Histoi’Art – Secrets de bijoux dans les portraits royaux

Ils fascinent, rayonnent, attrapent des fragments d’émerveillement, les renvoient à nos âmes en mille faisceaux ostentatoires qui captivent… Ils ont toujours été là, mêlés à nos souverains, à la fois discrets sur leurs portraits et en même temps rutilants de beauté extatique… Et si nous nous plongions un instant dans ce fantasmagorique univers pour découvrir les petites anecdotes, les rocambolesques aventures, de ces pierres qui, sorties de leur écrin de terre, ont accompagné ceux qui ont fait la grandeur de notre France ? C’est ce que le Louvr’Boîte vous propose dan ce Secret d’Histoi’Art inédit…

François Ier et les joyaux de la couronne

CLOUET, François Ier, 1530, huile sur toile, 96 X 74 cm, Paris, musée du Louvre

Qui incarne le mieux la Renaissance française que notre incomparable roi François Ier ? Obsédé par cette Italie rêvée, ce duché de Milan qu’il veut faire sien, il traverse les Alpes avec son armée. Si finalement il reviendra d’une campagne assez mitigée qui l’enfermera même en Espagne quelques temps, François ne s’avoue pas pleinement vaincu et repart avec dans ses bagages de précieux personnages, d’illustres artistes et artisans italiens, qui n’hésitent pas très longtemps avant d’accompagner ce nouveau Prince des Arts. De Vinci, Del Sarto, Primatice, Rosso Fiorentino… Des noms qui ont fait vibrer la cour française et ses différents châteaux au XVIème siècle. Moins connus du grand public, del Nassaro et Cellini méritent pourtant tout autant les honneurs. Orfèvres « geoliers », ils donnent à la France un nouveau souffle dans ses arts du beau éclatant, du métal flamboyant, du bijou étincelant. Installés dans l’hôtel de Nesle, ils apportent leur savoir-faire italien à leur atelier français, introduisant de nouveaux sujets mythologiques. La religion reste toutefois encore représentée sur quelques bijoux comme sur le médaillon que le roi arbore dans son portrait peint par Jean Clouet visible au Louvre. Il s’agit d’un rappel de l’ordre de Saint-Michel fondé par Louis XI, son royal prédécesseur, en 1469. L’absence de la salamandre mais la présence de cette iconographie sont sans doute une volonté de François Ier de se légitimer dans la succession monarchique qui est passée de la dynastie des Capétiens à celle des Valois. Toutefois, le roi fait une entorse aux statuts de l’ordre qui

demandaient que le collier ne soit pas rehaussé de pierreries et devait se composer de vingt-trois coquilles en or. La présence du médaillon avec saint Michel terrassant le dragon est toutefois bien respectée. Le portrait le montre tout en apparat, soulignant un message implicite clair : « Je m’inscris dans le passé de mes prédécesseurs mais incarne le renouveau frais et noble, dans un raffinement moderne. ». François Ier va même plus loin et institue en 1530 les « Joyaux de la Couronne ».  Huit pierres, toutes alors appelées « diamants », enchâssées sur des bagues, avaient été apportées quelques années plus tôt à la couronne par la reine Claude, son épouse, la fille d’Anne de Bretagne. Quelques semaines avant son second mariage (Claude mourant en 1524), le roi demande à la Chambre des Comptes d’inscrire l’inaliénabilité de ces trésors. Toute souveraine française a le droit d’en jouir durant le règne de son époux mais une fois devenue veuve, elle doit obligatoirement les rendre au Trésor Royal.

Le Diamant bleu et Louis XV

VAN LOO, Portrait de Louis XV, après 1750, huile sur toile , 244X 186 cm, Dijon, Musée des Beaux-Arts

À ces beautés originelles s’en sont ajoutées d’autres au cours des règnes suivants. C’est notamment le cas du Diamant bleu, acheté par Louis XIV, venant tout droit des Indes. D’un bleu intense de 69 carats, il est l’heureux cadeau que s’offre le roi Soleil, fan de gemmologie, pour l’équivalent monétaire de 179 kilos d’or pur. Son successeur, Louis XV, boude un peu cette merveille jusqu’à ce qu’il soit adoubé chevalier… de l’ordre de la Toison d’Or en 1749 ! Il demande alors à Jacquemin, pour son insigne, de rappeler la royauté française

FARGES, Gouache représentant la Toison d_Or de Louis XV, 2008

(l’ordre de la Toison d’Or étant décerné par la famille des Habsbourg). Quoi de mieux qu’une sublime pierre de couleur bleu roi ? Même si aujourd’hui cet insigne final de Louis XV est perdu, le moule en plomb ayant accueilli le Diamant Bleu existe toujours. Sur l’ensemble commandé pour le roi, la pierre est censée protéger la Toison d’Or des flammes crachées par un dragon. Ce dernier est par ailleurs taillé dans une spinelle, mais pas n’importe laquelle : il s’agit de la « Côte de Bretagne », aujourd’hui seule rescapée des huit premières pierres originelles des Joyaux de la Couronne ! Une catastrophe arrive cependant: l’insigne de Louis XV finit par être volé en 1792 dans l’hôtel du Garde-Meuble (aujourd’hui l’Hôtel de la Marine). Beaucoup d’autres joyaux de la Couronne sont dérobés au même moment. Si certains finissent par être retrouvés, d’autres sont pour le moment encore perdus. Vingt ans après, en 1812, le Diamant Bleu réapparaît en Angleterre ! Ouf ! Retaillé, il est désormais connu sous le nom de « Hope » et est conservé au Smithsonian Institute.

Le Régent et Napoléon Bonaparte

Lui-aussi venu des Indes, le Régent est un diamant blanc, sûrement le plus connu et le plus précieux au monde. Encore aujourd’hui, il est visible au musée du Louvre. Son histoire avec Napoléon Bonaparte a pourtant commencé bien mal… Afin de financer la campagne d’Italie du général, le gouvernement le met en gage en 1797. Heureusement, le coût du triomphe de ces années militaires n’est pas oublié par le Corse qui, une fois Consul, s’empresse de le racheter cinq ans plus tard.

BOUTET, ODIOT, NITOT, Épée du sacre de Napoléon Ier, damasquinure, or, écaille, jaspe, pierres précieuses, 96 cm, Château de Fontainebleau

Il s’attache tant à cette pierre qu’il la fait monter sur la garde de son épée (une commande de 11 000 francs, quand même réestimée à 14 200 000 francs en 1802). Il se fait alors portraiturer avec par Ingres. La pierre le suit dans son ascension, fidèle bonne étoile de ses succès. Le Régent avait veillé sur ses exploits en Italie, il l’accompagne désormais bien visible sur son arme durant le Consulat… jusqu’à son sacre d’Empereur. Sur son portrait officiel en pied par Gérard conservé à Versailles, le Régent étincelle toujours, extrêmement mis en valeur, sur le flanc gauche du souverain. Un porte-bonheur ? Sans doute… Puisqu’en 1812, l’Empereur le fait transférer sur une autre arme impériale, en forme de glaive antique. Ne cherchez toutefois pas le fameux Régent sur le tableau du Sacre de David au Louvre : il semblerait que l’arme représentée sur le côté de Napoléon Ier, avec une garde formée d’un aigle en or, ne soit qu’une invention de l’artiste. Si aujourd’hui le Régent a effectivement été retiré de l’épée, une reconstitution de l’ensemble est encore visible à Fontainebleau.

Le Trèfle et Eugénie de Montijo

Terminons ce tour d’horizon à carats et facettes avec cette fois… une souveraine ! Ceux qui se passionnent pour la belle Eugénie de Montijo le savent peut-être, elle raffolait du vert. En arpentant encore ses appartements impériaux dans certains palais, les tentures Second Empire sont souvent, en plus du cramoisi, de cette couleur. Nous allons donc parler d’un magnifique bijou de la même nuance. Glissez-vous confortablement dans un fauteuil crapaud à franges pour lire cette histoire presque digne d’un conte de fées… Rencontrée lors d’un dîner chez la cousine du prince-présient, la princesse Mathilde, la jeune demoiselle espagnole subjugue le Louis-Napoléon Bonaparte qui débute alors une cour assidue auprès de la belle. Pendant l’automne 1852, Eugénie est invitée à séjourner à Compiègne, rejoignant ainsi sa mère… et son prétendant !

FOSSIN, Trèfle en or, argent, émail et diamants, ©Collection privée

En se promenant un matin avec lui dans les jardins, la jeune femme remarque, subjuguée, un trèfle où de fines gouttelettes de la rosée s’étaient déposées, faisant ainsi étinceler la plante d’une poésie magique, suspendue dans l’incroyable et éphémère moment de la contemplation. Le cœur du futur Empereur cède complètement : Eugénie est la femme qu’il lui faut. Le lendemain, il lui offre une broche en forme de trèfle en émeraude, entouré d’un liseré de petits diamants, signé Fossin de la dynastie de joaillier Chaumet. Le bijou, faisant office de cadeau de fiançailles, sacre leur amour. Eugénie le porte alors comme un talisman de cette promesse éternelle et se fait régulièrement représenter avec, sur ses portraits.

 

 

 Laureen Gressé-Denois

Le Billet Neuchâtelois – Guillaume Tell : l’identité implicite suisse

SANDREUTER, L’arrestation de Guillaume Tell et de son fils, 1901, mosaïque murale extérieur sur l’aile sud du Landesmuseum, Zurich

Tout le monde retient son souffle. L’attente est intenable, les badauds serrent leurs enfants dans leurs bras, le regard fiévreux, parfois détourné. Va-t-il le blesser ? Va-t-il toucher uniquement la pomme ? Le carreau part, siffle dans l’air, semble transpercer la lumière en mille fragments éthérés, jusqu’à éclater la pomme qui craque, se déchire, explose sous la fureur de l’impact. Guillaume est soulagé, tout en tenant fermement, le poing serré, le deuxième carreau à moitié dissimulé dans ses vêtements, après avoir abaissé son arbalète. La population du village d’Altdorf soupire face au drame évité et exulte devant l’exploit. Toutefois, ce n’est pas le défi réussi qui intéresse le bailli Gessler, l’œil soupçonneux, contenant son mécontentement. Il faut dire qu’il n’a rien pour être satisfait : ce gringalet des montagnes, cet arbalétrier de pacotille, non seulement il avait refusé de lui rendre hommage en saluant son chapeau hissé sur la place publique, mais en plus il avait osé réussir ce challenge de tir. Il fulmine… Toutefois, ces sombres pensées ne l’ont pas empêché de remarquer la poigne serrée de Tell sur ce deuxième carreau caché… Il l’interroge immédiatement. Pourquoi avoir pris le soin de garder une seconde flèche ? C’était simple pourtant : avec un tir, Tell touchait la pomme ou Walter, son fils. Alors pourquoi ? Tell se retourne, lance un regard noir au bailli qui, sous la coupe autrichienne, n’avait de cesse de soumettre les pauvres villageois du canton à la pire vie possible. Ce deuxième carreau, Tell le réservait pour Gessler, au cas où son Walter aurait été blessé ou tué. L’affront ultime ! Le bailli, devant l’audace de la réponse, demande l’arrestation de l’arbalétrier et de son garçon. Est décidé de les envoyer par bateau dans la prison forteresse de Küssnacht (littéralement, le « baiser de la nuit », qui a dit que l’allemand n’était pas une langue sublime ?). Les prisonniers et le bailli embarquent quand une terrible tempête s’abat aussitôt sur les flots. L’aide de Tell est demandée pour sauver tout le monde en amenant la barque à bon port. En récompense, Gessler lui fait miroiter la possibilité de le libérer. Le bateau arrive près du rivage, Tell saute alors de bord, embarquant son arbalète et son fils sous le bras. Une fois à terre, sa rapidité et sa précision légendaires lui confèrent le temps de repousser la barque loin de la berge d’un coup de pied tout en arrivant à viser le bailli de son arbalète. Le tir part et tue l’homme qui leur a fait tant de tort, ainsi qu’aux autres habitants du canton. D’autres versions amènent le trépas de Gessler plus tard, dans une embuscade en forêt ou montagne… Quoi qu’il en soit, le méchant meurt et Tell est alors célébré en héros, ayant su se montrer capable d’autant de force que de courage dans sa quête d’indépendance et de liberté.

 

FÜSSLI, Les trois Confédérés faisant le serment sur le Grütli, 1780, huile sur toile, 267X178 cm, Zurich, Kunsthaus

Ce qui est intéressant avec Guillaume Tell, c’est qu’au-delà de l’histoire-même, les politiciens s’en sont servi en Suisse pour construire une identité nationale. En 1848, l’Helvétie connaît aussi son Printemps des Peuples. La toute nouvelle Confédération a alors un défi de taille : trouver sa place dans une multitude de cantons au caractère et au fonctionnement plus trempé les uns que les autres. Encore aujourd’hui, cette mentalité fédérale est très forte en Suisse. Elle se ressent en permanence dans les médias que je lis ici, dans les explications de cours que nous donnent les professeurs de l’Université ou même quand j’en discutais avec les autres camarades locaux (avant le début d’un semi-confinement ici aussi). Comment créer une cohésion suisse, un esprit helvète ? La chose n’est pas simple, les cantons ayant toujours oscillé entre autonomie et occupation étrangère. Deux exemples qui m’ont beaucoup frappée : sous le Premier Empire, le canton du Jura et de Bâle appartenaient… au département du Haut-Rhin ! Quant à l’actuel canton de Neuchâtel où je me trouve, Napoléon Ier avait réussi à le négocier au roi de Prusse et avait nommé le maréchal Alexandre Berthier prince de Neuchâtel en 1806. Amie française mais souveraine quand même !

Comme bien souvent, le premier cheval de bataille a été dans le ressenti de l’identité et pour cela, rien de mieux que de trouver un symbolisme… fédérateur ! On cherche alors de premières images fortes. On se penche sur la question du drapeau. En 1899, le conseil fédéral commence à réfléchir à ce sujet pour qu’une ordonnance en 1913 institue le carré rouge à croix blanche comme drapeau officiel. Le symbole est repris des anciens mercenaires suisses qui, sur leur propre étendard, inscrivaient les mots « honneur » et « fidélité ». En plus du drapeau, il faut également chercher un mythe fondateur de l’unité suisse. L’épisode du Serment de Grütli est retenu : trois braves hommes, subissant chacun dans leur canton les sévices de baillis abusifs, décident une nuit de 1291 de se retrouver en secret dans la prairie de Grütli. Ils promettent alors de défendre leurs cantons, même s’ils doivent en mourir. Cette légende de conjuration est souvent associée à la vraie histoire du Pacte fédéral de 1307 (choisi par la Confédération pour placer la date de la fête nationale au 1er août de chaque année). Ce dernier est en effet un document historique officiel d’alliance défensive et judiciaire, signé par les trois mêmes cantons représentés lors du Serment de Grütli.

 

KISSLING, Guillaume Tell et son fils, statue réalisée en 1895, sur la place principale d’Altdorf

Pourtant, c’est l’histoire de Guillaume Tell qui est la plus connue, du moins à l’étranger quand on parle de la Suisse. De nombreuses villes en France ont une rue portant son nom (même à Paris, dans le XVIIème arrondissement !). Toutefois, même en Suisse, la légende fut longtemps tenace. Il faut savoir que l’histoire de Tell était encore enseignée aux écoliers suisses jusqu’en 1901 ! L’importance du mythe s’introduit même jusque dans le patois local : en Helvétie, traiter quelqu’un de Gessler revient à le qualifier de tyran vaniteux (vivent les baillis)! L’iconographie de Guillaume Tell se met alors en place. Les politiques vont même jusqu’à fournir un programme représentatif de l’arbalétrier très détaillé à Richard Kissling. Le sculpteur est alors chargé d’édifier une statue de Tell et son fils sur la place principale du village d’Altdorf en 1895 avec un « homme décidé, hardi et libre, arborant le costume traditionnel paysan. ». L’œuvre achevée, respectant à la lettre la commande, plaît tellement qu’elle se décline sur beaucoup d’autres supports. Elle est copiée… jusque sur les timbres, les affiches publicitaires… et la dentelle !

Guillaume Tell et son fils, dentelle, après 1845, Zurich, collection Marion Wohlleben

Il est à rappeler que l’histoire de Tell est une légende. Il est un héros sorti des chansons de gestes, des contes racontés de génération en génération. Sa première mention comme Guillaume Tell se trouve dans le « livre blanc de Sarnen » narrant les alliances et victoires des Waldstätten. Une première chanson de Tell (« Tellenlied ») circule en 1477, avec plusieurs variantes pour de légers détails. Sauf que les mythes sont souvent brisés : les historiens ont fini par trouver trace d’un autre Guillaume Tell, beaucoup plus vieux. Un écrit de l’érudit danois Saxo Grammaticus au XIIème siècle raconte la même histoire… qui se serait passée au Danemark au Xème siècle ! Guillaume devient Toko. Le bailli Gessler devient le jarl Harald-la-Dent-Bleue. À noter : la cible est toujours une pomme ! Comment expliquer cette origine viking ? Un mouvement de population celte descendant le bassin rhénan, aurait amené cette histoire qui, racontée de famille en famille, à travers le temps, a fini par devenir celle de Guillaume Tell et de son fils Walter.

 

Comme quoi, même les plus grands mythes fondateurs ont aussi leurs petits secrets ! La suite au prochain épisode… !

Je vous dis à très bientôt pour un nouveau Billet Neuchâtelois * ! Grüetzi ! Tchô ! **

 

Laureen Gressé-Denois

 

* Même à l’étranger, on a tous quelque chose en nous de Monsieur Patrimoine !

** « Salut ! » respectivement en suisse allemand et en suisse romand