Google Nose ou l’odeur de l’innovation

L’innovante multinationale Google lançait, il y a peu, « Google Nose », the application que tu dois avoir dans ton ail-faune sinon t’es pas swag. Le programme, existant aussi sous forme de site internet, s’annonce comme défiant les limites du technologiquement possible. Accéder à une banque d’odeurs d’environ 15 000 essences via nos appareils électroniques « connectés », toutes natures et origines confondues (végétale, animale, black-blanc-beur, minérale, synthétique) : telle est la promesse. Techniquement, tu demandes (gentiment !) à ton téléphone ou à ton ordinateur de te trouver une odeur, et si t’as de la chance – et que tu as mieux qu’une connexion SFR –, il te la trouve dans la banque de données et tu peux soit la sentir en rapprochant ton nez de l’écran, soit l’envoyer à un ami. BIM BAM BOUM, BIENVENUE AU XXIsiècle !

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Le gaz moutarde sent-il vraiment la moutarde ?

Si la Première Guerre mondiale a vu son lot de barbarie, l’utilisation des gaz de combat en fut sans doute l’une de ses formes la plus poussée et la plus travaillée. En effet, non contentes d’avoir développé tous les types possibles de pièces d’artillerie, armes à feu portatives et autres baïonnettes dentelées, les nations belligérantes se mirent très tôt en tête de se pencher sur les gaz toxiques à usage militaire.

Des scientifiques de tous pays s’attelèrent à la mise au point de gaz incapacitants et parfois mortels. Dès la fin de l’année 1915, le gaz moutarde (ou gaz ypérite) fait son arrivée sur les champs de bataille : au front comme à l’arrière, il se fait vite un nom par son utilisation fréquente et terriblement efficace.

Le gaz moutarde fait partie d’une classe de gaz extrêmement toxiques : les vésicants. Ces gaz traversent toutes les surfaces qu’ils touchent et provoquent des lésions souvent irréversibles, de manière différée. Les victimes d’attaques à l’ypérite présentent en effet de graves brûlures sur les zones les plus exposées au gaz : mains, visage, etc. Des brûlures moindres peuvent couvrir le reste du corps, le vésicant étant en mesure de traverser les vêtements fins. La peau est davantage exposée lorsqu’elle est humide, ce qui était évidemment le cas à cause de l’effort produit et du stress. Les gaz vésicants attaquent également les muqueuses et les yeux, provoquant des sortes de brûlures internes et la cécité de nombreux soldats. A haute dose, le gaz ypérite peut même s’avérer mortel : les épais nuages qui se dégagent après l’explosion pouvant causer l’asphyxie des soldats à proximité.

Pour se protéger des gaz, les armées des deux camps produisirent différentes protections à destination des soldats, dont le fameux masque à gaz (les chevaux et les chiens ont également eu droit aux leurs, si si). Résultat d’incessantes recherches et expérimentations tant laborieuses que coûteuses en vies humaines, ces masques de toile huilée puis de caoutchouc devinrent un des symboles de la guerre moderne. L’aspect uniformisé, presque robotique des troupes équipés de ces masques participe à la déshumanisation des soldats et de la guerre en elle-même.

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Grasse, capitale des parfums

Depuis le Moyen Âge, la ville de Grasse présente une intense activité de transformation de peaux en divers articles de cuirs de grande qualité. Les gants occupent alors une place très importante et placent Grasse dans les réseaux les plus influents du commerce de luxe. À la fin du Moyen Âge, le traitement du cuir nécessite des aménagements particuliers. En effet, le traitement des peaux suppose à cette époque l’utilisation d’excréments et d’urines animaux et humains. La production de cuir entraîne un regroupement des tanneurs dans des quartiers spécifiques le long de cours d’eau. Malodorantes car polluées, ces zones et leurs occupants sont marginalisés par le reste des habitants. Les produits finis quant à eux gardent les odeurs désagréables de leur traitement chimique.

À la Renaissance, les contacts intensifiés entre les royaumes chrétiens et musulmans entraînent des évolutions considérables. Si les connaissances antiques sont retrouvées notamment par l’intermédiaire des scientifiques et des copistes du monde arabe, les techniques mises au point en orient voyagent par les mêmes canaux. C’est ainsi qu’un certain Galimard (à ne pas confondre avec les éditions Gallimard) applique la technique du parfumage par trempage aux cuirs destinés au luxe. A cette époque, les parfums en vogue sont relativement peu nombreux. Ces derniers sont principalement constitués de senteurs de fleurs parmi lesquelles la rose se distingue nettement. La technique de parfumage du cuir connaît alors un succès immense à la Cour de France. Le métier de gantier se double ainsi de celui de parfumeur et les dames de la haute société se pressent chez eux. Le phénomène, qui se développe tout au long du XVIIe siècle, est d’autant plus important que les médecins rattachent à cette époque la propagation des maladies aux mauvaises odeurs. Sentir bon est alors un gage de raffinement, mais aussi considéré comme un moyen d’éviter de tomber malade. Le destin de l’eau de Cologne, encore souvent rattachée à la toilette et à la propreté de nos jours, commence ainsi en 1706 avec son invention par le parfumeur italien Jean Marie Farina dans la ville éponyme. Les bains sont rares, même dans la haute société où la toilette sèche reste courante et le bain une activité de délassement détachée de l’hygiène journalière. Les parfums servent alors à masquer les mauvaises odeurs qui peuvent subsister à l’issue de la toilette.

Au XVIIIe siècle, c’est à Grasse que naît le peintre très reconnu Jean Honoré Fragonard… dans une famille de gantiers-parfumeurs. Son nom restera rattaché à une célèbre maison de parfum fondée plus tard et dont le nom lui est un hommage. L’intrigue du livre Das Parfum, die Geschichte eines Mörders de Patrick Süskind (1985) prend place à cette époque. Son adaptation, Le Parfum, par Tom Tykwer (2006) est un excellent moyen de se plonger dans l’univers très particulier de l’industrie, du commerce du parfum et des parfumeurs du XVIIIe siècle (Ben Whishaw, Dustin Hoffman et le sublime Alan Rickman). La région de Grasse présente alors une industrie florale intense, les paysages de fleurs odorantes que nous connaissons toujours se répandent à perte de vue tandis que la ville acquiert sa réputation de capitale européenne du parfum.

Au XIXe siècle, l’établissement des élites bourgeoises et le triomphe de l’industrie profiteront considérablement à Grasse, lui apportant à la fois progrès technique et afflux de clientèle. La mise à la mode de la Côte d’Azur dans la seconde moitié du siècle participe à ce dynamisme avec la venue de personnalités qui ont marqué l’époque : l’Impératrice Eugénie, l’Impératrice Victoria et l’Impératrice Élisabeth d’Autriche (alias Sissi), si chères à Stéphane Bern, en sont des exemples.

C’est ainsi qu’au début du XXe siècle la renommée de Grasse dépasse amplement le continent européen, notamment grâce à l’arrivée croissante de célébrités américaines. C’est de cette époque que datent les maisons de parfum les plus anciennes encore en activité en France. La maison Fragonard évoquée précédemment est ainsi fondée en 1926. Elle possède toujours en activité à Grasse une usine ainsi qu’un passionnant musée de la parfumerie. C’est également à Grasse que Coco Chanel passe la commande à Ernest Beaux d’un nouveau parfum. Celui-ci lui aurait alors proposé 24 senteurs différentes. Elle retiendra le N°5 de la première série qui deviendra le parfum le plus célèbre au monde, popularisé plus tard par Marilyn Monroe, Catherine Deneuve, Nicole Kidman, Brad Pitt ou Audrey Tautou.

Grasse reste de nos jours la capitale mondiale du parfum. Elle a contribué à forger l’identité régionale grassoise en sculptant ses paysages fleuris tout en participant à la réputation mondiale du luxe à la française. À ce titre elle constitue un haut lieu du patrimoine national.

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Illustration : Lorenzo Oliva

Effluves du temps fini

Varanasi est une ville hors du commun. Vitalisée par le Gange, un des fleuves les plus mythiques au monde, ses berges sont organisées en terrasses, où se déroule un large panel d’activités du quotidien : de la baignade au lavoir, en passant par les jeux de balles, le tout dans une parfaite cohabitation. Les ruelles escarpées qui desservent le reste de la cité offraient à mon imagination d’adolescente de quatorze ans toutes les images nécessaires pour assouvir ma « soif d’authentique », la vache sacrée en liberté étant ma source principale de divertissement. Si l’envie de découvrir était indéniable, je ne m’attendais pas à vivre un choc littéralement sensationnel sur les berges de ce fleuve presque mystique.

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Mais quelle odeur avait Paris au XVIIIe siècle ?

On se le demande bien ! L’idée générale a toujours été de dire que Paris n’a jamais été autant polluée qu’aujourd’hui. Mais passons ces idées reçues bien trop simples pour atteindre les intellectuels que nous sommes. Il est bien évident que le XVIIIe siècle n’était pas une époque où il faisait bon vivre à Paris. La lecture du très précieux Tableau de Paris par Louis-Sébastien Mercier, publié en 1781, ou du moins de son chapitre intitulé « L’air vicié », et celui sur « Les latrines publiques », nous apporte un grand nombre d’informations. En effet cet ouvrage, au caractère documentaire essentiel pour les historiens du XVIIIe siècle nous décrit avec maints détails la ville de Paris. On apprend ainsi que l’air de la ville de Paris était extrêmement pollué, étouffant et rempli de relents d’excréments. Même en sortant de la ville, les odeurs de « gadoue et immondices » couvraient la campagne jusqu’à « une demie-lieue de la Capitale ». Les églises étaient également touchées, on peut donc lire que les fidèles évitaient ces bâtiments car « l’odeur cadavéreuse se fait sentir dans presque toutes les églises » et les arrêtés, décrets ou autres tentatives n’y faisaient rien, les morts étaient enterrés dans la ville et l’odeur y restait. Nombreux étaient donc les problèmes de notre chère cité. Mais l’un d’entre eux primait sur les autres, vous avez bien compris, on parle de celui des emmerdants quoique  nécessaires excréments. Les latrines publiques étaient très rares, on pourrait plutôt dire que la ville toute entière faisait office de latrines publiques. Les Tuileries par exemple (que l’on connaît plutôt bien), étaient un lieu particulièrement bien agencé, où (attention ancien français à venir) « Tous les chieurs se rangeoient sous une haie d’ifs, & là ils soulageoient leurs besoins. » et donc « les terrasses des Tuileries étoient inabordables par l’infection qui s’en exhaloit. ».

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