« Il faut faire comprendre au visiteur que l’image est puissante » : interview de Maximilien Durand

Ivoire Barberini, première moitié du VIe siècle, Paris, musée du Louvre. Crédit : Marie-Lan Nguyen via Wikimedia Commons, licence CC BY 2.5

A l’occasion de sa récente nomination au musée du Louvre, M. Maximilien Durand a accepté d’accorder une interview au Louvr’Boîte. Préparez-vous pour une plongée dense et instructive au coeur du futur département des Arts de Byzance et des Chrétientés en Orient !
Le Louvr’Boîte vous avait déjà interviewé en 2009, M. Maximilien Durand. Notre première question sera donc : que s’est-il donc passé professionnellement pour vous durant ces treize années ? 

Il s’est passé plusieurs choses. A l’époque je travaillais aux Arts Décoratifs où j’étais en charge de la conservation préventive pour les quatre musées des Arts Décoratifs. J’ai quitté cette institution en 2011 pour diriger le musée des Tissus et des Arts Décoratifs de Lyon et j’y suis resté pendant six ans. Ensuite j’ai fait un bref passage dans la maison Dior car je désirais comprendre le fonctionnement d’une maison de couture de l’intérieur, particulier et bien différent de celui des musées. J’y travaillais comme responsable de la conservation du fonds historique. Enfin j’ai travaillé à Paris Musées comme directeur adjoint des collections et de la recherche des quatorze musées de la ville de Paris.

Votre parcours semble très axé autour du textile. Est-ce voulu ? 

Oui. C’est mon domaine de spécialité. Je suis venu à Byzance par le textile et au textile par Byzance. Cependant, l’origine commune de cette passion, c’est le culte des saints et en particulier des reliques qui étaient entourées de textiles et qui, pour la période médiévale, provenaient souvent de Byzance.

Vous êtes enseignant à l’Ecole du Louvre (art paléochrétien et arts de Byzance) depuis quelques années. Appréciez-vous toujours d’enseigner ? 

J’aime beaucoup enseigner, oui. Il m’arrive de râler un peu quand je corrige des copies qui ne sont parfois pas à la hauteur de mes espérances mais dans l’ensemble, je suis assez satisfait. Je n’ai jamais vraiment quitté l’école. L’Ecole du Louvre est une formation que je trouve vraiment très performante. C’est un lieu assez exceptionnel dans sa conception d’enseignement axé sur le regard, la proximité avec les œuvres, l’universalité  de l’histoire de l’art et je trouve que c’est véritablement une chance de pouvoir y étudier. C’est une école exigeante, un point qui me paraît important aussi. Exigeante dans ses ambitions, oui, mais aussi dans l’accompagnement des étudiants. L’école a beaucoup changé, pour le bien des étudiants, et il me semble que l’accompagnement pédagogique est très attentif au bien-être et à la réussite. Cela me paraît primordial car cette école forme nos futurs collègues. D’ailleurs cela fait plusieurs années que j’enseigne, et plusieurs fois, certains collègues m’ont rappelé que j’avais été leur professeur. Ça ne me rajeunit pas en revanche !

Vous aussi avez travaillé avec vos anciens professeurs n’est-ce pas ? 

Oui tout à fait car c’est ce que crée l’Ecole du Louvre : des liens professionnels, un réseau. Les élèves de l’École sont assez vite au fait des problématiques qui sont celles des musées, de l’évolution de ceux-ci, car c’est un lieu qui évolue beaucoup depuis ces dernières années. Cette proximité avec le lieu professionnel est indispensable.

Enseignez-vous toujours de la même manière ?

Je n’enseigne pas de la même façon qu’il y a quelques années. Nous sommes obligés de nous adapter. Le monde change. Les étudiants d’il y a dix ans ne sont pas ceux d’aujourd’hui, ce qui est bien d’ailleurs. C’est ce qui me plait dans l’enseignement : cette obligation à nous remettre en cause parce que les jeunes d’aujourd’hui sont plus vifs, plus attentifs aux questions de société, moins académiques peut-être, mais c’est ce que nous essayons de leur apprendre. Je vous trouve plus ancrés dans le monde, le discours apporté doit donc être plus performant et il nous fait également réfléchir sur la manière que nous avons de faire de la médiation dans les musées. Je pense que c’est une excellente manière de raviver la réflexion que nous menons au quotidien dans nos métiers. L’enseignement est donc quelque chose auquel je tiens beaucoup.

Les profils des élèves ont donc évolué. Y a-t-il une ou des raisons à ce changement ?  

Bien sûr. D’abord, l’École se professionnalise. Elle est de plus en plus adaptée à la fois au profil des élèves et à la réalité du monde professionnel. C’est donc une école de plus en plus professionnalisante avec un véritable souci de conduire des jeunes gens vers une vie professionnelle, et qui ne pense pas seulement à délivrer un enseignement. Cela diversifie forcément les profils au concours d’entrée à l’Ecole, qui a lui aussi évolué. Enfin, il y a l’évolution générationnelle. Quand j’ai commencé à donner des TDO, j’avais vingt ans. J’ai finalement enseigné à presque une génération. Cela fait beaucoup d’élèves et j’ai eu le temps de mesurer cette évolution.

Mais n’y a-t-il pas une distance qui s’instaure en cours d’histoire générale de l’art ? Comment arrivez-vous à cerner des profils dans des copies de cours ? 

C’est vrai que c’est un cours magistral donc la relation est, de fait, moins suivie avec les étudiants que dans le cours de spécialité. En revanche, il y a toujours des questions à la fin du cours et c’est un temps d’échange. Les copies sont aussi un bon indicateur de l’évolution et de l’intérêt que les étudiants portent à la discipline. Je dois dire que je ne vois pas de désintérêt dans mes copies. Je vois parfois des étudiants qui n’ont pas eu le temps de travailler ou qui n’ont pas encore acquis la méthode, surtout en première année, mais rarement des étudiants désintéressés par la matière, et je pense que c’est une bonne chose.

J’enseigne sur deux années, et il y a également des étudiants qu’on repère. Je fais également partie de quelques instances au sein de l’École, dont le jury d’entrée au concours de l’Ecole depuis sa création. Nous nous posons beaucoup de questions avec d’autres enseignants, membres du jury, qui sont professeurs au lycée. Nous sommes très attentifs aux profils des élèves. Je fais également partie du jury lors des corrections des copies aux examens d’Histoire Générale de l’Art. Ce sont aussi des moments où nous discutons des cas de jury et où nous essayons d’être le plus attentif possible à la réalité de vos vies, et aux difficultés que vous pouvez avoir à vous adapter, dans une école qui peut être différente lorsque l’on sort tout juste du lycée.

Nous ne pensions pas que certains élèves se distinguaient entre les deux premières années de premier cycle. Nous sommes entre 250 et 300 élèves, cela semble difficile…

Si, je vous assure. Certains étudiants sont repérés. On reconnaît parfois d’une année à une autre une copie. Pas toutes forcément, et chaque copie est originale, cependant je passe du temps sur mes corrections. J’essaie d’être attentif à chacun, donc forcément je reconnais certaines copies.

Vous disiez, dans votre précédente interview, que le milieu de la culture était assez difficile d’accès à la fin de la formation que proposait l’École. Pensez-vous qu’il soit plus ouvert de nos jours ? 

Je pense que l’École a fait un gros travail pour que les étudiants puissent pénétrer ce milieu le plus tôt possible, par les stages tout d’abord, qui se sont généralisés. Ce n’était pas le cas lorsque j’étais étudiant. On ne sollicitait pas beaucoup de stages. Ensuite, par la formation elle-même qui vous donne plus la possibilité de rencontrer des professionnels et de discuter avec eux. Et mes collègues sont plus attentifs au rôle qu’ils jouent dans la formation des jeunes, et sont plus conscients que vous êtes le futur des institutions. Il y a donc une conscience plus vive sur ce point, et peut-être aussi parce que ces dernières années, le monde a beaucoup changé et évolué. Les musées ont donc fait de même et se sont interrogés. Ils ont été obligés de réfléchir à eux-mêmes et à ce qu’ils racontent au public. Nous sommes donc plus en connexion avec le monde étudiant et l’évolution de nos disciplines. Plus généralement, l’histoire de l’art a aussi changé : elle est bien plus interdisciplinaire. Des liens sont faits avec la philosophie, l’histoire, l’anthropologie, la sociologie ou encore les sciences dures. J’ai l’impression que c’est cette ouverture qui permet ces connexions. L’École a aussi noué des partenariats avec d’autres instituts, pour élargir sa vision, et pour vous donner une plus grande conscience des choix qui s’offrent à vous à la fin de votre formation. Pour moi, il y a donc une véritable amélioration.

Nous souhaiterions aborder votre nomination en tant que directeur du nouveau département du musée du Louvre. Cette nouvelle a-t-elle été une véritable surprise ?

Ce n’était pas une vraiment une surprise dans la mesure où j’ai candidaté lorsque le poste a été ouvert. Je m’étais même préparé à cette candidature. Laurence des Cars a été nommée présidente le 25 mai 2021. Le 26 mai, elle faisait sa première annonce publique, et dans les projets structurants qu’elle annonçait pour son futur mandat, le seul vraiment annoncé était celui de la création du département. Donc lorsque j’ai compris cette volonté forte, soutenue politiquement, de créer ce département, je me suis préparé tout en sachant qu’il y aurait quelques étapes supplémentaires avant sa création. J’ai rédigé un projet que je lui ai soumis, et ensuite j’ai candidaté. J’ai bien sûr été très heureux de cette nomination car je n’étais pas sûr d’être retenu, mais je ne peux pas dire que c’était une surprise non plus.

Quelles sont les grandes étapes de la création de ce département ? Comment a évolué l’histoire de l’art byzantin au musée du Louvre ?  

L’art byzantin est présent dans les collections du Louvre dès la création du Muséum central des arts (ndlr : ancien nom du musée du Louvre) en 1793 avec la nationalisation des biens du clergé, dont le trésor de la basilique Saint-Denis, où se trouvait le camée en lapis lazuli, et le trésor de la Sainte-Chapelle, avec le reliquaire de la pierre du Sépulcre. Les deux premiers objets byzantins qui rejoignent les collections sont donc des chefs-d’œuvre. L’histoire des arts byzantins au Louvre s’inscrit dès les débuts du musée.

Reliquaire de la pierre du Saint-Sépulcre, époque comnène, XIIe siècle, Paris, musée du Louvre. Crédits : Wikimedia Commons, licence CC 1.0

Pour autant, l’art byzantin n’a jamais été collecté en tant que tel au musée du Louvre. C’est une de ses caractéristiques. Elle est pourtant aujourd’hui une collection de référence mondiale, mais qui a finalement été collectée sans réelle politique d’acquisition dédiée. Les œuvres byzantines rentrent dans les collections du musée grâce aux acquisitions de grandes collections, comme les collections Révoil, Durand et Campana, mais le Louvre montre un intérêt mitigé pour cet art. Par exemple, après l’arrivée de la collection Campana en 1872, toutes les icônes ont été déposées dans des musées de région, car les conservateurs estimaient qu’elles n’avaient pas leur place au musée, que ce n’était pas assez bien peint. L’art byzantin a également fait son entrée au musée par les fouilles réalisées sous l’impulsion des différents départements archéologiques, notamment à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle.

L’Ivoire Barberini permet de bien comprendre la conception de l’art byzantin à cette époque. L’œuvre est originellement acquise par le département des Antiquités grecques, étrusques et romaines pour illustrer la décadence de l’empire romain, et non pour mettre en valeur le chef-d’œuvre byzantin qu’il est réellement. Lorsque l’on s’intéresse à la moitié orientale de l’empire romain, à la fin du XIXe siècle, c’est dans un esprit comparatiste. Les quelques ivoires sculptés achetés à cette période étaient là pour démontrer ce qui se passe parallèlement à l’art roman ou gothique. La prise de conscience de l’originalité de l’art byzantin se fit finalement avec l’exposition de Grottaferrata en Italie en 1905, puis en France en 1931, avec une exposition au musée des Arts Décoratifs, et à laquelle le Louvre participa très activement. A cette époque, c’était surtout le caractère oriental de l’art byzantin qui était mis en avant. Il y avait encore une perception très déformée de Byzance, comme une sorte de fantasme. Néanmoins cette exposition réussit à faire prendre conscience de l’aspect remarquable de la collection du musée du Louvre, et du fait que l’originalité de la civilisation byzantine méritait une présentation particulière.

Ivoire Barberini, 1e moitié VIe siècle, Paris, musée du Louvre. Crédits : Antiquité Tardive via Flickr, licence CC 2.0

Des objets provenant des anciens territoires byzantins et des chrétientés en Orient furent donc réunis pour la première fois dans un projet, qui fut celui de la section des Antiquités chrétiennes, ouverte en 1954. Cette dernière n’eut qu’une existence brève puisqu’elle fut dissoute vingt ans plus tard. Cependant, ce projet permit une véritable politique d’acquisition, et ce pour la première fois. Ce furent presque mille objets qui rentrèrent dans la collection à cette époque. Cette section disparue, les œuvres furent réparties entre les départements historiques du musée et il fallut attendre 2012-2013 pour qu’un projet de département soit finalement évoqué lors du mandat d’Henri Loyrette. Mais ce projet fut abandonné. A la fin du mandat de Jean-Luc Martinez, c’était un projet de salles byzantines qui était alors évoqué, également abandonné avec l’arrivée de notre présidente actuelle, qui a souhaité qu’un département soit créé.

Plusieurs travaux ont été effectués pour ce premier projet de département, qui ont été portés par Jannic Durand. Cette vision du projet est désormais un peu différente car le périmètre du département a été modifié. Néanmoins, cela me paraissait important que Jannic nous accompagne dans la création de ce département, et la présidente a souhaité qu’il préside un comité scientifique pour accompagner sa création. Ce dernier est composé de onze personnalités internationales venant de huit pays différents, et couvrant tous les champs que ce département exposera. Nous avons souhaité que ce comité soit francophone et que la parité y soit strictement respectée. Deux séances ont déjà été tenues, et bientôt une troisième. Nous soumettons à ce comité les grandes orientations stratégiques de ce département. Lors de la première séance, nous avons travaillé sur le propos principal de ce que sera le département et donc, par extension, ses limites chronologiques.

La question de l’image sera donc centrale, car c’est bien ce qui distingue l’Orient de l’Occident et du reste du monde, de la fin de l’Antiquité médiévale à l’époque moderne. Son rapport à l’image et le nouveau statut conféré à celle-ci par le christianisme oriental est celui de la présence réelle. Ce statut est défini et théorisé lors de la crise iconoclaste et il oblige l’Occident à prendre position, à affirmer que l’image est simplement décorative, pédagogique et un support de dévotion, mais certainement pas une présence réelle. L’Islam refuse également ce statut, considérant que l’image est trop puissante et y renonçant. Cette place de l’image est donc une véritable originalité qui unit des régions très différentes du monde, mais qui relève bien de ces chrétientés en Orient. Par conséquent, les bornes chronologiques commenceront à la naissance de l’image chrétienne dans les années 220-230 de notre ère, pour aller jusqu’au début du XXe siècle. Nous avons choisi la date de 1923, année du traité de Lausanne, qui réorganisa l’Orient à la chute de l’empire ottoman et obligea un certain nombre de populations à des mouvements forcés. Cette date marque également le début du trafic illicite des biens culturels de ces communautés, et c’est donc pour nous une manière très symbolique de signifier que nous allons être une référence dans la lutte contre ce trafic.

Ces bornes excèdent bien évidemment celles du musée du Louvre qui sont censées s’arrêter en 1848, mais le musée d’Orsay, qui continue les collections après cette date, n’est compétent que sur l’art occidental. Ce sera un grand département, qui se basera sur l’ensemble des collections nationales, avec l’obligation de rendre des avis réglementaires pour toute acquisition et restauration des musées de France relevant de son champ, pour l’instruction préalable des dossiers préparant la délivrance des certificats d’exportation, et pour l’expertise en cas de saisies en douane. Nous avons donc souhaité que ce grand département puisse couvrir toute la période concernée et qu’il n’y ait pas de blanc légal, qui arriverait si nous nous étions arrêtés en 1848. Cette date n’a, par ailleurs, pas de pertinence en Orient.

Les bornes géographiques ont-elles également été définies ? Si oui, quelles sont-elles ?  

Bien sûr. Elles sont assez larges, le département se nommant « département des arts de Byzance et des chrétientés en Orient ». J’insiste sur le « en » qui est très important et élargit le champ d’exposition. Elle ne présentera pas seulement les anciens territoires de l’empire byzantin car ce serait trop restrictif. Les bornes géographiques vont donc de l’Ethiopie à la Russie, du Caucase à la Mésopotamie et des Balkans au Levant, tous ces territoires étant reliés, malgré leur différences, par leur rapport à l’image, et au grec comme langue de référence. Ce qui est important pour ce département autour de la question de l’image, c’est qu’il ne sera évidemment pas un département confessionnel mais civilisationnel, d’où l’importance des chrétientés « en Orient » et non pas des « chrétientés d’Orient ». Ce dernier terme est très lié aux actions de Napoléon III, en faveur des chrétiens du Liban notamment, et donc très marqué politiquement dans le contexte colonial du XIXe siècle. Il désigne aussi des communautés très spécifiques, qui n’englobent ni l’Arménie ni les Coptes qui ne se définissent pas comme tels.

Y a-t-il eu des tensions entre les conservateurs des différents départements, notamment lorsque des objets devaient quitter leurs collections ? 

Le périmètre de la collection est l’un des plus gros enjeux du département. Sur ce point, je tiens tout d’abord à dire que la collection est celle du musée du Louvre. Elle est certes gérée par différents départements, mais c’est une collection à envisager dans sa globalité. Elle est aujourd’hui estimée à 13 000 œuvres, auxquelles il faut ajouter un certain nombre d’objets provenant du site d’Antinoé et qui ont été envoyés en dépôt par l’Etat dans différents musées de régions, mais qui sont cependant gérés par le Louvre. C’est donc une collection conséquente qui couvre un champ chronologique très vaste. Elle est aujourd’hui gérée par l’ensemble des huit départements du musée, en majorité par le département des Antiquités égyptiennes, avec environ 8 000 œuvres de la collection des arts coptes. Elle est d’ailleurs la première collection hors d’Egypte conservée au monde. Numériquement moins conséquente mais remarquable par ses chefs-d’œuvre, il y a également la collection du département des Objets d’Art. Le moins concerné des départements est celui des Arts graphiques, avec une peinture byzantine sur parchemin de Michel Damaskinos. Ce département conserve beaucoup de dessins faits par des Occidentaux sur des monuments byzantins, mais qui n’ont pas vocation à rejoindre le nouveau département.

Pour répondre à la question : non il n’y a pas de tensions. En revanche, il y a des discussions qui sont très enrichissantes. La collection fera la transition entre les différents départements autour d’elle. Les salles seront situées à la croisée du département des Antiquités grecques, étrusques et romaines, du département des Arts de l’Islam, et de celui de la Sculptures et de la Peinture. Ces zones de transition sont celles sur lesquelles nous désirons porter une attention toute particulière, pour montrer que Byzance est le trait d’union civilisationnel indispensable entre tous ces départements. Plutôt que de voir ces discussions comme de potentielles sources de tension, nous les abordons comme l’opportunité de véritablement réfléchir à ce que nous voulons raconter dans ces transitions, ce qui est une nouveauté pour le musée du Louvre. En effet les départements n’ont pas été construits pour dialoguer entre eux à l’origine. Cela sera l’une des originalités du département, très souhaitée et qui paraît indispensable, nous permettant aussi de nous inscrire dans une idée plus générale de l’évolution des musées.

Ce comité scientifique et ces nombreuses réflexions qui sont entreprises sur le sujet apportent-t-ils déjà un nouveau regard sur, par exemple, les cours que vous donnez à l’Ecole du Louvre ? Y a-t-il eu des découvertes, de nouvelles approches sur cette question de l’image et de l’art byzantin qui n’avaient pas été envisagées auparavant ? 

Tout à fait : la nature civilisationnelle du département, et celle des collections provenant de régions extrêmement diverses, et qu’il convient de présenter avec une très grande équité, demande une certaine réflexion. Numériquement parlant, les œuvres égyptiennes sont en plus grande quantité que celles de l’Arménie par exemple.

Et il y a aussi la nécessité de tenir un propos civilisationnel tout en ayant un propos d’histoire de l’art. Ce fil rouge de l’image est déroulé au cours d’une période chronologiquement très vaste, tout en étant la colonne vertébrale de la réflexion. Il permet d’introduire de la complexité. Cependant cela nous oblige aussi à regarder les œuvres d’une certaine manière et à créer un nouveau discours. Il nous faut décloisonner les spécialités, ce qui est déjà visible au sein du comité scientifique, car nous avons réuni des spécialistes de l’Égypte copte, de la Nubie chrétienne, du monde slave, de la Byzance médiévale, de l’épigraphie… Et ces spécialistes, qui n’ont pas l’habitude de travailler ensemble et qui ne se connaissent pas, qui travaillent habituellement dans des communautés scientifiques différentes, doivent discuter ensemble. D’ailleurs, nos collègues américains m’ont dit que ce qui est en train d’être créé était très important, car cela allait permettre l’évolution de la discipline pour les prochaines décennies.

J’en suis heureux et je vois déjà les changements. Nous commençons à réfléchir différemment et c’est très stimulant. Quand je discute de cette question de l’image avec mes collègues du musée, ils m’expliquent que ce n’est pas un sujet sur lequel ils avaient déjà réfléchi, alors que le musée du Louvre, ce n’est que des images ! C’est donc une réflexion plus globale qui s’installe, et qui est d’ailleurs connectée avec l’art contemporain et les actions que la présidente met en place pour refaire du Louvre la maison de tous les artistes. J’ai beaucoup d’échanges avec des artistes contemporains concernant mes préoccupations et je vois que ce projet les fait réagir, tout comme ce qu’ils me disent sur l’art contemporain me fait réagir. Je me dis qu’effectivement, l’idée n’est pas seulement de raconter une histoire figée et morte mais de répondre à des questions d’autres sociétés. Aujourd’hui la question de l’image est cruciale dans notre société, au moment où l’on déboulonne les statues, où la question des caricatures suscite des réactions dramatiques… Il faut faire comprendre aux visiteurs que l’image est puissante, qu’elle a été théorisée comme telle, et que ce n’est pas seulement quelque chose qui est défini sur nos smartphones. Si le visiteur comprend cela et qu’il réfléchit au statut de l’image, je pense que nous aurons réussi notre pari, plus que si ce dernier ressort avec les dates des conciles et des différents schismes en tête.

Ce fil rouge de l’image sera-t-il intégré à vos cours à l’École, malgré son axe placé principalement sur Byzance ?

Certainement. Je pense qu’il faut adapter l’enseignement à l’actualité du musée. Pour être tout à fait honnête, cette adaptation est pour le moment difficile vu le nombre de cours qui me sont accordés, notamment en deuxième année. Nous n’avons que trois cours pour traiter la période byzantine médiévale. C’est un peu la course… Je traite déjà la dynastie des Paléologues de manière très (très) rapide et nous n’allons pas au-delà de la chute de Constantinople.

J’en discute déjà avec la direction des études depuis quelque temps, et je pense qu’il faudrait réfléchir au format des cours pour qu’il soit plus adapté et que l’on puisse voir les périodes post-byzantines, qui sont très intéressantes et très importantes pour la compréhension du monde actuel. Je réfléchis donc bien à l’adaptation de mes cours. Un autre élément de réponse : l’Ecole du Louvre m’a demandé de rédiger un manuel qui devrait paraître, si tout se passe comme prévu, fin 2023 ou 2024.

C’est une information inédite !

Oui. Et ce manuel sera évidemment le pilier de cette évolution au sein de mes cours.

La directrice de l’École parlait d’un podcast sur l’histoire des idées. Peut-être que cela pourrait être un vecteur utile pour amorcer une réflexion sur cette question de l’image. Le podcast étant en accès libre, cela pourrait être plus facile à étudier pour les élèves, notamment ceux arrivés plus tardivement par équivalence.

Salle du musée d’Art Byzantin de Berlin, Bode Museum, en 2011. Crédits : Jean-Pierre Dalbéra via Flickr, licence CC 2.0

Oui certainement. Et avec la création du nouveau département, on espère que les étudiants de master vont se saisir de sujets en lien avec les problématiques très diverses du département car c’est un département d’archéologie, de beaux-arts et d’objets d’art, ce qui est aussi une originalité au sein du Louvre. Il y a donc une grande possibilité de sujets, dont aussi celui de la présentation de l’art byzantin dans les différents musées du monde, qui est une question importante et actuelle. Cette discipline est créée par la manière dont les objets sont exposés et la présentation de l’art byzantin au Metropolitan Museum n’est pas celle du musée Berlin, ou celle d’Athènes et ne sera évidemment pas celle du musée du Louvre. Aujourd’hui, plusieurs collègues me contactent pour partager l’intérêt que notre projet suscite et ils sont eux aussi en train de repenser leurs salles. Cette réflexion est déjà amorcée à Berlin par exemple. Je crois qu’il y a un véritable enjeu sur l’historiographie de la discipline.

Vous parlez beaucoup de tous vos collègues. Quel est votre travail en tant que directeur de département actuellement ? Quelles sont vos missions et avec quels acteurs les entreprenez-vous ?

Je dirais que le travail est formé de deux aspects principaux répartis sur deux calendriers différents qui sont destinés à se rejoindre, parfois se contredire également. L’essentiel de mon travail est d’essayer d’organiser ces calendriers, de faire en sorte que les choses se déroulent pour le mieux et dans un temps assez restreint.

Le premier calendrier est celui de la création du département. Ce dernier est désormais créé sur le plan légal. Nous avons porté devant le Conseil d’Etat le projet de modification du décret constitutif de l’établissement public, instituant neuf et non plus huit départements, et avons fait modifier le décret du ministère de la Culture instituant seize et non plus quinze grands départements. C’était donc une importante création. La modification des décrets a été publiée le 4 octobre dernier. A la suite de cela, il y a une création administrative qui est interne à l’établissement. Il faut porter cette élaboration auprès des instances de l’établissement, et ce n’est pas une opération négligeable. Cela a eu lieu dans le courant du mois d’octobre, donc le département est également créé sur le plan administratif. Enfin, il nous faut faire “sortir de terre” ce département. Viennent donc les questions de la répartition des collections et du transfert de gestion de ces dernières, de la création d’une documentation de référence, de la création d’une bibliothèque patrimoniale de référence, et de la conception d’une équipe, avec les spécialités nécessaires réunies au sein de celle-ci.

Je dois dire que c’est une chance de pouvoir, non pas hériter d’une situation qui existe depuis des années, des décennies voire des centaines d’années, ce qui est le cas des autres départements, mais de mettre sur pied un département, une équipe. Il s’agit de créer les contours de ce que sera concrètement ce département dans sa dimension artistique, scientifique et technique, de pouvoir imaginer dès l’origine de mettre en place ses pratiques vertueuses, et non pas de prolonger des pratiques qui se sont imposées au cours du temps. C’est un gros enjeu qui prend beaucoup de temps et demande beaucoup d’investissement.

Il y a également toute la définition de la stratégie scientifique et politique de ce futur département. Nous sommes quand même très attendus par les communautés elles-mêmes et par l’ensemble du monde des musées. Il nous faut donc bien définir ce que sera le propos de ce département, pour que ce dernier soit juste et qu’il corresponde aux attentes, tout en évitant les espérances un peu déplacées. Il faut également définir la mise en place des partenariats scientifiques : par exemple archéologiques car nous avons des chantiers de fouilles, notamment celui de Baouit, et d’autres qui se profilent au Proche et au Moyen-Orient assez rapidement. Il y a aussi les partenariats scientifiques avec nos collègues dans des circonstances géopolitiques un peu compliquées. Je pense à l’Ukraine par exemple. Nous accueillons d’ailleurs une collègue du musée Khanenko de Kiev au sein du département, ce qui est très important pour nous.

Enfin, le deuxième calendrier, qui est plutôt un rétroplanning des travaux et de l’ouverture des salles, se place en parallèle de tous les enjeux précédents. Ce sont 3 000 m² d’espaces muséographiques qui vont être ouverts au sein de l’aile Denon, des travaux considérables donc.

Où va prendre place cet espace ? En souterrain, ou dans la cour Lefuel qui n’a pas encore été couverte ?

La cour Lefuel ne sera pas couverte. Elle vient d’être restaurée et accueillera des spectacles et des manifestations. Le parcours va se situer dans les espaces actuels de l’Egypte funéraire romaine, le niveau bas de la cour Visconti (où se trouve la mosaïque de Qabr Hiram), les salles coptes et toute la galerie copte. Ce sera un parcours très guidé, ce qui est plutôt bien car ce seront des espaces particuliers ayant besoin d’un geste muséographique très fort.

Nous ouvrirons un concours international de muséographie au début de l’année prochaine. Ce concours va se faire presque sur un an, pour constituer un jury, ouvrir le concours et enfin choisir un candidat. Il y a les Jeux Olympiques au milieu, et quelques événements prévus dans la zone Denon, qui est la plus fréquentée du musée. Il nous faut, par conséquent, choisir le moment idéal pour les travaux qui auront lieu dès la fin de l’année 2024, pour une ouverture espérée en 2026, au plus tard début 2027. Pour pouvoir être prêt à ce moment-là, nous avons tout un rétro planning imposé par le concours, par la mise en place des travaux, par des questions techniques que je vous épargne, mais également par les campagnes de restauration des œuvres, ou par les dépôts que l’on peut solliciter.

C’est aussi une manière de rendre très collaboratif le projet du département : c’est aussi une de nos volontés. Et comme vous l’avez dit, je parle beaucoup à mes collègues car je pense que la création de ce département est un tel enjeu, un événement historique, qu’il n’est pas question que l’on fasse tout cela dans notre coin. Au contraire, c’est une démarche que l’on souhaiterait partager, et nous voulons qu’elle corresponde le plus aux attentes de la communauté scientifique, des autres communautés et du public qui est varié. Il faut donc mettre en place tout ce réseau entre institutions.

Le département a également vocation à être le chef de file, au niveau national et international,  de la discipline, ce qui demande aussi une planification, pour mettre en place une coordination scientifique qui aujourd’hui n’existe pas. Les spécialistes de l’art médio-byzantin ignoerent les spécialistes de l’art post-byzantin, qui eux-mêmes négligent les spécialistes de l’Antiquité tardive, qui ne connaissent pas bien les spécialistes de l’art copte, qui eux ne s’intéressent pas aux spécialistes de l’art éthiopien, qui eux-mêmes n’ont pas beaucoup d’intérêt pour le monde slave… Je caricature légèrement, mais il faut effectivement être le chef de file de l’ensemble de ces communautés, et pouvoir coordonner la recherche.

Vous avez abordé la question des restaurations. Y en a-t-il beaucoup de programmées avant l’ouverture du nouveau département ?

Reconstitution actuelle de l’église de Baouit, Paris, musée du Louvre. Crédits : Karl Steel via Flickr, licence CC 2.0

Oui bien sûr, car la part d’œuvres habituellement présentées au musée du Louvre pour l’art byzantin et des chrétiens en Orient est assez restreinte par rapport à la richesse de la collection. Nous allons commencer les campagnes de restauration dès maintenant.

Un des enjeux de ces restaurations est la présentation d’une version plus aboutie de l’Eglise Sud de Baouit, car depuis 20 ans les fouilles ont repris, et nous connaissons mieux le site que lors de l’ouverture des salles, à l’époque du Grand Louvre. Aujourd’hui nous pouvons proposer une restitution plus exacte, et également proposer une évocation de l’église Nord, une véritable nouveauté qui n’a jamais été présentée. L’idée est vraiment de valoriser les collections, et de les présenter de manière tout à fait renouvelée.

Certains pans de la collection ont, en revanche, peu de restaurations nécessaires. Je pense par exemple à la salle 501 du département des Objets d’Arts où est exposé l’ivoire Barberini. Ce sont des œuvres qui n’ont pas besoin de restauration particulière mais ont des besoins de soclage, car leur présentation sera différente de la précédente.

Est-ce qu’il y aura beaucoup d’objets sortis des réserves ou achetés ? La politique d’acquisition doit être assez spécifique, puisque le fil rouge du département est axé sur une question relativement nouvelle. 

Oui, la politique d’acquisition est l’un des piliers de ce nouveau département. D’ailleurs elle a déjà commencé activement avec des acquisitions dont je suis très heureux.

Maison P. I. Olovyanishnikov Fils, Triptyque représentant sainte Alexandra, saint Nicolas et saint Alexis, v. 1908-10, Paris, musée du Louvre. Crédits : Baecque et Associés, communiqué de presse du musée du Louve

La première est un triptyque produit par la maison P. I. Olovyanishnikov Fils, une maison d’orfèvrerie russe travaillant pour l’impératrice Alexandra et son mari Nicolas II. Ce triptyque est en vermeil, avec des filigranes, une peinture sur argent rehaussée de grenats, de cabochons d’améthyste et d’un contour de nacre. C’est un triptyque assez exceptionnel puisqu’il représente trois saints : saint Nicolas, sainte Alexandra et saint Alexis, les patrons du couple impérial et de leur fils. Il a été produit vers 1910-1911, probablement au moment de l’exposition internationale de Turin. Gardé par le patron de la maison d’orfèvrerie, il a été transmis à sa fille Maria Olovyanishnikova, qui a épousé un poète avec lequel elle a eu un fils, Jurgis Baltrušaitis, un historien de l’art reconnu. Ce dernier a beaucoup réfléchi sur la question de l’image, étant un disciple d’Henri Focillon, autre historien de l’art très connu qui a travaillé sur cette même question, notamment dans l’art romain. Jurgis Baltrušaitis a épousé la fille d’Henri Focillon et c’est cette union qui a permis la conservation de ce triptyque. C’est une production très prestigieuse puisqu’elle fait partie des commandes impériales, qui est un reflet de la production russe au début du XXe siècle.

Maquette du Saint-Sépulcre, Bethléem, seconde moitié du XVIIe siècle, Paris, musée du Louvre. Crédits : communiqué de presse du musée

La deuxième acquisition est une maquette exceptionnelle du Saint-Sépulcre réalisée dans la seconde moitié du XVIIe siècle, offerte en cadeau diplomatique par la Custodie franciscaine de Terre sainte, un ordre franciscain chargé de la préservation des lieux saints. La maquette se démonte entièrement pour révéler à l’intérieur du Saint-Sépulcre les tombeaux des rois de Jérusalem, la Pierre de l’Onction, l’iconostase des Grecs, la chapelle de l’apparition à Marie-Madeleine, la chapelle de l’apparition à la Vierge, la rotonde du Saint-Sépulcre et son édicule. C’est donc un objet assez exceptionnel qui a la particularité d’avoir conservé sa boîte d’origine, ce qui est tout à fait unique. La maquette va être restaurée dans les mois qui viennent et fera l’objet d’une « œuvre en scène » dans l’auditorium du Louvre, que je conduirai avec une caméra endoscopique qui fera visiter le Saint-Sépulcre à travers la maquette. Un moment incroyable donc !

Par conséquent, bien que la politique d’acquisition soit l’un de nos piliers comme je l’ai dit, les deux objets récemment acquis ne sont pas forcément ceux sur lesquels nous étions attendus, et c’est aussi une manière pour nous de dévoiler les axes de ce nouveaux département, l’intérêt que nous avons pour les zones de transitions et les relations entre l’Orient, l’Occident et la circulation des formes et des idées.

Cette politique va ainsi s’accompagner d’une politique de dépôts, puisque les acquisitions sont un enjeu majeur pour les musées aujourd’hui. Le Louvre ne peut acheter que des chefs-d’œuvre dont la provenance est particulièrement bien connue. C’est l’une des conditions majeures pour les acquisitions. Or nous avons un département concerné par toutes les zones à risques archéologiques ; par ailleurs, les icônes, les objets liturgiques n’ont souvent pas de provenance avérée. Nous sommes donc très prudents et ne ferons aucune acquisition douteuse. Et c’est pour cela que nous serons obligés de solliciter des dépôts, ce qui sera l’occasion de renouer des partenariats avec des institutions.

Vous nous présentez beaucoup d’œuvres mais avez-vous déjà votre œuvre phare pour le département, tel le Scribe accroupi en Egypte ou encore la Victoire de Samothrace en Grèce ?

Le Christ et l’abbé Ména, VIe-VIIe siècles, église de Baouit, peinture à l’encaustique et à la détrempe, Paris, musée du Louvre. Crédits : Antiquité Tardive via Flickr, licence CC 2.0

Oui, nous avons déjà quelques « Jocondes ». Certaines sont déjà connues mais cela change en fonction des domaines étudiés, comme le Sarcophage de Livia Primitiva pour l’art paléochrétien, Le Christ et l’abbé Ména pour l’art copte, l’Ivoire Barberini évidemment, le camée de Saint-Denis, l’Icône de la Transfiguration

Finalement ce sera au visiteur de définir quelle œuvre sera son icône !

Oui c’est ça. Très souvent c’est une tâche difficile de choisir quelle est l’œuvre majeure, car il y en a beaucoup. Tout dépend de quel point de vue on se place. Bien sûr il y a toujours des œuvres que l’on apprécie tout particulièrement, mais c’est finalement le visiteur qui est le juge de ce qui devient iconique. Objectivement, on peut reconnaître les chefs-d’œuvre et ils sont indéniables. Je vous en ai déjà cité quelques-uns d’une liste non exhaustive. Je vous ai parlé de l’église de Baouit, qui est un des chefs-d’œuvre de la collection, mais il y en a beaucoup plus.

 

Mais pour répondre à votre question, ce que je peux dire c’est que la collection du Louvre, pour ce champ, est une collection de référence mondiale, donc cela accroît la difficulté de déterminer quelle est l’œuvre majeure. C’est une collection qui n’a pas d’équivalent, à la fois dans son histoire et sa constitution. Cette histoire s’ouvre sur une nouvelle page avec la création de ce département, et c’est un événement historique, à la fois pour le Louvre, pour les musées mais plus largement je pense, pour l’ensemble de l’histoire de l’art. C’est redonner une place à cette civilisation qui est souvent minimisée, y compris dans le nombre d’heures qu’on lui consacre en cours.

Pour finir : en 2009, vous parliez d’anecdotes sur les saints. Est-ce que vous en auriez une nouvelle à nous donner ?

Silvestros Desos, Le Christ et saint Phanourios, v. 1620-30, Paris, musée du Louvre. Crédits : Musée du Louvre/Philippe Fuzeau, communiqué de presse du musée

Il y a bien une anecdote que je peux vous donner pour ne pas trahir ma réputation, et qui conclura la question précédente des chefs-d’œuvre conservés dans le département. En 2019, le musée du Louvre a fait l’acquisition d’une très remarquable icône du peintre Silvestros Desos, représentant un saint peu connu : saint Phanourios. Son nom grec signifie « celui qui apparaît à la lumière ». Ce saint est un peu étrange car nous ne savons rien de lui. Il n’y a pas de témoignages de son existence. Sa redécouverte se fait à la fin de l’époque médiévale. Dans une église détruite, on découvre une icône qui le représente et qui dépeint les scènes de sa vie. Cette icône est notre seul moyen de savoir ce qu’il a fait.

Il est devenu le saint tutélaire du département car il est l’image qui permet d’advenir à la lumière. On raconte qu’il était le fils d’une femme de mauvaise vie et qu’il s’était converti au christianisme, puis qu’il fut persécuté sous le règne de Dioclétien. Au moment d’être décapité, il prit quelques minutes pour prier Dieu, pour demander que soient exaucées toutes les prières qui lui seraient adressées et qui seraient accompagnées d’une prière pour le salut de l’âme de sa mère. Il est réputé chez les Grecs pour être très (très) efficace.

Sa fête est en août et, en Grèce, la population lui cuisine même un gâteau, la fanouropita, qui est très réputé. Il est grandement vénéré grâce à son efficacité. Lorsque l’on prie pour l’âme de sa mère pour demander quelque chose à saint Phanourios, il l’accorde. Personnellement, la prière que je peux formuler à ce saint est que le département advienne à la lumière et dans toute la majesté qui lui est due.

Nous lui ferons un gâteau et il deviendra le nouveau Ganesh des élèves pour les examens de cette fin d’année!

Fanouropita. Crédits : Antonio Fajardo i López via Wikimedia Commons, licence CC 3.0

 

Propos recueillis par Coralie Gay et Cassandre Bretaudeau

cassandrebretaudeau

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