Top 5 des miracles du Bouddha

Bouddha Shakyamuni, Wikimedia Commons

Le Bouddha. Ce nom vous dit sûrement quelque chose. Pour certains, c’est un voyage vers l’Asie, la méditation, les sons apaisants, le Tibet, etc. Pour d’autres, qui ont suivi assidûment la douce voix de Thierry Zéphir dans l’obscurité de l’amphithéâtre Rohan, il est un prince indien nommé Siddhârtha Gautama, né dans les environs du Ve siècle avant notre ère. Eveillé à Bodh Gaya, c’est un sage ascétique qui enseigne des préceptes permettant d’accéder au nirvana et de stopper le cycle des réincarnations. 

Cependant, le Bouddha n’est pas que prières, méditations, ascèses et prêches à travers l’Inde, un chignon sur le crâne (attention les 1A, c’est une déformation crânienne !), les yeux mi-clos dans la position du lotus. C’est aussi un personnage énigmatique et mystique auquel on accorde de nombreux pouvoirs et miracles, bien que lui-même affirmait ne pas souhaiter les mettre en avant. 

Bien avant son Éveil en tant que Bouddha, le prince Siddhârtha était marqué comme étant un être spirituel d’exception. En effet, parmi ses 32 marques physiques, citons les plus étranges dont on ne vous parlera pas en cours. Tout d’abord, pour lui faciliter la vie, ses doigts et orteils étaient finement palmés et ses paumes de mains lui arrivaient aux genoux (un peu comme Sammy dans Scooby-Doo, voyez-vous…). Spiritualité oblige, son sexe était bien évidemment caché à la vue de tous, remplacé par une extraordinaire aura rayonnant à trois mètres autour de lui. Enfin, en plus d’avoir quarante dents au lieu de trente-deux et une langue plus longue et large que la moyenne, le corps du Bouddha semblait être un puzzle fait de différentes parties animales : les mollets d’un cerf royal, le torse et la mâchoire d’un lion, les cils d’un taureau royal. Plus tard, il devint également égérie d’une marque de shampooing car quatre-vingts marques mineures devinrent également canoniques et parmi elles : des cheveux sentant constamment le lotus blanc. Rien qu’avec cette liste non-exhaustive, on pourrait déjà lui décerner une palme. 

1) La naissance

Mais pour en revenir à ses miracles, je place celui de sa naissance comme grand gagnant. A Lumbini, il sortit les mains jointes du flanc de sa mère (la voie normale ce n’était pas assez bien pour lui…), puis, après un premier bain, il fit sept pas vers le Nord, et à chacun d’eux une fleur de lotus s’épanouit (il nous aurait réglé le problème de la déforestation vite fait bien fait, lui !). Il regarda ensuite les autres points cardinaux et contempla l’ensemble de la création sur laquelle il allait étendre sa spiritualité. Essayez de visualiser un petit bambin de quelques heures faire tout cela et, vous aussi, vous donnerez la médaille d’or à ce miracle. 

2) Shravastî

En deuxième position, bien évidemment, je ne pouvais que vous parler de ce qui est considéré comme son plus grand miracle après son éveil, j’ai nommé le Grand Miracle de Shravastî ! Devant une assemblée de maîtres hérétiques, le Bouddha accomplit plusieurs miracles. En lévitation, il fit jaillir de ses pieds des flots et de ses épaules des flammes. Puis, s’amusant à les déplacer autour de son corps, il les utilisa pour éclairer le cosmos (rien que ça !). 

3)… Encore Shravastî !

Le troisième miracle est une version alternative de ce Grand Miracle de Shravastî que je trouve très originale. Dans cette version, le Bouddha dupliqua son image à l’infini (de toute évidence, Doctor Strange dans Marvel est un total plagiat…). Après avoir réglé tous les débats théologiques avec ce petit miracle, le Bouddha créa un double de lui-même pour que ce dernier lui pose des questions auxquelles il aurait répondu lors d’un prêche.

4) La descente des Trente-Trois dieux

En quatrième position, la Descente des Trente-Trois dieux est bien évidemment un évènement majeur dans la vie de « l’Eveillé ». Souhaitant prêcher sa doctrine aux trente-trois deva (divinités hindoues vivants dans un « paradis » dirigé par Indra), le Bouddha monta au ciel et resta enseigner pendant trois mois. Puis, au terme de la saison des pluies (malin ce Bouddha), il redescendit sur une échelle sertie de joyaux offerte par Indra. 

5) Le miracle de l’éléphant furieux

En bon dernier, le miracle de l’éléphant furieux se devait tout de même d’être cité dans ce top cinq. Le cousin du Bouddha, Devadatta, jaloux, lui envoie à Râjagriha un éléphant déchaîné détruisant tout sur son passage. Trois versions de sa victoire existent. La plus connue nous raconte que c’est à la force de sa compassion que le Bouddha dompta l’animal, qui finit par se prosterner devant lui. Une autre dit que c’est grâce à l’illusion de deux lions et d’une mer de feu que l’éléphant s’immobilisa de peur. Enfin, la dernière explique que le Bouddha aurait imité le barrissement d’un éléphant femelle, calmant ainsi l’animal furieux.  

Comme sur Watchmojo, des mentions spéciales peuvent être accordées à des épisodes miraculeux ayant eu lieu avant l’éveil du prince Siddhârtha et que je trouve, en toute subjectivité, très sympathiques. Alors qu’il était un jeune garçon, assis sous un arbre dans la campagne, le prince effectue sa première méditation. Toute la journée, l’ombre de l’arbre resta sur lui pour le protéger du soleil qui, lui, continua sa course. En période de canicule, moi je trouve ça très utile comme miracle ! Enfin, lors de son départ du palais pour commencer une vie d’ascète pour atteindre l’éveil, le prince Siddhârtha se coupa les cheveux. Il déclara que s’il était réellement voué à s’éveiller en tant que Bouddha, ses cheveux resteraient en l’air après avoir été lancés. Je vous laisse deviner ce qui se passa alors… 

 

Cassandre BRETAUDEAU

 

Deux légendes fantastiques praguoises

L’Atlas de Mala Strana. Crédit : Djama ESPINOLA SERRANO (@toucan_nwar_neg)

De toutes les légendes praguoises, la plus fameuse est sans doute celle de Faust. Mais pour ce numéro Magie, laissez-moi vous faire découvrir deux autres histoires fantastiques sur des monuments de la capitale tchèque. L’une est plus malheureuse que l’autre mais toutes deux s’achèvent sur une belle touche d’humanité qui réchauffera peut-être votre cœur en ces premiers jours de froid.

 

L’enfant innocent du pont Charles

Au XIVe siècle, dans le contexte des luttes du grand schisme d’Occident, Wenceslas IV, roi des Romains et de Bohême, fit arrêter Jean Népomucène, vicaire général de l’archevêque de Prague, et le fit précipiter dans la rivière Vltava du pont Charles. L’événement fut suivi d’une crue soudaine et violente qui brisa le pont. Ce dernier demeura longtemps irréparable : chaque jour, à l’aube, les maçons constataient avec effroi que tous leurs efforts s’étaient comme évaporés dans la nuit. Jusqu’au jour où l’un d’entre eux décida qu’il en avait assez.

Curieux, le jeune homme veilla une nuit sur le pont et le Diable en personne lui apparut. Comprenant qu’il n’obtiendrait rien du Mal incarné par la simple raison, il accepta sa proposition : les maçons pourraient réparer le pont à condition que la première personne à le traverser soit livrée au Diable. Le lendemain soir, le pont était achevé. Mais entretemps, le jeune homme s’était rendu compte de la cruauté de son pacte. Il décida de se faire plus malin que le Diable et plaça des gardes aux entrées du pont. Le lendemain, à l’aube, il y lâcherait un coq.

Mais le Diable avait une longueur d’avance. Sous l’apparence d’un maçon, il se rendit chez le jeune homme pour hâter sa femme de rejoindre son mari sur le pont. Les gardes, la reconnaissant, la laissèrent passer. Quelle fut l’horreur du jeune homme lorsqu’il comprit le destin tragique qui attendait son épouse et l’enfant qu’elle portait encore en son sein. A nouveau, il crut échapper aux desseins du Diable et renvoya sa femme chez lui en espérant livrer sa propre vie à la place. Mais le Diable ne vint jamais et, à l’aube, le jeune homme regagna sa maison pour constater le décès de son épouse et de leur enfant. Peu après, le jeune homme mourut à son tour.

Il est dit que, des siècles durant, le fantôme du mort-né hantait le pont Charles et qu’on pouvait discerner ses éternuements dans le brouillard des froides matinées. Mais un jour, un homme l’entendit et répondit « A tes souhaits ». Ces simples mots, empreints d’humanité, suffirent à libérer l’âme de l’enfant qui put enfin reposer en paix.

 

L’Atlas de Malá Strana

Depuis les années 1820, une statue géante d’Atlas garde l’entrée du jardin Vrtbovska. Un jour, une petite fille du voisinage la remarqua en levant les yeux et fut prise de pitié pour le destin d’Atlas, chargé de porter le poids du monde sur ses épaules. Dès lors, elle vint tous les jours saluer la statue et parfois déposer des fleurs devant le portail.

Elle ne comprenait pas comment les fleurs qu’elle déposait chaque jour sur le sol pavé pouvaient se retrouver le lendemain au pied de la statue. Mais cela ne la préoccupait pas beaucoup. Du reste, elle rêvait de pouvoir atteindre le pauvre Atlas, de pouvoir le toucher, pour lui partager qu’il n’était pas seul.

Un jour, elle vint le saluer et lui déposer des fleurs, comme à l’accoutumée, et s’en retourna insouciamment en gambadant dans la rue. Au même moment, les chevaux effrayés d’un boucher du marché de Lesser Town surgirent, dévalant la rue Klimentska en direction du jardin. Craignant qu’ils ne la renversent, Atlas se réveilla, sauta du portail et jeta son globe à terre. D’un geste, il stoppa net les chevaux. La petite fille put enfin atteindre le géant qu’elle étreignit avant qu’il ne retourne sur son portail. Une fois rentrée, elle raconta ses aventures à sa mère et dès lors, reconnaissantes, elles déposèrent chaque jour ensemble des fleurs aux portes du jardin.

Sur le sol pavé de la cour où Atlas a jeté son globe, demeure un renfoncement qui s’emplit d’eau les jours de pluie. Il est dit que cette eau ouvre les portes à toutes les légendes du monde et que les oiseaux du jardin Vrtbovska qui s’en abreuvent peuvent entonner toutes les chansons du monde et chanter les légendes de Prague dans le monde entier.

 

D’après la chaîne YouTube Old Prague Legends.

 

Suzon GAUTHIER

Prenez donc un peu d’extrait de saturne !

 

– Sortez vos athanors et vos aludels : aujourd’hui, interro d’alchimie ! Je vois à vos grands yeux écarquillés que n’avez pas ouvert vos vieux grimoires poussiéreux 

de tout l’été… Et bien, nous allons reprendre un peu les bases de l’alchimie médiévale ensemble, si vous le voulez bien, afin d’en mieux cerner la quintessence !

 

  • Dépoussiérons un peu ce terme équivoque d’ “alchimie”

L’alchimie est une discipline qui s’inscrit dans l’histoire des sciences et qui a laissé des traces dans la médecine traditionnelle occidentale jusqu’au XIXème siècle. Non seulement des traités comme le Rosarium philosophorum (XIVe siècle) écrit par le pseudo-Arnaud de Villeneuve continuent alors d’être traduits et diffusés, mais en outre, on utilise encore certains remèdes alchimiques comme l’extrait de saturne – ou acétate de plomb – pour soigner les chevaux par exemple.

– Mais… mais si la discipline se calque sur la médecine, c’est pas d’la magie alors ?!

– Minute papillon ! Je vais y venir.

 

D’où ça vient ?

L’alchimie est une discipline dont l’étymologie montre à quel point elle a fait le tour de

l’Orient et de l’Occident ! Le mot serait composé de l’article arabe al et du mot Kimija, qui renvoie à la pierre philosophale. Du monde arabe, on retient d’ailleurs de grands noms en alchimie, comme Avicenne, Averroès… Mais ce mot arabe pourrait lui-même remonter du grec /chumeia/ ( χ υ μ ε ι ́ α) qui signifie “mélange de liquides” ou même du copte chame, qui signifie “noir” et qui désigne les Egyptiens et leurs arts.

-Ok… Mais c’est magique ou paaaas ???

-Mais c’est que tu es têtu, par ma barbe !

-Gloups !

 

  • Magie ou non ?

L’alchimie peut être rattachée aux sciences car elle vise, au moyen d’hypothèses et d’expériences, l’acquisition de savoirs. Mais…

-Aha ! Il y a un mais ! donc l’alchimie c’est de la magie en fait !!!

-Oui et non…

-C’est une réponse de Normand, ça !

Laisse-moi donc poursuivre. Là où réside la spécificité de l’alchimie, c’est dans son contenu ésotérique et mystique. L’alchimie ne peut être limitée à la transmutation du plomb en or. En essayant d’égaler la nature en tentant de recréer le matériau le plus parfait, l’or, c’est le chercheur qui cherche également à atteindre la perfection de l’âme. L’approche alchimique est donc radicalement différente de notre conception occidentale actuelle de la science…

-Et c’est pour cela qu’on l’associe à la magie ?

-Pas seulement !

 

  • Les mystères de l’alchimie

Bien qu’admise au sein de la société médiévale sans restriction au début du Moyen-Âge, l’alchimie n’est pas longtemps exempte de critiques et de condamnations (notamment pour fraude, faux-monnayage), et devient la cible de nombreuses rumeurs. Dans ce contexte de contestation, une vision plus élitiste de la discipline émerge, conduisant à la production de discours cryptés. Les substances sont nommées par des noms de dieux grecs/planètes, et les outils, par des noms d’animaux ou de végétaux, ou bien l’alchimiste le plus suspicieux aura recours à des symboles.

-Wahou ! Des idéogrammes !

Enfin, ce sont les Romantiques qui, au XIXe, ont véhiculé cette image du vieux mage à moitié fou perdu au milieu de ses alambiques et parchemins, à la croisée entre romantisme noir et historicisme néo-gothique. Bien sûr, les romans et films du XXe siècle ont perpétré le lieu commun, en témoignent les premières pages de Cent ans de solitude, un monument de la littérature latino-américaine que l’on doit à Gabriel García Márquez :

“Un gros gitan à la barbe broussailleuse et aux mains de moineau, qui répondait au nom de Melquiades, fit en public une truculente démonstration de ce que lui-même appelait la huitième merveille des savants alchimistes de Macédoine. Il passa de maison en maison, traînant après lui deux lingots de métal, et tout le monde fut saisi de terreur à voir les chaudrons, les poêles, les tenailles et les chaufferettes tomber tout seuls de la place où ils étaient, le bois craquer à cause des clous et des vis qui essayaient désespérément de s’en arracher, et même les objets perdus depuis longtemps apparaissaient là où on les avait le plus cherchés, et se traînaient en débandade turbulente derrière les fers magiques de Melquiades. « Les choses ont une vie bien à elles, clamait le gitan avec un accent guttural; il faut

réveiller leur âme, toute la question est là. »”

– Donc en fait, ta barbe, c’est du toc ?

– Du toc ?! Non mais quelle outrecuidance ! Tu vas voir ce que tu vas voir ! « Kzedledjhekhfkeldejeizdhoàç » !!!!

– Aha ! Tu fais moins le malin maintenant !

– Aaaaaaaaaahhhhhhhh !!!!!

 

  • Bibliographie (à potasser pour votre interro qui est reportée au prochain numéro…)
  1. L’alchimie au Moyen Âge : XIIe-XVe siècles, Antoine Calvet, 2018, éd. Vrin
  2. Les traductions d’ouvrages d’alchimistes de Marcellin Berthelot (sur Gallica et Google books)
  3. Les premières pages de Cent ans de solitude de Gabriel García Márquez (1967)
  4. dictionnaire en ligne du CNRTL : https://www.cnrtl.fr/definition/alchimie
  5. Le blog des compagnons de Valerien : http://compagnonsdevalerien.over-blog.com/
  6. “Art et nature dans l’alchimie médiévale”, Revue d’histoire des sciences, 1996, Barbara OBRIST : https://www.persee.fr/doc/rhs_0151-4105_1996_num_49_2_1256

 

Blandine

« MAGGI®, MAGGI®, et vos idées ont du génie ! » : Comment Picasso et l’Afrique sont tombés amoureux du bouillon Kub

D’après le Paysage aux Affiches de Picasso, 1912, The National Museum of Art, Osaka. Crédit : Coralie Gay

Ceci est une déclaration d’amour au MAGGI.

Lecteur, ne ris pas. Que me jette la première pierre l’être qui n’a jamais utilisé ni bouillon Kub, ni arôme MAGGI. Celui qui n’a jamais relevé sa soupe ou son riz de quelques gouttes brunes, sorties de ce flacon tout de rouge et de jaune vêtu. Et, si tout le monde connaît le MAGGI, si nous sommes nombreux à en relever nos plats dans les moments d’intense flemme culinaire, qui ici en connaît réellement l’histoire ? Qui sait que, grâce au MAGGI, Picasso et les Africains partagent une autre passion que les masques traditionnels ? Parce que la magie c’est bien, mais que la nourriture aussi, partons ensemble nous interroger sur la naissance de ce célèbre petit arôme.

L’homme de la situation : Julius Maggi

Julius Maggi. Crédit : Wikimedia Commons

S’il y a un monsieur vers qui se tourner pour percer les secrets de l’arôme, c’est probablement Julius Maggi. La très sérieuse page web Histoire de l’entreprise MAGGI nous apprend que l’entrepreneur, né en 1846, est un homme « engagé et passionné ». Rien que ça. Et que le MAGGI était un véritable projet social à destination des travailleurs. Rien que ça là encore. Lecteur, ne ris toujours pas, l’arôme qui assaisonne tes pâtes possède un historique complexe.

Fils d’un propriétaire d’usines né en Italie, Julius base sa propre entreprise de farines de blé près de Zurich. Il conçoit très vite les mutations qui se font jour dans le monde du travail suite à l’industrialisation. La place de la femme est à la cuisine ? Le XIXe siècle la situe plutôt à l’usine, avec à la clé, moins de temps passé au foyer à préparer la nourriture. L’exode rural mène également à l’abandon des comportements alimentaires autosuffisants. Julius Maggi conçoit donc comme un impératif de produire industriellement de la nourriture peu chère et de qualité.

C’est la rencontre du chef d’entreprise avec le médecin Fridolin Schuler et la Société suisse d’utilité publique, en 1882, qui le décide à inventer de nouvelles farines de pois et des haricots en poudre, à haute valeur nutritionnelle. C’est également le début des soupes instantanées… en 1885 (eh oui, vos petits ramen du soir sont de vrais grands-pères) !

Faute de pouvoir vous montrer ce cher Serge, voilà une réclame un peu plus ancienne de MAGGI… Crédit : Wikimedia Commons

 

Et notre saint arôme MAGGI, exclusivement végétal, naît en 1886.

Il se décline en cubes dès l’année suivante. Très exigeant en termes de communication, Julius Maggi fait immédiatement protéger les noms et logo du produit. Il est également l’un des premiers à utiliser les plaques émaillées, et fait appel aux meilleurs publicitaires de l’époque, tel Leonetto Cappiello, auteur d’affiches pour le chocolat Poulain ou le vin Dubonnet. Campagnes publicitaires sur les bateaux-mouches, distribution gratuite d’échantillons et cartes de fidélité, tout le concept était extrêmement bien rodé. Bien plus tard, dans les années 1980, l’entreprise va pousser le vice de la communication jusqu’à faire réaliser ses publicités par Jean-Jacques Annaud ou Serge Gainsbourg. Quand on vous disait que le MAGGI, c’était très sérieux !

J’en vois un au fond de la salle qui se gausse et assène qu’il n’a jamais consommé de MAGGI, que cette sauce brune et fade inconnue au bataillon ne trouvera jamais grâce à ses yeux. Mais j’ai conscience de m’adresser à un public étudiant, friand de Tupperwares de pâtes et de purée en flocons… Car oui, Mousline, la douce compagne de vos soirs de révision, a elle aussi été inventée par la société MAGGI en 1963. Nous sommes alors aux prémices des protestations étudiantes qui vont éclater dans toute leur superbe en mai 68. Alors, l’arôme MAGGI ne serait-il pas un peu… magique ?

Et l’Afrique, me direz-vous ? Et Picasso ?

Le bouillon Kub s’invite au Mali !
Angelina A. van Achtenberg, Une enseigne pour les cubes MAGGI, 1993. Crédit : collection Van Achtenberg via Wikimedia Commons, licence Creative Commons 4.0

Si la marque a été rachetée en 1947 par Nestlé, notre charmante petite bouteille brune existe toujours, et MAGGI s’est même classée en 2019 comme la 3e marque alimentaire la plus choisie au niveau mondial. L’arôme connaît notamment un succès fulgurant en Afrique, où beaucoup de recettes le mentionnent, et où 100 millions des célèbres Kub s’écoulent chaque jour ! A tel point que la marque a dû s’adapter aux goûts locaux, et incorporer dans sa recette, selon les pays, un goût de crevette ou du manioc. Alors, vous êtes convaincus cette fois ?

Allez, la touche d’histoire de l’art qui vous a maintenus en haleine durant tout cet article. Le Picasso. Car vous apprendrez qu’en 1912, le maître du cubisme s’est entiché du bouillon Kub, qu’il a même fait figurer dans une petite huile sur toile, Paysage aux affiches, détenue par le musée d’Osaka. La réflexion sur le Kub/cubisme a même fait l’objet d’un article de Maria Elena Versari dans une revue de recherche, en 2003 (allez jeter un œil sur Persée). De quoi vous donner de belles idées pour vos sujets de masters.

                                                                                                                                                      Marie Vuillemin

C’est moche mais on le place quand même en tout petit tout en bas parce qu’on est des rédacteurs très très sérieux dans nos investigations : MAGGI® est un nom réservé donc voilà, petit ® pour être en toute légalité.

 

Ce qu’il en est des « witch marks » anglaises : réalité spirituelle

Comme la sorcellerie nous attire, et surtout en ce mois d’octobre (…qui nous pousse tout de même au pumpkin latte et aux photos de feuilles mortes) certains ne seront donc pas étonnés de voir le titre de ce billet !

Par ailleurs, vous avez sûrement déjà croisé un de ces motifs : effacé ou reproduit sur un bâtiment historique. [Si par hasard vous êtes déjà allés à Norfolk en Angleterre, où ont commencé les premières enquêtes/ études]. 

Et si ce n’est pas le cas, belle découverte à vous ! ouvrez l’œil (de la providence).

Oeil de la Providence, crédit Naïs Ollivier

En réalité, ce qui est regroupé sous le terme « witch marks » ne sont rien d’autre que des graffitis médiévaux et post médiévaux. Ces symboles intrigants, regroupés par familles, sont explicités par des hypothèses assez larges.

Le motif de rosette à 6 pétales par exemple est un des plus fréquemment rencontrés au cours des regroupements. Ce dessin exécuté au compas, avant d’être gravé la plupart du temps, a encore la côte parmi les plus jeunes qui s’ennuient en cours (hum). Il nous est familier, cependant on lui attribue plutôt à l’époque des vertus apotropaïques/de protection, un signe qui repousserait le démon, un peu comme une alternative païenne à la croix.

« Witch mark ». Crédit @Historic England

Certains sont sûrement sceptiques sur la tolérance de ces marques, à forte charge spirituelle, en contexte chrétien. En effet ce sont majoritairement – ironiquement- des murs d’églises qui accueillent ces motifs, présents par dizaines. Et pour cause, certains pensent qu’ils redoublent les protections chrétiennes. Une fois la peur de la sorcellerie estompée : ces graffitis sont considérés comme apportant chance et protection, et autonomes. Selon l’état des recherches, on les retrouve plus en contexte domestique à partir de la fin du Moyen Âge : sur des coffrets, occasionnellement, et près des ouvertures (fenêtres, cheminées), jugées plus vulnérables.

Anges et démons sont représentés dans l’église dans une forme de dichotomie moralisatrice : certains graffitis comme ici à Beachamwell dans le Norfolk, sont des contre-sorts, grotesques ou comiques, qui me rappellent l’esprit du sort « Riddikulus » de Rowling.

Crédit Naïs Ollivier

Cette autre forme de croyance est l’écho des voix populaires que ne relatent pas les textes, pour cause d’analphabétisme. Or le tracé de ces dessins informels n’implique pas la connaissance d’un alphabet. Ils pouvaient aussi bien être de la main d’un clerc que d’un marchand ou paysan. Bien évidemment on ne connaît pas tous les détails de la raison du placement et si quelqu’un était réellement missionné, mais on peut imaginer ce raisonnement-là ! Ils permettent historiquement de mieux comprendre l’ambiance et les mœurs de la société la plus populaire, dont les graffitis rituels sont nourris de ses peurs et convictions les plus fortes. Les motifs et leurs significations semblent par ailleurs évoluer en même temps que sa société.

Cela comble les limites archéologiques que l’on peut rencontrer, n’ayant pas tout cet aspect traditionnel du quotidien.

Pour aller plus loin, sachez que ces marques sont assez endémiques d’un territoire, de certaines églises, et qu’il en existe une variété immense : tout un bestiaire animal également, assez mythologique, ou bien lié à l’agriculture. On retrouve aussi beaucoup de bateaux, qui peuvent être très symbolique dans le passage d’un état à un autre, comme le souhait qu’un des leurs soit en sécurité sur les mers. Entre autres aspirations transcrites. Ces graffitis sont des prières rendues solides dans la pierre, qui permettent une intercession directe personnelle avec le monde supérieur, sans avoir à passer par des membres de la hiérarchie comme un évêque ou le pape.

 

Cet article est basé sur les recherches de Medieval Graffiti: The Lost Voices of England’s Churches (2015), De Matthew champion

Point historiographie : ces marques, à distinguer de celles plus explicites dites « marques de tâcherons », intéressent les chercheurs depuis des décennies, mais un des précurseurs reste Ralph Merrifield, dans les années 80.

Naïs 

Aux grands maux, les verts remèdes

File:John William Waterhouse, The Sorceress.png

John William Waterhouse, La sorcière, 1913, collection particulière. Crédits : Wikimedia Commons

L’automne et l’hiver commencent à pointer leur nez. Certains d’entre vous ont peut-être déjà établi un budget de dépenses spécial hiver. Car oui, les allers et retours chez le médecin et le pharmacien ont un coût que notre porte-monnaie d’étudiant ne se lasse pas de nous rappeler. Alors en cette heure « halloweenesque », je vous propose une immersion dans le potager d’une sorcière. En effet on oublie souvent qu’avant de prendre du paracétamol ou de l’ibuprofène, nos ancêtres utilisaient un tout autre type de médicaments !

 

Pour soigner vos maux divers (ou d’hiver, excusez-moi ce jeu de mots facile), il existe une grande variété de plantes aux merveilles thérapeutiques utilisées parfois depuis l’Antiquité, à découvrir aux détours des chemins de forêts (ou à disposer sous vos fenêtres). Tout cela à moindre coût évidemment. Escroquerie, magie, véritable « science » ? Les textes antiques et moyenâgeux peuvent nous mettre sur la voie. Il semblerait que certaines des plantes les plus communes à nos campagnes soient des indispensables du potager, des païens comme des sorcières.

Réputée pour être une panacée, et ce depuis des siècles, tous se devaient de cultiver la sauge. Un proverbe illustre parfaitement les avantages de cette plante de la famille des Lamiacées : « Qui a de la sauge en son jardin n’a pas besoin de médecin ». Et effectivement, cette dernière détient des vertus digestives, antiseptiques et bien d’autres. Utile dans le froid de l’hiver, une infusion de sauge accompagnée de miel aiderait à faire passer le rhume, tout comme un gargarisme de sauge infusée calmerait les maux de gorge.

Pour la toux, cette petite plante aux pétales roses et violets est tout aussi efficace. La mauve a également d’autres vertus, comme apaiser les piqûres de moustique grâce au suc de sa feuille froissée. Et si d’aventures, une migraine venait à vous rendre visite après avoir trop plissé les yeux face au cours d’archéologie orientale, des arts de l’islam et autres, il est dit que l’eau déposée par la rosée sur un pétale de mauve, cueilli au mois de mai peu avant l’aube, fera disparaître votre mal de tête aussi vite qu’il est arrivé.

Pour les plus touchés par la puberté et les problèmes de peau, cultiver un pot de joubarbe fera des merveilles à votre teint grâce à ses feuilles. Et pour un bouton disgracieux que vous désirez anéantir pour avoir eu le culot de venir s’installer sur votre visage ? Appliquer une feuille de sauge dessus, côté supérieur et votre ennemi déguerpira bien vite !

Vous n’arrêtez pas de vous gratter, les démangeaisons vous envahissent ? Le bouillon-blanc ou cierge de Notre-Dame peut vous aider à les faire disparaître. Et tout comme la sauge, notre indispensable n°1, cette plante aide à lutter contre les extinctions de voix (après une soirée bien arrosée à chanter et à crier…).

Pour ces demoiselles indisposées tous les mois, l’armoise et l’alchémille apaisent les crampes en général tout en favorisant l’appétit (personnellement ce n’est pas ce dont j’aurais besoin en même temps qu’avoir mes règles. Je mange pour deux pendant cette période !).

À la suite des fêtes de Noël, ou à une orgie de bonbons à l’occasion d’Halloween, des maux de ventre et des troubles digestifs pourraient venir vous indisposer. Utiliser du fenouil, facile à trouver en supermarché, est une astuce connue depuis très longtemps. Et avouons-le, il est facile de faire d’une pierre deux coups avec cette plante là car elle rentre aussi dans la composition du pastis…

Si vous vous retournez encore et encore dans votre lit sans réussir à trouver le sommeil, que vous faites des cauchemars, que les angoisses vous agressent constamment sous la pression des cours ou de la vie tout simplement, la valériane est la fleur à faire pousser sur votre balcon ! En infusion et tisane, elle aide à diminuer le stress, l’anxiété et même la dépression, tout en améliorant votre sommeil. Son jumeau, le millepertuis est une jolie plante jaune et solaire qui éloigne les mauvaises pensées dont on voudrait se débarrasser mais qui reviennent toujours à la charge, la mélancolie ou la nervosité dues aux examens ou oraux de TDO.

Et pour bien terminer votre cure de bien-être, consommez un peu de lierre terrestre qui vous donnera un bon coup de pouce énergétique car il est plein de vitamine C ! (Et pour les fumeurs, vous ferez du bien à vos bronches en le consommant en infusion avec une pointe de miel pour adoucir le goût.)

Enfin pour bien réussir votre année, je vous conseille d’aller cueillir trois plantes bien particulières qui devraient vous aider dans vos examens. Tout d’abord, la bourrache est la plante du bonheur et vous apportera le sourire lorsque la pluie viendra frapper vos fenêtres. Cependant, un rameau porté dans sa veste ou sa poche vous soutiendra avec hardiesse lors du passage d’un obstacle ou… d’un examen justement. Ensuite la potentille, portée sur soi, vous apportera du calme et un discours posé et toujours éloquent dans une situation stressante, encore plus si votre potentille a sept feuilles !

Et pour finir en beauté cet article, je vous invite à poser un rameau de lierre terrestre (le voilà de retour celui-là) sur votre bureau ou votre table d’examens. Lié aux arts, ce petit bout de plante vous apportera l’inspiration si une panne inopportune se fait sentir…

Même si vous êtes sceptique à la fin de votre lecture, je vous invite tout de même à aller vous promener dans la campagne en périphérie de Paris, pour vous aérer l’esprit, vous reconnecter à vous-même et admirer la nature et son éternel cycle de floraison.

 

Cassandre BRETAUDEAU

 

Source : Secrets des plantes sorcières, Richard Ely, édition Au bord des continents.

Quand un balai sème le désordre : origine des symboles de la sorcière

Sorcière. Chapeau, baguette, nez crochu à verrue, toute de noire vêtue (couleur associée au deuil depuis l’Antiquité). C’est ainsi que j’imaginais celle qui se cachait dans un placard de mon école maternelle. La maîtresse, souhaitant nous dissuader d’y fouiller, nous avait mis en garde contre son occupante: une sorcière qui dévorait les petits enfants trop curieux.

 

Si ma camarade d’Art-Thémis vous parle de la symbolique de notre sorcière bien mal-aimée, c’est l’image même de celle-ci que nous allons aborder ensemble. Quelles sont les origines de ces attributs que l’imaginaire collectif associe à la Sorcière occidentale?

 

On commence par un voyage dans le temps:

Le terme de sorcellerie  apparaît au Moyen Âge, un dérivé du latin sortiarius, diseur de sort.

  • 1330: première mention de Sabbat à Carcassonne
  • 1460: premier procès pour sorcellerie, dans le Nord de la France, nommé «Vauderie d’Arras». Hommes et femmes, sous la torture, se reconnaissent coupables, entre autres, de voler sur des baguettes et de célébrer des messes noires en l’honneur du diable. Cet épisode donne lieu à de premières enluminures.
  • 1486: publication du Malleus malleficarum, manuel de chasse à la sorcière. C’est un véritable succès éditorial, 40 ans après l’invention de l’imprimerie à caractères mobiles.
  • XVIe et XVIIe siècles: l’image se stabilise via la circulation des gravures de Bruegel l’Ancien (1565), période des Grandes Chasses (1580-1670), scènes de départ au Sabbat
  • XVIIIe siècle, raréfaction de la figure de sorcière, reléguée au rang de légende, au conte, à la mascarade (bals costumés, théâtre)
  • 1751: Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, Sorcellerie est définie comme une «opération magique honteuse ou ridicule attribuée stupidement par la superstition à l’invocation et au pouvoir des démons»
  • XIXe: repopularisation du sujet par les romantiques (poésie, danse, peinture, littérature)
  • XXe-XXIe: figure incontournable d’Halloween, reprise par les mouvements féministes

 

 

En contexte de peur des hérétiques, de guerres de religions, de maladies et de catastrophes naturelles, la sorcière est la figure de l’ennemi intérieur, celle qui pactise avec le diable, maître de la tromperie, et menace l’organisation de la société chrétienne. Le judaïsme étant une hérésie pour l’Église catholique, l’antisémitisme se mêle à la femme un peu trop libre pour construire l’image de la sorcière: elle est dessinée avec un long nez crochu, et se rend au si scandaleux sabbat, un ancien mot pour désigner la synagogue.

En plus du judaïsme, elle cristallise de nombreux mythes païens. Ainsi leur matrone est Hécate, liée à la lune, la nuit et la magie. Les trois vieilles femmes dans Macbeth, sous la plume de Shakespeare, ne sont pas sans rappeler les Parques. Dans le folklore alpin, Perchta, accompagnée de démons de l’hiver, récompense d’une pièce d’argent les enfants sages, et punit les turbulents par l’éviscération.

 

Le cercle de Waterhouse résume bien ce syncrétisme: une sorcière brune, dans un désert aux ruines égyptiennes, concocte une potion dans un chaudron. Dans sa main gauche une serpe, outil druidique, tandis que des gorgones antiques ornent le bas de sa robe.

Les artistes n’ont cessé d’enrichir, de renouveler et d’ajuster l’image de la sorcière en accord avec leur époque.

 

 

 

C’est donc parti pour un roomtour des accessoires favoris de la sorcière.

 

Baguette magique

Présente dès l’Antiquité, on la voit sur des céramiques dans les mains de Circé, accompagnant une coupe. Si elle est centrale dans Harry Potter, elle est désormais plus l’apanage du magicien de scène ou de la fée. La fée qui justement se présente comme le miroir vertueux de la sorcière hors norme et hors de contrôle: féminine, puissante mais respectueuse de l’ordre social puisqu’elle vient en aide au héros

Chaudron, grimoire, balais et compagnie,

Ce que ces objets ont en commun? Ils sont avant tout des outils domestiques. La sorcière, elle, en pervertit l’usage: le chaudron et le grimoire ne servent plus à préparer le repas, mais à cuire les petits enfants et préparer des sorts. Le balais ne tient plus la maison propre mais l’accompagne à son sabbat. On peut également y trouver une interprétation phallique, renvoyant à la sexualité dégradante de la sorcière.

1451, Enluminure du Champion des Dames, Martin le Franc : femme chevauchant un balai. Crédits : Wikimedia Commons

Le crâne et la bougie, quant à eux, peuvent être rapprochés des Vanités. La bougie éclaire un antre dangereux, et le crâne, souvenir d’une précédente victime, nous met en garde.

A la fin du XIXe siècle, le vitriole, ou acide sulfurique, est utilisé pour nettoyer les casseroles en cuivre. Hautement corrosif, il est utilisé comme poison dans quarante-huit affaires criminelles, en France, entre 1870 et 1915. Il n’en faut pas plus pour que les artistes le placent sur les étagères de la sorcière.

D’après Le Philtre d’Amour, Evelyn de Morgan, 1903, De Morgan Collection

Sa ménagerie

Le bestiaire qui accompagne la sorcière est varié. Ils inspirent la crainte (chat noir, hybrides à la Jérôme Bosch), et évoquent la mort, à travers leur aspect chthonien (reptiles), ou leurs habitudes carnassières et leur cri rauque (corbeaux). Le bouc, lui, symbolise une sexualité dépravée, héritée de divers cultes (fertilité, Bacchus). Opposé à l’agneau blanc christique, il est l’animal du diable, et est célébré lors du sabbat et des messes noires. Les femmes dansent avec l’animal et lui embrassent l’anus, une pratique appelée «baiser du Diable», et mentionnée en 1460 pour la première fois, dans un livre offert au roi Edward IV. Le bouc marque particulièrement le Pays-Basque, région où l’Inquisition fut particulièrement sanglante, et que l’on trouve dans les productions de Goya.

L’idée de compagnonnage est également récurrente dans la représentation de la sorcière: les hybrides sont leur monture, à l’image d’une Diane funeste qui chevauche à travers la nuit, nous dit une légende germanique.

 

Chapeau et variantes

La première figuration du chapeau noir pointu emblématique apparaît en 1775, sous le pinceau de Daniel Gardner, et se généralisera au XIXe siècle. Auparavant la sorcière est coiffée du hénin médiéval, interdit par l’Église car évoquant trop les cornes du Diable. Les condamnés de sorcellerie revêtaient un chapeau infamant cylindrique, pointu ou en mitre, orné d’une image de diable, héritage d’un chapeau anciennement porté par les juifs. On en observe chez Goya, lors de l’Inquisition espagnole et portugaise.

D’après Trois sorcières de Macbeth, Daniel Gardner, 1775, National Portrait Gallery : triple portrait d’Anne Seymour Damer, sculptrice, Elizabeth Lamb, politique influente, et Georgina Cavendish, duchesse connue pour ses talents littéraires, toutes trois militantes whig (contre l’absolutisme royal)

 

La nudité: antithèse de la femme vertueuse et dévouée

Figure à la sexualité immorale, la nudité sied fort à nos sorcières, aussi bien pour souligner leur monstruosité, ou au contraire pour rendre compte de leur sensualité. Deux types de sorcières se distinguent. D’abord la vieille cannibale à la pustule qui terrorise les enfants. Ensuite la femme fatale, souvent rousse, sulfureuse, qui envoûte les hommes pour leur plus grand malheur (Lilith, Judith, Eve, Salomé, Circé), que l’art symboliste porte à son apogée entre 1890-1900. Pour les artistes, les figures divines, orientales et fantastiques fournissent un prétexte au nu, et permettent d’échapper à son interdiction.

 

Pouvoirs magiques

D’après Paul Klee, Sorcières concoctant un breuvage, 1922

Je vous ai parlé des potions comme le vitriole (le poison étant réputé comme l’arme des femmes) et des sortilèges lancés pour manipuler les pauvres humains et sacrifier les victimes au diable. Parmi les pouvoirs de la sorcière on compte également la divination (lire Macbeth), la nécromancie (le roi Saül dans la Bible) mais également le contrôle de phénomènes météorologiques (Dürer représenté plus haut) et des astres, une capacité que l’on retrouve également dans les mythes de certains peuples nomades russes.

 

Ailleurs dans le monde on rencontre des variations:

En Russie justement, la plus célèbre sorcière est Baba Yaga. Elle peut revêtir trois aspects: la cannibale, la guerrière, ou la ravisseuse, est parfois anguipède. Elle vit dans une chaumière (isba) montée sur des pattes de poules, et se déplace dans un mortier à l’aide de son pilon. Son balai lui sert à effacer les traces de son passage.

Dans le folklore des Carpates on rencontre Baba Cloanta, à la fois guérisseuse, oracle, guide et démon.

A leur arrivée en Afrique, les Européens associent communication avec les esprits, pratiques vaudou et traditionnelles au concept de la sorcellerie occidentale.

Dans la culture japonaise, la sorcière n’est assimilée qu’après la Seconde Guerre mondiale. Avant cette date, on trouve l’histoire de Takiyasha, un sujet fréquent des gravures sur bois. Née au Xe siècle et fille d’un seigneur provincial, elle habite le palais en ruine de son père, assassiné, et souhaite le venger. Surnommée Princesse Démon de la Cascade, elle est représentée déchiffrant des sortilèges sur un rouleau afin de convoquer un immense squelette. Elle sera défaite par un guerrier, montant un crapaud, sabre à la main, torche à la bouche (voir l’estampe sur bois d’Utagawa Kuniyoshi, 1844).    A l’inverse Yama-Uba, une vieille et hideuse sorcière de la montagne, est la protectrice d’un héros du folklore japonais.

 

Les productions modernes et contemporaines ne laissent pas en plan notre sorcière, reprenant bougies, grimoires, baguettes et potions: séries et films (Sabrina l’apprentie sorcière, Scarlett Witch dans l’univers MARVEL), installations (Steilneset par Louise Bourgeois, La Bruja de Cildo Meireles), photographies (Sleeping witch de Kiki Smith), et même musiques (Sorcière de Pomme).

D’après la Bruja, Cildo Meireles, 1948, au Centre Pompidou depuis 2005

Alors, quel.le sorcier.e serez-vous cet Halloween?

 

Quelques ouvrages et expositions

Mythes et Meufs – Blanche Sabbah

Sorcière, de Circé aux sorcières de Salem – Alix Paré

Le complexe de la Sorcière – Isabelle Saurente

Les sorcières de Bruegel, Bruges, 2016

 

Lilou F