Le bois chez Kazuo Kadonaga : entre (s)cul(p)ture et tradition

 

La forêt, “étendue de terrains couverte d’arbres” (CNRTL), est un lieu nourri de légendes auquel les artistes n’ont cessé de s’enraciner. Source d’éveil spirituel chez les romantiques ; fameux sujet pour les peintres — citons notamment l’école de Barbizon, à la lisière de Fontainebleau — lieu de préservation d’un patrimoine naturel (cf. Herman de Vries, Le sanctuaire de la nature Roche-Rousse), la forêt s’avère résolument propice à l’expérience sensible. Ces dernières années, on  a notamment vu naître le champ de “l’esthétique environnementale”, marqué par la volonté d’étendre l’esthétique hors du domaine de l’art pour l’ouvrir à l’ensemble de la nature. Car la nature comme les arts ont en commun l’appel au “libre jeu de l’imagination” (Kant).

 

“Forêt silencieuse, aimable solitude, 

Que j’aime à parcourir votre ombrage ignoré ! 

Dans vos sombres détours, en rêvant égaré…” (Chateaubriand)

 

Kazuo Kadonaga, Wood No. 5-CI… une œuvre qui envoie du bois ! 

Né en 1946 dans une famille de forestiers, Kazuo Kadonaga est un artiste japonais qui place le bois au centre de sa pratique artistique, alliant art et artisanat.  Parmi ses œuvres marquées par l’influence du Mono-ha et de l’Arte Povera, on peut citer notamment Wood No. 5-CI, (1984) : un rondin de cèdre marqué par les cernes des années (anneaux de croissance) déposé sur le sol nu d’une galerie. S’il s’agit bien à l’origine d’un tronc d’arbre, celui-ci a été méticuleusement découpé par l’artiste : il s’agit en fait de 800 feuilles de bois agglomérées les unes aux autres, reconstituant le tronc d’arbre. Ainsi s’opère la constitution d’une sédimentation temporelle fictive : ce qu’on relève, ce n’est plus véritablement le passage du temps (indiqué par les anneaux) mais bien la prouesse technique de la machine. Pour Alice Audouin, présidente de l’association Art of Change 21, il s’agit de “la rencontre entre un élément naturel brut et une intervention technique massive, invisible à première vue dans le résultat final. Derrière une impression de matériau naturel, se dissimule un grand travail de sculpture.”

 

Sculpture-Nature 

La problématique donnée étant avant tout l’illusion de reproduire la nature… d’après la nature. On songe alors au travail de l’artiste italien Giuseppe Penone et l’Arbre des voyelles installé aux Tuileries à la fin des années 90. Cette  réplique d’un chêne en bronze moulé interroge l’essence même du végétal putrescible et du métal immarcescible, développant une réflexion existentielle sur la fragilité de la nature.

Outre la question du matériau de la sculpture, l’œuvre Wood No. 5-CI apparaît comme une métaphore : le matériau naturel, subissant l’intervention de l’homme, devient objet d’art par le même principe que la forêt, ressource naturelle, est domestiquée pour servir les intérêts humains (chasse, bois, déforestation….). Cette empreinte laissée par l’individu dans la nature apparaît dès lors comme la preuve d’un passage vers une forme de culture. On peut également lire, dans cette œuvre (re)composée de feuilles boisées, une seconde image : par son caractère unique et fragmenté, l’artéfact renvoie bien, à une plus grande échelle, à la multitude d’espèces que regroupe la forêt.

 

Ainsi l’œuvre de Kazuo Kadonaga soulève t-elle des enjeux techniques, esthétiques, éminemment poétiques. En expérimentant la reconstruction d’un rondin de bois, l’artiste tente ainsi de remettre la main sur un processus qui nous échappe, questionnant les logiques de la nature et sa beauté.

 

Chaque organisme vivant, plante ou animal, a une âme et mon art consiste à  la révéler” Kazuo Kadonaga, à l’occasion de son exposition à la galerie Nonaka-Hill à Los Angeles en 2018.  

 

Louise Gaumé

Sources :

https://www.onf.fr/onf/+/ac2::la-foret-les-inspire-artistes-sortent-du-bois.html

https://www.gazette-drouot.com/article/l-appel-de-la-foret-meme-aux-encheres-C2-A0-21/28027

Et cet article du Los Angeles Times

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