Aux grands maux, les verts remèdes

File:John William Waterhouse, The Sorceress.png

John William Waterhouse, La sorcière, 1913, collection particulière. Crédits : Wikimedia Commons

L’automne et l’hiver commencent à pointer leur nez. Certains d’entre vous ont peut-être déjà établi un budget de dépenses spécial hiver. Car oui, les allers et retours chez le médecin et le pharmacien ont un coût que notre porte-monnaie d’étudiant ne se lasse pas de nous rappeler. Alors en cette heure « halloweenesque », je vous propose une immersion dans le potager d’une sorcière. En effet on oublie souvent qu’avant de prendre du paracétamol ou de l’ibuprofène, nos ancêtres utilisaient un tout autre type de médicaments !

 

Pour soigner vos maux divers (ou d’hiver, excusez-moi ce jeu de mots facile), il existe une grande variété de plantes aux merveilles thérapeutiques utilisées parfois depuis l’Antiquité, à découvrir aux détours des chemins de forêts (ou à disposer sous vos fenêtres). Tout cela à moindre coût évidemment. Escroquerie, magie, véritable « science » ? Les textes antiques et moyenâgeux peuvent nous mettre sur la voie. Il semblerait que certaines des plantes les plus communes à nos campagnes soient des indispensables du potager, des païens comme des sorcières.

Réputée pour être une panacée, et ce depuis des siècles, tous se devaient de cultiver la sauge. Un proverbe illustre parfaitement les avantages de cette plante de la famille des Lamiacées : « Qui a de la sauge en son jardin n’a pas besoin de médecin ». Et effectivement, cette dernière détient des vertus digestives, antiseptiques et bien d’autres. Utile dans le froid de l’hiver, une infusion de sauge accompagnée de miel aiderait à faire passer le rhume, tout comme un gargarisme de sauge infusée calmerait les maux de gorge.

Pour la toux, cette petite plante aux pétales roses et violets est tout aussi efficace. La mauve a également d’autres vertus, comme apaiser les piqûres de moustique grâce au suc de sa feuille froissée. Et si d’aventures, une migraine venait à vous rendre visite après avoir trop plissé les yeux face au cours d’archéologie orientale, des arts de l’islam et autres, il est dit que l’eau déposée par la rosée sur un pétale de mauve, cueilli au mois de mai peu avant l’aube, fera disparaître votre mal de tête aussi vite qu’il est arrivé.

Pour les plus touchés par la puberté et les problèmes de peau, cultiver un pot de joubarbe fera des merveilles à votre teint grâce à ses feuilles. Et pour un bouton disgracieux que vous désirez anéantir pour avoir eu le culot de venir s’installer sur votre visage ? Appliquer une feuille de sauge dessus, côté supérieur et votre ennemi déguerpira bien vite !

Vous n’arrêtez pas de vous gratter, les démangeaisons vous envahissent ? Le bouillon-blanc ou cierge de Notre-Dame peut vous aider à les faire disparaître. Et tout comme la sauge, notre indispensable n°1, cette plante aide à lutter contre les extinctions de voix (après une soirée bien arrosée à chanter et à crier…).

Pour ces demoiselles indisposées tous les mois, l’armoise et l’alchémille apaisent les crampes en général tout en favorisant l’appétit (personnellement ce n’est pas ce dont j’aurais besoin en même temps qu’avoir mes règles. Je mange pour deux pendant cette période !).

À la suite des fêtes de Noël, ou à une orgie de bonbons à l’occasion d’Halloween, des maux de ventre et des troubles digestifs pourraient venir vous indisposer. Utiliser du fenouil, facile à trouver en supermarché, est une astuce connue depuis très longtemps. Et avouons-le, il est facile de faire d’une pierre deux coups avec cette plante là car elle rentre aussi dans la composition du pastis…

Si vous vous retournez encore et encore dans votre lit sans réussir à trouver le sommeil, que vous faites des cauchemars, que les angoisses vous agressent constamment sous la pression des cours ou de la vie tout simplement, la valériane est la fleur à faire pousser sur votre balcon ! En infusion et tisane, elle aide à diminuer le stress, l’anxiété et même la dépression, tout en améliorant votre sommeil. Son jumeau, le millepertuis est une jolie plante jaune et solaire qui éloigne les mauvaises pensées dont on voudrait se débarrasser mais qui reviennent toujours à la charge, la mélancolie ou la nervosité dues aux examens ou oraux de TDO.

Et pour bien terminer votre cure de bien-être, consommez un peu de lierre terrestre qui vous donnera un bon coup de pouce énergétique car il est plein de vitamine C ! (Et pour les fumeurs, vous ferez du bien à vos bronches en le consommant en infusion avec une pointe de miel pour adoucir le goût.)

Enfin pour bien réussir votre année, je vous conseille d’aller cueillir trois plantes bien particulières qui devraient vous aider dans vos examens. Tout d’abord, la bourrache est la plante du bonheur et vous apportera le sourire lorsque la pluie viendra frapper vos fenêtres. Cependant, un rameau porté dans sa veste ou sa poche vous soutiendra avec hardiesse lors du passage d’un obstacle ou… d’un examen justement. Ensuite la potentille, portée sur soi, vous apportera du calme et un discours posé et toujours éloquent dans une situation stressante, encore plus si votre potentille a sept feuilles !

Et pour finir en beauté cet article, je vous invite à poser un rameau de lierre terrestre (le voilà de retour celui-là) sur votre bureau ou votre table d’examens. Lié aux arts, ce petit bout de plante vous apportera l’inspiration si une panne inopportune se fait sentir…

Même si vous êtes sceptique à la fin de votre lecture, je vous invite tout de même à aller vous promener dans la campagne en périphérie de Paris, pour vous aérer l’esprit, vous reconnecter à vous-même et admirer la nature et son éternel cycle de floraison.

 

Cassandre BRETAUDEAU

 

Source : Secrets des plantes sorcières, Richard Ely, édition Au bord des continents.

Quand un balai sème le désordre : origine des symboles de la sorcière

Sorcière. Chapeau, baguette, nez crochu à verrue, toute de noire vêtue (couleur associée au deuil depuis l’Antiquité). C’est ainsi que j’imaginais celle qui se cachait dans un placard de mon école maternelle. La maîtresse, souhaitant nous dissuader d’y fouiller, nous avait mis en garde contre son occupante: une sorcière qui dévorait les petits enfants trop curieux.

 

Si ma camarade d’Art-Thémis vous parle de la symbolique de notre sorcière bien mal-aimée, c’est l’image même de celle-ci que nous allons aborder ensemble. Quelles sont les origines de ces attributs que l’imaginaire collectif associe à la Sorcière occidentale?

 

On commence par un voyage dans le temps:

Le terme de sorcellerie  apparaît au Moyen Âge, un dérivé du latin sortiarius, diseur de sort.

  • 1330: première mention de Sabbat à Carcassonne
  • 1460: premier procès pour sorcellerie, dans le Nord de la France, nommé «Vauderie d’Arras». Hommes et femmes, sous la torture, se reconnaissent coupables, entre autres, de voler sur des baguettes et de célébrer des messes noires en l’honneur du diable. Cet épisode donne lieu à de premières enluminures.
  • 1486: publication du Malleus malleficarum, manuel de chasse à la sorcière. C’est un véritable succès éditorial, 40 ans après l’invention de l’imprimerie à caractères mobiles.
  • XVIe et XVIIe siècles: l’image se stabilise via la circulation des gravures de Bruegel l’Ancien (1565), période des Grandes Chasses (1580-1670), scènes de départ au Sabbat
  • XVIIIe siècle, raréfaction de la figure de sorcière, reléguée au rang de légende, au conte, à la mascarade (bals costumés, théâtre)
  • 1751: Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, Sorcellerie est définie comme une «opération magique honteuse ou ridicule attribuée stupidement par la superstition à l’invocation et au pouvoir des démons»
  • XIXe: repopularisation du sujet par les romantiques (poésie, danse, peinture, littérature)
  • XXe-XXIe: figure incontournable d’Halloween, reprise par les mouvements féministes

 

 

En contexte de peur des hérétiques, de guerres de religions, de maladies et de catastrophes naturelles, la sorcière est la figure de l’ennemi intérieur, celle qui pactise avec le diable, maître de la tromperie, et menace l’organisation de la société chrétienne. Le judaïsme étant une hérésie pour l’Église catholique, l’antisémitisme se mêle à la femme un peu trop libre pour construire l’image de la sorcière: elle est dessinée avec un long nez crochu, et se rend au si scandaleux sabbat, un ancien mot pour désigner la synagogue.

En plus du judaïsme, elle cristallise de nombreux mythes païens. Ainsi leur matrone est Hécate, liée à la lune, la nuit et la magie. Les trois vieilles femmes dans Macbeth, sous la plume de Shakespeare, ne sont pas sans rappeler les Parques. Dans le folklore alpin, Perchta, accompagnée de démons de l’hiver, récompense d’une pièce d’argent les enfants sages, et punit les turbulents par l’éviscération.

 

Le cercle de Waterhouse résume bien ce syncrétisme: une sorcière brune, dans un désert aux ruines égyptiennes, concocte une potion dans un chaudron. Dans sa main gauche une serpe, outil druidique, tandis que des gorgones antiques ornent le bas de sa robe.

Les artistes n’ont cessé d’enrichir, de renouveler et d’ajuster l’image de la sorcière en accord avec leur époque.

 

 

 

C’est donc parti pour un roomtour des accessoires favoris de la sorcière.

 

Baguette magique

Présente dès l’Antiquité, on la voit sur des céramiques dans les mains de Circé, accompagnant une coupe. Si elle est centrale dans Harry Potter, elle est désormais plus l’apanage du magicien de scène ou de la fée. La fée qui justement se présente comme le miroir vertueux de la sorcière hors norme et hors de contrôle: féminine, puissante mais respectueuse de l’ordre social puisqu’elle vient en aide au héros

Chaudron, grimoire, balais et compagnie,

Ce que ces objets ont en commun? Ils sont avant tout des outils domestiques. La sorcière, elle, en pervertit l’usage: le chaudron et le grimoire ne servent plus à préparer le repas, mais à cuire les petits enfants et préparer des sorts. Le balais ne tient plus la maison propre mais l’accompagne à son sabbat. On peut également y trouver une interprétation phallique, renvoyant à la sexualité dégradante de la sorcière.

1451, Enluminure du Champion des Dames, Martin le Franc : femme chevauchant un balai. Crédits : Wikimedia Commons

Le crâne et la bougie, quant à eux, peuvent être rapprochés des Vanités. La bougie éclaire un antre dangereux, et le crâne, souvenir d’une précédente victime, nous met en garde.

A la fin du XIXe siècle, le vitriole, ou acide sulfurique, est utilisé pour nettoyer les casseroles en cuivre. Hautement corrosif, il est utilisé comme poison dans quarante-huit affaires criminelles, en France, entre 1870 et 1915. Il n’en faut pas plus pour que les artistes le placent sur les étagères de la sorcière.

D’après Le Philtre d’Amour, Evelyn de Morgan, 1903, De Morgan Collection

Sa ménagerie

Le bestiaire qui accompagne la sorcière est varié. Ils inspirent la crainte (chat noir, hybrides à la Jérôme Bosch), et évoquent la mort, à travers leur aspect chthonien (reptiles), ou leurs habitudes carnassières et leur cri rauque (corbeaux). Le bouc, lui, symbolise une sexualité dépravée, héritée de divers cultes (fertilité, Bacchus). Opposé à l’agneau blanc christique, il est l’animal du diable, et est célébré lors du sabbat et des messes noires. Les femmes dansent avec l’animal et lui embrassent l’anus, une pratique appelée «baiser du Diable», et mentionnée en 1460 pour la première fois, dans un livre offert au roi Edward IV. Le bouc marque particulièrement le Pays-Basque, région où l’Inquisition fut particulièrement sanglante, et que l’on trouve dans les productions de Goya.

L’idée de compagnonnage est également récurrente dans la représentation de la sorcière: les hybrides sont leur monture, à l’image d’une Diane funeste qui chevauche à travers la nuit, nous dit une légende germanique.

 

Chapeau et variantes

La première figuration du chapeau noir pointu emblématique apparaît en 1775, sous le pinceau de Daniel Gardner, et se généralisera au XIXe siècle. Auparavant la sorcière est coiffée du hénin médiéval, interdit par l’Église car évoquant trop les cornes du Diable. Les condamnés de sorcellerie revêtaient un chapeau infamant cylindrique, pointu ou en mitre, orné d’une image de diable, héritage d’un chapeau anciennement porté par les juifs. On en observe chez Goya, lors de l’Inquisition espagnole et portugaise.

D’après Trois sorcières de Macbeth, Daniel Gardner, 1775, National Portrait Gallery : triple portrait d’Anne Seymour Damer, sculptrice, Elizabeth Lamb, politique influente, et Georgina Cavendish, duchesse connue pour ses talents littéraires, toutes trois militantes whig (contre l’absolutisme royal)

 

La nudité: antithèse de la femme vertueuse et dévouée

Figure à la sexualité immorale, la nudité sied fort à nos sorcières, aussi bien pour souligner leur monstruosité, ou au contraire pour rendre compte de leur sensualité. Deux types de sorcières se distinguent. D’abord la vieille cannibale à la pustule qui terrorise les enfants. Ensuite la femme fatale, souvent rousse, sulfureuse, qui envoûte les hommes pour leur plus grand malheur (Lilith, Judith, Eve, Salomé, Circé), que l’art symboliste porte à son apogée entre 1890-1900. Pour les artistes, les figures divines, orientales et fantastiques fournissent un prétexte au nu, et permettent d’échapper à son interdiction.

 

Pouvoirs magiques

D’après Paul Klee, Sorcières concoctant un breuvage, 1922

Je vous ai parlé des potions comme le vitriole (le poison étant réputé comme l’arme des femmes) et des sortilèges lancés pour manipuler les pauvres humains et sacrifier les victimes au diable. Parmi les pouvoirs de la sorcière on compte également la divination (lire Macbeth), la nécromancie (le roi Saül dans la Bible) mais également le contrôle de phénomènes météorologiques (Dürer représenté plus haut) et des astres, une capacité que l’on retrouve également dans les mythes de certains peuples nomades russes.

 

Ailleurs dans le monde on rencontre des variations:

En Russie justement, la plus célèbre sorcière est Baba Yaga. Elle peut revêtir trois aspects: la cannibale, la guerrière, ou la ravisseuse, est parfois anguipède. Elle vit dans une chaumière (isba) montée sur des pattes de poules, et se déplace dans un mortier à l’aide de son pilon. Son balai lui sert à effacer les traces de son passage.

Dans le folklore des Carpates on rencontre Baba Cloanta, à la fois guérisseuse, oracle, guide et démon.

A leur arrivée en Afrique, les Européens associent communication avec les esprits, pratiques vaudou et traditionnelles au concept de la sorcellerie occidentale.

Dans la culture japonaise, la sorcière n’est assimilée qu’après la Seconde Guerre mondiale. Avant cette date, on trouve l’histoire de Takiyasha, un sujet fréquent des gravures sur bois. Née au Xe siècle et fille d’un seigneur provincial, elle habite le palais en ruine de son père, assassiné, et souhaite le venger. Surnommée Princesse Démon de la Cascade, elle est représentée déchiffrant des sortilèges sur un rouleau afin de convoquer un immense squelette. Elle sera défaite par un guerrier, montant un crapaud, sabre à la main, torche à la bouche (voir l’estampe sur bois d’Utagawa Kuniyoshi, 1844).    A l’inverse Yama-Uba, une vieille et hideuse sorcière de la montagne, est la protectrice d’un héros du folklore japonais.

 

Les productions modernes et contemporaines ne laissent pas en plan notre sorcière, reprenant bougies, grimoires, baguettes et potions: séries et films (Sabrina l’apprentie sorcière, Scarlett Witch dans l’univers MARVEL), installations (Steilneset par Louise Bourgeois, La Bruja de Cildo Meireles), photographies (Sleeping witch de Kiki Smith), et même musiques (Sorcière de Pomme).

D’après la Bruja, Cildo Meireles, 1948, au Centre Pompidou depuis 2005

Alors, quel.le sorcier.e serez-vous cet Halloween?

 

Quelques ouvrages et expositions

Mythes et Meufs – Blanche Sabbah

Sorcière, de Circé aux sorcières de Salem – Alix Paré

Le complexe de la Sorcière – Isabelle Saurente

Les sorcières de Bruegel, Bruges, 2016

 

Lilou F

Saint Maximilien prêche aux edliens

(Cette interview date de 2009, publiée dans le deuxième numéro du Louvr’boîte et remise à l’honneur en ce mois de septembre après la nomination de Maximilien Durand au poste de conservateur du nouveau département des arts de Byzance et des Chrétientés d’Orient du musée du Louvre.)

 

Trois années dans le même amphithéâtre obscur, à discerner vaguement des silhouettes professorales se découpant sur d’immenses clichés. A écouter des voix surtout, qui défilent et enrobent un discours plus ou moins palpitant. Il y en a que l’on attrape au vol et que l’on retient. Ce timbre velouté par exemple qui, de Baouit à Byzance, nous entraina à travers les méandres d’une légende chrétienne peuplés de vierges folles, de païens concupiscents, et de saints débonnaires. Derrière la voix, l’homme : Maximilien Durand. Plutôt jeune. Plutôt charmant aussi. Et doté d’un charisme et d’une éloquence naturelle qui nous font oublier sa pauvreté capillaire.

Rencontre avec celui qui danse sur les ponts dans son bureau du musée des arts décoratifs. Un ange passe…

Continuer la lecture

Sofiya Pauliac : Ukrainian vanity

Lundi 28 mars. 14 : 44.

J’ai du mal à me l’avouer mais la guerre fait désormais partie du quotidien. Je ne passe plus autant de temps à scruter l’écran de mon téléphone ou à allumer la télévision chaque soir pour écouter le journal. Mais où est-ce que l’on en est ? il se passe tant, sans que l’on ait l’impression qu’il se passe quoi que ce soit. 

Tout se détruit sous nos yeux, les hôpitaux, les écoles, les aéroports, les habitations. Je préfère me réfugier dans mes souvenirs, qui eux, demeurent intacts et lumineux. J’ai grandi avec mes grand-parents jusqu’à mes cinq ans et nous avions des routines qui m’amusent encore aujourd’hui. Je me rappelle qu’en rentrant de la maternelle avec ma grand-mère, mon grand-père nous attendait déjà attablé, tenant, dans une main un couteau et dans l’autre, une gousse d’ail entamée. La scène était complétée par les écailles d’ail parsem ées sur le bord du meuble. C’était son rituel. Tous. Les. Soirs. Il me faisait toujours rire quand, toujours à table, au moment des repas, il était le premier servi, et le temps que mon assiette soit préparée, il avait déjà englouti la moitié de son assiette. Alors, comme a chaque fois, je lui demandais « Pourquoi manges-tu aussi vite ? », ma grand-mère, lassée de cette même question qui revenait à chaque fois, répondait à sa place « C’est parce qu’il était à l’armée, ils n’avaient jamais le temps là-bas ».

 Ah, cette grand-mère, une vraie marraine fée ; elle cherchait constamment à me faire plaisir, me cuisinait des crêpes, des tartines grillées avec du fromage et un chocolat chaud ; voilà ce qui m’attendait après le lever chaque matin. La nourriture à la maternelle faisait légèrement moins rêver…entre les pâtes au lait et le pain desséché, le choix était dur à faire. 

Je lui en veux de m’avoir arraché cette belle image que j’ai de mon pays, je lui en veux d’avoir réduit ces souvenirs vivants à des ruines, je ne retrouverai plus ces endroits tels qu’ils étaient. 

La guerre nous paraissait lointaine, que ce soit géographiquement ou historiquement. C’est considéré comme appartenant au passé, comme des erreurs faites par nos ancêtres que nous ne pourrions plus refaire ; car nous avons la chance de regarder l’histoire avec du recul et de réfléchir avant de prendre des décisions qui toucheraient le monde entier. On se disait que personne ne voulait revenir aux temps de l’Union soviétique. On se trompait. 

Mes parents ont vécu pendant cette période, ils m’en parlent peu, sauf quand je leur pose des questions concrètes. Ils me disent de me méfier de ce que j’ai pu lire dans mes manuels de collège, car la période des années 70-80 correspond à un certain relâchement au niveau des interdictions. Mais ils se rappellent que même enfants, on leur disait de ne faire confiance à personne. Chaque mouvement et chaque parole était pesé et contrôlé. On ne pouvait pas envisager l’acte de prier, ni d’entrer dans une église. A la place, ma mère priait avec sa famille en secret. Chaque dimanche matin, ils se coiffaient, s’habillaient en chemises brodées, cueillaient des fleurs du jardin, et, une fois assis en cercle, on allumait la radio pour écouter la liturgie.

Quand ils me racontent ces bribes de leurs vies qui me paraissent si lointaines et inconnues, je me rends compte que je ne les connais pas aussi bien que je le pensais. 

Cette méfiance des informations subsiste pourtant. Lorsque j’ai débuté mes recherches concernant l’histoire de mon pays, j’ai été rapidement confrontée à des problèmes. Le seul livre en français sur l’histoire complète de l’Ukraine que j’aie pu trouver en librairie s’est avéré truffé de fautes. Dès la première page, il y eut une erreur. Elle concernait l’origine linguistique du mot « Ukraine ». le livre disait que l’appellation venait des mots ou – qui signifie « à, près de » – et de kraina – qui signifie « territoire » – le tout voulant dire « territoire au bord », le territoire au bord d’un autre. Cela aurait été donné par les Russes, par dédain envers leur voisin ukrainien. Mais cela est complètement faux. C’est l’explication qui avait été donnée par les Soviétiques pendant l’URSS. 

Le mot « Ukraine » vient tout simplement de kraina qui veut dire « territoire » certes, mais aussi « vaste plaine » ; et c’est bien un nom que se sont donné les Ukrainiens eux-mêmes. Je n’en veux pas aux écrivains de ce livre, il est malheureusement très difficile de trouver les bonnes informations concernant l’histoire de l’Ukraine et j’en ai moi-même fait les frais au cours de mes recherches. 

Il faut rester vigilant à la désinformation et aux intox, qui sont nombreux, à travers l’histoire, et aujourd’hui plus encore. 

Si vous êtes intéressé par l’histoire de l’Ukraine, je vous conseille vivement de jeter un œil aux ouvrages de Iaroslav Lebedynsky (archéologie et histoire), Iryna Dmytrychyn (qui a traduit de nombreux romans ukrainiens) et au livre De la « Petite-Russie » à l’Ukraine de Mykola Riabtchouk (qui explique l’origine du conflit russo-ukrainien).

Sofiya Pauliac

Interview Le Pogam

Flora et Cassandre : Pouvez-vous vous présenter et nous donner quelques étapes de votre parcours professionnel (études et carrière) ?

Pierre-Yves Le Pogam : J’ai tout d’abord étudié à Paris IV et Paris I, puis à l’Ecole du Louvre et à l’Ecole des Chartes. Enfin j’ai un doctorat en histoire de l’art. J’ai été conservateur au musée de Cluny pendant sept ans, de 1992 à 1999. Ensuite je suis parti cinq ans à Rome où j’ai fait partie de l’École française de Rome. Je suis revenu en France en 2005 et je suis devenu conservateur au musée du Louvre jusqu’à aujourd’hui au département des Sculptures.

Cassandre et Flora : Pourquoi vous être tourné vers la sculpture médiévale ?

PYLP : J’ai toujours aimé l’art médiéval. Plus jeune, j’aimais beaucoup les châteaux et les églises. C’est donc le premier domaine où j’ai décidé de m’orienter. Tout me plaît, que les œuvres soient des objets d’art, de l’architecture ou de la sculpture par exemple. Je me suis d’ailleurs d’abord plutôt spécialisé en histoire de l’architecture et aussi bien dans ma thèse à l’Ecole des Chartes que dans mon autre thèse d’histoire de l’art, j’ai abordé l’histoire de l’architecture. Au musée de Cluny je m’occupais beaucoup d’objets d’art, d’art décoratif et d’architecture. C’est lorsque je suis arrivé au Louvre, il y a dix-sept ans, que je me suis surtout intéressé à la sculpture. Enfin, je trouve également que l’époque médiévale est une période de mille ans très riche et très complète à la fois et donc passionnante.

Continuer la lecture

Sofiya Pauliac

Mardi 15 mars 2022. 10 :05. La journée débute de la même manière que depuis ces dernières semaines : dès le réveil, je scrute les dernières informations pour savoir ce qui a pu se passer pendant la nuit.
L’Ukraine est mon pays d’origine, ma patrie, la terre que mes ancêtres ont foulé, la terre où les générations se sont succédées, où ma famille vit encore.
Je ne vais pas parler de politique, ni expliquer ce qui peut se passer en ce moment-même à deux mille kilomètres de là d’où j’écris, je ne peux que parler de ma propre expérience et de mon ressenti en tant qu’immigrée ukrainienne en France.
Je suis née en Ukraine et j’ai eu la chance d’y passer mon enfance, j’en garde des souvenirs précieux et très nostalgiques. Je me rappelle des promenades en automne où l’on rassemblait les feuilles mortes pour en faire des bouquets, des balades en luge avec mon grand-père et même de certaines journées de maternelle. Nous avions des goûters assez atypiques : des pâtes au lait ou de la kacha de différentes sortes – bouillie de sarrasin, de millet ou d’avoine ; que l’on appelait « kacha Heraclès » quand on y ajoutait des fruits secs et des noix – que l’on mangeait après la sieste quotidienne. A l’époque, l’heure de la sieste parassait plus de l’ordre de la punition. Une salle pleine de petits lits d’enfants était consacrée à ce temps calme. Mes animatrices étaient très strictes et nous obligeaient a nous endormir dans la position « adéquate » : les deux mains rassemblées – la même position que pour faire une prière – étaient placées sous la joue droite et la position du corps devait suivre. Je m’endormais rarement et je passais surtout l’heure à observer mes camarades qui soient avaient peur d’ouvrir les yeux, soit faisaient les clowns ; une fois, un garçon, Pavlo, avait décidé de se rebeller. Il s’était levé de son lit en sursaut pour essayer de se faufiler par une des petites fenêtres. Inutile de préciser qu’il a finit sa sieste au coin.
Mais je me souviens aussi de la Révolution Orange, des rassemblements dans ma ville les soirs d’hiver où tout le monde portait des écharpes et des drapeaux oranges, levait sa bougie et chantait à tue-tête « Yushchenko tak », une chanson consacrée au futur président, censé remettre le pays dans le droit chemin.
J’ai quitté mon pays peu de temps après avec mes parents, en mars 2005, direction Paris, ils souhaitaient m’offrir plus d’opportunités et un avenir, que je n’aurais pas pu avoir en Ukraine.
Moi je voyais les choses d’une façon plus innocente, je ne voyais pas les difficultés ni les problèmes, je voyais ça comme un long voyage de Kyiv, en passant par l’Autriche et la Pologne pour arriver a Paris. Mon enfance a été remplie de mes souvenirs de l’Ukraine et j’ai rapidement été propulsée sur le devant de la scène au sein du Centre ukrainien de Paris où je chantais des chansons ukrainiennes tous les mercredis. Mon pays ne m’est jamais sorti de l’esprit ni du cœur, dès que j’avais l’occasion d’en parler, je le faisais. Durant ma scolarité, lorsqu’on était amené à faire un exposé je choisissais toujours l’Ukraine et sa culture. En fin de primaire, j’étais même venue en costume traditionnel en proposant des petits gâteaux typiques que ma mère avait passé la veille à préparer.
J’étais en 3e lorsque la guerre a éclaté dans le Donbass, je ne comprenais pas encore très bien les choses et je ne savais pas trop quoi penser, ma famille a toujours été dans les Carpates ce qui fait que je ne minquiétais pas vraiment pour eux. Cependant lorsque je suis revenue pour la première fois – comme tous les étés – depuis le début de la guerre chez moi, les gens étaient différents, quelque chose avait changé dans leur attitude et dans leur perception de l’avenir qui les attendait.
J’ai commencé à poser des questions sensibles à ma famille bien plus tard, et je me suis rapidement rendue compte que j’ignorais beaucoup de choses sur l’histoire de mon pays mais aussi sur l’histoire de ma propre famille. Il y avait beaucoup de non-dits – et pour des raisons bien compréhensibles – comme sur le destin de certains de mes ancêtres, des résistants au régime stalinien qui ont été exécutés pour trahison et en guise de punition, la maison familiale a été rasée et les parents de ceux- ci furent envoyés en Sibérie. Combien d’histoires me reste-t-il encore à découvrir ?
J’ai su assez vite au sujet du Holodomor, le génocide des ukrainiens de 1933 orchestrée par Staline ayant fait plus de 5 millions de morts, mais aussi de la chasse et torture des intellectuels et artistes ukrainiens des années 1960 dans le but d’effacer la culture et la mémoire ukrainienne.

Mais aujourd’hui la situation est différente. Les événements récents m’ont frappé plus forts que les dernières fois. Les émotions diverses que je ressens se contredisent : un mélange de frustration et d’impuissance – de ne rien pouvoir faire d’ici pour l’Ukraine – ,de culpabilité – d’avoir quitté mon pays – ,mais aussi de fierté d’être ukrainienne et de pouvoir compter sur toutes les personnes qui défendent courageusement le territoire chaque jour et qui ne comptent pas s’arrêter de si tôt. Pourtant, j’ai peur, peur de ne pas pouvoir y retourner, ou pire encore; d’y revenir mais de ne plus retrouver la maison de mon enfance dans le même état que j’ai pu la laisser. Serais-je capable de reconnaitre ces lieux ? Ces gens ? Est-ce que l’air sera le même ? et les montagnes ? les rivières ?
Malgré tous ces sentiments, j’entends ces derniers jours mon pays qui m’appelle de plus en plus fort, qui ne m’abandonnnera pas et que je n’abandonnerais pas non plus : « Chante mes chansons, apprends mes histoires, lis mes poèmes, danse quand tu entends ma mélodie mais ne me pleure pas ».
Une Table-ronde sera organisée à l’Ecole le mardi 29 mars et consistera en une présentation de l’histoire, archéologie et traditions ukrainiennes, suivie d’un débat et se finira par une approche musicale ainsi qu’une petite exposition. Venez nombreux, votre présence est déjà une lutte contre l’oubli.

Sofiya Pauliac

Quel avatar du dieu Vishnou êtes-vous ?

À quel incroyable style vestimentaire peut-on te reconnaître en amphi ?

⭐️Un goût prononcé pour les plumes de volatiles et pour tout ce qui brille.
❤️À ta sublime paire de bottes, pour courir rejoindre ta place lorsque tu es en retard.
💣Du bien moulant, pour que se devine ton incroyable anatomie maniériste.
🔶Un peu chic et seyant, toujours avec une pointe de parfum derrière les oreilles.
🏳️Un peu ténébreux, pour cacher ton tendre petit cœur de poète.
❌Tu ne comptes pas le révéler car tu es toujours en avance d’une tendance…

Quand tu n’es pas en cours à l’école ou au musée :

⭐️Tu sors beaucoup avec tes amis (cinéma, restaurants, fêtes) même si tu devrais travailler.
❤️Tu te changes les idées en allant à la salle de sport ou en allant courir.
❌Une bonne série Netflix ou un jeu vidéo, un canapé confortable, ta nourriture préférée : que demander de plus ?
💣Tu organises des temps de travail en groupe pour être plus efficace.
🏳️Tu as un petit boulot pour payer tes factures et gagner en indépendance.
🔶Tu t’es inscrit(e) à des associations caritatives. Tu as des contraintes à respecter, toi.

Quel est ton mets préféré ?

🔶Du healthy, du fait maison, du gastronomique qui fait orgasmer les papilles.
❌N’importe quoi d’assez instagrammable pour mériter une photo.
💣Les légumes de cette bonne vieille Terre-mère.
❤️La soupe, pour devenir (encore plus) grand et fort.
🏳️Le professeur d’HGA qui t’a volé quinze minutes de ta pause déjeuner.
⭐️Le kebab, les sushis, le tacos cordon bleu, n’importe quoi qui se mange avec les mains… et entre potes.

La bibliothèque de l’école rouvre enfin :

❤️Bof. Tu t’en es passé toute l’année et tu as trouvé de nouvelles solutions pour t’adapter rapidement.
💣Tu t’y rends dès que tu peux, si possible à la première heure !
🏳️Tu ne peux pas y rester assis plus de deux minutes, ça énerve tout le monde mais tu viens quand même le faire.
❌Tu as encore du temps avant de devoir étudier la bibliographie. Les examens ne sont que dans deux mois…
🔶Prudent(e), tu réserves tes livres à l’avance sur Pléiades avant qu’ils ne soient couverts des miasmes du commun des mortels.
⭐️Tu empruntes tous les Arts de l’Inde de Anne Marie Loth pour faire flipper tes amis qui le voulaient aussi.

Quel est ton type de boisson préféré non alcoolisé :

💣Le chocolat chaud (si possible viennois…)
🔶Le thé. (avec un nuage de lait s’il vous plaît)
❤️Le café. (et plusieurs pour tenir toute la journée s’il vous plaît !)
⭐️Un soda, frais et pétillant.
🏳️Une bonne boisson énergétique, du type Red Bull, pour tenir les cours d’histoire des collections !
❌Un smoothie du turfu, avec les ingrédients les plus improbables !

En cours de TDO tu es plutôt du genre :

🏳️À poser des questions tout le temps (tu repères toutes les contradictions des artistes et des œuvres)
❤️À arriver toujours en avance car tu connais tous les raccourcis du musée (et avec ton petit tabouret bien pratique !).
💣À envoyer ton cours et tes notes dès que tes collègues en ont besoin.
⭐️À créer le groupe WhatsApp dès le début de l’année et à connaître tous les prénoms le premier.
🔶À effectuer le contact avec les chargés de TDO ou l’administration car tu es celui qui s’exprime le mieux.
❌À toujours prendre tes cours sur tablette, ordinateur ou téléphone (malgré les recommandations de Mme Lhoyer !).

Si tout était permis dans les musées tu…

💣Volerais cette statue si mal exposée que tu adores.
🏳️Taillerais en pièces l’impudent visiteur qui ose poser son doigt sur une œuvre.
❤️Camperais dans le Louvre.
🔶Déclarerais des poèmes aux visiteurs, aux arbres et aux cimaises.
⭐️Ferais un truc bien insolent au motif que c’est une performance artistique moderne.
❌Mais tout sera permis quand tu seras le directeur du Louvre.

Résultats :
(En cas d’égalité, référez-vous en bas de page)

💣Tu es Vishnou Varaha, le sanglier :
Tu es la personne de la situation, qui sait déployer son élégant mufle en toute occasion utile. Toujours là pour jucher sur ton épaule la Déesse-Terre (ou tes potes bourrés, ça arrive aussi), tu restes toujours lucide. Tout le monde reconnaît ton incroyable capacité d’initiative et de résistance à toute épreuve. Tes capacités aquatiques sont également hautement appréciées lorsqu’il s’agit de repêcher un camarade au moral un peu en berne. Le sérieux de ton organisation et de ta musculature nous sont quotidiennement d’un grand secours. Continue comme ça (et n’oublie pas d’essuyer ces restes de chocolat viennois de tes jolies défenses).

🏳️Tu es Vishnou Narasimha, l’homme-lion :
Un petit démon du style cartel manquant, livre indisponible, salle de TDO fermée ? Te voilà prêt à l’étriper. Impulsif, ton côté justicier peut vite s’enflammer et tu défends bec et ongle les causes qui te tiennent à cœur. Tu es parfois la maman de tes petits camarades dans le fond, une vraie shakti. Enfin, on te dit facilement susceptible, mais la vérité, c’est que sans toi, il manquerait un peu d’animation en amphi. On entend ta voix porter sur plusieurs rangs et tout le monde sait que ce n’est pas Brahma qui récite les Veda…

🔶Tu es Rama, le noble prince hindou avatar de Vishnou :
Tu es une personne distinguée, charmante mais parfois un peu distante. Le raffinement est ton art de vivre et tu te complais à cultiver ta différence par rapport au commun des mortels. Cependant lorsque tes intérêts ou ceux de tes proches sont menacés, tu n’hésites pas à détruire quelques démons et à jouer à l’Indiana Jones. Hanuman t’envoie des bisous !

⭐️Tu es Krishna, l’enfant-Vishnou qui ne sait pas arrêter son char :
Tu jongles entre un côté facétieux et imprudent, désirant vivre ta vie de jeune adulte pleinement, et un besoin de grandir et de t’assagir car tu sens ton côté divin te rappeler à l’ordre. Mais pour l’heure, à l’école, tu fais des bêtises. Avec le temps et tes diplômes en poche, tu découvriras enfin ton plein potentiel d’individu brillant et tu pourras enfin conduire ton char dans la direction la plus noble (mais passe quand même ton permis avant).

❤️Tu es Vamana, le Vishnou nain aux bottes de sept lieues :
Sous des aspects parfois chétifs, tu caches bien ton jeu. Sitôt ton pacte avec le démon Bali passé, tu te transformes en une personne dynamique, résistante et surtout rusée. Plus adaptable qu’une armoire Ikea, tu trouves toujours une solution de sortie, même pour les dissertations en trois parties. Enfin pour contrer les grèves de métro, c’est toi qu’il nous faut ! Le souffle divin t’anime dès qu’il s’agit de parcourir Paris.

Tu es Kalkî, le Vishnou du turfu :
Chill et sans prise de tête, tu ne te préoccupes pas du futur, allongé sur ton pouf Ananta. Pourtant, tu es notre prophète visionnaire dans de nombreux domaines ! Tu laisses la vie couler sur toi comme l’Océan originel en attendant de t’éveiller pleinement à ton potentiel divin. Il est difficile de te cerner mais nous sentons déjà ton originalité rayonner. Tu es promu à de grandes choses, #leretourdevishnou

En cas d’égalité :
Si vous ne vous retrouvez pas dans les avatars de Vishnou, c’est peut-être qu’un Shiva se cache en vous… Seriez-vous Harihara, une rareté des plus originales ?

Marie et Cassandre, vos dévoués Vishnou et Shiva… .

 

Interview Junior entreprise

École du Louvre Junior Conseil a cette année encore réalisé une mission en collaboration avec le Club international pour participer à l’accueil des élèves internationaux de l’École ! La mission comprenait trois médiations : une visite des chefs-d’œuvre méconnus du Louvre, une visite des quartiers du Louvre et du Marais et une visite « jeu de piste » du quartier Latin à destination des élèves internationaux de l’École du Louvre. Les objectifs de cette mission étaient de faire découvrir la culture française aux élèves internationaux, de faciliter leur intégration et de les guider dans leur nouveau cadre de vie.

            Nous avons rencontré Lucie, qui a activement participé à la mise en place de cette mission. Chef de projet au pôle Commercial de la Junior Entreprise et élève en troisième année de premier cycle en spécialité arts du XIXe siècle, elle est entrée cette année à l’école du Louvre par équivalence, après deux années de prépa. Nous lui avons demandé de présenter la Junior Entreprise pour ceux et celles qui ne la connaîtraient pas, puis de nous expliquer plus en détails cette mission.

Flora : Est-ce tu pourrais nous présenter la Junior-Entreprise pour ceux et celles qui ne la connaîtraient pas ? Nous expliquer de quoi il s’agit et quelles sont ses missions ?

Lucie : La Junior-Entreprise est, globalement, une entreprise gérée par des étudiants et pour des étudiants et à vocation non lucrative. Notre but est de nous professionnaliser, que ce soit de la part des membres actifs, comme moi par exemple, en gérant la structure à un poste précis sur une année entière de novembre à novembre de l’année suivante ou de la part des intervenants ou adhérents. Il s’agit de n’importe quel élève de l’école qui peut postuler à nos missions (médiation, rédaction etc.). Ils sont rétribués pour leur mission. Nous travaillons avec beaucoup de types de structures différentes, comme le musée du Louvre ou du Jeu de Paume, Chanel… mais aussi avec des plus petites structures ou musées…

Continuer la lecture

Catabase

Mesdames, Messieurs. Merci d’avoir pris place à bord de la barque Charon n°3654 en provenance de la Terre et à destination des Enfers. La barque sera sans arrêt jusqu’aux Enfers. Pour votre sécurité, nous vous prions de bien vouloir vous éloigner des chiens mutants, boîtes suspectes et de ne pas vous retourner. Nous vous souhaitons un excellent voyage !

Homère, Odyssée, chant XI : « Le vaisseau arrivait au bout de la terre, au cours profond de l’Océan. Là sont le pays et la ville des Cimmériens, couverts de brumes et de nuées ; jamais le soleil, pendant qu’il brille, ne les visite de ses rayons, ni quand il les retourne du ciel vers la terre ; une nuit maudite est étendue sur ces misérables mortels. »

Quelle drôle d’idée de s’être embarqué dans une telle pérégrination ! Surtout que limbes, ce n’est pas la Côte d’Azur ! C’est PIRE que la Bretagne diraient certains, sauf qu’il n’y pleut pas. Les limbes portent bien leur nom si l’on s’en tient à leur étymologie latine – limbus, qui signifie « bordure », « lisière », « frontière ». On y trouve les portes des Enfers, rigoureusement cartographiées aujourd’hui et bien connues des guides touristiques : le gouffre de Padirac, la grotte Plutonium, le cratère de Darvaza, le Mont Fengdu, les volcans (dont le Masaya et le Hekla), les grottes jumelles en Palestine, le lac Averne… Faites votre choix, il y en a sur tous les continents. Attention cependant de ne pas chopper une cochonnerie au passage, car il y a en plein qui se tapissent à l’entrée des Enfers dans l’espoir de sauter sur le premier vivant un peu naïf qui s’aventure dans le coin.

Virgile, Enéide, livre XI : « Dans le vestibule même, à l’entrée des gorges de l’Orcus, le Deuil et les Remords vengeurs ont fait leur lit ; là habitent les pâles Maladies, et la triste vieillesse, et la Crainte, et la Faim mauvaise conseillère, et la hideuse Pauvreté, formes terribles à voir, et la Mort, et la Souffrance ; puis, le Sommeil, frère de la Mort, et les Joies mauvaises de l’esprit, et, sur le seuil en face, la Guerre meurtrière, et les chambres de fer des Euménides, et la Discorde insensée, avec sa chevelure de vipères nouée de bandelettes sanglantes. Au milieu, un ormeau opaque, énorme, déploie ses rameaux et ses branches séculaires, demeure, dit-on, que hantent communément les vains Songes, fixés sous toutes les feuilles. En outre, mille fantômes monstrueux de bêtes sauvages variées s’y rencontrent : les Centaures, à l’écurie devant les portes, et les Scylles biformes, et Briarée aux cent bras, et le monstre de Lerne poussant des sifflements horribles, et la Chimère armée de flammes, et les Gorgones, et les Harpies, et la forme de l’Ombre au triple corps. »

Vous connaissez peut-être l’inscription latine « Cave canem », qui ornait de nombreux vestibules romains. Eh bien rien de nouveau sous le soleil et sous terre : faites attention au toutou de messire Pluton et de damoiselle Perséphone. C’est comme lorsque l’on se promène dans un quartier et que tous les clébards du quartier se jettent sur le grillage en hurlant, manquant au passage de nous causer une crise cardiaque car l’on n’était pas prévenus de leurs intentions. Eh bien là, mieux vaut avoir prévu le coup si l’on se fie à Dante.

Dante, La Divine Comédie, Chant IV :

« Je suis au troisième cercle de la pluie éternelle, maudite, froide, pesante : toujours la même, toujours elle tombe également. Des averses de forte grêle, et d’eau noire, et de neige, traversent l’air ténébreux ; fétide est la terre qui les reçoit. Cerbère, bête cruelle et de forme monstrueuse, avec trois gueules aboie contre ceux qui sont là submergés. Il a les yeux rouges, la barbe grasse et noire, le ventre large, les mains armées de griffes : il déchire les esprits, les écorche, et les dépèce. »

Petits conseils : méfiez-vous de vos fréquentations là-bas, vous pourriez tomber sur des petits délinquants du genre d’Hercule qui tue les pauvres vaches de Pluton pour le fun et qui sème la zizanie en se fightant avec tout ce qui bouge (Apollodore, Bibliothèque, II, 5). Pensez aussi à bien réserver votre billet à l’avance et à ne pas oublier une petite obole pour que le nocher vous prenne en VIP.

Enéide livre XI : « De là part une route qui mène aux ondes de l’Achéron du Tartare […]. Là toute une foule se ruait à flots pressés sur la rive : mères, époux, héros magnanimes […], enfants […] ; aussi nombreux que les feuilles qui tournoient et tombent dans les bois au premier froid de l’automne […]. Dressés, ils demandaient tous à passer les premiers, et tendaient les mains dans leur avidité d’atteindre l’autre rive. Mais le triste nocher prend tantôt ceux-ci, tantôt ceux-là, et repousse loin du rivage ceux qu’il a écartés. »

            Se pose maintenant la question du guide. Si vous êtes déjà mort, nous vous conseillons d’éviter absolument un certain Orphée qui, malgré toutes ses promesses, ne parviendra pas à vous faire sortir de l’antre infernale (c’est un gros arnaqueur, ne vous faites surtout pas avoir). En revanche, notre ami Gautier vous conseille une certaine vierge, peu causante, mais belle comme peut l’être une morte – à vous de juger si les deux sont compatibles.

La Comédie de la mort (Gautier) :

« Pour guide nous avons une vierge au teint pâle

Qui jamais ne reçut le baiser d’or du hâle

Des lèvres du soleil.

Sa joue est sans couleur et sa bouche bleuâtre,

Le bouton de sa gorge est blanc comme l’albâtre,

Au lieu d’être vermeil.

Un souffle fait plier sa taille délicate ;

Ses bras, plus transparents que le jaspe ou l’agate,

Pendent languissamment ;

Sa main laisse échapper une fleur qui se fane,

Et, ployée à son dos, son aile diaphane

Reste sans mouvement.

Plus sombres que la nuit, plus fixes que la pierre,

Sous leur sourcil d’ébène et leur longue paupière

Luisent ses deux grands yeux,

Comme l’eau du Léthé qui va muette et noire,

Ses cheveux débordés baignent sa chair d’ivoire

À flots silencieux. […]

Nous marchons en suivant la spirale terrible

Vers le but inconnu,

Par un enfer visant sans caverne ni gouffre,

Sans bitume enflammé, sans mers aux flots de soufre,

Sans Belzébuth cornu. »

               Bon, on va pas se le cacher, accomplir tout un voyage, franchir mille et mille obstacles, tout ça c’est bien beau, mais pas très rapide. Comme le temps, c’est de l’argent, et que business is business, Rimbaud nous a trouvé un jet privé. Même pas besoin de marcher pendant des jours et des jours, naviguer, dompter des toutous méchants et même pas beaux, il suffit juste de boire un peu de la « liqueur non surtaxée de Satan ». Le seul inconvénient, c’est que ça secoue un peu et que ça tue (mais ça, ça relève du détail).

Rimbaud, Une Saison en enfer, “Nuit de l’Enfer” :

« J’ai avalé une fameuse gorgée de poison. – Trois fois béni soit le conseil qui m’est arrivé ! – Les entrailles me brûlent. La violence du venin tord mes membres, me rend difforme, me terrasse. Je meurs de soif, j’étouffe, je ne puis crier. C’est l’enfer, l’éternelle peine ! […] Je me crois en enfer, donc j’y suis. […] Ah ça ! l’horloge de la vie s’est arrêtée tout à l’heure. Je ne suis plus au monde. – La théologie est sérieuse, l’enfer est certainement en bas, – et le ciel en haut. -Extase, cauchemar, sommeil dans un nid de flammes. »

Mais finalement, pourquoi descendre si bas ? Pourquoi est-ce qu’on s’embête comme ça pour trouver le meilleur moyen de rejoindre les Enfers ? Les Enfers, on les trouve aussi sur Terre. Il suffit de partager la vie des gens qui n’ont rien sauf la vie et qui la risquent pour gagner de quoi subsister. C’est ce qu’expérimente Etienne Lantier dans une mine au XIXe siècle. 

Zola, Germinal : « En bas, ils se trouvèrent seuls. Des étoiles rouges disparaissaient au loin, à un coude de la galerie. Leur gaieté tomba, ils se mirent en marche d’un pas lourd de fatigue, elle devant, lui derrière. Les lampes charbonnaient, il la voyait à peine, noyée d’une sorte de brouillard fumeux. […] Maintenant, autour d’eux, la vie souterraine grondait, avec le continuel passage des porions, le va-et-vient des trains, emportés au trot des chevaux. […] Ils devaient s’effacer contre la roche, laisser la voie à des ombres d’hommes et de bêtes, dont ils recevaient l’haleine au visage. Jeanlin, courant pieds nus derrière son train, leur cria une méchanceté qu’ils n’entendirent pas, dans le tonnerre des roues. Ils allaient toujours, elle silencieuse à présent, lui ne reconnaissant pas les carrefours ni les rues du matin, s’imaginant qu’elle le perdait de plus en plus sous la terre ; et ce dont il souffrait surtout, c’était du froid, un froid grandissant qui l’avait pris au sortir de la taille, et qui le faisait grelotter davantage, à mesure qu’il se rapprochait du puits. »

Peut-être qu’en fin de compte, l’enfer n’est pas un barbecue immense où les damnés se font griller juste à point par des petites créatures au regard vicieux. Peut-être que c’est juste un hiver sans fin, une solitude impénétrable. Ça a des airs de ressemblance avec la Terre, c’est pas si exotique comme destination… On testera le Paradis une prochaine fois.

Blandine