Interview Le Pogam

Flora et Cassandre : Pouvez-vous vous présenter et nous donner quelques étapes de votre parcours professionnel (études et carrière) ?

Pierre-Yves Le Pogam : J’ai tout d’abord étudié à Paris IV et Paris I, puis à l’Ecole du Louvre et à l’Ecole des Chartes. Enfin j’ai un doctorat en histoire de l’art. J’ai été conservateur au musée de Cluny pendant sept ans, de 1992 à 1999. Ensuite je suis parti cinq ans à Rome où j’ai fait partie de l’École française de Rome. Je suis revenu en France en 2005 et je suis devenu conservateur au musée du Louvre jusqu’à aujourd’hui au département des Sculptures.

Cassandre et Flora : Pourquoi vous être tourné vers la sculpture médiévale ?

PYLP : J’ai toujours aimé l’art médiéval. Plus jeune, j’aimais beaucoup les châteaux et les églises. C’est donc le premier domaine où j’ai décidé de m’orienter. Tout me plaît, que les œuvres soient des objets d’art, de l’architecture ou de la sculpture par exemple. Je me suis d’ailleurs d’abord plutôt spécialisé en histoire de l’architecture et aussi bien dans ma thèse à l’Ecole des Chartes que dans mon autre thèse d’histoire de l’art, j’ai abordé l’histoire de l’architecture. Au musée de Cluny je m’occupais beaucoup d’objets d’art, d’art décoratif et d’architecture. C’est lorsque je suis arrivé au Louvre, il y a dix-sept ans, que je me suis surtout intéressé à la sculpture. Enfin, je trouve également que l’époque médiévale est une période de mille ans très riche et très complète à la fois et donc passionnante.

C et F : Etes-vous souvent impliqué dans des projets de restauration ? Quel est votre rôle dans la mise en place de tels projets ?

PYLP : Bien sûr, je suis profondément impliqué dans ces projets, mais il faut préciser que ma réponse s’explique par le contexte institutionnel et administratif français. Les pays anglo-saxons ont des restaurateurs, des « conservators », mot qui signifie conservateur-restaurateur. Ces derniers ont beaucoup plus d’autonomie et de pouvoir de décision qu’en France ou dans un autre pays latin.

Cela pose beaucoup de questions évidemment. A l’idée de restauration, il faut toujours associer l’idée de conservation. En effet, la décision d’une restauration en France appartient aux conservateurs car ils sont les responsables des musées. Cela peut poser des problèmes dans d’autres systèmes comme les pays anglo-saxons, car les « conservator » n’ont parfois pas toutes les connaissances des conservateurs français qui ont effectué des formations très poussées, comme celle de l’INP. En revanche les « conservators » ont des notions de physique et de chimie très avancées, car ils sont aussi restaurateurs. Chaque système pose donc beaucoup de questions. En France, c’est une question d’interdépendance, entre le conservateur qui détient les connaissances en histoire de l’art et le restaurateur qui détient les connaissances techniques et scientifiques.

Il est possible d’engager des mesures de restauration pour plusieurs raisons. La première est avant toute chose de conserver les œuvres d’art. Il est possible de se rendre compte d’une altération lors d’un récolement (inventaire obligatoire des musées de France tous les dix ans) ou lors du voyage d’une œuvre. A ce moment-là, nous pouvons engager une restauration, tout du moins une opération de conservation-restauration pour que l’œuvre ne souffre pas de plus de détérioration.

Il peut également être choisi de restaurer une œuvre si l’on estime que son état actuel est correct mais pas assez satisfaisant ou pour revenir à un état antérieur. Cela sera notamment le cas pour les œuvres polychromées, mais pas seulement. Cela peut concerner une œuvre en pierre, en marbre, en bois, non polychromée ou qui n’en a plus que des restes. L’œuvre peut montrer beaucoup de salissures, des traces d’interventions anciennes, du plâtre, des apports de matières variées, par exemple des cires pour les bois polychromés qui peuvent avoir noirci l’œuvre. Ce sont toutes des raisons valables pour démarrer un chantier de restauration et ce sont les conservateurs comme moi-même qui décidons des restaurations annuelles.

C et F : Pouvez-vous nous décrire certaines étapes importantes d’un projet de restauration de sculpture médiévale ?

PYLP : Exception faite des restaurations très ponctuelles qui répondent à une dégradation ou à un simple nettoyage, une restauration doit toujours être précédée d’une étude. On demande donc à un restaurateur un devis d’étude sur l’œuvre en question. C’est une étape essentielle, car nous déterminons beaucoup de choses à cette étape et bien souvent le restaurateur a un regard aguerri. Il fait des analyses, regarde attentivement l’œuvre avec des microscopes. Il peut également demander des analyses plus spécifiques, de type physico-chimiques par exemple pour la polychromie ou bien sur la nature de la pierre, la nature du bois, etc. (notamment auprès du C2RMF ou du LRMH) En parallèle le conservateur doit bien réfléchir et prendre en considération toutes les perspectives de l’œuvre, étudier les photographies de l’œuvre, son historique, sa provenance, ce que l’on sait de ses éventuelles restaurations passées, jusqu’à sa mention dans les publications antérieures. Il va tout reprendre en considération de ce problème avant de rendre son verdict pour une décision de restauration définitive. L’étude de restauration coûte peu cher par rapport à une opération de restauration d’envergure, même si le restaurateur y passe beaucoup de temps, mais elle est essentielle.

Ensuite il faut laisser du temps et c’est un point sur lequel j’aime insister. En effet, bien souvent, on veut effectuer l’étude dans l’année et faire la restauration pendant l’année suivante, mais il n’est pas si mal de laisser plus de temps au projet et d’arriver à l’étape de la restauration deux ans plus tard. Les analyses, avec le C2RMF par exemple, peuvent parfois être longues, en fonction de ce que l’on demande. Ainsi es analyses de carbone 14 réclament du temps et il faut que les personnes qualifiées soient disponibles. Souvent les résultats d’analyse arrivent après l’étude du restaurateur. Il faut donc se donner le temps de faire la restauration dans un temps décalé.

Enfin, le dernier point est délicat : doit-on véritablement intervenir ? On en a souvent envie, on veut retrouver une œuvre plus proche de l’état original, lorsque cela ne nous prive pas d’étapes importantes de son histoire. Néanmoins, il y a toujours une sorte d’angoisse car il faudrait que chaque restauration soit réversible. En réalité dans beaucoup de cas, c’est irréversible. Cela peut donc être délicat, d’autant plus que même les restaurateurs les plus aguerris peuvent se tromper. Il peut y avoir des erreurs techniques mais aussi matérielles, dans le sens où les techniques évoluent. Par exemple, l’utilisation du laser à ses débuts n’avait pas été très optimale en France et en Italie, mais aujourd’hui elle est une très bonne technique de restauration. Cela est vrai avec toutes les techniques (micro-sablage, dégagement au scalpel, etc.). Nous pouvons rater des informations importantes qui peuvent paraitre invisibles, peu évidentes à collecter aujourd’hui mais que nous aurions pu comprendre dans le futur avec de nouvelles technologies.

Les lichens qui se déposent souvent sur la pierre ou le marbre sont un bon exemple. Il est raisonnable de ne pas voir la nécessité de les conserver à la surface de l’œuvre. Or, j’ai lu une étude qui était tout à fait passionnante sur une œuvre conservée dans une collection privée en Belgique. Elle est magnifique mais nous ne connaissions pas du tout son histoire, elle n’était pas rattachée à une série. L’étude effectuée par un collègue, qui est un très bon spécialiste, l’a attribuée à Nicolas Pisano. Cependant le manque d’information sur l’histoire de cette œuvre constituait un problème. De plus, l’œuvre fut retrouvée en Belgique sans que l’on ne sache comment elle y était arrivée. Mon collègue a fait faire une étude des lichens présents sur le marbre. Les spécialistes ont montré que ces derniers provenaient de la mer tyrrhénienne (la partie de la Méditerranée qui longe la Toscane, ndlr), là où était actif Nicolas Pisano. A mon sens, cette œuvre ne posait pas de problème dans son attribution, elle est bien de Pisano, mais c’est extrêmement intéressant de voir qu’ici, les lichens apportent des informations supplémentaires importantes. Cette œuvre a bien dû être conservée un temps dans cette partie de l’Italie.

Cassandre : Cela veut-il dire que les lichens ont créé des écosystèmes sur la statue et qu’ils y sont restés des années en continuant à proliférer depuis qu’elle a quitté l’Italie ?

PYLP : Non. Il faut considérer la sculpture comme le support de « cadavres » de lichens . Au Louvre, si vous observez certaines statues dans la section dont je m’occupe, vous pourrez voir qu’il en reste certains sur les œuvres. Les lichens qu’on retrouve sur les sculptures aujourd’hui ne sont pas vivants parce qu’il leur faut de la lumière et de la nourriture pour se développer. Ils ne sont pas actifs mais n’en demeurent pas moins très intéressants pour l’étude et ils ne représentent pas un danger pour les œuvres. Il serait possible de les enlever mais je préfère les garder, si jamais nous voulons vérifier des informations plus tard.

Un autre exemple comparable aux lichens, sont les revêtements translucides que devaient posséder de nombreuses œuvres non polychromées en marbre ou en albâtre ou qui ont pu en avoir et qui les ont perdus. On sait que cette couche existait, une étude très importante a eu lieu dans le cadre de l’étude du Maître de Rimini, ce grand sculpteur anonyme du XVe siècle, qui le montre. En ce moment, une exposition à Francfort a lieu sur cet artiste. Nos collègues ont démontré qu’il y avait un reste de quelque chose sur les œuvres, comme une cire, un revêtement ancien. C’est très intéressant car cela donne un aspect légèrement différent à l’œuvre. Cela joue sur la brillance, l’opacité et la luminosité de l’œuvre. Il est important de comprendre cela et de ne pas forcément intervenir dessus. Lorsque je demande la restauration d’une œuvre, je suis particulièrement vigilant à laisser intact un quelconque revêtement, notamment lors des nettoyages.

Cassandre et Flora : Si une sculpture comporte donc une restauration antérieure à celle que vous désirez apporter (par exemple du XVIIIe ou du XIXe siècle), pensez-vous qu’il faille garder cette restauration pour montrer l’évolution de l’œuvre ?

PYLP : Dans ces cas de restauration là, il nous faut nous en tenir à la doctrine telle qu’elle est donnée par l’ICCROM. Cesare Brandi (1906-1988) a été l’un des fondateurs de la déontologie actuelle de la restauration. L’un des points qu’il a établis est que l’on ne doit pas restaurer une sculpture, ou une œuvre de manière générale, pour retourner à son état antérieur si l’état actuel est satisfaisant et complet. On ne doit pas restaurer une œuvre si la surface est complète, même si cette dernière date du XIXe siècle. C’est la théorie et elle est juste car, d’un point de vue strictement financier, cela permet de ne pas dépenser pour rien et surtout, déontologiquement, on ne doit pas aller contre l’histoire de l’œuvre. Tout est dans l’appréciation du degré de ce que l’on voit et de ce que l’on a en dessous de cette couche visible. Cette théorie vaut pour tous les domaines techniques (orfèvrerie, peinture, architecture…), même si chaque domaine a ses particularités. En peinture, on n’enlève pas un surpeint moderne s’il est complet. Après, si dans l’histoire de l’œuvre, quelqu’un a commencé à l’enlever, il vaut mieux souvent finir l’opération.

Pour le Christ Courajod, un chef d’œuvre qui se trouve dans les salles du Louvre, j’avais demandé une étude pour cette œuvre auprès de deux très grandes restauratrices car l’œuvre rendait bien de loin mais devenait assez étrange de près. Cette sculpture avait fait l’objet de plusieurs campagnes de polychromie, ce qui était très souvent le cas pendant l’époque médiévale et moderne. Puis, il ne faut pas le cacher, au XXe siècle, il y a eu une restauration faite au Louvre par la maison de restauration Bouet, qui avait été désastreuse, car comme beaucoup de restaurations à cette époque-là, on arrachait la polychromie, on griffait l’œuvre. L’œuvre était donc comme une « peau de léopard », un mélange de toutes les couches, des plus anciennes aux plus récentes. Je voulais donc faire une étude pour déterminer s’il était possible d’améliorer sa présentation, ne serait-ce que pour avoir une lecture de l’œuvre qui soit correcte. Comme dit ci-dessus, lorsque que des « restaurateurs » précédents ont déjà commencé à enlever les couches les plus récentes, autant finir pour redonner de la cohérence à la surface de l’œuvre. C’est ce que nous avons fait pour le Christ Courajod. Sa restauration a été très longue, sur plusieurs années et en plusieurs étapes avec l’aide d’un comité scientifique. Nous avons d’abord restauré par parties, ce qui n’est pas normal en principe. En effet, d’après Brandi, l’œuvre est un tout. Pour le Christ Courajod, le corps (les carnations) avait quasiment perdu toute trace de polychromie ancienne et récente. Nous sommes donc d’abord intervenus sur le corps, ensuite sur le périzonium (linge drapé autour des reins du Christ en croix, ndlr), puis sur toute la sculpture et en voyant le résultat final, nous avons su que l’intervention était réellement nécessaire.

Un autre exemple montre que conserver une restauration plus tardive peut être pertinent : une Vierge en majesté auvergnate romane (qui n’est pas au Louvre) a été restaurée par une très bonne restauratrice. Elle a été repeinte à plusieurs reprises et elle a conservé toutes ses polychromies. Il a été possible de dégager une couche qui datait de la fin du XVe siècle ou du début du XVIe siècle avec un motif qui ressemble à des ananas. C’est bien évidemment incohérent avec la période romane, mais c’est une étape indispensable de son histoire. Cette couche de polychromie nous empêche de voir ce qu’il y a en-dessous. On peut faire des fenêtres (des ouvertures) pour mieux comprendre l’œuvre sur plusieurs couches successives, mais on ne fait des ouvertures que s’il y a déjà des lacunes sur l’œuvre.

Enfin cela pose une question intéressante : on voit parfois des faits divers dans la presse sur des œuvres d’églises repeintes par des amateurs. J’ai vu un cas assez récent à Caen avec une Vierge du XVIe siècle repeinte de manière atroce par la paroisse, alors qu’elle était protégée par les monuments historiques. Que faut-il faire dans ce cas-là ? Le résultat de cette couche supplémentaire est tout à fait discutable d’un point de vue technique et esthétique, mais l’opération est réalisée, c’est trop tard. C’est toujours très dangereux d’enlever une polychromie et cela dépend aussi du type de peinture utilisée. En intervenant, on risque d’enlever ce qu’il y avait en-dessous.

Cassandre et Flora : Votre travail s’axe principalement autour de la relation que les œuvres médiévales sculptées entretiennent avec leur milieu de création et la société de leur époque. Par quels moyens tentez-vous de l’expliciter dans la muséographie des galeries de sculptures ? Est-ce l’un de vos projets ?

PYLP : Le contexte historique et la société de l’époque sont des questions sur lesquelles nous nous penchons beaucoup. Surtout au Moyen Age, mais aussi avec tous mes collègues s’occupant de sculptures de différentes époques, nous aimerions ajouter du contexte. Nous avons pu refaire tous les cartels du département des Sculptures récemment qui sont donc maintenant plus longs et parfois avec des images. Nous réfléchissons avec la nouvelle présidente à rajouter des informations à un niveau supérieur, notamment sur des panneaux.

Cassandre : Comme ceux utilisés lors des expositions ?

PYLP : Oui exactement ! Nous pourrions alors expliquer les outils et les techniques utilisés, ou aborder des thématiques plus générales, mais ce projet n’a pas encore été réalisé pour différentes raisons, notamment financières. La présidente y pense néanmoins. On aurait également besoin de médiation numérique. Je soutiens beaucoup cette idée car cela permettrait de comprendre un ensemble de choses par l’image, cependant cela pose des questions de maintenance et de gestion importantes qui sont encore compliquées aujourd’hui au Louvre. Nous sommes un peu en retard dans ce domaine mais ce n’est pas faute d’avoir des projets !

Cassandre et Flora : Entre le début de votre travail sur ce sujet et aujourd’hui, trouvez-vous que l’étude de ce genre artistique et de cette période a augmenté ? Pensez-vous que les sculptures médiévales aient assez de visibilité ? (Si non à la question sur le nombre d’études augmentées alors comment pensez-vous qu’il puisse être possible d’y remédier ?)

PYLP : C’est stable, même s’il y a des lieux ou des sujets auxquels on s’intéresse plus selon les années. Le Moyen Age a été à la mode aux Etats Unis à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, et cela fait longtemps que c’est fini, ce que je constate en étant sur place en ce moment (l’interview a eu lieu par appel vidéo, ndlr) et en parlant avec des Américains. L’engouement pour l’art ancien a beaucoup diminué de manière générale, même s’ils ont des collections incroyables. Ils ont voulu concurrencer et imiter l’Europe à une certaine époque. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.

L’histoire de la recherche est faite de cycles : les gens travaillent sur les mêmes sujets en même temps et certains sujets sont alors complètement délaissés. Cela dépend des modes et des fonds mis en jeu. Si vous travaillez sur un sujet à la mode, vous avez plus de chances d’avoir des fonds pour mener vos recherches. Heureusement, il y a des personnes qui ont d’autres idées, sortent de ces phénomènes de mode et travaillent sur des sujets plus originaux. Enfin je pense qu’il faut aussi communiquer, comme je le fais avec vous aujourd’hui

Cassandre et Flora : Pour finir, avez-vous des expositions prévues prochainement ?

PYLP : J’avais un projet à Los Angeles, avec le Getty Museum, mais cela ne s’est pas fait pour des questions logistiques. J’ai également un autre sujet d’exposition que je prépare depuis longtemps et qui ne concerne pas que la sculpture. J’espère pouvoir le mettre en œuvre au Louvre. C’est une exposition sur le sujet de la folie à la fin du Moyen Age, que je prépare avec ma collègue, Elisabeth Antoine.

Cassandre : Avec la figure de Charles VI par exemple ?

PYLP : Oui exactement ! Cependant il ne s’agit pas que de la folie mentale, mais aussi de la folie de façon plus générale, avec notamment des questions spirituelles et religieuses. Vers 1500, nous avons des écrits et aussi des œuvres comme la Nef des fous de Jérôme Bosch. C’est un sujet central de la fin du Moyen Age. J’ai bon espoir qu’elle ait lieu.

Cassandre et Flora : En tout cas, nous avons envie de la voir ! Merci beaucoup pour vos réponses !

PYLP : Merci de m’avoir écouté ! Je vous encourage à venir voir les r œuvres au Louvre, dans nos départements !

Cassandre et Flora

Sofiya Pauliac

Mardi 15 mars 2022. 10 :05. La journée débute de la même manière que depuis ces dernières semaines : dès le réveil, je scrute les dernières informations pour savoir ce qui a pu se passer pendant la nuit.
L’Ukraine est mon pays d’origine, ma patrie, la terre que mes ancêtres ont foulé, la terre où les générations se sont succédées, où ma famille vit encore.
Je ne vais pas parler de politique, ni expliquer ce qui peut se passer en ce moment-même à deux mille kilomètres de là d’où j’écris, je ne peux que parler de ma propre expérience et de mon ressenti en tant qu’immigrée ukrainienne en France.
Je suis née en Ukraine et j’ai eu la chance d’y passer mon enfance, j’en garde des souvenirs précieux et très nostalgiques. Je me rappelle des promenades en automne où l’on rassemblait les feuilles mortes pour en faire des bouquets, des balades en luge avec mon grand-père et même de certaines journées de maternelle. Nous avions des goûters assez atypiques : des pâtes au lait ou de la kacha de différentes sortes – bouillie de sarrasin, de millet ou d’avoine ; que l’on appelait « kacha Heraclès » quand on y ajoutait des fruits secs et des noix – que l’on mangeait après la sieste quotidienne. A l’époque, l’heure de la sieste parassait plus de l’ordre de la punition. Une salle pleine de petits lits d’enfants était consacrée à ce temps calme. Mes animatrices étaient très strictes et nous obligeaient a nous endormir dans la position « adéquate » : les deux mains rassemblées – la même position que pour faire une prière – étaient placées sous la joue droite et la position du corps devait suivre. Je m’endormais rarement et je passais surtout l’heure à observer mes camarades qui soient avaient peur d’ouvrir les yeux, soit faisaient les clowns ; une fois, un garçon, Pavlo, avait décidé de se rebeller. Il s’était levé de son lit en sursaut pour essayer de se faufiler par une des petites fenêtres. Inutile de préciser qu’il a finit sa sieste au coin.
Mais je me souviens aussi de la Révolution Orange, des rassemblements dans ma ville les soirs d’hiver où tout le monde portait des écharpes et des drapeaux oranges, levait sa bougie et chantait à tue-tête « Yushchenko tak », une chanson consacrée au futur président, censé remettre le pays dans le droit chemin.
J’ai quitté mon pays peu de temps après avec mes parents, en mars 2005, direction Paris, ils souhaitaient m’offrir plus d’opportunités et un avenir, que je n’aurais pas pu avoir en Ukraine.
Moi je voyais les choses d’une façon plus innocente, je ne voyais pas les difficultés ni les problèmes, je voyais ça comme un long voyage de Kyiv, en passant par l’Autriche et la Pologne pour arriver a Paris. Mon enfance a été remplie de mes souvenirs de l’Ukraine et j’ai rapidement été propulsée sur le devant de la scène au sein du Centre ukrainien de Paris où je chantais des chansons ukrainiennes tous les mercredis. Mon pays ne m’est jamais sorti de l’esprit ni du cœur, dès que j’avais l’occasion d’en parler, je le faisais. Durant ma scolarité, lorsqu’on était amené à faire un exposé je choisissais toujours l’Ukraine et sa culture. En fin de primaire, j’étais même venue en costume traditionnel en proposant des petits gâteaux typiques que ma mère avait passé la veille à préparer.
J’étais en 3e lorsque la guerre a éclaté dans le Donbass, je ne comprenais pas encore très bien les choses et je ne savais pas trop quoi penser, ma famille a toujours été dans les Carpates ce qui fait que je ne minquiétais pas vraiment pour eux. Cependant lorsque je suis revenue pour la première fois – comme tous les étés – depuis le début de la guerre chez moi, les gens étaient différents, quelque chose avait changé dans leur attitude et dans leur perception de l’avenir qui les attendait.
J’ai commencé à poser des questions sensibles à ma famille bien plus tard, et je me suis rapidement rendue compte que j’ignorais beaucoup de choses sur l’histoire de mon pays mais aussi sur l’histoire de ma propre famille. Il y avait beaucoup de non-dits – et pour des raisons bien compréhensibles – comme sur le destin de certains de mes ancêtres, des résistants au régime stalinien qui ont été exécutés pour trahison et en guise de punition, la maison familiale a été rasée et les parents de ceux- ci furent envoyés en Sibérie. Combien d’histoires me reste-t-il encore à découvrir ?
J’ai su assez vite au sujet du Holodomor, le génocide des ukrainiens de 1933 orchestrée par Staline ayant fait plus de 5 millions de morts, mais aussi de la chasse et torture des intellectuels et artistes ukrainiens des années 1960 dans le but d’effacer la culture et la mémoire ukrainienne.

Mais aujourd’hui la situation est différente. Les événements récents m’ont frappé plus forts que les dernières fois. Les émotions diverses que je ressens se contredisent : un mélange de frustration et d’impuissance – de ne rien pouvoir faire d’ici pour l’Ukraine – ,de culpabilité – d’avoir quitté mon pays – ,mais aussi de fierté d’être ukrainienne et de pouvoir compter sur toutes les personnes qui défendent courageusement le territoire chaque jour et qui ne comptent pas s’arrêter de si tôt. Pourtant, j’ai peur, peur de ne pas pouvoir y retourner, ou pire encore; d’y revenir mais de ne plus retrouver la maison de mon enfance dans le même état que j’ai pu la laisser. Serais-je capable de reconnaitre ces lieux ? Ces gens ? Est-ce que l’air sera le même ? et les montagnes ? les rivières ?
Malgré tous ces sentiments, j’entends ces derniers jours mon pays qui m’appelle de plus en plus fort, qui ne m’abandonnnera pas et que je n’abandonnerais pas non plus : « Chante mes chansons, apprends mes histoires, lis mes poèmes, danse quand tu entends ma mélodie mais ne me pleure pas ».
Une Table-ronde sera organisée à l’Ecole le mardi 29 mars et consistera en une présentation de l’histoire, archéologie et traditions ukrainiennes, suivie d’un débat et se finira par une approche musicale ainsi qu’une petite exposition. Venez nombreux, votre présence est déjà une lutte contre l’oubli.

Sofiya Pauliac

Quel avatar du dieu Vishnou êtes-vous ?

À quel incroyable style vestimentaire peut-on te reconnaître en amphi ?

⭐️Un goût prononcé pour les plumes de volatiles et pour tout ce qui brille.
❤️À ta sublime paire de bottes, pour courir rejoindre ta place lorsque tu es en retard.
💣Du bien moulant, pour que se devine ton incroyable anatomie maniériste.
🔶Un peu chic et seyant, toujours avec une pointe de parfum derrière les oreilles.
🏳️Un peu ténébreux, pour cacher ton tendre petit cœur de poète.
❌Tu ne comptes pas le révéler car tu es toujours en avance d’une tendance…

Quand tu n’es pas en cours à l’école ou au musée :

⭐️Tu sors beaucoup avec tes amis (cinéma, restaurants, fêtes) même si tu devrais travailler.
❤️Tu te changes les idées en allant à la salle de sport ou en allant courir.
❌Une bonne série Netflix ou un jeu vidéo, un canapé confortable, ta nourriture préférée : que demander de plus ?
💣Tu organises des temps de travail en groupe pour être plus efficace.
🏳️Tu as un petit boulot pour payer tes factures et gagner en indépendance.
🔶Tu t’es inscrit(e) à des associations caritatives. Tu as des contraintes à respecter, toi.

Quel est ton mets préféré ?

🔶Du healthy, du fait maison, du gastronomique qui fait orgasmer les papilles.
❌N’importe quoi d’assez instagrammable pour mériter une photo.
💣Les légumes de cette bonne vieille Terre-mère.
❤️La soupe, pour devenir (encore plus) grand et fort.
🏳️Le professeur d’HGA qui t’a volé quinze minutes de ta pause déjeuner.
⭐️Le kebab, les sushis, le tacos cordon bleu, n’importe quoi qui se mange avec les mains… et entre potes.

La bibliothèque de l’école rouvre enfin :

❤️Bof. Tu t’en es passé toute l’année et tu as trouvé de nouvelles solutions pour t’adapter rapidement.
💣Tu t’y rends dès que tu peux, si possible à la première heure !
🏳️Tu ne peux pas y rester assis plus de deux minutes, ça énerve tout le monde mais tu viens quand même le faire.
❌Tu as encore du temps avant de devoir étudier la bibliographie. Les examens ne sont que dans deux mois…
🔶Prudent(e), tu réserves tes livres à l’avance sur Pléiades avant qu’ils ne soient couverts des miasmes du commun des mortels.
⭐️Tu empruntes tous les Arts de l’Inde de Anne Marie Loth pour faire flipper tes amis qui le voulaient aussi.

Quel est ton type de boisson préféré non alcoolisé :

💣Le chocolat chaud (si possible viennois…)
🔶Le thé. (avec un nuage de lait s’il vous plaît)
❤️Le café. (et plusieurs pour tenir toute la journée s’il vous plaît !)
⭐️Un soda, frais et pétillant.
🏳️Une bonne boisson énergétique, du type Red Bull, pour tenir les cours d’histoire des collections !
❌Un smoothie du turfu, avec les ingrédients les plus improbables !

En cours de TDO tu es plutôt du genre :

🏳️À poser des questions tout le temps (tu repères toutes les contradictions des artistes et des œuvres)
❤️À arriver toujours en avance car tu connais tous les raccourcis du musée (et avec ton petit tabouret bien pratique !).
💣À envoyer ton cours et tes notes dès que tes collègues en ont besoin.
⭐️À créer le groupe WhatsApp dès le début de l’année et à connaître tous les prénoms le premier.
🔶À effectuer le contact avec les chargés de TDO ou l’administration car tu es celui qui s’exprime le mieux.
❌À toujours prendre tes cours sur tablette, ordinateur ou téléphone (malgré les recommandations de Mme Lhoyer !).

Si tout était permis dans les musées tu…

💣Volerais cette statue si mal exposée que tu adores.
🏳️Taillerais en pièces l’impudent visiteur qui ose poser son doigt sur une œuvre.
❤️Camperais dans le Louvre.
🔶Déclarerais des poèmes aux visiteurs, aux arbres et aux cimaises.
⭐️Ferais un truc bien insolent au motif que c’est une performance artistique moderne.
❌Mais tout sera permis quand tu seras le directeur du Louvre.

Résultats :
(En cas d’égalité, référez-vous en bas de page)

💣Tu es Vishnou Varaha, le sanglier :
Tu es la personne de la situation, qui sait déployer son élégant mufle en toute occasion utile. Toujours là pour jucher sur ton épaule la Déesse-Terre (ou tes potes bourrés, ça arrive aussi), tu restes toujours lucide. Tout le monde reconnaît ton incroyable capacité d’initiative et de résistance à toute épreuve. Tes capacités aquatiques sont également hautement appréciées lorsqu’il s’agit de repêcher un camarade au moral un peu en berne. Le sérieux de ton organisation et de ta musculature nous sont quotidiennement d’un grand secours. Continue comme ça (et n’oublie pas d’essuyer ces restes de chocolat viennois de tes jolies défenses).

🏳️Tu es Vishnou Narasimha, l’homme-lion :
Un petit démon du style cartel manquant, livre indisponible, salle de TDO fermée ? Te voilà prêt à l’étriper. Impulsif, ton côté justicier peut vite s’enflammer et tu défends bec et ongle les causes qui te tiennent à cœur. Tu es parfois la maman de tes petits camarades dans le fond, une vraie shakti. Enfin, on te dit facilement susceptible, mais la vérité, c’est que sans toi, il manquerait un peu d’animation en amphi. On entend ta voix porter sur plusieurs rangs et tout le monde sait que ce n’est pas Brahma qui récite les Veda…

🔶Tu es Rama, le noble prince hindou avatar de Vishnou :
Tu es une personne distinguée, charmante mais parfois un peu distante. Le raffinement est ton art de vivre et tu te complais à cultiver ta différence par rapport au commun des mortels. Cependant lorsque tes intérêts ou ceux de tes proches sont menacés, tu n’hésites pas à détruire quelques démons et à jouer à l’Indiana Jones. Hanuman t’envoie des bisous !

⭐️Tu es Krishna, l’enfant-Vishnou qui ne sait pas arrêter son char :
Tu jongles entre un côté facétieux et imprudent, désirant vivre ta vie de jeune adulte pleinement, et un besoin de grandir et de t’assagir car tu sens ton côté divin te rappeler à l’ordre. Mais pour l’heure, à l’école, tu fais des bêtises. Avec le temps et tes diplômes en poche, tu découvriras enfin ton plein potentiel d’individu brillant et tu pourras enfin conduire ton char dans la direction la plus noble (mais passe quand même ton permis avant).

❤️Tu es Vamana, le Vishnou nain aux bottes de sept lieues :
Sous des aspects parfois chétifs, tu caches bien ton jeu. Sitôt ton pacte avec le démon Bali passé, tu te transformes en une personne dynamique, résistante et surtout rusée. Plus adaptable qu’une armoire Ikea, tu trouves toujours une solution de sortie, même pour les dissertations en trois parties. Enfin pour contrer les grèves de métro, c’est toi qu’il nous faut ! Le souffle divin t’anime dès qu’il s’agit de parcourir Paris.

Tu es Kalkî, le Vishnou du turfu :
Chill et sans prise de tête, tu ne te préoccupes pas du futur, allongé sur ton pouf Ananta. Pourtant, tu es notre prophète visionnaire dans de nombreux domaines ! Tu laisses la vie couler sur toi comme l’Océan originel en attendant de t’éveiller pleinement à ton potentiel divin. Il est difficile de te cerner mais nous sentons déjà ton originalité rayonner. Tu es promu à de grandes choses, #leretourdevishnou

En cas d’égalité :
Si vous ne vous retrouvez pas dans les avatars de Vishnou, c’est peut-être qu’un Shiva se cache en vous… Seriez-vous Harihara, une rareté des plus originales ?

Marie et Cassandre, vos dévoués Vishnou et Shiva… .

 

Interview Junior entreprise

École du Louvre Junior Conseil a cette année encore réalisé une mission en collaboration avec le Club international pour participer à l’accueil des élèves internationaux de l’École ! La mission comprenait trois médiations : une visite des chefs-d’œuvre méconnus du Louvre, une visite des quartiers du Louvre et du Marais et une visite « jeu de piste » du quartier Latin à destination des élèves internationaux de l’École du Louvre. Les objectifs de cette mission étaient de faire découvrir la culture française aux élèves internationaux, de faciliter leur intégration et de les guider dans leur nouveau cadre de vie.

            Nous avons rencontré Lucie, qui a activement participé à la mise en place de cette mission. Chef de projet au pôle Commercial de la Junior Entreprise et élève en troisième année de premier cycle en spécialité arts du XIXe siècle, elle est entrée cette année à l’école du Louvre par équivalence, après deux années de prépa. Nous lui avons demandé de présenter la Junior Entreprise pour ceux et celles qui ne la connaîtraient pas, puis de nous expliquer plus en détails cette mission.

Flora : Est-ce tu pourrais nous présenter la Junior-Entreprise pour ceux et celles qui ne la connaîtraient pas ? Nous expliquer de quoi il s’agit et quelles sont ses missions ?

Lucie : La Junior-Entreprise est, globalement, une entreprise gérée par des étudiants et pour des étudiants et à vocation non lucrative. Notre but est de nous professionnaliser, que ce soit de la part des membres actifs, comme moi par exemple, en gérant la structure à un poste précis sur une année entière de novembre à novembre de l’année suivante ou de la part des intervenants ou adhérents. Il s’agit de n’importe quel élève de l’école qui peut postuler à nos missions (médiation, rédaction etc.). Ils sont rétribués pour leur mission. Nous travaillons avec beaucoup de types de structures différentes, comme le musée du Louvre ou du Jeu de Paume, Chanel… mais aussi avec des plus petites structures ou musées…

Flora : Quel est ton rôle au sein de la Junior-Entreprise ?

Lucie : Au sein de la Junior-Entreprise, il y a plusieurs pôles comme le pôle prospection qui va à la rencontre des potentiels clients. Moi, je suis dans le pôle commercial, cheffe de projet. Dans le pôle commercial, il y a 8 membres en tout. Il y a 2 co-responsables et 6 cheffes de projet. Le rôle de la cheffe de projet est de vérifier le bon déroulement d’une mission, de sa conception à sa clôture. On se charge de recruter, de former les intervenants à la mission. On va faire le suivi client, vérifier que tout est bon de son côté, mais également du côté de l’intervenant, pour lui transmettre les informations.

Flora : Tu as fait partie de ce projet entre la Junior-Entreprise et le Club International. Est-ce que tu pourrais nous en dire un peu plus ?

Lucie : J’ai récupéré la mission en cours de route, en fait une première mission similaire avait été faite en juin l’année dernière et elle a été reconduite cette année entre décembre et janvier. Je gérais le bon fonctionnement de la mission. Il s’agissait de faire des visites : il y en a eu une sur la visite du quartier du Louvre et du Marais, une autre sur les chefs d’œuvres inconnus du Louvre ou encore un jeu de piste dans le Marais. On a eu pas mal de soucis avec cette mission car très peu d’étudiants du Club International y ont répondu. Finalement on a décidé d’étendre le public non plus seulement au Club International mais à toute les élèves de l’école qui voulaient y participer. Les intervenants qui sont des élèves de l’école ont du coup dû réadapter le propos parce qu’à l’origine, leurs médiations étaient faites pour des étudiants qui ne connaissent pas Paris, mais finalement, on apprend toujours des choses sur Paris et donc ça a quand même été très intéressant même avec un public différent.

Flora : Est-ce que tu penses que ce projet a quand même pu aider, même s’il y a eu peu de participants ?

Lucie : Je pense que oui, on a eu quelques retours d’élèves internationaux qui ont beaucoup aimé et même pour les élèves ne faisant pas partie du Club International et qui ont trouvé la visite très sympa, cela leur a permis de décompresser un peu du travail, qui peut nous submerger parfois. La mission d‘origine n’a pas été complètement réalisée mais finalement on a pu faire quelque chose de bien et le mener à terme.

Flora : Est-ce que tu sais si ce projet sera reconduit ?

Lucie : Je pense qu’il sera reconduit parce que la personne de l’administration du Club International avec qui j’étais en relation avait l’air aussi attristée que moi que ça ne fonctionne pas aussi bien. Mais on s’est dit que le fait que ça se tienne en décembre-janvier en plein covid n’était pas idéal ; il y a beaucoup de personnes qui n’osaient pas venir et aussi à cause du froid. On va donc essayer de reconduire ça sur une période plus estivale, comme en juin l’année dernière, où ça avait mieux fonctionné.

Flora : Est-ce qu’il y a des nouveaux projets qui sont en train d’être préparé par la Junior-Entreprise et tes projets à toi au sein de la Junior-Entreprise?

Lucie : C’est vrai qu’on est constamment en train de faire des missions, notamment avec des musées. En ce moment, l’une des cheffes de projets réalise une mission avec l’École du Louvre qui consiste en une série de podcasts avec Claire Barbillon, l’architecte de la nouvelle bibliothèque et d’autres, qui seront diffusés pour l’inauguration de la bibliothèque.

Flora : Est-ce que tu aurais quelque chose d’autre à ajouter ?

Lucie : Pour la Junior, n’hésitez pas à vous renseignez sur nous et à candidater à nos missions. On ne peut pas toujours accepter tout le monde, mais si on n’a pas pu retenir un profil qui nous intéressait quand même, on peut parfois le recontacter pour d’autres missions similaires. On propose beaucoup de missions et vous trouverez peut-être celle qui vous correspond ! On accepte tous les profils, de la première à la dernière année d’études à l’école. Cela dépend des missions, on le mentionne dans l’annonce. En ce moment, on a une offre de mission en rapport avec les fleurs, il suffit de bien aimer les fleurs, d’être sérieux et motivé. La motivation des candidats compte beaucoup dans notre choix, il ne faut pas hésiter à nous envoyer des messages ! Merci beaucoup !

Ensuite, nous avons interviewé Mara, 27 ans, c’est une élève originaire du Brésil en première année de premier cycle en spécialité Art contemporain. Elle est à Paris depuis l’année 2020-2021 et a participé à la médiation proposée par la Junior-Entreprise en partenariat avec le Club International de l’École. Nous lui avons demandé de partager son expérience.

            « Il s’agissait d’intégrer les élèves étrangers, l’objectif principal était de connaître la ville et le musée du Louvre et d’avoir la perspective des personnes qui les connaissent bien.

La première activité consistait en une visite des quartiers du Louvre. L’intervenante donnait des informations amusantes sur la rue où l’on se trouvait, cela permettait de nous situer dans un contexte, d’en savoir plus sur l’histoire de Paris, et de regarder les choses autour de nous avec autre regard. En tant qu’étudiante internationale, connaître plus amplement les lieux de notre quotidien, avoir les références des personnes qui vivent ici depuis longtemps me fait me se sentir plus intégrée et facilite les interactions avec les autres élèves.

J’ai adoré cette partie, si c’était à refaire, je le referai sans hésiter, l’intervenante était parfaite ! J’ai pu visiter des choses que je ne connaissais pas et ça ressemblait à une promenade entre amis donc c’était très agréable. Les dates ont seulement été annoncées un peu trop tard, les élèves internationaux en master n’ont pas pu participer car c’était leur semaine d’examens.

La seconde partie était une visite guidée au Louvre axée sur ses «chefs-d’œuvre méconnus». On a ainsi pu découvrir des salles que je ne connaissais pas, et des objets tout petits auxquels on ne fait pas forcément attention. Cette visite avait aussi et surtout pour objectif de nous aider à nous repérer dans le Louvre car il y a énormément de salles. L’ intervenant a également introduit la question de la muséographie. Ça m’a beaucoup aidé à avoir des repères et ça nous introduisait aussi à ce que l’on étudie au coursde notre formation à l’École.

            Je n’ai malheureusement pas pu participer à la troisième activité, qui consistait en un jeu de piste dans le quartier latin. Ça avait l’air très ludique et très intéressant.

Leïla : « En tant qu’étudiante internationale, quel genre d’évènement aimerais tu voir à l’avenir dans la collaborations de la Junior-Entreprise avec le Club International ou avec des étudiants internationaux ? »

Mara : « Je pense qu’il serait aussi intéressant d’avoir une petite journée multiculturelle où les élèves peuvent apporter un échantillon de la production artistique ou culinaire de leur pays ! Un peu comme une galerie ou un petit marché avec des stands et des représentants pour chaque pays ou culture. Ça permettrait de découvrir le point de vue des élèves et les artistes de leur pays d’origine qui sont peu connus à l’international. On pourrait aussi intégrer les élèves en Erasmus. »

Leïla Somaï, chargée évènementiel d’École du Louvre Junior Conseil
Flora, co-présidente du Louvr’Boite

Catabase

Mesdames, Messieurs. Merci d’avoir pris place à bord de la barque Charon n°3654 en provenance de la Terre et à destination des Enfers. La barque sera sans arrêt jusqu’aux Enfers. Pour votre sécurité, nous vous prions de bien vouloir vous éloigner des chiens mutants, boîtes suspectes et de ne pas vous retourner. Nous vous souhaitons un excellent voyage !

Homère, Odyssée, chant XI : « Le vaisseau arrivait au bout de la terre, au cours profond de l’Océan. Là sont le pays et la ville des Cimmériens, couverts de brumes et de nuées ; jamais le soleil, pendant qu’il brille, ne les visite de ses rayons, ni quand il les retourne du ciel vers la terre ; une nuit maudite est étendue sur ces misérables mortels. »

Quelle drôle d’idée de s’être embarqué dans une telle pérégrination ! Surtout que limbes, ce n’est pas la Côte d’Azur ! C’est PIRE que la Bretagne diraient certains, sauf qu’il n’y pleut pas. Les limbes portent bien leur nom si l’on s’en tient à leur étymologie latine – limbus, qui signifie « bordure », « lisière », « frontière ». On y trouve les portes des Enfers, rigoureusement cartographiées aujourd’hui et bien connues des guides touristiques : le gouffre de Padirac, la grotte Plutonium, le cratère de Darvaza, le Mont Fengdu, les volcans (dont le Masaya et le Hekla), les grottes jumelles en Palestine, le lac Averne… Faites votre choix, il y en a sur tous les continents. Attention cependant de ne pas chopper une cochonnerie au passage, car il y a en plein qui se tapissent à l’entrée des Enfers dans l’espoir de sauter sur le premier vivant un peu naïf qui s’aventure dans le coin.

Virgile, Enéide, livre XI : « Dans le vestibule même, à l’entrée des gorges de l’Orcus, le Deuil et les Remords vengeurs ont fait leur lit ; là habitent les pâles Maladies, et la triste vieillesse, et la Crainte, et la Faim mauvaise conseillère, et la hideuse Pauvreté, formes terribles à voir, et la Mort, et la Souffrance ; puis, le Sommeil, frère de la Mort, et les Joies mauvaises de l’esprit, et, sur le seuil en face, la Guerre meurtrière, et les chambres de fer des Euménides, et la Discorde insensée, avec sa chevelure de vipères nouée de bandelettes sanglantes. Au milieu, un ormeau opaque, énorme, déploie ses rameaux et ses branches séculaires, demeure, dit-on, que hantent communément les vains Songes, fixés sous toutes les feuilles. En outre, mille fantômes monstrueux de bêtes sauvages variées s’y rencontrent : les Centaures, à l’écurie devant les portes, et les Scylles biformes, et Briarée aux cent bras, et le monstre de Lerne poussant des sifflements horribles, et la Chimère armée de flammes, et les Gorgones, et les Harpies, et la forme de l’Ombre au triple corps. »

Vous connaissez peut-être l’inscription latine « Cave canem », qui ornait de nombreux vestibules romains. Eh bien rien de nouveau sous le soleil et sous terre : faites attention au toutou de messire Pluton et de damoiselle Perséphone. C’est comme lorsque l’on se promène dans un quartier et que tous les clébards du quartier se jettent sur le grillage en hurlant, manquant au passage de nous causer une crise cardiaque car l’on n’était pas prévenus de leurs intentions. Eh bien là, mieux vaut avoir prévu le coup si l’on se fie à Dante.

Dante, La Divine Comédie, Chant IV :

« Je suis au troisième cercle de la pluie éternelle, maudite, froide, pesante : toujours la même, toujours elle tombe également. Des averses de forte grêle, et d’eau noire, et de neige, traversent l’air ténébreux ; fétide est la terre qui les reçoit. Cerbère, bête cruelle et de forme monstrueuse, avec trois gueules aboie contre ceux qui sont là submergés. Il a les yeux rouges, la barbe grasse et noire, le ventre large, les mains armées de griffes : il déchire les esprits, les écorche, et les dépèce. »

Petits conseils : méfiez-vous de vos fréquentations là-bas, vous pourriez tomber sur des petits délinquants du genre d’Hercule qui tue les pauvres vaches de Pluton pour le fun et qui sème la zizanie en se fightant avec tout ce qui bouge (Apollodore, Bibliothèque, II, 5). Pensez aussi à bien réserver votre billet à l’avance et à ne pas oublier une petite obole pour que le nocher vous prenne en VIP.

Enéide livre XI : « De là part une route qui mène aux ondes de l’Achéron du Tartare […]. Là toute une foule se ruait à flots pressés sur la rive : mères, époux, héros magnanimes […], enfants […] ; aussi nombreux que les feuilles qui tournoient et tombent dans les bois au premier froid de l’automne […]. Dressés, ils demandaient tous à passer les premiers, et tendaient les mains dans leur avidité d’atteindre l’autre rive. Mais le triste nocher prend tantôt ceux-ci, tantôt ceux-là, et repousse loin du rivage ceux qu’il a écartés. »

            Se pose maintenant la question du guide. Si vous êtes déjà mort, nous vous conseillons d’éviter absolument un certain Orphée qui, malgré toutes ses promesses, ne parviendra pas à vous faire sortir de l’antre infernale (c’est un gros arnaqueur, ne vous faites surtout pas avoir). En revanche, notre ami Gautier vous conseille une certaine vierge, peu causante, mais belle comme peut l’être une morte – à vous de juger si les deux sont compatibles.

La Comédie de la mort (Gautier) :

« Pour guide nous avons une vierge au teint pâle

Qui jamais ne reçut le baiser d’or du hâle

Des lèvres du soleil.

Sa joue est sans couleur et sa bouche bleuâtre,

Le bouton de sa gorge est blanc comme l’albâtre,

Au lieu d’être vermeil.

Un souffle fait plier sa taille délicate ;

Ses bras, plus transparents que le jaspe ou l’agate,

Pendent languissamment ;

Sa main laisse échapper une fleur qui se fane,

Et, ployée à son dos, son aile diaphane

Reste sans mouvement.

Plus sombres que la nuit, plus fixes que la pierre,

Sous leur sourcil d’ébène et leur longue paupière

Luisent ses deux grands yeux,

Comme l’eau du Léthé qui va muette et noire,

Ses cheveux débordés baignent sa chair d’ivoire

À flots silencieux. […]

Nous marchons en suivant la spirale terrible

Vers le but inconnu,

Par un enfer visant sans caverne ni gouffre,

Sans bitume enflammé, sans mers aux flots de soufre,

Sans Belzébuth cornu. »

               Bon, on va pas se le cacher, accomplir tout un voyage, franchir mille et mille obstacles, tout ça c’est bien beau, mais pas très rapide. Comme le temps, c’est de l’argent, et que business is business, Rimbaud nous a trouvé un jet privé. Même pas besoin de marcher pendant des jours et des jours, naviguer, dompter des toutous méchants et même pas beaux, il suffit juste de boire un peu de la « liqueur non surtaxée de Satan ». Le seul inconvénient, c’est que ça secoue un peu et que ça tue (mais ça, ça relève du détail).

Rimbaud, Une Saison en enfer, “Nuit de l’Enfer” :

« J’ai avalé une fameuse gorgée de poison. – Trois fois béni soit le conseil qui m’est arrivé ! – Les entrailles me brûlent. La violence du venin tord mes membres, me rend difforme, me terrasse. Je meurs de soif, j’étouffe, je ne puis crier. C’est l’enfer, l’éternelle peine ! […] Je me crois en enfer, donc j’y suis. […] Ah ça ! l’horloge de la vie s’est arrêtée tout à l’heure. Je ne suis plus au monde. – La théologie est sérieuse, l’enfer est certainement en bas, – et le ciel en haut. -Extase, cauchemar, sommeil dans un nid de flammes. »

Mais finalement, pourquoi descendre si bas ? Pourquoi est-ce qu’on s’embête comme ça pour trouver le meilleur moyen de rejoindre les Enfers ? Les Enfers, on les trouve aussi sur Terre. Il suffit de partager la vie des gens qui n’ont rien sauf la vie et qui la risquent pour gagner de quoi subsister. C’est ce qu’expérimente Etienne Lantier dans une mine au XIXe siècle. 

Zola, Germinal : « En bas, ils se trouvèrent seuls. Des étoiles rouges disparaissaient au loin, à un coude de la galerie. Leur gaieté tomba, ils se mirent en marche d’un pas lourd de fatigue, elle devant, lui derrière. Les lampes charbonnaient, il la voyait à peine, noyée d’une sorte de brouillard fumeux. […] Maintenant, autour d’eux, la vie souterraine grondait, avec le continuel passage des porions, le va-et-vient des trains, emportés au trot des chevaux. […] Ils devaient s’effacer contre la roche, laisser la voie à des ombres d’hommes et de bêtes, dont ils recevaient l’haleine au visage. Jeanlin, courant pieds nus derrière son train, leur cria une méchanceté qu’ils n’entendirent pas, dans le tonnerre des roues. Ils allaient toujours, elle silencieuse à présent, lui ne reconnaissant pas les carrefours ni les rues du matin, s’imaginant qu’elle le perdait de plus en plus sous la terre ; et ce dont il souffrait surtout, c’était du froid, un froid grandissant qui l’avait pris au sortir de la taille, et qui le faisait grelotter davantage, à mesure qu’il se rapprochait du puits. »

Peut-être qu’en fin de compte, l’enfer n’est pas un barbecue immense où les damnés se font griller juste à point par des petites créatures au regard vicieux. Peut-être que c’est juste un hiver sans fin, une solitude impénétrable. Ça a des airs de ressemblance avec la Terre, c’est pas si exotique comme destination… On testera le Paradis une prochaine fois.

Blandine

Catabase

Mesdames, Messieurs. Merci d’avoir pris place à bord de la barque Charon n°3654 en provenance de la Terre et à destination des Enfers. La barque sera sans arrêt jusqu’aux Enfers. Pour votre sécurité, nous vous prions de bien vouloir vous éloigner des chiens mutants, boîtes suspectes et de ne pas vous retourner. Nous vous souhaitons un excellent voyage !

Homère, Odyssée, chant XI : « Le vaisseau arrivait au bout de la terre, au cours profond de l’Océan. Là sont le pays et la ville des Cimmériens, couverts de brumes et de nuées ; jamais le soleil, pendant qu’il brille, ne les visite de ses rayons, ni quand il les retourne du ciel vers la terre ; une nuit maudite est étendue sur ces misérables mortels. »

Quelle drôle d’idée de s’être embarqué dans une telle pérégrination ! Surtout que limbes, ce n’est pas la Côte d’Azur ! C’est PIRE que la Bretagne diraient certains, sauf qu’il n’y pleut pas. Les limbes portent bien leur nom si l’on s’en tient à leur étymologie latine – limbus, qui signifie « bordure », « lisière », « frontière ». On y trouve les portes des Enfers, rigoureusement cartographiées aujourd’hui et bien connues des guides touristiques : le gouffre de Padirac, la grotte Plutonium, le cratère de Darvaza, le Mont Fengdu, les volcans (dont le Masaya et le Hekla), les grottes jumelles en Palestine, le lac Averne… Faites votre choix, il y en a sur tous les continents. Attention cependant de ne pas chopper une cochonnerie au passage, car il y a en plein qui se tapissent à l’entrée des Enfers dans l’espoir de sauter sur le premier vivant un peu naïf qui s’aventure dans le coin.

Virgile, Enéide, livre XI : « Dans le vestibule même, à l’entrée des gorges de l’Orcus, le Deuil et les Remords vengeurs ont fait leur lit ; là habitent les pâles Maladies, et la triste vieillesse, et la Crainte, et la Faim mauvaise conseillère, et la hideuse Pauvreté, formes terribles à voir, et la Mort, et la Souffrance ; puis, le Sommeil, frère de la Mort, et les Joies mauvaises de l’esprit, et, sur le seuil en face, la Guerre meurtrière, et les chambres de fer des Euménides, et la Discorde insensée, avec sa chevelure de vipères nouée de bandelettes sanglantes. Au milieu, un ormeau opaque, énorme, déploie ses rameaux et ses branches séculaires, demeure, dit-on, que hantent communément les vains Songes, fixés sous toutes les feuilles. En outre, mille fantômes monstrueux de bêtes sauvages variées s’y rencontrent : les Centaures, à l’écurie devant les portes, et les Scylles biformes, et Briarée aux cent bras, et le monstre de Lerne poussant des sifflements horribles, et la Chimère armée de flammes, et les Gorgones, et les Harpies, et la forme de l’Ombre au triple corps. »

Vous connaissez peut-être l’inscription latine « Cave canem », qui ornait de nombreux vestibules romains. Eh bien rien de nouveau sous le soleil et sous terre : faites attention au toutou de messire Pluton et de damoiselle Perséphone. C’est comme lorsque l’on se promène dans un quartier et que tous les clébards du quartier se jettent sur le grillage en hurlant, manquant au passage de nous causer une crise cardiaque car l’on n’était pas prévenus de leurs intentions. Eh bien là, mieux vaut avoir prévu le coup si l’on se fie à Dante.

Dante, La Divine Comédie, Chant IV :

« Je suis au troisième cercle de la pluie éternelle, maudite, froide, pesante : toujours la même, toujours elle tombe également. Des averses de forte grêle, et d’eau noire, et de neige, traversent l’air ténébreux ; fétide est la terre qui les reçoit. Cerbère, bête cruelle et de forme monstrueuse, avec trois gueules aboie contre ceux qui sont là submergés. Il a les yeux rouges, la barbe grasse et noire, le ventre large, les mains armées de griffes : il déchire les esprits, les écorche, et les dépèce. »

Petits conseils : méfiez-vous de vos fréquentations là-bas, vous pourriez tomber sur des petits délinquants du genre d’Hercule qui tue les pauvres vaches de Pluton pour le fun et qui sème la zizanie en se fightant avec tout ce qui bouge (Apollodore, Bibliothèque, II, 5). Pensez aussi à bien réserver votre billet à l’avance et à ne pas oublier une petite obole pour que le nocher vous prenne en VIP.

Enéide livre XI : « De là part une route qui mène aux ondes de l’Achéron du Tartare […]. Là toute une foule se ruait à flots pressés sur la rive : mères, époux, héros magnanimes […], enfants […] ; aussi nombreux que les feuilles qui tournoient et tombent dans les bois au premier froid de l’automne […]. Dressés, ils demandaient tous à passer les premiers, et tendaient les mains dans leur avidité d’atteindre l’autre rive. Mais le triste nocher prend tantôt ceux-ci, tantôt ceux-là, et repousse loin du rivage ceux qu’il a écartés. »

            Se pose maintenant la question du guide. Si vous êtes déjà mort, nous vous conseillons d’éviter absolument un certain Orphée qui, malgré toutes ses promesses, ne parviendra pas à vous faire sortir de l’antre infernale (c’est un gros arnaqueur, ne vous faites surtout pas avoir). En revanche, notre ami Gautier vous conseille une certaine vierge, peu causante, mais belle comme peut l’être une morte – à vous de juger si les deux sont compatibles.

La Comédie de la mort (Gautier) :

« Pour guide nous avons une vierge au teint pâle
Qui jamais ne reçut le baiser d’or du hâle
Des lèvres du soleil.
Sa joue est sans couleur et sa bouche bleuâtre,
Le bouton de sa gorge est blanc comme l’albâtre,
Au lieu d’être vermeil.

Un souffle fait plier sa taille délicate ;
Ses bras, plus transparents que le jaspe ou l’agate,
Pendent languissamment ;
Sa main laisse échapper une fleur qui se fane,
Et, ployée à son dos, son aile diaphane
Reste sans mouvement. /

Plus sombres que la nuit, plus fixes que la pierre,
Sous leur sourcil d’ébène et leur longue paupière
Luisent ses deux grands yeux,
Comme l’eau du Léthé qui va muette et noire,
Ses cheveux débordés baignent sa chair d’ivoire
À flots silencieux. […]

Nous marchons en suivant la spirale terrible
Vers le but inconnu,
Par un enfer visant sans caverne ni gouffre,
Sans bitume enflammé, sans mers aux flots de soufre,
Sans Belzébuth cornu. »

               Bon, on va pas se le cacher, accomplir tout un voyage, franchir mille et mille obstacles, tout ça c’est bien beau, mais pas très rapide. Comme le temps, c’est de l’argent, et que business is business, Rimbaud nous a trouvé un jet privé. Même pas besoin de marcher pendant des jours et des jours, naviguer, dompter des toutous méchants et même pas beaux, il suffit juste de boire un peu de la « liqueur non surtaxée de Satan ». Le seul inconvénient, c’est que ça secoue un peu et que ça tue (mais ça, ça relève du détail).

Rimbaud, Une Saison en enfer, “Nuit de l’Enfer” :

« J’ai avalé une fameuse gorgée de poison. – Trois fois béni soit le conseil qui m’est arrivé ! – Les entrailles me brûlent. La violence du venin tord mes membres, me rend difforme, me terrasse. Je meurs de soif, j’étouffe, je ne puis crier. C’est l’enfer, l’éternelle peine ! […] Je me crois en enfer, donc j’y suis. […] Ah ça ! l’horloge de la vie s’est arrêtée tout à l’heure. Je ne suis plus au monde. – La théologie est sérieuse, l’enfer est certainement en bas, – et le ciel en haut. -Extase, cauchemar, sommeil dans un nid de flammes. »

Mais finalement, pourquoi descendre si bas ? Pourquoi est-ce qu’on s’embête comme ça pour trouver le meilleur moyen de rejoindre les Enfers ? Les Enfers, on les trouve aussi sur Terre. Il suffit de partager la vie des gens qui n’ont rien sauf la vie et qui la risquent pour gagner de quoi subsister. C’est ce qu’expérimente Etienne Lantier dans une mine au XIXe siècle.

Zola, Germinal : « En bas, ils se trouvèrent seuls. Des étoiles rouges disparaissaient au loin, à un coude de la galerie. Leur gaieté tomba, ils se mirent en marche d’un pas lourd de fatigue, elle devant, lui derrière. Les lampes charbonnaient, il la voyait à peine, noyée d’une sorte de brouillard fumeux. […] Maintenant, autour d’eux, la vie souterraine grondait, avec le continuel passage des porions, le va-et-vient des trains, emportés au trot des chevaux. […] Ils devaient s’effacer contre la roche, laisser la voie à des ombres d’hommes et de bêtes, dont ils recevaient l’haleine au visage. Jeanlin, courant pieds nus derrière son train, leur cria une méchanceté qu’ils n’entendirent pas, dans le tonnerre des roues. Ils allaient toujours, elle silencieuse à présent, lui ne reconnaissant pas les carrefours ni les rues du matin, s’imaginant qu’elle le perdait de plus en plus sous la terre ; et ce dont il souffrait surtout, c’était du froid, un froid grandissant qui l’avait pris au sortir de la taille, et qui le faisait grelotter davantage, à mesure qu’il se rapprochait du puits. »

                Peut-être qu’en fin de compte, l’enfer n’est pas un barbecue immense où les damnés se font griller juste à point par des petites créatures au regard vicieux. Peut-être que c’est juste un hiver sans fin, une solitude impénétrable. Ça a des airs de ressemblance avec la Terre, c’est pas si exotique comme destination… On testera le Paradis une prochaine fois.

Blandine

Horreur! Le Temps donne des rides

Pour aller du point A (naissance), au point B (mort), à quel unique vecteur ai-je recours? 

La réponse est dans le titre: le vecteur Temps. 

    Je vous propose, chèr.e.s lecteur.rice.s, une réflexion sur ce sujet qui suscite angoisse et rejet dans ce qu’il implique pour nous, humbles mortels: la vieillesse.

    C’est ce raccourci tout à fait juste qui provoque un certain malaise dans notre relation au temps. C’est une notion abstraite, et pourtant si mathématique. Elle nous frustre et nous fait peur. Le temps se ressent, mais ne s’explique pas. Le temps se traverse, ne se soumet pas. Contrairement à la dimension physique dans laquelle nous pouvons évoluer aisément, nous sommes victimes du courant linéaire que représente le temps. Et pour une espèce qui a un peu trop tendance à tout vouloir maîtriser, on comprend pourquoi le temps représente une telle angoisse. Expérience commune à tous les êtres, on craint le temps à juste titre: chacun d’entre nous sait que le sien est compté, sans jamais savoir combien il lui en reste.

    Alors on tente l’impossible, on tente de nager à contre-courant, de repousser la vieillesse hors de notre vue, en se disant qu’ainsi, peut-être la mort elle-même se tiendra à distance. Corriger les rides, dissimuler les cicatrices. Conserver un corps parfait, le plus longtemps possible. Garder à tout prix le contrôle de l’âge. 

    Et parce que le temps qui passe conduit à notre décrépitude, à la perte de vitalité, et à notre mort, il met ainsi en exergue le caractère éphémère et précaire de l’être humain, aussi bien à l’échelle des civilisations et des idées, qu’à l’échelle individuelle et familiale. Et le temps qui suit la mort est pire encore, car sur ses ailes incommensurables il emporte tout souvenir et toute trace de notre existence. L’oubli introduit par le temps est Règle Absolue. Et pour une espèce aussi fière que la nôtre, voir que malgré tous nos efforts pour exister et laisser un héritage, le temps finit par nous effacer naturellement, ça fait mal à l’ego. 

    Mais cette angoisse du temps est due à notre focalisation sur ce point fatal et inéluctable: la mort. Il se trouve qu’en raisonnant ainsi nous négligeons le voyage entre l’instant présent et ce point ultime. Nous omettons, lorsque nous pensons au temps, et à la vieillesse qui engourdira nos membres, de prendre en compte les aventures qu’il nous livre à travers chaque seconde. Car le temps, c’est le mouvement qui pousse à la vie, c’est le porteur des changements, c’est la vague de mille possibilités à venir, du hasard et de nos choix. Le temps c’est l’élan dont on est doté pour se réaliser.

    De plus, le temps est un outil précieux: il sert de mesure à notre existence. Certes, il est la raison pour laquelle nos cellules s’affaiblissent, mais il est également le seul qui peut nous montrer que nos blessures ont guéri. Le seul qui nous invite à nous retourner et à contempler les erreurs passées. Le seul qui puisse confirmer nos passions, et nous faire prendre conscience de nos erreurs, pour ensuite les corriger. De nos échecs, de nos succès, de toutes les montagnes franchies. C’est grâce à lui que nous pouvons apercevoir le voyage accompli. 

    Le temps n’est pas quelque chose après lequel il nous faut courir, mais bien une vague sur laquelle surfer (je sais on dirait une phrase de motivation mielleuse). Mais le but n’est pas d’atteindre un plateau de stabilité et d’épanouissement avant 30 ans. Que l’on ait 12 ou 85 ans, on continue de grandir, de se tromper, de ne pas savoir, de se comprendre partiellement, de rester un peu perdu face au monde chaotique et vertigineux, de se découvrir chaque jour, de changer, de faire des rencontres, d’apprendre de soi et des autres, d’essayer, de réussir ou pas, de s’enrichir, de se perdre et de repasser encore et encore par toutes ces étapes, pas forcément dans le même ordre. 

Certes, à cause du temps vous oublierez, et on vous oubliera. Mais grâce au temps vous aurez cheminé, grandi, voyagé. Alors qu’est-ce que vous attendez?

Lilou.

Top 7 des mots sans équivalent français les plus incroyables

Ce numéro Création méritait une petite incursion du côté du langage. Il m’offre l’occasion de parler de l’inédit, de l’inattendu, du bizarrement pensé : des mots intraduisibles. Il existe en effet une kyrielle de noms, verbes ou adjectifs sans équivalents en français. Ces termes aussi étranges qu’étrangers nous prouvent que quelques lettres peuvent faire émerger tout un monde de représentations mentales. À chaque mot, c’est un pan inconnu d’un nouvel imaginaire collectif qui se dévoile, avec parfois de belles surprises conceptuelles. Place à un petit top !

1) Les moustaches en albanais
Plutôt big (moustache en guidon) ou glemb (à pointes effilées) ? La moustache constitue en Albanie un véritable art traditionnel ! Un petite incursion internet vous prouve que même le roi d’Albanie Zog Ier soignait particulièrement sa holl (ou moustache fine), c’est dire… Une belle vingtaine de mots lui sont rattachés, tels varur (la moustache tombante), madh (la moustache bien fournie), ou encore kacadre (la moustache aux pointes retroussées).

2) La sprezzatura italienne
Groupies de Baldassare Castiglione, bonsoir ! La sprezzatura, c’est cet art de la nonchalance feinte, du parfait naturel, de la flatterie courtisane qui semble s’ignorer, théorisée par ce monsieur, diplomate, nonce du pape et ami de Raphaël, dans son ouvrage Le livre du courtisan. Les artistes de la Renaissance eux-mêmes s’attachaient fortement à ce principe : d’après les Vies de Vasari, Michel-Ange aurait brûlé certains dessins de jeunesse afin de cacher le labeur cumulé de ses années d’apprentissage.

3) Mamihlapinatapai
Mamihlapinatapai est tiré du yagan de la Terre de Feu (comprendre : d’un dialecte amérindien dont les locuteurs résident dans l’archipel à l’extrême sud de l’Amérique du Sud, divisé entre le Chili et l’Argentine). Le terme a été repris dans le Guinness Book de 1994 comme le mot le plus succinct, et désigne l’état de deux personnes qui s’envisagent et attendent chacune que l’autre fasse le premier pas, sans qu’aucune des deux n’ose elle-même le poser. Personne ne vous en voudra de ne pas connaître le yagan, car il ne subsiste aujourd’hui dans le monde plus qu’une seule locutrice de cette langue, Cristina Calderón, une situation à tel point exceptionnelle que l’UNESCO a déclaré la dame de 93 ans “trésor humain vivant” en 2009.

4) Bakwe, ou la cigarette philippine
Les Philippines connaissent une fois par an ce que l’on appelle la saison des pluies (aka varsha en hindi). Mais comment faire alors pour s’en griller une si le ciel n’est pas très clément ? Le kapampangan, langue parlée dans une île de cet État, a la solution : bakwe. Bakwe, c’est l’art de fumer sa cigarette avec le bout allumé dans la bouche, afin de se réchauffer un peu le palais, et de profiter d’un petit plaisir pas totalement trempé…

5) Shibui, ou la contemplation de la salade de fruits
Comment résumer un sentiment esthétique empreint de suranné comparable au goût d’un kaki pas encore tout à fait mûr qui engourdit la langue ? Prenez l’adjectif shibui. Le kanji pour l’écrire signifie “astringent”, et se retrouve notamment dans le mot “grimace”. Shibumi est le nom commun dérivé de shibui, et désigne le fait d’avoir un sens esthétique posé et affirmé, avec pourquoi pas un côté un peu vieux jeu, acide ou suranné. Le terme se rattache parfaitement à l’esthétique wabi-sabi, qui promeut une beauté simple et rustique, pas forcément dénuée d’imperfections.

6) La marche en shona
Pour une raison que mes recherches n’ont pas pu élucider, il existe une petite dizaine de verbes pour désigner en shona, langue parlée principalement au Zimbabwe, le fait de marcher ! Que vous préfériez marcher à petits pas (tabvuk), avec une robe très courte (pushuk), pieds nus (dowor) ou même en tenue d’Adam (shwitair), il y a des verbes pour tous les goûts !

7- Le café suédois
Les confinements nous ont révélé que les cafés et bars constituaient en France de véritables institutions sociales, mais nous sommes de petits joueurs comparés aux Suédois ! Fika désigne en effet tout spécialement pour eux la pause café accompagnée de sucreries que l’on prend avec ses amis, et qui constitue un vrai rituel social… Le café est dans ce pays une telle institution qu’il a donné naissance à tout un champ lexical, avec des verbes comme tretar (comprendre : se servir son café pour la troisième fois dans la même tasse). Moins de convivialité chez nos amis finnois, qui ont tout de même un mot désignant spécifiquement le fait de se soûler tout seul chez soi en caleçon (alias kalsarikännit).

Marie Vuillemin

Pour partir à la rencontre d’autres mots inconnus mais incroyables, jetez un œil à la petite pépite nommée Les mots qui nous manquent, écrite par Yolande Zauberman et Paulina Mikol Spiechowicz (Ed. Calmann-Lévy).

Petite histoire de la sérendipité

Quel point commun entre de la dynamite, des Post-it, une part de tarte tatin, un micro-ondes, le LSD, le Viagra, le nutella, le Coca Cola, le stéthoscope, la gomme, le Téflon, la vaseline, la grotte de Lascaux, la pénicilline de Fleming et Christophe Colomb ?

Il est possible de résumer cette longue énumération de mots qui nous sont à la fois indispensables et familiers en un seul : la sérendipité.

Cette petite chose à première vue anecdotique, qui consiste à faire preuve de « sagacité accidentelle », est bien plus présente dans nos vies qu’elle pourrait en avoir l’air, et il ne faut donc pas la sous-estimer. Cependant, peut-on aller jusqu’à affirmer que la sérendipité est un moyen de Création ? Question délicate, qui demande de rejouer quelques exemples de ce concept, et même de retracer le chemin parcouru par ce petit mot pour voir à quand remonte sa création… par sérendipité.

Le terme « sérendipité » français vient en fait de l’anglicisme serendipity inventé le 28 janvier 1754 par Horace Walpole dans une lettre adressée à son lointain cousin Horace Mandans. Il lui raconte ses impressions à propos d’une lecture récente, intitulée Les Trois Princes de Serendip, conte oriental traduit en français depuis le persan par le chevalier Mailly. Cependant, Mailly tronque légèrement les faits puisque sa traduction s’appuie sur une version italienne du conte du XVIe siècle, de Christophe l’Arménien: Peregrinaggio di tre giovani figliuoli del re di Serendippo. Christophe l’Arménien affirme lui-même avoir transcrit ses dires du persan, mais nous n’en gardons aucune preuve, et il faut garder à l’esprit que l’histoire contée est un motif mythologique retrouvé chez de nombreuses civilisations, comme les Hébreux, les Indiens, les Hongrois, les Danois et bien d’autres, y compris des auteurs comme Voltaire.

Les Trois Princes de Serendip met en scène les fils du roi-philosophe de Serendip (ancien nom utilisé par les Arabes pour désigner l’actuel Sri Lanka, « l’Île Fortunée ») qui doivent parcourir le monde pour parfaire leur éducation. Ils rencontrent un chamelier sur les terres de l’empereur Behram. Celui-ci a perdu ses chameaux. Les fils lui décrivent précisément l’animal sans même l’avoir vu : la bête est boiteuse, porte du miel et du beurre et il lui manque une dent.  En effet, les frères, qui possèdent un grand sens de l’observation et de la déduction, avaient noté tous les indices permettant cette description détaillée, impressionnant le chamelier et son roi. À partir de là, les trois princes offrent leurs services à Behram, qui leur donne plusieurs missions.

La sérendipité désigne donc le don ou la capacité intellectuelle à faire fructifier un événement imprévu.

Cet imprévu survient toujours accidentellement. Par accident, on comprend généralement une connotation négative qui convient parfois mal aux heureux découvreurs, promis à la gloire et à la postérité. 

Pourtant, c’est bien un accident qui ôte la vie au frère d’Alfred Nobel : il meurt suite à une explosion de nitroglycérine. Cela n’empêche pas Alfred Nobel de faire tomber ladite substance dans de la sciure, pour réaliser… qu’elle n’explose pas. C’est l’invention de la dynamite, dont le brevet est déposé en 1867. 

De même, en 1968, Spencer Silver invente une colle peu adhésive : échec très décevant, puisque le chimiste fait partie d’un programme de recherche depuis 4 ans sans résultat concluant. Cependant, en 1974, l’invention est reprise par son collègue, chef de chœur d’église sur son temps libre, pour accrocher ses feuillets de chant. Les post-it commencent à être commercialisés à partir des années 1980.

Les découvertes par sérendipité peuvent être aussi plus anodines, voire même comiques. Ainsi, le Viagra était censé soigner les maladies cardiaques, et notamment l’angine de poitrine. Quelle ne fut pas la surprise des cliniciens, quand ils constatèrent un effet secondaire providentiel…

En outre, que ferions-nous aujourd’hui sans notre fidèle micro-ondes ? Cet outil, considéré comme indispensable pour tout étudiant et, finalement, tout pressé ou flemmard qui se doit, est créé involontairement par Percy Spencer en 1945. Il avait oublié une barre de chocolat dans sa poche alors qu’il travaillait sur un des composants d’un radar. Celle-ci finit par fondre, et quand l’ingénieur s’en rend compte, il comprend qu’il a découvert une nouvelle propriété prometteuse. 

Ainsi, nous pouvons facilement admettre que la sérendipité est un moyen de découverte efficace, et même puissant. Elle met en avant l’importance de l’erreur, et concerne surtout le monde scientifique. C’est en associant intuition, observation et imagination que la sérendipité peut naître. N’est-ce pas le terreau de toute création ? Il apparaît donc que la sérendipité est bien créative, et qu’elle est même une des principales sources de création.

Néanmoins, il est important d’apporter une nuance à la prétendue toute-puissance de la sérendipité : toutes les légendes contées ici en sont réduites à leur nom : des faits subjectifs, quelques fois non prouvés ou ayant été relatés tellement de fois qu’elles en ont perdu leur sens premier. Finalement, pourquoi les inventions citées mettent-elles en œuvre le plus souvent un héros unique ayant un déclic brutal, dans un contexte originel désintéressé ? Il faut savoir démonter les stéréotypes. C’est ce qu’explique Margaret Rossiter et son effet Matilda par exemple. Cette théorie est basée sur celle de l’effet Matthieu (on a tendance à oublier l’entourage du découvreur dans l’histoire de la découverte), mais considère que cet effet occultant est démultiplié quand il s’agit de femmes. L’histoire des découvertes laisse encore beaucoup de mystères à élucider.

Solène Roy

Sources principales :
– Site de l’Académie française / article post interview de Sylvie Catellin auteure de Sérendipité. Du conte au concept article de Robert Maggiori, 2014, Libération
– AlterNego, article de Valentine Poisson
– France Culture, “L’effet Matilda, ou les découvertes oubliées des femmes scientifiques”, de Pierre Ropert

Accidents créatifs

Beaucoup de choses ont été créées par accident, peut-être même vous. Ce n’était pas voulu, mais c’est une belle erreur. Dans cet article je vous propose de revaloriser vos ratés en découvrant par quel hasard certains produits que nous connaissons bien ont été inventés. Bonne lecture.
INFO : d’après le Larousse, le terme « sérendipité » désigne : « la capacité, l’art de faire une découverte, scientifique notamment, par hasard. » Je vous renvoie à l’article « Petite histoire de la sérendipité » par Solène Roy.

Légende de la chips :
Au milieu du XIXe siècle, George Crum était cuisinier au Carey Moon Lake House, un restaurant situé face au lac Saratoga, à Saratoga Spring dans l’État de New York. Un jour qu’il travaillait, un client se montra particulièrement exigeant en renvoyant plusieurs fois son plat de pommes de terre frites car il les voulait plus croustillantes et plus fines. George Crum ne se le fit pas dire deux fois. Dans la colère, il coupa le légume si finement que lorsque les tranches furent frites et bien salées, la chips était née. Le client fut satisfait et aujourd’hui encore, la chips reste l’un des plus glorieux ratés.

Fleming et la pénicilline :
Alexander Fleming était un biologiste britannique né en 1881. A l’été 1928, il quitta son laboratoire et partit en congé, laissant derrière lui les restes de ses expériences sur la création d’un « médicament miracle » qui n’avançait pas. À son retour quelques semaines plus tard, il constata qu’une des boîtes de Pétri contenant des staphylocoques était parsemée de bactéries sauf à l’endroit où s’était formée de la moisissure. Après l’avoir analysée, il découvrit que cette forme rare de Penicillium notatum était capable de sécréter un liquide qui avait tué plusieurs chaînes de bactéries mortelles. Il comprit vite que cette découverte était remarquable. Pourtant, sa publication passa inaperçue. Ce n’est que des années plus tard qu’un certain Howard Walter Florey, pathologiste australien, prit connaissance de l’article de Fleming en feuilletant de vieilles revues médicales. Aidé du biochimiste Ernst Boris Chain, il s’intéressa aux effets thérapeutiques du fameux liquide et en 1941, administra la pénicilline à un patient pour la première fois. Les résultats furent spectaculaires. Cette avancée médicale valut un prix Nobel aux chercheurs Fleming, Florey et Chain.

La tarte Tatin ou tarte ratée :
Les sœurs Stéphanie et Caroline Tatin tenaient un restaurant à Lamotte-Beuvron en Sologne, à la fin du XIXe siècle. L’établissement était un repère pour les chasseurs du coin. Un dimanche d’ouverture de la chasse, alors que Stéphanie préparait une tarte aux pommes, elle oublia de placer la pâte dans le fond de son plat. Pour rattraper son erreur, elle décida de la rajouter sur le dessus de sa pâtisserie et de laisser le tout cuire au four. C’est ainsi que l’étonnant gâteau serait devenu la spécialité locale. Cependant, d’après le Grand Larousse Gastronomique, il ne s’agit que d’une légende. Le dessert serait en réalité une vieille spécialité solognote, qui n’est pas le fruit d’une erreur, et qui aurait simplement été démocratisé par les sœurs Tatin à Lamotte-Beuvron.

George de Mestral et le velcro :
En 1941, George de Mestral était parti faire une randonnée dans les Alpes accompagné de son chien Milka. Au retour de cette balade, il remarqua que ses habits et le pelage de son compagnon étaient couverts de Bardane. Cette herbe vivace produit des fleurs pourprées et ses fruits, munis de crochets, s’accrochent aux poils ce qui assure la dispersion des graines. L’histoire aurait pu s’arrêter là, mais Georges de Mestral était un inventeur né, il avait la capacité de voir le potentiel dans les choses de la nature. Il s’est donc intéressé à cet efficace système de fixation et a découvert que le fruit de la bardane est recouvert de crochets qui s’accrochent naturellement aux boucles microscopiques formées par les pelages et vêtements. Inspiré par la plante, il a donc créé le premier système de fixation à crochet et à boucle du monde, nommé Velcro ou encore scratch, en utilisant du nylon.

Anouk Hubert