Une bouffée d’air-aldique : ce que le futur retiendra de vous

Je vous ai déjà parlé de l’armorial d’Hozier n’est-ce pas ? Mais si, il s’agit de cette grande tentative de réunion de toutes les armoiries portées en France, sous Louis XIV, entre 1696 et 1710. Le but de cette entreprise était de réunir les fonds nécessaires à renflouer les caisses de l’état, mises à mal par les coûteuses guerres de la ligue d’Augsbourg (1688 – 1697) puis de succession d’Espagne (1701 – 1714). Comment ? En prélevant des taxes pour chaque armoirie recensée bien sûr ! Cette taxe allait de vingt livres pour les particuliers (entre 350 et 500 euros suivant l’année et l’inflation tout de même) à trois cents livres pour les villes.

Mais bien sûr, tout le monde n’a pas voulu s’acquitter de ce nouvel impôt déguisé. Qu’à cela ne tienne ! La famille d’Hozier, en charge de l’armorial, demande aux commis de créer des armes dites « d’office » aux réfractaires. Environ la moitié de l’armorial sera alors rempli d’armoiries de ce type à partir de 1699. Si jusqu’en 1701, les commis pouvaient laisser libre cours à leur imagination en attribuant de simples armes parlantes ou des combinaisons moqueuses, leur apport est ensuite régulé et ils n’utilisent alors que des combinaisons mécaniques de pièces, meubles et couleurs. Ce qui est à mon avis nettement moins drôle. 

Cette brève (deux ans seulement) période de l’histoire de l’héraldique française donne encore aujourd’hui de sacrés fous rires aux chercheurs en héraldique qui feuillettent le fameux armorial (accessible en ligne sur Gallica). Laissez-moi donc vous en présenter deux ou trois parmi les plus croustillants.

Joyeux Noël :

Certains Messieurs Noël, comme ici à Paris, se sont vus affublés d’un enfant Jésus sur leurs armes. Mais pour l’instant, rien de bien méchant quoique ce soit tout à fait ridicule.

Le lièvre et la tortue :

C’est ici que l’on commence à se moquer, car c’est sans doute contre son gré que le Lyonnais Claude Tardif se retrouve avec des armes d’argent à une tortue de sinople accompagnée de trois escargots d’azur. De nombreux autres Tardif se sont retrouvés comme lui avec des tortues sur leur blason.

De l’art d’envoyer paître … :

De même, en Bourbonnais, Jean Doyard se voit attribuer des armes parlantes de toutes beauté avec ce magnifique doigt d’honneur, sans doute lancé à la face du récalcitrant porteur.

… et de celui d’envoyer chier :

Il semble que les commis du Bourbonnais étaient en grande forme, car René Grandchier, curé de Saint-Quentin, se retrouve l’heureux porteur de ce qui sont sans conteste les armoiries les plus poétiques de la création : De gueules à un clystère d’argent. Le clystère était à l’époque utilisé pour faciliter le transit intestinal … Hum !

Sur ces quelques exemples, je vous laisse. Mais prenez garde : personne ne sait ce que le futur retiendra de vous !

Raphaël Vaubourdolle

« Je vois la vie en rosé » ou des micronations comme états modernes

« Je vois la vie en rosé », telle est la devise de la Principauté d’Aigues-Mortes. Vous ne connaissez pas cette nation ? C’est tout à fait normal. Elle n’est reconnue par aucun état officiel, ni même par l’ONU : il s’agit d’une micronation.
 
Mais qu’est-ce qu’une micronation ? La définition est difficile à établir étant donné la diversité des expériences que ce terme englobe (en 2004, le Figaro considérait qu’il existait près de 400 micronations autour du monde). Robert Ben Madison, potentiel créateur du terme de « micronation » et fondateur du Royaume de Talossa dans sa chambre d’adolescent en 1979, les définit comme de « petites entités organisées comme États-nations non reconnus ». Cela passe en général par la création d’une « simulation plausible et cohérente d’un mécanisme gouvernemental » (république, monarchie, … d’après les termes de Lars Erik Bryld), une volonté sécessionniste ou de reconnaissance officielle, la revendication ou non de territoires, la création de symboles identitaires ou de monnaies, passeports…
 

Armoiries de la Principauté d’Aigues-Mortes

J’ai découvert la Principauté d’Aigues-Mortes par son héraldique (« Coupé d’azur et d’argent, au 2 à une croix de Camargue de sable » au passage), on ne se refait pas. Cette petite goutte d’armoiries me mena cependant à une ivresse de curiosité pour les micronations. Néanmoins, je ne pourrai venir à bout de ce vaste univers dans un petit article sans prétention écrit en vitesse entre deux TDO pour combler le manque d’article sur le site de notre cher Louvr’Boîte. Je vais donc ouvrir de nombreuses portes d’un intérêt fou, sans pour autant pouvoir m’aventurer bien loin dans le manoir de la cryptarchie (un synonyme de « micronation ») par manque de temps, de recherches ou de connaissances en économie, politique, sociologie, et caetera … À vous ensuite de suivre votre propre chemin, ou de nous demander plus d’articles sur le sujet si vous le souhaitez !
 
Revenons à nos micronations. La Principauté d’Aigues-Mortes a été fondée en 2011 par Jean-Pierre Pichon, devenu par le fait le prince Jean-Pierre IV d’Aigues-Mortes. C’est une association loi 1901, comme la plupart des micronations françaises. Son but est de promouvoir la cité d’Aigues-Mortes et les initiatives locales dans une ambiance humoristique. Cela passe par l’organisation de nombreux évènements comme le bal princier du godet d’or ou le concours de Miss Principauté, la fondation d’une radio-télévision et d’une presse nationale, la collecte de fonds pour la préservation du patrimoine aigues-mortais… En 2015, elle crée une monnaie complémentaire locale, le Flamant, dans le but de dynamiser le commerce et l’artisanat local ainsi que l’entraide entre citoyens. Indexée sur l’Euro et soumise à l’article 16 de la loi Economie sociale et solidaire de 2014, elle rejoint à ce titre la grosse soixantaine de monnaies complémentaires locales de France actuellement en circulation, et se base sur l’expérience de Wörgl menée en Autriche dans les années 30 (allez voir ça de vous même, le concept est génial). Dans les faits, les citoyens de la Principauté peuvent échanger cette devise dans les commerces de la ville acceptant cette monnaie contre des biens et des services. Le tout est chapeauté par la Bourse princière d’Aigues-Mortes, créée par la même occasion.
 
En 2016, la Principauté organise le premier sommet de l’Organisation de la Micro-Franconie et devient un de ses membres fondateurs avec l’Empire d’Angyalistan (France), le Grand-duché de Flandrensis (Belgique), la Principauté d’Hélianthis (France), la République de Saint-Castin (Québec) … En 2018, l’Organisation compte une douzaine de membres à travers le monde. Les micronations tendent en effet à se rencontrer et à se réunir dans des organisations internationales, comme la MicroCon, se réunissant tous les deux ans à partir de 2015 et fondée par la république de Molossia (Californie). Elle compte en 2019 une quarantaine de membres et permet aux représentants des micronations de se réunir et de réfléchir ensemble à des évènements internationaux, à leurs principes fondateurs …

Oriflamme de la République de Montmartre

En France, nous comptons une petite dizaine de micronations, et bien plus proches qu’on ne le pense de nous, étudiants parisiens ! La République de Montmartre par exemple qui organise de nombreuses actions philanthropiques en faveur de l’enfance déshéritée, mais qui a aussi fondé le square (disparu) de la Liberté (à l’angle de la rue des Saules et de la rue Saint-Vincent) où sont plantées des vignes … en 1933. Car oui, cette micronation est assez ancienne et a une histoire tout à fait intéressante pour nous, étudiants en histoire de l’art. En 1920, le dessinateur Joë Bridge imagine cette République avec d’autres artistes de ses amis comme Adolphe Willette, Jean-Louis Forain, Francisque Poulbot, Maurice Neumont, Louis Morin, Maurice Millière, Raoul Guérin ou Jules Depaquit. Ils posent finalement ses statuts en 1921, en parallèle de l’association de la Commune libre de Montmartre fondée par Depaquit, qui collabore à de nombreux projets. Son but : lutter contre le modernisme et l’urbanisation de la butte de Montmartre, restée très longtemps comme un petit village au sein de Paris. Ces actions politiques et philanthropiques se fondent néanmoins dans l’humour et la joie du vivre-ensemble, comme le montre la devise de la République : « Faire le bien dans la joie ». Une micronation créée par des artistes donc, contre une politique architecturale et les changements profonds de la société au cours du XXe siècle. Notons que cette République est encore très active sous le mandat de son président actuel, Alain Coquard, et que vous pouvez la rejoindre au titre de Député, Sénateur, Consul ou Ambassadeur pour entre 165 et 280 € (selon le titre souhaité) en étant parrainé par deux membres de la République (le Président et un Ministre vous serviront de parrain si vous n’y connaissez personne). Une intronisation officielle durant laquelle vous devrez prêter serment est alors organisée, vous permettant de recevoir les attributs de la République, dont la tenue officielle dessinée par Aristide Bruant et Henri de Toulouse-Lautrec : cape et chapeau noirs assortis d’une écharpe rouge (Attention : oeuvre à connaître pour les clichés de XXe siècle en Troisième Année) !

 
Voilà donc ma petite plongée sans bouteille dans le monde merveilleux des micronations. Mais une idée me vient … Pourquoi ne pas fonder la Commune du Louvr’Boîte tous ensemble, chers lecteurs ? C’est une idée folle en ce temps de confinement, mais les micronations virtuelles existent; Donc ma foi, si certains souhaitent me suivre, qu’ils se fassent connaître !
 
Raphaël Vaubourdolle

Hérald’Hic! – Dodge : un blason très explicite … ou pas !

Armes des Dodge – A Complete Guide to Heraldry, Arthur C. Fox-Davies, 1909

          En voyant ces armes, les lecteurs attentifs ne pourront que se rappeler celles du condottiere Bartolomeo Colleoni, présentées dans notre numéro Royal de novembre dernier, et s’ornant de trois magnifiques génitoires. Bon d’accord : trois « magnifiques » paires de couilles. Certes, il est vrai que nous n’en sommes pas loin avec ce blason « Fascé d’or et de sable, à un pal de gueules chargé d’un sein de femme distillant des gouttes de lait d’argent ». Cette rubrique était déjà si explicite à l’époque … Enfin contrairement à ce que voudraient peut-être les plus lubriques, nous n’analyserons pas en long en large et en travers le sein représenté, mais nous demanderons plutôt pourquoi il se trouve ici. Nous sommes une rubrique (presque) sérieuse quand même !

          La famille Dodge, très ancrée aux États-Unis, où elle fonda la marque de voitures de luxe du même nom (dont le symbole est une tête de bélier … dommage), est en vérité originaire du comté de Chester, au Nord-Ouest du royaume d’Angleterre. Un dénommé Peter Dodge y est recensé à Stopworth (actuelle Stockport) sous le règne d’Édouard Ier, roi d’Angleterre de 1272 à 1307.
Mais intéressons-nous à cette première apparition du nom Dodge, qui est aussi la première mention de leurs armes étranges. Une copie du document en question, datant de la « 34e année du règne d’Édouard Ier » (soit 1306) en vieux normand, se trouve à l’England’s heraldic library. Il y est indiqué que le dénommé Peter Dodge reçoit les armes précédemment décrites en récompense de ses services pour le roi lors de son invasion de l’Écosse contre son royal vassal John Balliol en 1296, notamment lors des sièges de Berwick et Dunbar.
          À partir de ce document (dont je n’ai pu voir aucune photo), les Dodge suivants ont proposé de nombreuses interprétations pour ce meuble étrange, et à ma connaissance unique en héraldique. Il aurait pu s’agir, car ce sein est considéré par eux comme « le symbole par excellence du secours »(1), d’un homme ayant donné du bétail laitier à l’armée du roi, ou ayant aidé à la logistique de la campagne en Écosse. Une autre hypothèse, moins symbolique quoique moins vraisemblable, fait d’une femme Dodge la nourrice des enfants d’Edouard Ier.

 

          Mais il faut toujours se méfier de ce type d’interprétations en héraldique. La signification d’un meuble ou d’une composition est toujours malaisée à découvrir. Et lorsqu’une hypothèse est proposée par des non-initiés au langage secret des armoiries (initiation grandement composée de libations au vin, chants latins sous la pleine lune et imitation du poulet en caleçon dans ma cuisine), elle est souvent peu probable voire carrément loufoque. Enfin ! C’est ainsi que se créent les légendes familiales. Il s’agit néanmoins d’un premier problème avec cette interprétation.
          Le second ? Ce document est sans aucun doute un faux. En tout cas il s’agit de la conclusion d’un débat entre spécialistes sur le forum de l’Heraldry Society of Scotland (fermé depuis). Il serait donc un faux créé pour la Visitation (une sorte d’inspection par les hérauts d’armes britanniques et irlandais dans le but d’enregistrer et de réguler les armoiries sur ces territoires) de 1613, sans doute pour donner une base ancienne à ce blason et accroître la renommée des Dodge. En bref, et comme le présente très bien Richard A. Dodge : « Quelle que soit la signification du symbole inhabituel sur le blason de notre famille, il est perdu dans les brumes du temps. »(2)

 

          Alors ? Si peu explicite le blason des Dodge ? Pourtant il reste une autre piste interprétative, celle des armes parlantes (« canting arms » en bon normand d’outre-mer). C’était le cas des armoiries des Colleoni, donc pourquoi pas des Dodge ? Penchons-nous sur le blasonnement en anglais dans le rapport de la fameuse Visitation de Chester de 1613 : « Barry of six Or and Sable, on a pale Gules a woman’s dugg or breast distilling drops of milk Argent« . « Dugg » donc … prononcé sans doute « deugue » ou « deudje ». Cela n’est pas sans rappeler le nom du porteur de ces armes : Dodge !
          Il faut en effet se souvenir que les principaux moteurs de choix de meubles sont les assonances et les jeux de mots, parfois incompréhensibles aujourd’hui (le mot « dugg » n’est plus très usité actuellement, pour ne pas dire éteint) ! Il s’agirait donc d’armes parlantes à l’assonnance grivoise, au même titre que le blason des Colleoni et au grand plaisir des amateurs de blasons étranges ! 

Armes des Dodge d’après le Burke’s General Armory de 1884 – Création personnelle

          Autre point commun avec les Colleoni : ce choix de meubles a provoqué la désapprobation d’une partie des détenteurs du blason, qui a modifié le sein gouttant en un oeil pleurant des larmes d’or (« an eye Argent weeping and dropping Or« ) correspondant mieux à la morale victorienne, comme on peut le voir dans le Burke’s General Armory de 1884. Ce blason n’est explicite que pour ceux qui le veulent.

 

Raphaël Vaubourdolle

 

(1) « the quintessential symbol of succor« , d’après un article du site dodgefamily.org

(2) « Whatever the significance of the unusual symbol on our family crest, it is lost in the mists of time« , d’après le même article.

L’apARTé scientifique – Le Kamakala yantra : de la géométrie sacrée sous l’érotisme

          Tous ceux qui sont passés par la Deuxième Année de Premier Cycle de l’École ont pu admirer les magnifiques mithunas du temple viśnouite de Lakśmana à Khanjuraho dans le Madhya Pradeś avec Monsieur Zéphir (milieu du Xe siècle, règne de Yaśovarman, 925 – 950 … voilà voilà). Malheureusement trop rapidement, notre professeur nous a précisé que ces images n’étaient pas « faites pour la gaudriole » et qu’elles cachaient en réalité des yantras, des schémas géométriques aux significations ésotériques. Que donnerais-je pour avoir un cours entier dédié à de telles représentations érotiques ? Quoique en fait le cours de XVIIe fait très bien l’affaire …

 

          Enfin, à défaut de cours écrivons un ApARTé ! Un peu spécial celui-ci car sa seule facette scientifique est l’utilisation de GeoGebra pour réaliser le yantra … Mais je vous assure qu’il faut au moins avoir fait Math Sup pour comprendre le charabia expliquant sa construction (à moins que ma très mauvaise compréhension de l’anglais n’ait joué là-dedans). Ça a d’ailleurs été un véritable plaisir de manipuler de nouveau ce formidable outil ! On ne ressort pas indemne de la filière S voyez-vous …

 

          Mais bref, commençons notre exposé ! Les mithunas sont déjà présents avant l’ère chrétienne, apparemment sans aucun rapport avec les yantras, mais ils sont très peu nombreux par rapport aux Xe et XIe siècles de notre ère. Une réelle importance leur est donnée avec l’apparition du tantrisme dans l’hindouisme à partir du VIe siècle. Ce dernier place le désir, la poursuite du plaisir (kama) à l’origine de toute chose, prenant en quelque sorte la suite du védisme et s’opposant ainsi au brahmanisme, plus axé sur la rétention. Le kama est donc pour les tantrikas (pratiquants du tantrisme) un but légitime de la vie, permettant la libération (mokśa) du cycle des réincarnations (samsara). Cela passe par des rituels sexualisés, avec une centralité des fluides sexuels. Aussi, la semence mélangée aux sécrétions femelles (rajas) donnerait un nectar d’immortalité (amrita) et est parfois ingurgité par les adeptes pour recentrer leurs çakras, ce qui serait lié à l’acte de fellation (vajroli mudra). Insistons quand-même sur le fait que cela se pratique dans le cadre exclusif de rituels entre initiés, il ne s’agit en aucun cas de libertinage ou de fornication à tout va !

 

          Mais les mithunas dans tout cela ? Comme nous le dit très bien notre vénérable professeur d’Inde, il s’agit de représentations d’actes sexuels cachant en vérité un message bien plus profond : un yantra. Il s’agit autant de la révélation d’une vérité que d’un support visuel de méditation, souvent associé à un mantra qui en est le support vocal. D’abord utilisé dans l’hindouisme, il passe ensuite dans le bouddhisme et dans d’autres religions asiatiques. Composé exclusivement de formes géométriques, il n’est pas sans rappeler les mandalas (ces ères rituelles emplies de symboles de l’hindouisme et qui sont très utilisées comme supports de méditation dans le bouddhisme). Chacune de ses formes composantes, chacun de ses points sont associés à des concepts et à des divinités  connus de l’initié. La médiation de ce dernier consiste à en saisir la force, l’énergie en regardant le yantra, souvent caché par une représentation plus banale pour que les non-initiés n’en perçoivent pas la teneur.

 

          Cependant, revenons sur notre temple de Lakśmana à Kanjuraho. Les mithunas qui y prennent place cachent donc un yantra particulier : le Kamakala yantra, que je vous présente ici :

 

          Vous pouvez voir qu’il se superpose plutôt bien aux mithunas montrés dans les cours d’Inde concernant Khanjuraho, autant celui du temple viśnouite de Lakśmana que celui du temple śivaïte de Kandariya Mahadeva:

 

 

 

Mithuna du temple de Lakshmana à Khajuraho

 

 

Mithuna du temple de Kandariya Mahadeva à Khajuraho

         

         Quelle en est la signification ? Nous ne pourrions le savoir, en tant que non-initiés, si un architecte de l’Oriśa du XIe siècle, Ramacandra, ne l’avait dévoilé dans un manuel d’architecture à destination des tantrikas  : le Silpa Prakasa. Or ce texte a connu une traduction en anglais par Alice Boner et Sadasiva Rath Sarma dans leur ouvrage Silpa Prakasa : Medieval Orissan Sanskrit Text on Temple Architecture. Traduction dont j’ai pu humblement traduire en français la partie relative au Kamakala yantra (et il s’agit à ma connaissance de la seule traduction en français de cette partie du texte). Notez que mon anglais est plutôt déplorable, mais ce texte a été relu par une amie s’en sortant ô combien mieux que moi et semble donc correct. Le tout est assez explicite, vous le verrez, et j’avoue avoir eu quelques remords à dévoiler ainsi un contenu aussi sacré après l’avoir traduit. La volonté de découvrir et de partager ces connaissances a néanmoins pris le dessus, mais j’invite quiconque préférerait laisser la signification de ce yantra aux initiés à arrêter là leur lecture. Notez enfin qu’il serait périlleux, sans initiation, d’utiliser ce savoir, que tout n’est sans doute pas explicité dans le Silpa Prakasa, ne laissant à notre vue que des brides incomplètes et peut-être dangereuses sans leurs parties manquantes.

 

Après cet avertissement, voici l’extrait du Silpa Prakasa relatif au Kamakala yantra, soit les vers 2. 498 – 539 :

  • 498. Dans ce contexte [de l’ornementation des murs extérieurs du temple], comprenez les raisons des panneaux de sculptures érotiques (kamabandhas). Je vais les expliquer selon la tradition populaire parmi les sculpteurs (silpavidya)
  • 498. Dans ce contexte [de l’ornementation des murs extérieurs du temple], comprenez les raisons des panneaux de sculptures érotiques (kamabandhas). Je vais les expliquer selon la tradition populaire parmi les sculpteurs (silpavidya).
  • 499. Kama est le toit de l’existence du monde. Tout ce qui est né est issu du kama. C’est par le kama aussi que la substance originelle et tous les êtres disparaîtront finalement.
  • 500. Sans [l’union passionnée] de Śiva et Śakti, la création ne serait rien d’autre qu’une affabulation. Rien de la vie à la mort ne se produit sans l’action de kama (kamakriya).
  • 501. Śiva est la manifestation du grand linga, la forme essentielle de Śakti est le yoni. Par leur interaction, le monde entier a vu le jour, c’est ce que l’on appelle l’action de kama.
  • 502. L’art érotique canonique (kamakala vidya) est un vaste sujet dans les écrits anciens (Agamas). Comme cela y est inscrit : « un lieu dépourvu d’imagerie érotique est un lieu à éviter ».
  • 503. Certains lieux sont considérés comme inférieurs, et comme étant toujours à éviter, par les autorités tantriques (kaulaçara), comme s’ils étaient l’antre de la Mort ou des ténèbres impénétrables.
  • 504. Sans [le premier] rite savant d’offrande et d’adoration (puja) au Kamakala Yantra, toute adoration de la Déesse (Śaktipuja) ou pratique tantrique (sadhana) est aussi futile que le bain d’un éléphant. [ndlr : what the fuck !?)
  • 505. Quand ce yantra est consacré, ce bâtiment peut être considéré comme un Temple tantrique (viramandira). Ici tous les obstacles, les peurs, et caetera …  sont sûrs d’être détruits.
  • 506. À la simple vue de ce yantra toutes sortes de fantômes, démons et autres créatures hideuses sont sûres de fuir au loin
  • 507. Écoutez, et j’exposerai prudemment ses secrets. [Mais souvenez-vous,] ce yantra ne doit jamais être divulgué à quelqu’un qui ne serait pas un pratiquant du tantrisme.
  • 508. La base de cette figure tantrique (virabhumi) doit être quadrilatère, soit carrée soit rectangulaire. À travers l’aire totale de ce domaine quadrilatère, deux lignes doivent êtres tracées.
  • 509. L’une verticale et l’autre horizontale, ces lignes doivent se croiser à la « maison précieuse » [au point central]. En partant de ce point précieux, les diagonales doivent être dessinées jusqu’aux coins, divisant donc la figure entière en yonis triangulaires.
  • 510. S’étendant verticalement depuis la ligne de base la plus basse du domaine de yantra, un fin linga doit être créé, avec un sommet arrondi comme une pierre précieuse s’étendant au-dessus du point central.
  • 511. Au-dessus de ce précieux sommet, la véritable essence du kamabindu [le point de l’amour] est marqué par une goutte bulbeuse, la goutte (bindu) qui confère tous les pouvoirs surnaturels.
  • 512. Après cela, les seize matrikas [les seize « petites mères », des déesses-mères aidant Śakti dans ses combats] sont consignées un même nombre de yonis triangulaires, assurez-vous que chacun est dans un fascinant contact avec le linga.
  • 513. Ces seize facettes (kalas) sont toutes formellement conçues comme étant des yonis, uniquement en vertu de la convergence linéaire avec le linga, devenant ainsi [un groupe complet de seize] facettes.
  • 514. Comment, ensuite, est réparti le domaine segmenté de manière à constituer les quinze [il s’agit de seize] principaux orifices qui sont joints au linga ?
  • 515. Par quels moyens ces figures triangulaires seront considérées comme représentant des yonis, desquels la totalité de ce yantra est constitué ?
  • 516. Dans la moitié supérieure, deux lignes obliques doivent connecter le bindu [point] supérieur central à [celui de] la fin de la ligne horizontale centrale. De la même manière, tracez des lignes du centre inférieur jusqu’aux diagonales des coins.
  • 517. [Les deux triangles latéraux de la partie suprieure sont ensuite subdivisés horizontalement :] Kamesi est la première Śakti [elle est assignée au triangle supérieur à droite], Bhagamalika est la seconde [en-dessous d’elle], Nityaklinna est la troisième [au triangle supérieur à gauche], et la quatrième est Bherunda [en-dessous d’elle].
  • 518. [En-dessous] du groupe de trois domaines de gauche, Mahavajre Svan est assignée au triangle du bas, Śivadutika est à côté d’elle [à droite du linga].
  • 519. À côté d’elle, dans l’autre domaine du coin à gauche, est la citśakti [énergie spirituelle] Vahnivasini, jointe avec des lignes fascinantes.
  • 520. À sa gauche, et liée à la partie terminale du sommet précieux (maniksetra) du linga est placée la déesse Vajreśvari.
  • 521. Au-dessus, à droite est Tvarita, l’inébranlable essence des facettes (kalatmika) de Śakti, et opposée [à elle], à gauche est Kulasundari.
  • 522. Dans cet ordre sont les magnifiques domaines occupés sur les côtés. Dans  le grand yantra de l’autel-vulve (bhaga-pitha) seulement six autres restent à énumérer.
  • 523. Contre le bord droit du linga est Śakti Kllapataka, opposée à elle est la charmante et souple Jvalamalini.
  • 524. Vijaya, la constante Compagne [est en haut à gauche], Kamaleśvari s’étend en-dessous d’elle à la précieuse extrémité du linga.
  • 525. À son côté à droite, la divine Tripurasundari est placée [et au-dessus d’elle], opposée à Vijaya [est Bhairavi], l’amour constant de Bhairava, chérie des impuissants.
  • 526. Ce sont les seize Śaktis, les déesses qui sont les réelles essences de l’Amour (kamakalatmika), constituant ensemble le domaine du yantra. Autour de sa périphérie extérieure un anneau protecteur de [huit] yoginis [est invoqué].
  • 527. Nirbhara au point central supérieur, Rahaśyaka au coin supérieur gauche, Kulotkirna au centre du côté gauche, Atirahaśya au coin inférieur.
  • 528. À la place centrale la plus basse Sampradaya, au coin suivant Guptatarahgika, Guptayogini au centre du côté droit, et Nigarbha en haut à droite.
  • 529. Ce sont les yoginis du domaine périphérique, par opposition au facetté Domaine de l’Amour. [Enfin], la Śakti Suprême, la grande déesse des Facettes de l’Amour [ou de l’Art de l’Amour], Paraśakti Maha-Kamaleśvari [est visible] dans la goutte centrale.
  • 533-534. Juste en-dessous d’elle, de la précieuse extrémité [du linga du yantra] apparaît Śiva, le seigneur de Kamakala, son teint quelque peu sombre, profondément immobile dans une pose de yoga assise, tout-puissant, [néanmoins]constamment absorbé par ses rapports sexuels avec Kamakaleśvari, à cheval sur le çakra ajna, toujours enchanté de boire ses fluides sexuels (rajahpanaratah).
  • 535. Portant le costume de l’ascète, [il est] le yogin Kamaleśvara, seigneur présidant au grand Kamakala Yantra, le sombre Sankara.
  • 536. Ce très secret yantra est le meilleur moyen de protéger tout lieu. Il est une aide à la puissance perceptible, et manifestement le [meilleur] pourvoyeur de tous les accomplissements (siddhis).
  • 537. Dans tous les meilleurs temples de Śakti et Śiva ce yantra doit certainement être déployé, alors leur gloire restera immuable, comme les montagnes.
  • 538. [Mais] ce très secret des yantras secrets ne doit être vu par n’importe qui. C’est la raison pour laquelle ces images de jeux érotiques [doivent cacher] les alignements du yantra.
  • 539. Le point de vue répandu parmi les tantrikas est que les images érotiques doivent orner les plus hauts panneaux sur les pilastres du mur extérieur du temple. Ces panneaux de sculptures érotiques doivent être placés de manière à émerveiller le grand public.

 

Voici donc un résumé des significations des différentes composantes de ce yantra:

 

       

 

 

Pas de la simple « gaudriole » donc.

 

Raphaël Vaubourdolle

Lacunaire sonnet au doux air saisonnier

Nombres d’odes aux saisons furent écrites, chantées,

Déclamées à foisons par l’aète hanté.

Saurez-vous, à sa suite, écrire à rimailler

Mots liés à ses cycles, et sonnet émailler ?

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Un vaillant gentilhomme, poète pérégrin,
Allait par monts et vaux sous l’automnal 1.
La lune bien accorte et maints jours élevée,
Il eut bientôt escorte de brillants 2.

 

Mais sous les acérés sépales des 3.
La neige se rendit aux printaniers Marcus.
Chaleur se fit geôlière, et barreaux d’or les 4.
De notre aventurier. Soleil en est témoin !

 

Que diable ! Notre ami, en bretteur éclatant
Et fort malicieux, reprit le cours du 5.
Du tambour de Shiva, épée de tessiture,

Il rythma le nouveau cycle de la
6.
Et toujours ce héros, entonnant ses chansons,
Échanson de l’Horée, va au fil des 7.

 

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1 Pluie violente et drue, végétal homonyme.

2 Neigeuses concrétions à l’éternelle vie.

3 Fleurs produisant du safran, premières du printemps.

4 Herbes sèches des champs, fourrages pour les bêtes.

5 Relatif en physique, il peut paraître long.

6 Infante de la Terre, absente de Paris.

7 Vous ne sauriez donc lire le titre du gala ?

Hérald’ Hic! Le cannabis en héraldique ou un bon moyen de se détendre en déconfinement

Il y a bientôt deux ans de cela, en juin 2018, le district de Kanepi en Estonie, nouvellement créé par la fusion de trois autres districts, a adopté un blason … stupéfiant : « De sinople à une feuille de cannabis d’argent ». Confiné, dans l’attente des examens et cherchant désespérément à se détendre par toutes les substances psychotropes possibles (principalement la tisane de mémé, l’huile essentielle de lavande et le visionnage d’une foultitude de blasons), votre humble (et définitivement loufoque) serviteur est parti à la recherche du cannabis en héraldique.

 

Commençons par le blason précité : comment se fait-il qu’un district, qu’une entité administrative, ait pu prendre comme symbole un stupéfiant illégal en Estonie ? Tout simplement car le cannabis est un symbole héraldique tout à fait valable ici : en effet le nom de Kanepi vient du lituanien kanep signifiant … « cannabis ». C’est que cette plante ne se cultive pas seulement dans les placards des petits Jean-Kevin souhaitant se rouler deux ou trois joints pour s’amuser avec ses amis, et a en effet une longue histoire.

En effet, il s’agit d’une des premières plantes domestiquées par l’homme en Eurasie, il y a plus de 10 000 ans, autant comme psychotrope que pour réaliser des fibres textiles, du papier, des cordes, etc. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, avec l’essor des échanges maritimes, la culture du chanvre (autre nom du cannabis, désignant souvent des variétés contenant moins de tétrahydrocannabinol (THC) à l’origine de l’effet psychotrope du cannabis)  devient industriel. Le professeur Serge Allegret, dans Le Chanvre industriel – production et utilisation, coordonné par Pierre Boulloc en 2006, précise qu’à l’époque « Un navire de taille moyenne utilise 60 à 80 tonnes de chanvre sous forme de cordages et 6 à 8 tonnes sous forme de voile, par an. ». Si la France produit elle-même son chanvre, les Hollandais et les Britanniques sont équipés par les manufactures des Pays-Bas alimentées par du chanvre venant de Livonie (les actuels pays baltes, dont l’Estonie).

Kanepi (Estonie)

Blason de Kanepi

Et la petite ville de Kanepi participait à cette production en cultivant le cannabis, d’où son nom, connu dès 1582. Nous sommes donc ici face à des armes parlantes tout à fait valides et, bien que de nombreuses personnes en faveur de ce symbole l’aient sans doute choisi pour rire, parfaitement signifiantes.

D’ailleurs, les Estoniens ne sont pas les seuls à arborer l’insolente cannabacée (famille à laquelle appartient aussi le houblon1) sur leurs blasons de villes. Ainsi, bien que le symbole paraisse plutôt récent dans l’héraldique française, il est loin d’y être anodin ! En raison de la grande production de chanvre français, notamment encouragée par Colbert, nombres de communes portent un nom en lien avec le cannabis … et les armes parlantes assorties.

 

Chennevières-sur-Marne (Val-de-Marne)

Blason de Chennevières-sur-Marne

C’est notamment le cas de Chennevières-sur-Marne, dans le Val de Marne, sur le RER A. Cette ville, appelée Canaveriae dès 1163, porte un nom provenant du latin cannabria désignant une zone de culture du cannabis. Le blason de la commune, « De gueules au plant de chanvre d’argent fruité d’or mouvant de la pointe, au chef d’azur soutenu d’une divise ondée d’argent et chargé de deux clefs d’argent passées en sautoir accostées de deux fleurs de lis d’or », a ainsi été adopté en 1940.

 

 

 

Chennevières-lès-Louvres (Val-d'Oise)

Blason de Chennevières-lès-Louvres

Plus récemment et pour les mêmes raisons, la commune de Chennevières-lès-Louvres, dans le Val d’Oise, a adopté en 2007 un blason « D’or à la branche de chanvre feuillée de sinople, au chef tiercé en pal aux 1 et 3 d’azur à la fleur de lis d’or et au 2 de gueules au lion d’argent ».

De même, Echenevex dans l’Ain porte depuis 1992 des armes « De sinople à trois chènevis d’or, au chef cousu de gueules chargé d’une montagne d’or surmontée d’une lame de scie du même posée en fasce ». Le chènevis étant la graine du plant de cannabis.

 

 

Virlet (Puy-de-Dôme)

Blason de Virlet

Enfin, de nombreuses communes portent sur leurs armes (mais sans traces dans leur nom) ce passé agricole particulier. C’est le cas par exemple de Virlet, dans le Puy de Dôme, dont les armoiries sont « D’azur à la croix d’argent chargée en coeur de deux branches de chanvre de sinople posées en chevron renversé, cantonnée au 1 d’un lion d’or, au 2 d’une roue d’argent, au 3 de deux fasces ondées d’argent et au 4 d’une crosse d’or passée en sautoir avec une bêche d’argent emmanchée d’or le fer en bas et surmontées d’une couronne du même ».

 

 

Pour conclure, nous pourrions nous interroger sur la vision que nous portons à certains meubles héraldiques. La prise comme armoiries par Kanepi d’une feuille de cannabis a provoqué l’indignation de certains de ses habitants du fait de notre vision contemporaine de cette plante, due aux dégâts importants qu’elle cause en tant que psychotrope. Pour autant il s’agit d’un choix tout à fait pertinent d’un point de vue héraldique du fait de l’histoire de cette commune. Aussi, comme le dit si bien la devise de Chennevières-sur-Marne, cette ville est « Fidelis solu ut praeterito » (« fidèle à son sol et à son passé »).

Raphaël Vaubourdolle

1 D’où les nombreuses bières au cannabis brassées partout dans le monde dans les dernières années.

Le Petit ApARTé scientifique – Climatologie, pinard gelé et primitifs flamands : l’influence du Petit Âge glaciaire sur les arts et les sociétés

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Pieter BRUEGHEL L’ANCIEN, Le Dénombrement de Bethléem, 1566, huile sur bois, L : 1m64, Bruxelles, Musée des Beaux-Arts de Belgique

Cet hiver j’avais envie de vous parler du Petit Âge glaciaire. Outre que cette période climatologique m’intéresse particulièrement -arrêtez de me regarder comme ça ! On est tous à l’École, on a tous des passions un peu (très) bizarres !-,  je trouvais que cela rentre parfaitement dans le thème Chaos -non Billy, ce n’est pas juste un article que j’ai essayé de placer où je le pouvais, alors cesse de me dénigrer ainsi !

Cependant -et à la demande expresse de Billy- je vais  tout de même vous expliciter cette dernière impression, histoire de ne pas vous laisser sans rien. Premièrement, notez que la météorologie est (vraisemblablement) basée sur la théorie du chaos, que je ne vais pas essayer d’expliquer ici parce que… parce que. Et puis allez sur Wikipédia si ça vous plaisir ! Ensuite, il faut voir le chaos que provoque ce Petit Âge glaciaire : on parle quand-même de la disparition de trente à cinquante pourcents de la population européenne, notamment du fait des famines ! Et non ce n’est pas une explication tirée par les cheveux visant à faire entrer cet article dans le thème !

Tout d’abord, qu’est-ce que le Petit Âge glaciaire ? Il s’agit d’une période de désordre et de refroidissement climatique s’étendant selon les spécialistes environ du début du XIIIe siècle au milieu du XIXe siècle. On admet, d’après les reconstitutions de températures, une perte de moins de 1° C (cela paraît peu, mais c’est assez pour mettre le bazar apparemment) en moyenne sur toute la période. Mais ce refroidissement n’est pas uniforme et on peut en distinguer trois phases remarquablement plus fortes : de 1300 à 1380, dans le dernier tiers du XVIIe siècle puis enfin entre 1815 et 1860. A contrario, on relève des étés particulièrement chauds dans la moitié du XVIIIe siècle.

Cette période aux hivers souvent très froids et aux étés plutôt tièdes est marquée par des récoltes maigres, sources de famines, et des périodes de froids extrêmes (les fleuves comme la Seine gèlent complètement à l’hiver 1709, où ont atteint – 16° C à Paris, le vin du roi aurait même gelé dans son verre ! -note à soi-même : se faire du vin glacé cet été après le vin chaud de cet hiver …-). Les glaciers avancent partout : la calotte glaciaire s’étend en Atlantique dès 1250, provoquant la fin de la colonie norvégienne au Groenland faute de ravitaillement (elle disparaît vers 1400), des villages sont engloutis par les glaces un peu partout dans les Alpes, …

Pour autant, ce Petit Âge glaciaire est marqué par de grandes avancées techniques ! En effet, l’être humain est une espèce particulièrement adaptable. D’immense greniers sont construits pour stocker les récoltes meilleurs des années pour les périodes de famines, les moulins à vent remplacent peu à peu les moulins à eau souvent pris dans les glaces, le brise-glace est inventé à Amsterdam pour permettre l’approvisionnement de la ville, c’est l’invention des skis, raquettes et autres traîneaux en Europe, et surtout, SURTOUT, on note une très conséquente hausse de la production de BIÈRE ! -no fake, la raison est que cet alcool se conserve mieux que le vin à l’époque, et aussi que la vigne a besoin de plus de chaleur.

Mais parlons un peu de science voulez-vous ! Quelles sont les causes de ce Petit Âge glaciaire ?

Une première explication pourrait être l’activité volcanique explosive, très forte entre la fin du fin XVIe siècle et la fin du  XVIIe siècle. Une éruption volcanique explosive envoie, pour peu qu’elle soit conséquente, de nombreux gaz dans les couches hautes de l’atmosphère. Ainsi, du dioxyde de soufre (SO2) parvient dans la troposphère où il réagit avec le dioxygène (O2) et l’eau (HéO) pour former de l’acide sulfurique (H2SO4) :

formule

Ces gouttelettes d’acide sulfurique opacifient l’atmosphère et réfléchissent les rayons du soleil, qui ne parviennent donc plus jusqu’au sol. Cela provoque donc une  baisse de température à la surface terrestre, ce que l’on appelle un hiver volcanique, mais aussi une hausse de température dans la haute atmosphère, modifiant les courants atmosphériques et provoquant ainsi des perturbations météorologiques. Cependant, ces aérosols retombent au sol un à trois ans après les plus grosses éruptions, et cela ne peut expliquer un refroidissement séculaire du climat.

Il faut donc chercher ailleurs, directement au niveau du soleil par exemple. En effet, loin d’être constant, l’éclairement du soleil varient selon un cycle d’environ onze ans ainsi que selon d’autres cycles séculaires et millénaires encore mal connus. Cette variation est le fait de changements au sein de son champ magnétique, sans doute issus de ce que l’on appelle la dynamo solaire. Cette théorie explique la création d’un champ magnétique par un un corps conducteur (le Soleil) parcouru par un courant électrique du fait de mouvements convectifs (des déplacement de matière fluide) au sein dudit corps. Cet effet dynamo et ses changements sont encore très mystérieux mais on en observe tout de même les effets sur le Soleil et sur Terre.

Ainsi, on peut remarquer sur le soleil des taches noires, les taches solaires. Elles sont issues de ces mouvements convectifs de matière au sein de notre étoile, et marquent des zones de plus faible chaleur. Cependant, si la chaleur, et donc l’éclairement, est moindre au niveau de ces taches, il augmente autour d’elles. Cela fait que, contre-intuitivement, plus il y a de taches solaires, froides, plus l’éclairement solaire est important. Ces taches sont observables (et, peu ou prou, observées) depuis l’invention du télescope en Hollande en 1608 et on remarque ce que l’on appelle de Grands minima (des périodes presque sans taches solaire, donc à éclairement moindre) lors des périodes plus froides d’après les témoignages (comme le Grand minimum de Maunder entre 1645 et 1715). Mais leur observation ne couvre pas tout le Petit Âge glaciaire, ainsi doit-on, pour l’étudier, se baser sur d’autres sources.

Et cela tombe bien, car on trouve sur terre des éléments très vieux dont la production est directement liée au rayonnement solaire : les cosmonucléides. Ça ne vous dit rien ? Pourtant je vous assure que nous, en archéologie, on en connaît très bien un : le carbone 14 ! Et oui, vous ne vous êtes jamais demandés pourquoi se formait cet isotope de l’élément carbone (C) ? Et bien moi si -c’est qu’on s’ennuie à l’hôpital psychiatrique avec Billy quand-même… sans offense Billy-, et en voici l’explication. Tout d’abord, le carbone a, à son état stable, 13 nucléons (protons et neutrons réunis, dans le noyau) et un numéro atomique (nombre d’électrons autour du noyau ou de protons dans le noyau, ce qui revient au même) de 6. Mais il est possible de créer des isotopes (souvent instables) d’un même élément, c’est à dire des atomes avec plus ou moins de neutrons qu’à la normale mais avec le même nombre de protons et d’électrons. C’est ce qui se passe avec le carbone 14, qui à 14 nucléons (donc 8 neutrons au lieu de 6 ou 7 normalement). Ces isotopes se désintègrent est cela permet des datations mais ce sera le sujet d’un autre apARTé scientifique. Pour ce qui est de cosmonucléides, il s’agit d’isotopes créés par l’interaction entre des atomes et les rayons cosmiques (pour leur plus grande part issus du Soleil). En bref, ces rayons constitués de diverses particules qui agissent dans la très haute atmosphère sur des atomes terrestres. On se penchera sur la formation des deux isotopes principalement utilisés dans ces études, le carbone 14 (observé dans les cernes des arbres) et le béryllium 10 (capturé par les glaces), dont voici les équations de formations * :

form

Mais pourquoi est-ce que je vous explique tout ça ? Et bien parce que, comme je l’ai dit précédemment, les variations d’éclairement solaire provoquent des variations dans la production de cosmonucléides. En effet, une forte activité solaire provoque une augmentation, en plus de son éclairement, de son éjection de plasma dans l’espace. Ces éjections de plasma sont dues à la violence des fusions ayant lieu à la surface du Soleil (de l’hydrogène fusionnant en deutérium, un isotope de l’hydrogène) qui provoque l’expulsion des résidus de ses fusions (particules, noyaux d’hélium, …), formant ce que l’on appelle le vent solaire (celui que l’on observe aux pôles sous la forme d’aurores boréales). Or, plus ce vent solaire est fort, plus il balaye les particules apportées par le rayonnement du Soleil loin dans le système solaire. De ce fait, on remarque une baisse de la formation de cosmonucléides, piégés alors sur Terre en moins grande quantité et dont on peut enfin noter les variations de concentration et en faire des conclusions sur l’état de l’intensité solaire, et donc du climat, lors des siècles précédents. Les chercheurs remarque donc une perte de température moyenne sur l’ensemble de la période oscillant entre 0,25 et 0,95° C suivant les valeurs retenues. Ils notent d’ailleurs quatre minima d’intensité solaire durant le Petit Âge glaciaire : le minimum de Wolf (1300-1350), le minimum de Spörer (1400-1600), le minimum de Maunder (1645-1715) et le minimum de Dalton (1790-1820) (notés W, S, M et D sur le schéma suivant). Ainsi qu’un pic d’intensité solaire au milieu du XVIIIe siècle, période aux étés particulièrement chauds si vous vous souvenez bien.

graphique

Évolution de l’éclairement solaire, reconstituée à partir de la production de béryllium 10 observée dans les glaces des forages de l’Antarctique par E. Bard (2000) depuis 850 de l’ère chrétienne.

Enfin, je vais vous faire part d’une autre possible explication du phénomène, qui si elle n’en explique bien entendu toute l’ampleur, me semble très intéressante. Une étude menée par quatre géographes de l’University College de Londres et de l’université de Leeds semble indiquer que les pandémie ayant décimé les peuples d’amérindiens (jusqu’à 90 %, soit un passage de 60 à 6 millions de personnes) pourrait avoir un lien avec le Petit Âge glaciaire. En effet, l’abandon de leurs terres par ces peuples provoqua la formation 56 millions d’hectares de savanes et de forêts. Cette hausse exponentielle de capteurs de CO2 (par photosynthèse) aurait provoqué un retrait de ce dernier élément équivalent à plusieurs dizaines de milliards tonnes. L’absorption de ce gaz à effet de serre pourrait donc être, en moindre partie, une cause de la chute des températures (ou plutôt de son intensification). Cet exemple est assez intéressant car il montre l’impact de l’être humain sur le climat, même avant l’ère industrielle, et cela prouve bien qu’un fait semblant complètement à part d’un sujet peu tout à fait, d’une façon ou d’une autre, l’avoir influencé.

Mais parlons d’art maintenant ! Non parce que c’est quand-même le but de cette rubrique au départ…

Pour commencer par le plus logique, la peinture hollandaise du XVIIe. On voit tous à peu près ces grands paysages enneigés des toiles de Brueghel l’Ancien pour ne citer que lui. Et bien on peut tout à fait se poser la question d’une potentielle représentation des refroidissements causés par le Petit Âge glaciaire. C’est ainsi que Les chasseurs dans la neige (1565) ou Le dénombrement de Bethléem (1566) sont peint pendant et juste après l’hiver de 1565, particulièrement rude. Pour autant, il faut replacer ces créations dans leur contexte et ne pas tirer de conclusions hâtives. Car à cette époque, les Pays-Bas se séparent peu à peu de l’Espagne (le traité d’Utrecht, marquant la prise d’indépendance des Provinces-Unis vis-à-vis des Habsbourg, est signé en 1579, s’ensuit la guerre de Quatre-Vingt Ans). La région revendique donc peut-être une identité propre par la représentation d’un hiver froid typiquement hollandais et bien loin de l’Espagne torride et ensoleillée.

Les chasseurs dans la neige - Brueghel l_Ancien
Pieter BRUEGHEL L’ANCIEN, Les chasseurs dans la neige, 1565, huile sur bois, L: 1m62, Vienne, Kunsthistorischesmuseum

Pour ce qui est de la sculpture, on peut se rappeler les cours de Moyen Âge de Deuxième Année et le style parisien des années 1300 imitant des « drapés de laine » (remplaçant les drapés mouillés du XIIIe siècle) pour citer M. Meunier. Citons par exemple (et pour faire plaisir à ce dernier), les diverses statues dédiées à la collégiale d’Écouis par Enguerrand de Marigny en 1311, soit au tout début du Petit Âge glaciaire. Or, les températures plus basses n’auraient-elles pas eu un impact sur la mode vestimentaire (avec des habits de laine, plus chauds), et donc sur le style sculptural ? Après interrogation dudit professeur à ce sujet, il s’avère sceptique à l’idée mais ne balaye pas l’hypothèse d’un rapport de conséquence, serait-il partiel.

Sainte Véronique - Collégiale Notre-Dame d_Ecouis

Sculpture de Sainte Véronique – Collégiale Notre-Dame d’Ecouis

Enfin, la musique aurait aussi subi un impact certain, avec les violons de Stradivarius, luthier crémonais oeuvrant de 1670 à 1737. Réputés exceptionnels, on a longtemps cherché l’origine de leur acoustique jugée parfaite avant de, peut-être, la trouver dans … la densité de leur bois. En effet, si ils ne sont en moyenne pas plus denses que les violons modernes, ces violons anciens possèdent une plus grande homogénéité de densité au sein des pièces de bois les composant. Or, cette plus grande homogénéité peut s’expliquer par une croissance plus lente du bois, courante lors de périodes plus froides comme le minimum de Maunder de 1645 à 1715 par exemple ! Cependant, cela signifierait que les violons de tous les luthiers de Crémone serait de cette même qualité, ce qui est faux. De plus, la supposée supériorité des Stradivarius est plus que controversée.

 

 

Bien, nous voilà à la fin de cet article après ce petit marathon scientifique. Ça fait du bien de se remettre en jambes après les vacances, hein Billy ? Certes l’étude de l’impact sur l’art du Petit Âge glaciaire n’est que peu concluante, mais il reste intéressant de voir l’impact du climat sur les populations humaines et, peut-être, leurs productions artistiques. Cela laisse tout de même pensif en cette période de brusques changements climatiques.

 

Raphaël VAUBOURDOLLE

 

* Pour les particules : n (neutron), p (proton) et e (positron) ; pour les atomes : N (azote), C (carbone), Be (béryllium) et He (hélium).

L’ApARTé scientifique – Pour aller plus loin : suppression de la Commission scientifique des collections, chaos à venir ou simplification administrative ?

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Comme promis, Billy et moi-même vous transmettons quelques liens vers des documents et sites officiels du gouvernement pour aller plus loin et vous faire votre propre avis. Cela vous permettra de vous plonger dans ces magnifiques textes de loi qui ont aspiré mon âme lors de la rédaction de la dernière ApARTé scientifique.

 

Au menu, le chef vous propose :

 

Bon appétit ! Et bon courage… pour ma part je vais aller brûler deux ou trois codes civils en sacrifice à Baal.

 

Raphaël Vaubourdolle

L’apARTé scientifique – Pour aller plus loin Travail et champs de blé : la pire « invention » de l’humanité et l’âge d’abondance, ou l’article qui va me mettre à dos l’entièreté de Mens Sana

Champ de blé derrière l'hospice Saint-Paul avec un faucheur

VAN GOGH, Champ de blé derrière l’hospice Saint-Paul avec un faucheur, septembre 1888, huile sur toile, L: 72,5 cm, Essen, Musée Folkwang

 

Bon bon bon ! Je voulais vous refaire un petit mot pour vous donner deux-trois sources ou bouquins en lien avec le sujet, que ce soit pour les curieux ou les incrédules. Premièrement, je vous conseille deux vidéos du Vortex réalisées par Léo Grasset de la chaîne Dirtybiology et Clothilde Chamussy de la chaîne Passé Sauvage qui en parlent très bien :

 

 

 

Pour les rats de bibliothèque, quelques livres ou articles scientifiques :

    • Âge de pierre, âge d’abondance, par Marshall Sahlins (1972) : une compilation de toutes les études précédentes donnant de nombreux chiffres. Profitez-en, il est à la Bibliothèque de l’École !
    • Du pécari au manioc ou du riz sans porc ?, par Philippe Erikson (1998)
    • Pourquoi les Indiens d’Amazonie n’ont-ils pas domestiqué le pécari ?, par Philippe Descola dans De la préhistoire aux missiles balistiques (1994) : lui aussi est à la BU !
    • Homo domesticus. Une histoire profonde des premiers États, par James C. Scott (2019) : un ouvrage récent et très exhaustif sur la question, allant même un peu plus loin en se demandant qui de l’Homme ou des animaux / plantes a domestiqué l’autre -et je vous jure que c’est beaucoup moins con que ce qu’il n’y paraît !

 

 

 

Enfin, si vous êtes revenus ici c’est peut-être aussi parce que je ne vous ai pas du tout convaincu avec mon article, et c’est bien normal ! En effet si aujourd’hui, tout cela nous paraît rétrograde, c’est que nous sommes atteints d’un biais de sélection nommé biais du survivant : appartenant  à un pays « développé », notre vision des avantages et des inconvénients de la « révolution agricole » est forcément biaisée.

De plus, j’avoue ne pas avoir tout dit -calmez vous ! J’avais mille mots maximum OK !- mais rassurez vous, tous les faits sont vérifiés. Seulement, certains points sont consciemment assez peu développés, comme quoi il faut toujours faire gaffe à l’angle que prend le rédacteur d’un article -#espritcritique !

En effet, revenons sur cette histoire des enfants tous les quatre ans des chasseurs-récolteurs, parce que c’est peut-être un détail pour vous mais pour moi ça veut dire beaucoup -et une chanson dans la tête ! Une ! Ainsi, ce fait est dû à plusieurs causes que je n’ai pu expliquer par faute de place. Premièrement, la combinaison d’une activité physique intense avec un régime maigre et riche en protéines provoque une puberté plus tardive, une ovulation moins régulière et une ménopause plus précoce. Ce qui va encore dans le sens d’une agriculture très désavantageuse. Mais il faut tout de même noter que cette apparente natalité moindre est aussi bien souvent « aidée » à grands coups de sevrages retardés, absorptions d’abortifs, traitements négligés des nouveau-nés ou même infanticides. C’est directement un peu moins reluisant. En revanche, dans les sociétés agricoles, la sédentarité rend les premières menstruations plus précoces, le régime céréalier permet de sevrer les nourrissons plus tôt en leur faisant consommer bouillies et gruaux et un régime riche en glucides stimule l’ovulation et prolonge la vie reproductive des femmes. Mais rappelons encore une fois qu’il s’agissait alors quand même de combler un taux de mortalité sans précédent.

Ensuite, la sédentarisation a provoqué une possibilité d’accumulation de biens, inutile ou même fatale aux chasseurs-récolteurs. Des biens comme de l’art par exemple …

Enfin, il s’agit d’un sacré jugement de valeur de dire que l’agriculture était une mauvaise idée étant donné que le nombre de morts a fortement augmenté au sein des populations humaines ayant choisi une économie agricole. En effet, cela a aussi provoqué un taux de natalité sans précédent, donc beaucoup plus d’hommes et de femmes -ou d’enfants pour les nombreux qui n’atteignaient pas l’âge adulte … bon d’accord j’arrête- qui ont pu connaître l’amour, la joie, … le bonheur en bref. Car en effet vaut-il mieux le néant, sans souffrance ni bonheur, ou la mort, avec de la souffrance mais aussi du bonheur ? Vous avez quatre heures -mais comme moi je ne les ai pas, je vous laisse y répondre tout seul !

 

Enfin, je tenais à m’excuser auprès de tous les membres de Mens Sana qui ont pu prendre pour eux cette attaque envers l’agriculture. En effet, il nous serait impossible aujourd’hui de revenir à une économie pré-agricole. Il ne reste que trop peu d’espaces « naturels » indépendants de tout apport humain dans sa subsistance pour pouvoir nous nourrir. Nous sommes trop nombreux, trop grégaires, trop habitués à la propriété, … Car qui, je le demande, serait prêt à quitter son petit confort pour partir courir dans la forêt à la poursuite de sangliers ?

Mais dans cette situation, il nous reste des alternatives, et l’agriculture biologique et locale en est une. Cela ne nous sauvera peut-être pas (de toute façon on ne sait même pas si l’espèce humaine passera les cent prochaines années), mais c’est déjà un pas dans la bonne direction. Donc pour cela, merci Mens Sana !

 

PS : c’est bon ? Je peux garder mes paniers de légumes ?

 

Raphaël Vaubourdolle

L’apARTé scientifique – Fistule anale et hymne national ou comment le God Save the Queen anglais suppura du derrière d’un roi français

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Alors aujourd’hui on va partir dans du sale, du très très sale. Donc premièrement tu vas tout de suite me lâcher ce sandwich Jean-Masturbin ! Je ne voudrais pas que tu tapisses de ton vomi ce magnifique journal, mes collègues rédacteurs vont m’en vouloir après. Allez lâche-le. LÂCHE-LE J’AI DIT !! Bien c’est mieux.

En effet, on va parler de cul ! Mais pas des magnifiques fessiers grecs ou romains que nous partage allègrement sur Instagram l’agalmatophile préferé de l’École -je pense que vous voyez de qui je veux parler-, non non non !  On va parler de fistule anale !

 

À vrai dire, cet article s’attache à une anecdote assez connue : la fistule anale de Louis XIV et son influence directe sur la création de l’hymne God, save the Queen. Bien sûr on va essayer de le faire de la manière la plus objective et la moins vexante possible pour nos amis ang … Non je plaisante ! Bien sûr qu’on va se foutre de leur gueule allègrement ! Allez Billy, on ressort l’uniforme de la Grande Armée et cette fois on traverse la Manche !

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Le fameux bistouri, illustré par notre dessinatrice Éloïse Briand

Donc petit contexte, camarades ! En 1686, notre bon Roi Soleil est atteint d’un mal si handicapant qu’il ne peut plus chevaucher. On présente d’abord cela assez pudiquement comme une « tumeur à la cuisse » mais le roi ne peut bientôt plus le cacher : il s’agit d’une fistule anale. Une multitude de médecins et d’apothicaires tente alors de soigner le roi à base de cataplasmes, de cure thermale, etc … Mais l’un d’entre eux sort du lot : Charles-François Félix. Ce dernier propose au roi une opération novatrice, qui va rentrer dans les annales -… désolé mais les blagues pipi-caca c’est un peu le fondement (surenchère quand tu nous tiens) de mon humour. Mais pas question d’en faire le premier jet -hum …- sur le roi ! Félix expérimente donc sa méthode sur plusieurs dizaines d’indigents -dont certains meurent !- dans le secret le plus total. Cela lui permet de mettre au point un bistouri spécial dit « recourbé à la royale ». Alors le machin est relativement monstrueux quand tu sais que sa destination est potentiellement ton troufion. Imagine l’opération de trois heures sans anesthésie pendant laquelle on te l’insère dans l’anus à l’aide d’un écarteur ! Enfin ça fonctionne puisqu’en janvier 1687, après trois opérations, le roi est guéri, inespéré à l’époque !

 

Mais guéri de quoi finalement ? -oui Billy, d’une fistule anale, on sait ! Tu te crois malin hein ! Mais est-ce que tu sais ce que c’est exactement ? Non ? Et bien tu la boucles ou je t’enfonce un bistouri recourbé à la royale dans le rectum !- Bien, donc répondons à cette question parce que pour l’instant on fait beaucoup d' »histoire » mais pas tellement de science finalement. Hum hum ! *voix de vieux sage dans une grotte* Au commencement, Dieu décida que tu devais douiller sévère ! Non mais je caricature à peine, on ne sait jamais trop comment ça arrive ces saletés. En gros, une inflammation se déclenche dans le rectum. Elle provoque ce que l’on nomme un diverticule, une sorte de petite fissure dans la paroi rectale. Et c’est là qu’on va pouvoir s’amuser ! Parce que ça ne s’arrête pas là, loin de là ! En effet, l’accumulation de matière fécale -mmmmh !- dans le diverticule ne fait qu’empirer l’infection et donc creuse la fissure petit à petit. Donc un boyau enflammé va se développer doucement vers l’extérieur et finir par s’abducter à votre peau des fesses (assez proche de l’anus quand-même) sous la forme d’un abcès avec parfois écoulement de pus en supplément. Ragoûtant hein.

 

Et donc à la guérison du roi, tout le monde y va de son petit Te Deum, notamment la duchesse de Brinon, supérieure de l’orphelinat pour filles nobles de la Maison royale de Saint-Louis (futur Saint-Cyr), qui écrit un cantique en français pour que les jeunes filles dont elle a la charge puissent le chanter à la visite du roi rétabli. Mis en musique par Lully lui-même, il est appelé à devenir célèbre : Seigneur (Dieu), sauve le roi. En effet, et c’est là que l’on va pouvoir enfin vanner nos chers voisins d’Outre-Manche, pour mon plus grand plaisir !

Ainsi en 1714, après le traité d’Utrecht, qui voit encore une fois Louis XIV s’en sortir face à une coalition européenne menée par la perfide Albion -qui ne pouvait bien sûr pas s’empêcher d’essayer de nous emmerder !- Haendel visite le château de Versailles. Il y a vent du cantique de Madame de Brinon, en copie les paroles et la mélodie et le fait traduire par le pasteur Henry Carrey. Il le présente ensuite au roi Georges Ier d’Angleterre, sans l’entretenir de l’origine dudit chant bien entendu ! Au goût de son souverain, il devient par la suite l’hymne royal anglais, entonné lors de toutes les cérémonies officielles et ce jusqu’à nos jours.

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Voilà donc pourquoi ces saletés d’Anglois chantent un hymne … pour ainsi dire de merde -en tout cas sorti du cul d’un roi français ! En espérant ne pas vous avoir -trop- fait vomir, je vous dit à  la prochaine sur Trafalgar Square quand nous aurons refait de cette île une colonie française !

 

Raphaël Vaubourdolle