

 

Baguette magique

Présente dès l’Antiquité, on la voit sur des céramiques dans les mains de Circé, accompagnant une coupe. Si elle est centrale dans Harry Potter, elle est désormais plus l’apanage du magicien de scène ou de la fée. La fée qui justement se présente comme le miroir vertueux de la sorcière hors norme et hors de contrôle: féminine, puissante mais respectueuse de l’ordre social puisqu’elle vient en aide au héros

Chaudron, grimoire, balais et compagnie,

Ce que ces objets ont en commun? Ils sont avant tout des outils domestiques. La sorcière, elle, en pervertit l’usage: le chaudron et le grimoire ne servent plus à préparer le repas, mais à cuire les petits enfants et préparer des sorts. Le balais ne tient plus la maison propre mais l’accompagne à son sabbat. On peut également y trouver une interprétation phallique, renvoyant à la sexualité dégradante de la sorcière.

1451, Enluminure du Champion des Dames, Martin le Franc : femme chevauchant un balai. Crédits : Wikimedia Commons

Le crâne et la bougie, quant à eux, peuvent être rapprochés des Vanités. La bougie éclaire un antre dangereux, et le crâne, souvenir d’une précédente victime, nous met en garde.

A la fin du XIXe siècle, le vitriole, ou acide sulfurique, est utilisé pour nettoyer les casseroles en cuivre. Hautement corrosif, il est utilisé comme poison dans quarante-huit affaires criminelles, en France, entre 1870 et 1915. Il n’en faut pas plus pour que les artistes le placent sur les étagères de la sorcière.

D’après Le Philtre d’Amour, Evelyn de Morgan, 1903, De Morgan Collection

Sa ménagerie

Le bestiaire qui accompagne la sorcière est varié. Ils inspirent la crainte (chat noir, hybrides à la Jérôme Bosch), et évoquent la mort, à travers leur aspect chthonien (reptiles), ou leurs habitudes carnassières et leur cri rauque (corbeaux). Le bouc, lui, symbolise une sexualité dépravée, héritée de divers cultes (fertilité, Bacchus). Opposé à l’agneau blanc christique, il est l’animal du diable, et est célébré lors du sabbat et des messes noires. Les femmes dansent avec l’animal et lui embrassent l’anus, une pratique appelée «baiser du Diable», et mentionnée en 1460 pour la première fois, dans un livre offert au roi Edward IV. Le bouc marque particulièrement le Pays-Basque, région où l’Inquisition fut particulièrement sanglante, et que l’on trouve dans les productions de Goya.

L’idée de compagnonnage est également récurrente dans la représentation de la sorcière: les hybrides sont leur monture, à l’image d’une Diane funeste qui chevauche à travers la nuit, nous dit une légende germanique.

 

Chapeau et variantes

La première figuration du chapeau noir pointu emblématique apparaît en 1775, sous le pinceau de Daniel Gardner, et se généralisera au XIXe siècle. Auparavant la sorcière est coiffée du hénin médiéval, interdit par l’Église car évoquant trop les cornes du Diable. Les condamnés de sorcellerie revêtaient un chapeau infamant cylindrique, pointu ou en mitre, orné d’une image de diable, héritage d’un chapeau anciennement porté par les juifs. On en observe chez Goya, lors de l’Inquisition espagnole et portugaise.

D’après Trois sorcières de Macbeth, Daniel Gardner, 1775, National Portrait Gallery : triple portrait d’Anne Seymour Damer, sculptrice, Elizabeth Lamb, politique influente, et Georgina Cavendish, duchesse connue pour ses talents littéraires, toutes trois militantes whig (contre l’absolutisme royal)

 

La nudité: antithèse de la femme vertueuse et dévouée

Figure à la sexualité immorale, la nudité sied fort à nos sorcières, aussi bien pour souligner leur monstruosité, ou au contraire pour rendre compte de leur sensualité. Deux types de sorcières se distinguent. D’abord la vieille cannibale à la pustule qui terrorise les enfants. Ensuite la femme fatale, souvent rousse, sulfureuse, qui envoûte les hommes pour leur plus grand malheur (Lilith, Judith, Eve, Salomé, Circé), que l’art symboliste porte à son apogée entre 1890-1900. Pour les artistes, les figures divines, orientales et fantastiques fournissent un prétexte au nu, et permettent d’échapper à son interdiction.

 

Pouvoirs magiques

D’après Paul Klee, Sorcières concoctant un breuvage, 1922

Je vous ai parlé des potions comme le vitriole (le poison étant réputé comme l’arme des femmes) et des sortilèges lancés pour manipuler les pauvres humains et sacrifier les victimes au diable. Parmi les pouvoirs de la sorcière on compte également la divination (lire Macbeth), la nécromancie (le roi Saül dans la Bible) mais également le contrôle de phénomènes météorologiques (Dürer représenté plus haut) et des astres, une capacité que l’on retrouve également dans les mythes de certains peuples nomades russes.

 

Ailleurs dans le monde on rencontre des variations:

En Russie justement, la plus célèbre sorcière est Baba Yaga. Elle peut revêtir trois aspects: la cannibale, la guerrière, ou la ravisseuse, est parfois anguipède. Elle vit dans une chaumière (isba) montée sur des pattes de poules, et se déplace dans un mortier à l’aide de son pilon. Son balai lui sert à effacer les traces de son passage.

Dans le folklore des Carpates on rencontre Baba Cloanta, à la fois guérisseuse, oracle, guide et démon.

A leur arrivée en Afrique, les Européens associent communication avec les esprits, pratiques vaudou et traditionnelles au concept de la sorcellerie occidentale.

Dans la culture japonaise, la sorcière n’est assimilée qu’après la Seconde Guerre mondiale. Avant cette date, on trouve l’histoire de Takiyasha, un sujet fréquent des gravures sur bois. Née au Xe siècle et fille d’un seigneur provincial, elle habite le palais en ruine de son père, assassiné, et souhaite le venger. Surnommée Princesse Démon de la Cascade, elle est représentée déchiffrant des sortilèges sur un rouleau afin de convoquer un immense squelette. Elle sera défaite par un guerrier, montant un crapaud, sabre à la main, torche à la bouche (voir l’estampe sur bois d’Utagawa Kuniyoshi, 1844).    A l’inverse Yama-Uba, une vieille et hideuse sorcière de la montagne, est la protectrice d’un héros du folklore japonais.

 

Les productions modernes et contemporaines ne laissent pas en plan notre sorcière, reprenant bougies, grimoires, baguettes et potions: séries et films (Sabrina l’apprentie sorcière, Scarlett Witch dans l’univers MARVEL), installations (Steilneset par Louise Bourgeois, La Bruja de Cildo Meireles), photographies (Sleeping witch de Kiki Smith), et même musiques (Sorcière de Pomme).

D’après la Bruja, Cildo Meireles, 1948, au Centre Pompidou depuis 2005

Alors, quel.le sorcier.e serez-vous cet Halloween?

 

Quelques ouvrages et expositions

Mythes et Meufs – Blanche Sabbah

Sorcière, de Circé aux sorcières de Salem – Alix Paré

Le complexe de la Sorcière – Isabelle Saurente

Les sorcières de Bruegel, Bruges, 2016

 

Lilou F

Sofiya Pauliac : Ukrainian vanity

Lundi 28 mars. 14 : 44.

J’ai du mal à me l’avouer mais la guerre fait désormais partie du quotidien. Je ne passe plus autant de temps à scruter l’écran de mon téléphone ou à allumer la télévision chaque soir pour écouter le journal. Mais où est-ce que l’on en est ? il se passe tant, sans que l’on ait l’impression qu’il se passe quoi que ce soit. 

Tout se détruit sous nos yeux, les hôpitaux, les écoles, les aéroports, les habitations. Je préfère me réfugier dans mes souvenirs, qui eux, demeurent intacts et lumineux. J’ai grandi avec mes grand-parents jusqu’à mes cinq ans et nous avions des routines qui m’amusent encore aujourd’hui. Je me rappelle qu’en rentrant de la maternelle avec ma grand-mère, mon grand-père nous attendait déjà attablé, tenant, dans une main un couteau et dans l’autre, une gousse d’ail entamée. La scène était complétée par les écailles d’ail parsem ées sur le bord du meuble. C’était son rituel. Tous. Les. Soirs. Il me faisait toujours rire quand, toujours à table, au moment des repas, il était le premier servi, et le temps que mon assiette soit préparée, il avait déjà englouti la moitié de son assiette. Alors, comme a chaque fois, je lui demandais « Pourquoi manges-tu aussi vite ? », ma grand-mère, lassée de cette même question qui revenait à chaque fois, répondait à sa place « C’est parce qu’il était à l’armée, ils n’avaient jamais le temps là-bas ».

 Ah, cette grand-mère, une vraie marraine fée ; elle cherchait constamment à me faire plaisir, me cuisinait des crêpes, des tartines grillées avec du fromage et un chocolat chaud ; voilà ce qui m’attendait après le lever chaque matin. La nourriture à la maternelle faisait légèrement moins rêver…entre les pâtes au lait et le pain desséché, le choix était dur à faire. 

Je lui en veux de m’avoir arraché cette belle image que j’ai de mon pays, je lui en veux d’avoir réduit ces souvenirs vivants à des ruines, je ne retrouverai plus ces endroits tels qu’ils étaient. 

La guerre nous paraissait lointaine, que ce soit géographiquement ou historiquement. C’est considéré comme appartenant au passé, comme des erreurs faites par nos ancêtres que nous ne pourrions plus refaire ; car nous avons la chance de regarder l’histoire avec du recul et de réfléchir avant de prendre des décisions qui toucheraient le monde entier. On se disait que personne ne voulait revenir aux temps de l’Union soviétique. On se trompait. 

Mes parents ont vécu pendant cette période, ils m’en parlent peu, sauf quand je leur pose des questions concrètes. Ils me disent de me méfier de ce que j’ai pu lire dans mes manuels de collège, car la période des années 70-80 correspond à un certain relâchement au niveau des interdictions. Mais ils se rappellent que même enfants, on leur disait de ne faire confiance à personne. Chaque mouvement et chaque parole était pesé et contrôlé. On ne pouvait pas envisager l’acte de prier, ni d’entrer dans une église. A la place, ma mère priait avec sa famille en secret. Chaque dimanche matin, ils se coiffaient, s’habillaient en chemises brodées, cueillaient des fleurs du jardin, et, une fois assis en cercle, on allumait la radio pour écouter la liturgie.

Quand ils me racontent ces bribes de leurs vies qui me paraissent si lointaines et inconnues, je me rends compte que je ne les connais pas aussi bien que je le pensais. 

Cette méfiance des informations subsiste pourtant. Lorsque j’ai débuté mes recherches concernant l’histoire de mon pays, j’ai été rapidement confrontée à des problèmes. Le seul livre en français sur l’histoire complète de l’Ukraine que j’aie pu trouver en librairie s’est avéré truffé de fautes. Dès la première page, il y eut une erreur. Elle concernait l’origine linguistique du mot « Ukraine ». le livre disait que l’appellation venait des mots ou – qui signifie « à, près de » – et de kraina – qui signifie « territoire » – le tout voulant dire « territoire au bord », le territoire au bord d’un autre. Cela aurait été donné par les Russes, par dédain envers leur voisin ukrainien. Mais cela est complètement faux. C’est l’explication qui avait été donnée par les Soviétiques pendant l’URSS. 

Le mot « Ukraine » vient tout simplement de kraina qui veut dire « territoire » certes, mais aussi « vaste plaine » ; et c’est bien un nom que se sont donné les Ukrainiens eux-mêmes. Je n’en veux pas aux écrivains de ce livre, il est malheureusement très difficile de trouver les bonnes informations concernant l’histoire de l’Ukraine et j’en ai moi-même fait les frais au cours de mes recherches. 

Il faut rester vigilant à la désinformation et aux intox, qui sont nombreux, à travers l’histoire, et aujourd’hui plus encore. 

Si vous êtes intéressé par l’histoire de l’Ukraine, je vous conseille vivement de jeter un œil aux ouvrages de Iaroslav Lebedynsky (archéologie et histoire), Iryna Dmytrychyn (qui a traduit de nombreux romans ukrainiens) et au livre De la « Petite-Russie » à l’Ukraine de Mykola Riabtchouk (qui explique l’origine du conflit russo-ukrainien).

Sofiya Pauliac