Arbres-chapelles et saints dendrites : quand patrimoine et écologie se rencontrent

Allouville-Bellefosse

Mémoires de la Société linnéenne de Paris.
https://biodiversitylibrary.org/page/4119449

Ecologie et patrimoine sont-ils conciliables ? C’était un des enjeux soulevés par les aspersions de purée et de soupe, qui sont venues troubler fin 2022 le petit monde policé des musées. Mais si je vous dis que certains joyaux écologiques sont également d’intéressants témoignages patrimoniaux, subitement, le questionnement se retourne ! Faisons une petite étude de cas, à la découverte des… arbres-chapelles.

Une première étude de cas à Allouville-Bellefosse

Allouville-Bellefosse

Crédit : Patrick via Flickr, licence CC BY-SA 2.0

Un arbre ne peut pas abriter, a priori, une architecture. C’est sans compter sur leur vieillissement, et sur l’inventivité de ceux qui les côtoient. Pour vivre, un arbre a besoin que la sève circule sous son écorce, mais pas nécessairement en son cœur. Il arrive donc que certains spécimens, cumulant plusieurs centaines d’années au compteur, s’évident spontanément en leur centre. C’est le cas, par exemple, du chêne planté sur la place de l’église d’un petit village normand : Allouville-Bellefosse ! Daté de l’époque de Charlemagne, ou de la signature du traité de Saint-Clair-sur-Epte (911), l’arbre se creuse tant et si bien qu’en 1696, l’abbé Détroit y fait aménager une chapelle dédiée à Notre-Dame de la Paix. Passé l’étroite fente, le visiteur se trouve dans une véritable pièce, aujourd’hui appareillée d’un petit autel et d’une statue de la Vierge, dont l’originale avait été offerte par l’impératrice Eugénie. La chapelle d’Allouville-Bellefosse serait-elle assez grande pour accueillir des crinolines ?

Allouville-Bellefosse

Encore un petit pas, et vous vous trouvez dans la chapelle du bas. Crédit : Le ghola via Wikimedia Commons, licence CC BY-SA 3.0

 

 

 

Et ce n’est pas tout, puisqu’une seconde chapelle, surnommée la chambre de l’ermite, occupe le premier étage de l’arbre : le chêne d’Allouville-Bellefosse est donc même doté… d’un escalier. Couvert de petits toits de tuile, étayé dans ses deux chapelles par des structures métalliques, l’arbre opère une véritable fusion entre nature et architecture.

 

 

 

 

 

Et si 1100 ans vous paraît encore un âge trop récent, j’ai mieux.

Toujours en périphérie de Rouen, à La-Haye-de-Routot, se cachent deux ifs âgés d’environ 1500 ans, tous deux transformés en chapelles au XIXe siècle, au cœur du cimetière du village ! Inscrit en 1932 sur la liste des monuments historiques, le site sédimente une histoire ancienne. Le village se serait peu à peu construit autour de la présence de ces ifs, qui auraient été choisis pour veiller sur l’église et le cimetière. Endommagé par une aspersion malveillante de glyphosate en 2014, un des deux arbres retrouve peu à peu sa vigueur : preuve s’il en est que même les arbres peuvent avoir besoin de mesures de conservation !

 

Petites photos d’époque pour nous donner des frissons sublimes à la Burke, mais l’état des deux ifs n’a pratiquement pas changé aujourd’hui !

Parfois, c’est une légende qui transforme la vie d’un arbre.

En 1842, deux ouvriers opèrent des travaux d’abattage pour Jacques de Colombel, le châtelain du petit village normand de Caumont. Désirant abattre un chêne, les bûcherons trouvent une statuette de la Vierge cachée dans ses anfractuosités, qu’ils déposent au sol. Le lendemain matin, la Vierge aurait repris sa place dans l’arbre : M. de Colombel, très pieux, commande l’édification d’une chapelle, qui permet à la Vierge de ne plus être séparée de son arbre. Un pèlerinage, célébré chaque année fin mai, continue de rassembler de nombreux Normands. Le curieux édifice est toujours la propriété de la famille de Colombel, qui assure le rayonnement de la chapelle par sa communication. La preuve : si vous voulez embarquer pour une visite virtuelle de l’arbre-chapelle, c’est par ici !

Crédit : Schneiderant via Wikimedia Commons, licence CC BY-SA 4.0

 

Et achevons cette petite balade botanico-spirituelle par un détour du côté des saints dendrites…

 Entre arbre-chapelle et arbre-ermitage, la frontière est mince ! Grâce à Maximilien Durand, vous connaissez tous Syméon le Stylite, qui vécut plusieurs décennies au sommet d’une colonne. Vous apprendrez désormais que des saints ont préféré, tel le baron perché d’Italo Calvino, se réfugier en haut des arbres ! Si les sources se mélangent, et parfois se contredisent, David de Thessalonique est bien décrit dans des hymnes liturgiques orthodoxes comme ayant vécu au sommet d’un arbre. Né en Orient au début du VIe siècle, l’ermite serait arrivé à Thessalonique et, dès lors, aurait élu domicile dans les branches d’un amandier. Il ne serait descendu qu’après trois ans, à la demande d’un ange. Pris dans les tourments militaires de l’empire byzantin, le corps de David repose aujourd’hui à Pavie… s’il vous prenait l’envie d’en faire votre saint patron de l’écologie !

 

Si les arbres remarquables ont déclenché en vous une vive passion, tournez-vous vers les écrits d’Henri Gadeau de Kerville, disponibles sur Gallica : l’érudit local a réalisé, au milieu du XIXe siècle, un important travail de documentation sur les arbres remarquables de Normandie, dont le chêne d’Allouville-Bellefosse.

Pour dénouer le fil de la vie (et du culte) de notre saint dendrite, c’est par ici !

Et si la protection des arbres vous passionne, l’association A.R.B.R.E.S. a créé une carte permettant de visualiser tous les spécimens remarquables de France.

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