Top 7 des mots sans équivalent français les plus incroyables

Ce numéro Création méritait une petite incursion du côté du langage. Il m’offre l’occasion de parler de l’inédit, de l’inattendu, du bizarrement pensé : des mots intraduisibles. Il existe en effet une kyrielle de noms, verbes ou adjectifs sans équivalents en français. Ces termes aussi étranges qu’étrangers nous prouvent que quelques lettres peuvent faire émerger tout un monde de représentations mentales. À chaque mot, c’est un pan inconnu d’un nouvel imaginaire collectif qui se dévoile, avec parfois de belles surprises conceptuelles. Place à un petit top !

1) Les moustaches en albanais
Plutôt big (moustache en guidon) ou glemb (à pointes effilées) ? La moustache constitue en Albanie un véritable art traditionnel ! Un petite incursion internet vous prouve que même le roi d’Albanie Zog Ier soignait particulièrement sa holl (ou moustache fine), c’est dire… Une belle vingtaine de mots lui sont rattachés, tels varur (la moustache tombante), madh (la moustache bien fournie), ou encore kacadre (la moustache aux pointes retroussées).

2) La sprezzatura italienne
Groupies de Baldassare Castiglione, bonsoir ! La sprezzatura, c’est cet art de la nonchalance feinte, du parfait naturel, de la flatterie courtisane qui semble s’ignorer, théorisée par ce monsieur, diplomate, nonce du pape et ami de Raphaël, dans son ouvrage Le livre du courtisan. Les artistes de la Renaissance eux-mêmes s’attachaient fortement à ce principe : d’après les Vies de Vasari, Michel-Ange aurait brûlé certains dessins de jeunesse afin de cacher le labeur cumulé de ses années d’apprentissage.

3) Mamihlapinatapai
Mamihlapinatapai est tiré du yagan de la Terre de Feu (comprendre : d’un dialecte amérindien dont les locuteurs résident dans l’archipel à l’extrême sud de l’Amérique du Sud, divisé entre le Chili et l’Argentine). Le terme a été repris dans le Guinness Book de 1994 comme le mot le plus succinct, et désigne l’état de deux personnes qui s’envisagent et attendent chacune que l’autre fasse le premier pas, sans qu’aucune des deux n’ose elle-même le poser. Personne ne vous en voudra de ne pas connaître le yagan, car il ne subsiste aujourd’hui dans le monde plus qu’une seule locutrice de cette langue, Cristina Calderón, une situation à tel point exceptionnelle que l’UNESCO a déclaré la dame de 93 ans “trésor humain vivant” en 2009.

4) Bakwe, ou la cigarette philippine
Les Philippines connaissent une fois par an ce que l’on appelle la saison des pluies (aka varsha en hindi). Mais comment faire alors pour s’en griller une si le ciel n’est pas très clément ? Le kapampangan, langue parlée dans une île de cet État, a la solution : bakwe. Bakwe, c’est l’art de fumer sa cigarette avec le bout allumé dans la bouche, afin de se réchauffer un peu le palais, et de profiter d’un petit plaisir pas totalement trempé…

5) Shibui, ou la contemplation de la salade de fruits
Comment résumer un sentiment esthétique empreint de suranné comparable au goût d’un kaki pas encore tout à fait mûr qui engourdit la langue ? Prenez l’adjectif shibui. Le kanji pour l’écrire signifie “astringent”, et se retrouve notamment dans le mot “grimace”. Shibumi est le nom commun dérivé de shibui, et désigne le fait d’avoir un sens esthétique posé et affirmé, avec pourquoi pas un côté un peu vieux jeu, acide ou suranné. Le terme se rattache parfaitement à l’esthétique wabi-sabi, qui promeut une beauté simple et rustique, pas forcément dénuée d’imperfections.

6) La marche en shona
Pour une raison que mes recherches n’ont pas pu élucider, il existe une petite dizaine de verbes pour désigner en shona, langue parlée principalement au Zimbabwe, le fait de marcher ! Que vous préfériez marcher à petits pas (tabvuk), avec une robe très courte (pushuk), pieds nus (dowor) ou même en tenue d’Adam (shwitair), il y a des verbes pour tous les goûts !

7- Le café suédois
Les confinements nous ont révélé que les cafés et bars constituaient en France de véritables institutions sociales, mais nous sommes de petits joueurs comparés aux Suédois ! Fika désigne en effet tout spécialement pour eux la pause café accompagnée de sucreries que l’on prend avec ses amis, et qui constitue un vrai rituel social… Le café est dans ce pays une telle institution qu’il a donné naissance à tout un champ lexical, avec des verbes comme tretar (comprendre : se servir son café pour la troisième fois dans la même tasse). Moins de convivialité chez nos amis finnois, qui ont tout de même un mot désignant spécifiquement le fait de se soûler tout seul chez soi en caleçon (alias kalsarikännit).

Marie Vuillemin

Pour partir à la rencontre d’autres mots inconnus mais incroyables, jetez un œil à la petite pépite nommée Les mots qui nous manquent, écrite par Yolande Zauberman et Paulina Mikol Spiechowicz (Ed. Calmann-Lévy).

Petite histoire de la sérendipité

Quel point commun entre de la dynamite, des Post-it, une part de tarte tatin, un micro-ondes, le LSD, le Viagra, le nutella, le Coca Cola, le stéthoscope, la gomme, le Téflon, la vaseline, la grotte de Lascaux, la pénicilline de Fleming et Christophe Colomb ?

Il est possible de résumer cette longue énumération de mots qui nous sont à la fois indispensables et familiers en un seul : la sérendipité.

Cette petite chose à première vue anecdotique, qui consiste à faire preuve de « sagacité accidentelle », est bien plus présente dans nos vies qu’elle pourrait en avoir l’air, et il ne faut donc pas la sous-estimer. Cependant, peut-on aller jusqu’à affirmer que la sérendipité est un moyen de Création ? Question délicate, qui demande de rejouer quelques exemples de ce concept, et même de retracer le chemin parcouru par ce petit mot pour voir à quand remonte sa création… par sérendipité.

Le terme « sérendipité » français vient en fait de l’anglicisme serendipity inventé le 28 janvier 1754 par Horace Walpole dans une lettre adressée à son lointain cousin Horace Mandans. Il lui raconte ses impressions à propos d’une lecture récente, intitulée Les Trois Princes de Serendip, conte oriental traduit en français depuis le persan par le chevalier Mailly. Cependant, Mailly tronque légèrement les faits puisque sa traduction s’appuie sur une version italienne du conte du XVIe siècle, de Christophe l’Arménien: Peregrinaggio di tre giovani figliuoli del re di Serendippo. Christophe l’Arménien affirme lui-même avoir transcrit ses dires du persan, mais nous n’en gardons aucune preuve, et il faut garder à l’esprit que l’histoire contée est un motif mythologique retrouvé chez de nombreuses civilisations, comme les Hébreux, les Indiens, les Hongrois, les Danois et bien d’autres, y compris des auteurs comme Voltaire.

Les Trois Princes de Serendip met en scène les fils du roi-philosophe de Serendip (ancien nom utilisé par les Arabes pour désigner l’actuel Sri Lanka, « l’Île Fortunée ») qui doivent parcourir le monde pour parfaire leur éducation. Ils rencontrent un chamelier sur les terres de l’empereur Behram. Celui-ci a perdu ses chameaux. Les fils lui décrivent précisément l’animal sans même l’avoir vu : la bête est boiteuse, porte du miel et du beurre et il lui manque une dent.  En effet, les frères, qui possèdent un grand sens de l’observation et de la déduction, avaient noté tous les indices permettant cette description détaillée, impressionnant le chamelier et son roi. À partir de là, les trois princes offrent leurs services à Behram, qui leur donne plusieurs missions.

La sérendipité désigne donc le don ou la capacité intellectuelle à faire fructifier un événement imprévu.

Cet imprévu survient toujours accidentellement. Par accident, on comprend généralement une connotation négative qui convient parfois mal aux heureux découvreurs, promis à la gloire et à la postérité. 

Pourtant, c’est bien un accident qui ôte la vie au frère d’Alfred Nobel : il meurt suite à une explosion de nitroglycérine. Cela n’empêche pas Alfred Nobel de faire tomber ladite substance dans de la sciure, pour réaliser… qu’elle n’explose pas. C’est l’invention de la dynamite, dont le brevet est déposé en 1867. 

De même, en 1968, Spencer Silver invente une colle peu adhésive : échec très décevant, puisque le chimiste fait partie d’un programme de recherche depuis 4 ans sans résultat concluant. Cependant, en 1974, l’invention est reprise par son collègue, chef de chœur d’église sur son temps libre, pour accrocher ses feuillets de chant. Les post-it commencent à être commercialisés à partir des années 1980.

Les découvertes par sérendipité peuvent être aussi plus anodines, voire même comiques. Ainsi, le Viagra était censé soigner les maladies cardiaques, et notamment l’angine de poitrine. Quelle ne fut pas la surprise des cliniciens, quand ils constatèrent un effet secondaire providentiel…

En outre, que ferions-nous aujourd’hui sans notre fidèle micro-ondes ? Cet outil, considéré comme indispensable pour tout étudiant et, finalement, tout pressé ou flemmard qui se doit, est créé involontairement par Percy Spencer en 1945. Il avait oublié une barre de chocolat dans sa poche alors qu’il travaillait sur un des composants d’un radar. Celle-ci finit par fondre, et quand l’ingénieur s’en rend compte, il comprend qu’il a découvert une nouvelle propriété prometteuse. 

Ainsi, nous pouvons facilement admettre que la sérendipité est un moyen de découverte efficace, et même puissant. Elle met en avant l’importance de l’erreur, et concerne surtout le monde scientifique. C’est en associant intuition, observation et imagination que la sérendipité peut naître. N’est-ce pas le terreau de toute création ? Il apparaît donc que la sérendipité est bien créative, et qu’elle est même une des principales sources de création.

Néanmoins, il est important d’apporter une nuance à la prétendue toute-puissance de la sérendipité : toutes les légendes contées ici en sont réduites à leur nom : des faits subjectifs, quelques fois non prouvés ou ayant été relatés tellement de fois qu’elles en ont perdu leur sens premier. Finalement, pourquoi les inventions citées mettent-elles en œuvre le plus souvent un héros unique ayant un déclic brutal, dans un contexte originel désintéressé ? Il faut savoir démonter les stéréotypes. C’est ce qu’explique Margaret Rossiter et son effet Matilda par exemple. Cette théorie est basée sur celle de l’effet Matthieu (on a tendance à oublier l’entourage du découvreur dans l’histoire de la découverte), mais considère que cet effet occultant est démultiplié quand il s’agit de femmes. L’histoire des découvertes laisse encore beaucoup de mystères à élucider.

Solène Roy

Sources principales :
– Site de l’Académie française / article post interview de Sylvie Catellin auteure de Sérendipité. Du conte au concept article de Robert Maggiori, 2014, Libération
– AlterNego, article de Valentine Poisson
– France Culture, “L’effet Matilda, ou les découvertes oubliées des femmes scientifiques”, de Pierre Ropert

Accidents créatifs

Beaucoup de choses ont été créées par accident, peut-être même vous. Ce n’était pas voulu, mais c’est une belle erreur. Dans cet article je vous propose de revaloriser vos ratés en découvrant par quel hasard certains produits que nous connaissons bien ont été inventés. Bonne lecture.
INFO : d’après le Larousse, le terme « sérendipité » désigne : « la capacité, l’art de faire une découverte, scientifique notamment, par hasard. » Je vous renvoie à l’article « Petite histoire de la sérendipité » par Solène Roy.

Légende de la chips :
Au milieu du XIXe siècle, George Crum était cuisinier au Carey Moon Lake House, un restaurant situé face au lac Saratoga, à Saratoga Spring dans l’État de New York. Un jour qu’il travaillait, un client se montra particulièrement exigeant en renvoyant plusieurs fois son plat de pommes de terre frites car il les voulait plus croustillantes et plus fines. George Crum ne se le fit pas dire deux fois. Dans la colère, il coupa le légume si finement que lorsque les tranches furent frites et bien salées, la chips était née. Le client fut satisfait et aujourd’hui encore, la chips reste l’un des plus glorieux ratés.

Fleming et la pénicilline :
Alexander Fleming était un biologiste britannique né en 1881. A l’été 1928, il quitta son laboratoire et partit en congé, laissant derrière lui les restes de ses expériences sur la création d’un « médicament miracle » qui n’avançait pas. À son retour quelques semaines plus tard, il constata qu’une des boîtes de Pétri contenant des staphylocoques était parsemée de bactéries sauf à l’endroit où s’était formée de la moisissure. Après l’avoir analysée, il découvrit que cette forme rare de Penicillium notatum était capable de sécréter un liquide qui avait tué plusieurs chaînes de bactéries mortelles. Il comprit vite que cette découverte était remarquable. Pourtant, sa publication passa inaperçue. Ce n’est que des années plus tard qu’un certain Howard Walter Florey, pathologiste australien, prit connaissance de l’article de Fleming en feuilletant de vieilles revues médicales. Aidé du biochimiste Ernst Boris Chain, il s’intéressa aux effets thérapeutiques du fameux liquide et en 1941, administra la pénicilline à un patient pour la première fois. Les résultats furent spectaculaires. Cette avancée médicale valut un prix Nobel aux chercheurs Fleming, Florey et Chain.

La tarte Tatin ou tarte ratée :
Les sœurs Stéphanie et Caroline Tatin tenaient un restaurant à Lamotte-Beuvron en Sologne, à la fin du XIXe siècle. L’établissement était un repère pour les chasseurs du coin. Un dimanche d’ouverture de la chasse, alors que Stéphanie préparait une tarte aux pommes, elle oublia de placer la pâte dans le fond de son plat. Pour rattraper son erreur, elle décida de la rajouter sur le dessus de sa pâtisserie et de laisser le tout cuire au four. C’est ainsi que l’étonnant gâteau serait devenu la spécialité locale. Cependant, d’après le Grand Larousse Gastronomique, il ne s’agit que d’une légende. Le dessert serait en réalité une vieille spécialité solognote, qui n’est pas le fruit d’une erreur, et qui aurait simplement été démocratisé par les sœurs Tatin à Lamotte-Beuvron.

George de Mestral et le velcro :
En 1941, George de Mestral était parti faire une randonnée dans les Alpes accompagné de son chien Milka. Au retour de cette balade, il remarqua que ses habits et le pelage de son compagnon étaient couverts de Bardane. Cette herbe vivace produit des fleurs pourprées et ses fruits, munis de crochets, s’accrochent aux poils ce qui assure la dispersion des graines. L’histoire aurait pu s’arrêter là, mais Georges de Mestral était un inventeur né, il avait la capacité de voir le potentiel dans les choses de la nature. Il s’est donc intéressé à cet efficace système de fixation et a découvert que le fruit de la bardane est recouvert de crochets qui s’accrochent naturellement aux boucles microscopiques formées par les pelages et vêtements. Inspiré par la plante, il a donc créé le premier système de fixation à crochet et à boucle du monde, nommé Velcro ou encore scratch, en utilisant du nylon.

Anouk Hubert

Interview de Françoise Mardrus !

A l’occasion du nouveau mandat de Laurence des Cars et de l’annonce de la reprise du projet pour la constitution d’un nouveau département des Arts de Byzance et des chrétientés d’Orient au musée du Louvre, Françoise Mardrus, professeure à l’Ecole du Louvre et directrice du Centre de recherches Dominique-Vivant Denon, nous aide à comprendre les enjeux et le processus de création d’un projet d’une telle ampleur.

Pourriez-vous vous présenter et nous décrire votre parcours avant de travailler au musée du Louvre ?

Je m’appelle Françoise Mardrus. J’ai été élève à l’Ecole du Louvre et j’ai également obtenu en parallèle le diplôme du DEA (diplôme d’études approfondies d’histoire de l’art) à l’université de Paris 1. J’étais inscrite en thèse et avais donc le parcours classique du double cursus, sans équivalence à l’époque. Cela permettait de passer les concours ou de partir vers la recherche.  Je suis entrée au musée du Louvre en août 1988 alors que je sortais tout juste de l’Ecole du patrimoine, en juin 1988. Nous étions la première promotion de cette école qui allait devenir l’Institut National du Patrimoine (INP). 

L’année 1988 était marquée par la période du Grand Louvre, dynamisée par les grands projets du président de la République, François Mitterrand. En tant qu’élèves, nous avions baigné dans cette atmosphère pendant nos études car le lancement du projet remontait à 1981. Cependant, à l’époque nous faisions de l’histoire de l’art et nous n’avions pas forcément conscience de l’enjeu qui se mettait en place. Le lancement de ces projets culturels et muséographiques a ouvert des débouchés auxquels je ne pensais pas au départ, car j’étais plutôt orientée vers l’enseignement et la recherche. Ce sont des conjonctions de vie que je n’avais pas imaginées mais finalement je me suis engagée naturellement dans cette voie et cette dynamique. 

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