Interview de Françoise Mardrus !

A l’occasion du nouveau mandat de Laurence des Cars et de l’annonce de la reprise du projet pour la constitution d’un nouveau département des Arts de Byzance et des chrétientés d’Orient au musée du Louvre, Françoise Mardrus, professeure à l’Ecole du Louvre et directrice du Centre de recherches Dominique-Vivant Denon, nous aide à comprendre les enjeux et le processus de création d’un projet d’une telle ampleur.

Pourriez-vous vous présenter et nous décrire votre parcours avant de travailler au musée du Louvre ?

Je m’appelle Françoise Mardrus. J’ai été élève à l’Ecole du Louvre et j’ai également obtenu en parallèle le diplôme du DEA (diplôme d’études approfondies d’histoire de l’art) à l’université de Paris 1. J’étais inscrite en thèse et avais donc le parcours classique du double cursus, sans équivalence à l’époque. Cela permettait de passer les concours ou de partir vers la recherche.  Je suis entrée au musée du Louvre en août 1988 alors que je sortais tout juste de l’Ecole du patrimoine, en juin 1988. Nous étions la première promotion de cette école qui allait devenir l’Institut National du Patrimoine (INP). 

L’année 1988 était marquée par la période du Grand Louvre, dynamisée par les grands projets du président de la République, François Mitterrand. En tant qu’élèves, nous avions baigné dans cette atmosphère pendant nos études car le lancement du projet remontait à 1981. Cependant, à l’époque nous faisions de l’histoire de l’art et nous n’avions pas forcément conscience de l’enjeu qui se mettait en place. Le lancement de ces projets culturels et muséographiques a ouvert des débouchés auxquels je ne pensais pas au départ, car j’étais plutôt orientée vers l’enseignement et la recherche. Ce sont des conjonctions de vie que je n’avais pas imaginées mais finalement je me suis engagée naturellement dans cette voie et cette dynamique. 

Quels ont été vos missions et votre travail au musée du Louvre ? 

Lorsque j’ai commencé à travailler au musée du Louvre, nous étions en 1988, c’est-à-dire un an avant l’ouverture de la pyramide. Il y avait beaucoup à faire. Le musée et le ministère de la Culture désiraient que la pyramide soit ouverte pour l’anniversaire du bicentenaire de la Révolution. C’est pour cela que Michel Laclotte, nommé directeur du Louvre dès 1987, recrutait toute une équipe autour de lui pour porter ce projet qui ouvrirait un an plus tard. Et j’ai donc eu la chance d’en faire partie. Je ne peux que lui rendre hommage aujourd’hui alors qu’il nous a quitté en août dernier. Ma carrière s’est donc déroulée au service de l’institution, de ses collections et de leur présentation car j’ai coordonné les grands projets du Louvre jusqu’en 2013, en « petite main » au début puis avec de plus en plus de responsabilités et de collaborateurs. 

Quand vous êtes propulsé au début de votre carrière dans l’aménagement des sept départements du musée du Louvre dont vous avez appris les collections pendant trois ans à l’Ecole du Louvre, c’est un changement de point de vue extraordinaire. Vous les redécouvrez, même si vous les connaissiez d’ores et déjà parce qu’elles étaient au programme de vos cours. Vous êtes également en contact avec vos anciens professeurs, comme Geneviève Bresc-Bautier (conservatrice générale, directrice honoraire du département des Sculptures du musée du Louvre) avec qui j’ai participé à la présentation des premiers espaces dédiés à l’histoire du Louvre sous la pyramide. 

A partir de 1997, j’ai été chargée de mission à la direction du musée auprès du président – directeur et de l’administrateur général du musée du Louvre. J’ai coordonné les projets programmés par Pierre Rosenberg (1994-2001) et Henri Loyrette (2001 à 2013) comme le département des Arts de l’Islam et le lancement du Louvre-Lens. Cependant je n’étais pas seule, c’est toujours un travail d’équipe. 

Vous enseignez également l’histoire des collections à l’Ecole du Louvre en premier cycle. Aviez-vous déjà ce type de cours à votre époque ou avez-vous créé cette matière ?

Non pas du tout. Il existait un cours sur l’histoire du Louvre donné par Pierre Quoniam, inspecteur des musées, qui fut associé au projet Grand Louvre à ses débuts. C’est seulement à cette époque que nous avons ouvert des espaces sur l’histoire du Louvre avec Geneviève Bresc-Bautier et qu’elle m’a confié ces cours à l’École sur l’histoire du Louvre. Je lui en suis très reconnaissante. Mes premiers cours étaient en duo avec Edouard Pommier, directeur de l’inspection des musées de province à la Direction des musées de France, qui a également été un de mes professeurs à l’École sur l’histoire des musées en région. Quand il est parti à la retraite, il y a une quinzaine d’années environ, j’ai repris l’ensemble des cours sur l’histoire des collections en insérant le Louvre dans une histoire plus globale, européenne et internationale. C’est encore une fois une histoire de filiation.

L’enseignement, c’est la mise en perspective des missions concrètes menées au musée. Mon expérience acquise au cours du projet du Grand Louvre m’a donc permis d’enseigner et j’ai mené de concert l’enseignement jusqu’à aujourd’hui et la coordination des grands projets du musée jusqu’en 2013, au départ d’Henri Loyrette. 

Dans l’histoire des collections du Louvre, les différents départements jouent un rôle essentiel : le département des Arts de l’Islam a été créé en 2012 et celui des Arts de Byzance serait en construction. Quelles sont donc les différentes étapes de la création d’un nouveau département dans un musée tel que le Louvre ?

La création des départements est une notion administrative propre à l’histoire du Louvre et qui se fonde dans le courant du XIXe siècle. Déjà en 1849, le peintre Philippe-Auguste Jeanron avait eu cette idée de créer des départements qui auraient un vrai périmètre administratif tout autant que territorial dans le musée du Louvre.  Mais c’est vraiment sous la Troisième République que les départements vont se développer tels qu’on les connaît aujourd’hui par techniques pour les arts occidentaux (peintures, dessins, sculptures et objets d’art) et par aires géographiques pour les civilisations antiques. Puis, au cours du XXe siècle et jusqu’à aujourd’hui, le musée n’aura de cesse de reconsidérer le périmètre de ses collections. 

Les départements du musée ont un poids scientifique important car sans les collections dont ils ont la charge il n’y a pas de musée. Le personnel scientifique des départements n’est pas le plus nombreux mais il est celui qui fait en sorte que l’on puisse organiser des expositions, des médiations pour le public, d’avoir une activité culturelle tout simplement. C’est le fondement de l’institution depuis ses origines. 

Créer un département est donc toujours une décision qui va mettre en balance le souci scientifique, le souci économique et le souci du fonctionnement de l’institution. À partir du moment où vous créez un nouveau département, vous avez besoin de personnel. Donc il faut créer ces postes ou redéployer ceux déjà existants. C’est donc un choix lourd de conséquences car c’est une affectation budgétaire complémentaire qui vient peser sur la balance « fonctionnement-investissement » de l’institution.

Quand l’établissement public du musée du Louvre a été créé avec le statut d’établissement public administratif de l’État (EPA) en décembre 1992, un décret a permis d’inscrire les missions de l’établissement et de lister les départements du musée. A cette occasion, le cabinet des dessins, longtemps rattaché aux Peintures, est officiellement devenu le département des Arts graphiques. 

Ensuite certains départements concernés par la création d’un nouveau département ne souhaitent pas toujours faire sortir leurs chefs-d’œuvre pour des raisons muséographiques par exemple. Les conservateurs ont tous un poids scientifique et cela mène à des débats, des discussions entre départements. Et lorsque l’architecte vient demander le programme des œuvres à exposer pour le projet, il faut avoir partagé les collections pour pouvoir commencer à réellement se projeter. La création d’un département est finalement un cheminement, une réflexion qui prend souvent ses sources jusqu’à quarante ans en amont au Louvre.

Vous dites avoir participé à la création du département des Arts de l’Islam. Pouvez-vous nous expliquer ce grand projet plus en détails ? Quelles ont été ses origines ?

La prise en compte d’une civilisation avec un large territoire et une grande culture s’est faite progressivement. Auparavant, les objets des Arts de l’Islam étaient appréciés en tant qu’objets d’arts décoratifs, vus au travers d’une vision orientalisante et compris du point de vue.

Dès la période du Grand Louvre, de nombreux questionnements se sont posés autour des Arts de l’Islam, des Arts de Byzance et de la fin du monde antique autour de la Méditerranée en général. Nous avons choisi de travailler d’abord sur les Arts de l’Islam car la section existait déjà dans le musée, rattachée aux Antiquités orientales. C’était plus évident. À l’époque du Grand Louvre, l’Institut du Monde Arabe venait d’être inauguré et nous déposions nos objets chez eux alors que nous étions en train de créer vingt mille mètres carrés d’espaces neufs dans l’aile Richelieu. Il y avait donc une idée à développer autour de ces objets que Michel Laclotte a mise en œuvre. La section des Arts de l’Islam a donc gagné de la surface au sous-sol de l’aile Richelieu, avec l’apport d’un petit millier de mètres carrés dans les caves du ministère des Finances. C’était donc déjà une première phase de reconnaissance que de rendre autonome une surface du palais pour ces arts spécifiques. À la suite de cela, la création d’un véritable département avait toute sa légitimité. 

Lorsqu’il a été question de concevoir un département des Arts de l’Islam sur la proposition d’Henri Loyrette, le président de la République Jacques Chirac a acté la création du département lors d’un discours à Troyes le 14 octobre 2002. Cependant la décision politique n’entérinait pas la reconnaissance administrative du département. Pour ce faire, il fallait modifier le décret de l’établissement public pour officialiser un huitième département, ce qui a été fait deux ou trois ans plus tard. Il n’y a presque pas eu à créer de nouveaux postes. La section, déjà existante, a été rendue autonome avec un budget dédié. Un directeur de département a été nommé, Francis Richard, auquel succéda Sophie Makariou, actuelle présidente du musée Guimet, qui porta le projet muséographique des nouveaux espaces.

Inaugurés en septembre 2012, les nouveaux espaces du département des Arts de l’Islam dans la cour Visconti sont ouverts sur deux milles mètres carrés. Sa création offrait donc au département une présence administrative mais aussi physique et culturelle dans le palais du Louvre. 

Aujourd’hui c’est une chance d’avoir un département qui a sa raison d’être, où l’on reconnaît aussi à ces collections leur périmètre extrêmement large de production, de diffusion et de diversité. C’était une reconnaissance légitime et nécessaire pour enrichir la vision d’une histoire universelle du Louvre. 

Vous avez dit précédemment n’être plus coordinatrice des projets du musée du Louvre depuis 2013. Vous n’êtes donc pas impliquée dans le projet du département des Arts de Byzance cette fois-ci ?

Non pas du tout. En 2013, Jean Luc Martinez a pris la tête du musée et m’a confié la création du Centre Dominique-Vivant Denon, un centre de recherche sur l’histoire du Louvre et de son institution. 

Vous travaillez donc désormais seulement sur ce Centre en plus de votre enseignement à l’Ecole du Louvre ?

Complètement. En 2016 nous avons pris la place de la Bibliothèque centrale des musées nationaux dont le fonds est parti à l’INHA. Historiquement, cet endroit, situé à la Porte des arts dans la Cour carrée était celui où se trouvaient les bureaux des conservateurs pendant un siècle et demi. Cette bibliothèque créée sous le Second Empire était un espace que le plan Verne dans les années 1930 a rénové et agrandi.  

L’idée d’un département pour les Arts de Byzance est-elle nouvelle ou a-t-elle également pris ses racines au moment où la nécessité d’un département pour les Arts de l’Islam s’est imposée ?

La question de Byzance s’est posée dès le début. Il y avait déjà eu des velléités de créer un département pour les arts paléochrétiens au XXe siècle. 

C’est un parcours intellectuel à peu près semblable dans la mesure où c’est bien à l’époque du Grand Louvre que la période de la fin du monde antique a été mise en avant par les trois départements concernés. Ils étaient d’accord dans l’idée qu’il y avait probablement des espaces muséographiques à développer autour de cette période et de ce territoire géographique. De plus, à l’occasion du Grand Louvre, de nombreux espaces ont été libérés, leur permettant de mener à bien ce projet. Cette notion de « fin du monde antique » est donc devenue une évidence et la question de Byzance s’est posée, ainsi que celle de son rayonnement artistique. La principale interrogation était de trouver un emplacement adéquat dans le musée et il a été finalement trouvé dans l’aile Denon, autour de la cour Visconti mais d’abord sans Byzance et sans les Arts de l’Islam. 

Nous avions au départ plusieurs points de questionnement concernant l’art copte, présence d’un art chrétien en Egypte, qui est singulier dans le département égyptien, et l’Égypte romaine. L’Egypte ptolémaïque était exposée depuis 1997 dans les salles Charles X. Nous avions également réfléchi à la nécessité d’inclure les arts de Byzance dans ces arts de la fin du monde antique et des premiers temps chrétiens en Orient, au moins le Vase d’Emèse et la mosaïque de Qabr Hiram du département des Antiquités grecques, étrusques et romaines. Enfin, il avait été question de rapprocher Palmyre et les cités caravanières de ce projet. Il fallait cependant déterminer une fin et une limite géographique spécifiques. Finalement, nous n’avons pas réussi à avoir une discussion élargie où Byzance et le développement du monde chrétien en Orient aurait été intégrée dans ce parcours aux côtés des autres civilisations. 

Donc si l’idée a commencé à germer dans les années 1980, cela ne s’est pas fait tout de suite. D’ailleurs, Henri Loyrette avait repris le projet à la suite de l’ouverture des Arts de l’Islam.  

Laurence des Cars a donc bien repris ce projet ? L’ouverture d’un tel département dans les années à venir est – elle bien engagée ?

Je m’avance mais ce qui est annoncé par la direction du musée c’est la création d’un conseil scientifique de préfiguration que Jannic Durand, le directeur du département des Objets d’arts, présidera, puis viendra le recrutement du directeur de la préfiguration du département qui devrait se faire dans les mois qui viennent. Il aura pour mission de définir le projet scientifique et culturel tout autant que le périmètre muséographique des collections pour mener à bien le projet jusqu’à son inauguration, prévue en 2025. Il faudra également intégrer les besoins humains et financiers pour commencer à recruter ou redéployer le personnel nécessaire. Il y aura bien une cellule de préfiguration en attendant que la création du département soit officialisée administrativement.

Est-ce que ce nouveau département va modifier le paysage du Louvre comme l’a fait le département des Arts de l’Islam ?

On ne sait pas encore. La logique voudrait qu’il se place entre la fin du monde antique et les Arts de l’Islam donc dans l’aile Denon pour avoir une certaine continuité mais cela va être un vrai questionnement. Il y aura très probablement un concours pour l’aménagement muséographique. 

Comment va se constituer le département ? Le musée possède-t-il beaucoup d’objets en rapport avec les Arts de Byzance et des chrétientés d’Orient ?

Les collections du musée du Louvre constituent un des tous premiers ensembles sur le plan international. Exposées dans pas moins de douze salles et sur trois étages, nous avons des œuvres acquises séparément par les huit départements du musée. Le Louvre expose aujourd’hui des œuvres de toutes dimensions et techniques mais déconnectées de leur contexte géographique, historique et culturel d’où la volonté de créer ce nouveau département. D’autres sont en réserve dans les différents départements.

Henri Loyrette prévoyait d’aller jusqu’à la Russie orthodoxe en réunissant la collection d’icônes que possède le Louvre. Aujourd’hui je ne sais pas où les bornes sont ou seront placées.

Propos recueillis par Cassandre BRETAUDEAU

Interview de Paul Perrin

Paul Perrin est actuellement conservateur des peintures au musée d’Orsay, et ce depuis juillet 2014. Il a été plusieurs fois stagiaire dans des musées, en France, mais aussi à l’étranger comme à New York ou Chicago. Il a également été guide-conférencier au château de Versailles, ainsi que chargé de TDO à l’École du Louvre dans le domaine du XIXe siècle.

Avant cela, il est passé par les deux premiers cycles de l’École du Louvre et par le concours de l’INP. Il apparaît comme un conservateur assez jeune (de 30 ans) et moderne dans les médias et sur les réseaux sociaux.


Son parcours :

Tristan Fourmy : Pour commencer, qu’avez-vous fait avant l’École du Louvre ? 

Paul Perrin : J’ai déménagé plusieurs fois quand j’étais jeune. J’ai été au lycée Le Corbusier à Poissy, et ai passé un bac Littéraire option art plastique.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de suivre vos études dans l’histoire de l’art ?

Depuis longtemps je voulais travailler dans le domaine des films d’animation, de la bande dessinée ou de l’illustration, je m’étais inscrit dans une classe prépa après le bac pour passer le concours de l’école des Gobelins. J’ai découvert l’histoire de l’art assez tard, grâce à  un excellent professeur d’art plastique, et ai décidé seulement en terminale de poursuivre dans ce domaine, non pas faire mais apprendre et comprendre. J’ai passé le test probatoire de l’école du Louvre et, comme je l’ai eu, j’ai renoncé à la classe préparatoire !

Pourquoi avez-vous fait une licence d’histoire ?

Quand je suis rentré à l’école, la direction des études insistait beaucoup pour que nous fassions des doubles cursus, en histoire, lettres, droit, etc. qui nous permettrait de compléter notre formation. J’ai choisi l’histoire et me suis inscrit en Licence à Nanterre, par correspondance. Je pense que cela m’a aidé ensuite à préparer le concours de l’INP puisque ça m’a permis d’étoffer ma culture générale et d’approfondir certains sujets. Les cours de méthodologie et d’historiographie m’ont particulièrement intéressés et permis de réfléchir à la discipline historique en tant que tel, vision que l’on n’avait pas alors en premier cycle à l’école.

Que vous ont apporté vos stages aux Etats-Unis ? 

J’avais déjà fait plusieurs stages l’été dans des musées français (et notamment au musée d’Orsay), mais je savais qu’une expérience à l’étranger, et notamment aux Etats-Unis ou le système muséal est très différent du notre, serait un vrai enseignement et un atout pour le concours. A la Frick Collection j’ai pu observer la vie d’un musée privée de plus petite échelle, et particulier puisque pluridisciplinaire et lié à la personnalité d’un grand collectionneur, Henri Clay Frick (1849-1919). J’ai participé là-bas à des recherches autour de Chardin et de la peinture française du XVIIIe siècle, qui n’est pas ma spécialité. A l’INP, pour le stage obligatoire à l’étranger, j’ai choisi l’Art Institute of Chicago, une des plus belles collections de peintures impressionnistes et post-impressionnistes au monde, mon domaine cette fois ! Ces expériences m’ont permis de mettre en perspective le système français, ses atouts et ses limites, d’améliorer mon anglais et de rencontrer des professionnels anglo-saxons.

Où vous voyez vous dans dix ans ?

En réalité, je ne pensais pas tout commencer ma carrière au musée d’Orsay, j’imaginais plutôt la terminer de cette façon ! La richesse des collections est telle, les projets que mène le musée si intéressant – et moi-même j’ai quelques idées – que je ne sais quand j’en aurai fait le tour. Dix ans peut-être ? Le temps est en tout cas révolu des conservateurs faisant toute leur carrière dans le même établissement. Il faut du renouveau dans les musées, il faut savoir passer la main quand on a dit ce que l’on avait à dire et chercher ailleurs l’inspiration. Il y a de magnifiques musées en région – institutions qui offrent aussi parfois des postes avec plus de responsabilités – et à l’étranger bien sûr.


Par rapport à l’école :

Pourquoi avoir fait l’École du Louvre et pas la Sorbonne ?

Eh bien… pour mes parents qui n’étaient pas tout à fait rassurés de me voir me lancer dans des études d’histoire de l’art, c’était l’École du Louvre ou rien. L’enseignement de l’école m’a ensuite réellement plu : un enseignement quasi-exhaustif de l’histoire de l’art mondiale (quel bonheur pour les esprits curieux !), l’incroyable quantité d’objets que l’on y voit (on s’y constitue une merveilleuse banque d’images perso), et évidemment pour l’observation directe des œuvres lors des cours de TD. La spécialisation dès la première année – dans mon cas en « Histoire de l’art du XIXe et début du XXe siècle » – est une chance et un vrai atout pour la suite.

Un souvenir marquant de l’école ?

Difficile à dire… Le site lui-même, absolument magique. Les TDO étaient les cours que je préférais, prendre son temps pour regarder les œuvres… Le plus agréable était sans doute de retrouver mes amis pour refaire tranquillement entre nous ces TD, discuter et regarder ensemble les œuvres.

Avez-vous-aimé être chargé de TDO ?

Oui vraiment. Ce fut un moyen pour moi non seulement de mieux connaître encore les collections des musées où j’enseignais (Orsay, Petit Palais, Rodin) – et en ce sens cela prépare au concours de l’INP – mais aussi de réfléchir à la transmission de ces connaissances. Enseigner me plaît, et particulièrement avec les œuvres sous la main ! Ce n’est pas si facile de comprendre un tableau, une sculpture, de l’analyser, de comprendre la manière dont il est fait, les intentions de son auteur, etc. tout cela s’apprend. Comme élève, j’ai eu des chargés de TDO qui passaient des heures à dicter sans vraiment montrer un seul objet, donc j’ai essayé de mettre l’accent sur l’analyse plastique des œuvres.

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Expopotame : Tenue Correcte Exigée

tenue correcte exigée

Coucou les loulous ! Bienvenue dans Expopotame, l’article où on décide si oui ou non va voir une expo d’après son vernissage.

Aujourd’hui on parle de Tenue Correcte Exigée, la nouvelle expo des Arts Déco, réalisée par Denis Bruna, dans les bacs du 1er décembre 2016 au 23 avril 2017.

On regarde tout de suite quelques petits extraits de la bande annonce :

 

http://www.instagram.com/p/BNclIqIAFbC/

 

http://www.instagram.com/p/BNd-O2_BCCx/

 

http://www.instagram.com/p/BNd501PhKyr/

 

C’est parti pour les punti :

Déjà, – 5 parce qu’on avait dit qu’il y aurait Cristina et on l’a pas vue

+ 2 pour la police, ils ont fait l’effort de pas mettre du Comic Sans MS

– 7 pour le manque d’indications sur la direction, trop de gens à contre-courant, on se serait cru dans un changement à Châtelet

+ 4 pour la robe Thierry Mugler qu’on a prise pour une Alexander McQueen parce que pour une fois c’était pas si moche

+ 23 pour la vraie Alexander McQueen à côté

+ 3 pour les extraits du Diable s’habille en Prada :

« Je vois, vous vous prenez trop au sérieux pour vous soucier de ce que vous portez et vous mettez, disons, cet espèce de pull difforme, mais ce que vous ne savez pas c’est que ce pull n’est pas juste bleu, il n’est ni turquoise, c’est un pull que l’on appelle céruléen. »

– 3 pour ceux qui auraient dû s’habiller en Prada #onapaslesmêmesvaleurs

+ 7 pour le questionnaire à la fin où il fallait buzzer la réponse #DlaréponseD

– 2 pour les vieux qui répondaient faux et qui nous ont pas laissé jouer #cétaitnotreCO #beentheredonethat

+ 4 pour l’intitulé « de la Bible aux blogs », on a senti la patte de Denis

– 14 parce qu’il n’y avait pas assez de punk (mais +2 pour la photo de Kurt Cobain)

+ 6 pour la robe de Duflot #journaldegauchoboboécolo

– 3 pour la robe de mariage de Brigitte Bardot : c’était pas la vraie

Mais + 7 pour les bébés phoques

+ 8 pour les mamies qui étaient là et qui ont vécu la plupart des transformations du vêtement

– 4 parce qu’il n’y avait pas de vidéo du défilé de Rick Owens et qu’on n’a pas pu voir « le chibre du mannequin se balançant au gré de ses pas »

+ 69 pour Marlon Brando qui enlève sa chemise mais aussi son t-shirt

+ 3 parce que ça parle de Tabous

+ 8 parce que ça parle aussi d’Apparences #prochainesaisonmaybe #teasiiiiing

Donc ça nous fait un total de 784 points donc on ira voir l’expo Tenue Correcte Exigée tous les jours jusqu’à sa fermeture. Mais on choisira plutôt le jeudi ou vendredi matin quand il n’y a personne sauf les mamies. Et on se retrouve la prochaine fois qu’on a une invitation pour un nouvel épisode d’Expopotame.

Bisous les bobos.

Avec la collaboration d’Agnès Lucas et Maud Villiers

Musée urbain en vitrine

 

 

 

 

Je vais pas vous parler de musée… Enfin, presque. Disons que, étant à la fois étudiante en  histoire  de  l’art  et  usagère  de  la  ligne  75  des  bus  parisiens,  je  n’ai  pas  pu  éviter  de remarquer les nouvelles boutiques de prêt-à-porter masculin de luxe ouvertes rue des Archives. Ces  magasins  sont  comme  la plupart des  magasins de  luxe, dans un  style géométrique  et rutilant, avec force miroirs « pour faire dialoguer les espaces ». Dans la vitrine de la marque Fendi, mes yeux se sont arrêtés sur une paire de chaussures qui semblait flotter dans l’air. Au deuxième coup d’œil, je m’aperçois que les chaussures sont en fait maintenues à l’aide d’un « T » de métal fin. Et dans mon jargon quotidien, celui des musées, on appelle ça un socle. Pourquoi mettre une paire de chaussures sur un socle, et non pas simplement sur sa boîte à chaussures comme chez Éram ou bien dans des casiers le long d’un mur comme chez H&M ? C’est ce que je m’en vais vous expliquer.

 

Complicité 

         Premièrement n’oublions pas que c’est le marché de l’art qui alimente le musée en objets. L’institution repose donc aussi sur les flux d’œuvres disponibles à la vente et on ne peut nier le rôle prescripteur du marché dans les redécouvertes d’artistes qui seront les heureux élus mis en avant dans les expositions.

         Les liens entre musées et lieux de commerce ne sont pas si surprenants. Le musée est un lieu d’exhibition du pouvoir : la possession des objets et le luxe de ceux-ci, qu’il vienne de leurs  matières  précieuses  ou  de  leur  provenance  lointaine  montre  la  puissance  du collectionneur privé ou public. En visitant le musée du Louvre, le visiteur est submergé par le nombre des aires géographiques représentées dans les collections qui lui jette au visage la puissance militaire, économique et coloniale que la France a pu avoir ; et ce que la boutique de luxe vend, c’est aussi un objet qui pourra être un signe de pouvoir (d’achat, ici). On pourrait dire que  le  musée  et  la  boutique  sont  tous  deux  partie  prenante  d’une  même  recherche  : l’appropriation de l’objet. La boutique le met en vente, c’est une appropriation par la possession. Le musée, lui, propose quelque chose de plus symbolique, sur le mode du « voir, c’est avoir », le regard remplace le porte-monnaie : l’institution muséale permet l’appropriation par la mise en visibilité d’objets qui bien souvent seraient cachés sans lui.  Les  objets  archéologiques  en  sont  exemplaires,  puisqu’avant  d’être  dans  le  musée,  ils étaient enfouis dans le sol.

 

Ressemblance

         Mais  pourquoi  le  scénographe  de  la  boutique  Fendi  utilise-t-il  des  dispositifs  de présentation récurrents dans les musées ?

musée urbain vitrine fendi

Il me semble que l’effet recherché est celui de la métaphore. Mettre une paire de chaussures sur un socle, c’est convoquer dans la mémoire du potentiel acheteur (si tant est qu’il ait déjà mis les pieds dans un musée) tous les objets qu’il a pu voir sur des socles, et il est fort possible que ces objets aient été de précieux artefacts qui aient suscité en lui de l’admiration. Si un objet sur un socle est un objet qui mérite la légitime valeur que le musée lui confère, le produit exposé de la même façon dans la boutique doit la mériter aussi.

L’effet de la mise sur socle sur l’objet est le même dans les deux contextes : la visibilité de l’objet est augmentée et avec elle la surface de désir ; mais aussi l’objet est décontextualisé, c’est-à-dire qu’il est déplacé de son lieu de naissance et d’usage, montré pour lui-même sans qu’aucun indice de son utilisation ne puisse être perçu. Et c’est là que diffèrent les intentions du musée  et  de  la  boutique.  Dans  le  cadre  du  commerce  du  luxe,  la  décontextualisation  est recherchée car elle rend hors du commun l’objet, lui donne son statut de luxe (en tant que chose non nécessaire) et par là justifie le prix qui lui est donné. La chaussure citée plus haut n’est pas juste une chaussure : sur son socle, c’est un objet admirable pour lui-même comme une œuvre d’art dans un musée d’art moderne et contemporain, celui dont le sol est un parquet de bois clair et les murs d’un blanc immaculé et où la présence de texte ne vient pas perturber la vision des chefs-d’œuvre. Les  musées  (de  sciences  et  anthropologie  surtout,  et  d’art  ancien  un  peu)  ont  au contraire un but pédagogique, c’est pourquoi ils se lancent dans une course impossible : ils recherchent désespérément à recréer, à faire sentir au visiteur le contexte de l’objet, son usage, pourtant perdu aux portes de la vénérable institution. Il y a donc une tension au sein de ces musées concernant la présentation des objets, entre visibilité et contextualisation.

         Les modes de présentation des objets sont donc signifiants, celui qui regarde perçoit consciemment ou non le « message » envoyé par de tels dispositifs. Ces techniques, bien que développées en grande partie dans le cadre des musées ont une utilisation en dehors des murs de ces derniers parfois à des fins qui diffèrent de celles pour lesquelles elles ont été créées. Il n’est donc pas nécessaire d’être dans un musée (et de payer cher le droit d’entrée !) pour être confronté aux méthodes de ce dernier. Peut-être est-ce une déformation de la réalité due à mon habitus, mais croyez-moi et tremblez : l’ombre du musée plane partout sur la ville !

#cahierdevacances : top 5 des lieux culturels incontournables à Lisbonne

Une semaine à Lisbonne n’est pas de trop (loin s’en faut !) pour apprécier l’importante offre culturelle proposée par la ville : entre lieux inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco, musées nationaux ou fondations de collectionneurs avisés, le choix en ferait tourner en bourrique n’importe quel muséophile averti.

N. B. : Ce top des musées de Lisbonne aurait tout aussi bien pu s’intituler « comment trouver la force de vivre par 40°C à l’ombre ». Je dois aussi vous confier que la carte de l’École du Louvre ne nous donne droit à aucune gratuité dans les musées payants, ce qui est bien triste.

5. Le Museo nacional de arte antiga

3€ (tarif étudiant), gratuité ICOM et premier dimanche du mois • museudearteantiga.pt

Le musée national portugais pour ce qui est des peintures et sculptures européennes allant du Moyen Âge au XIXsiècle, aux côtés de collections d’arts asiatiques et de céramiques portugaises. La collection de peintures reste modeste mais est magnifiée dans ce musée somme toute charmant : les salles en enfilade se succèdent dans un parcours ni trop court (ce qui est hélas bien trop souvent le cas, cf. n°4), ni trop long. On passera volontiers les imposants services de céramique de la Renaissance portugaise et les lustres métalliques islamiques pour s’attarder sur les paravents japonais et les objets précieux rapportés par les missionnaires jésuites.

Pourquoi c’est mieux à Lisbonne : le jardin-cafétéria avec vue sur le Tage et le pont du 25-avril est à considérer absolument comme une étape de la visite.

museo nacional arte antiga lisbonne jardin

4. Le Convento do carmo ou Museu arqueológico do carmo

2,50€ (tarif étudiant) • museuarqueologicodocarmo.pt

Au sein des ruines du couvent des carmes de Lisbonne se trouve un petit musée archéologique. Clairement, il ne faut y aller que pour le lieu : le musée ne prend place que dans les quatre petites chapelles de l’ancienne église avec des collections tout juste acceptables pour définir le musée comme « archéologique ». Dans cette nef à ciel ouvert (l’édifice ayant été détruit suite au grand tremblement de terre de 1755 qui a secoué la ville pendant neuf minutes), l’expérience est totale. Les quelques croisées d’ogives remontées ou subsistantes fendent le ciel et font prendre réellement conscience de la maîtrise de cette architecture gothique.

Pourquoi c’est mieux à Lisbonne : pour être honnête, il s’agit de quelque chose à faire comme de prendre un des plus beaux détours de France. Pour le reste, il y a Jumièges.

couvent carmes lisbonne reuines musee archeologique

3. Le Palácio e Quinta da Regaleira

4€ (tarif étudiant) • regaleira.pt

Le site le plus touristique de ce top. Situé à Sintra, il vous faudra prendre un train depuis la gare de Rossio : le périple ne réside pas dans le trajet mais bien dans la foule de touristes – que nous sommes – qui se masse à la gare pour acheter des tickets. Une fois arrivés à Sintra, le choix est on ne peut plus conséquent : palais national classé Unesco, forteresse Maure… Ce qui nous intéresse dans le palais-jardin de la Regaleira, c’est sa folie. Le domaine est aménagé et construit au début du XXe siècle par l’architecte Luigi Manini pour un millionaire, dans un style éclectique qui mélange style gothique, renaissant ou manuélin. Un « palais » principal (la résidence du millionnaire) se visite entièrement, entouré d’un immense jardin-attraction, où les points de vue imitant ziggourat ou temple antiques sont reliés à des souterrains qui s’entrecoupent les uns les autres.

Pourquoi c’est mieux dans la région de Lisbonne : Par une chaude journée d’été, l’omniprésence de chutes d’eau et de fontaines à l’ombre des différentes essences d’arbres plus ou moins exotiques est très agréable. Par contre, le grand espace ne vous fera pas oublier la foule, qui donne immanquablement l’impression de se trouver dans une sorte de Disneyland meringué.

palais quinta da regaleira sintra belvedere

2. Le Centro cultural de Belém

GRATUIT !!!!! • ccb.pt

Pour les deux dernières adresses, il faudra encore sortir du centre de Lisbonne pour se rendre à Belém depuis la gare de Cais do Sodré, et faire face à la même affluence. Contrairement aux monuments Unesco de la ville (il paraîtrait que le couvent des hiéronymites me soit resté en travers de la gorge), le centre culturel de Belém est gratuit pour tous. Le musée d’art moderne en son sein propose une très bonne collection retraçant l’art moderne (1900-1960) et l’art contemporain (1960-2016) sur deux niveaux. L’on pourrait penser qu’il s’agit du Centre Georges Pompidou à la sauce portugaise ; dans ce cas, la version portugaise est définitivement meilleure : gratuité, grand espace d’exposition, histoire de l’art contemporain retracée par mouvements et grands noms. Les rageuxxx diront certainement que la vision parisienne nous dévoile des figures plus méconnues, et ils auraient peut-être raison. Qu’à cela ne tienne, il s’agit de quelque chose à faire a-bso-lu-ment.

Pourquoi c’est mieux à Lisbonne : Parce que le bâtiment de Vittorio Gregotti et Manuel Salgado prend beaucoup trop bien la lumière du mois d’août.

centro cultural de belem lisbonne

1. Le maat ou Museu de Arte, Arquitetura e Tecnologia

2,50€ (tarif étudiant) • maat.pt

La star of the stars. Défini de manière bof bof dans le guide du Routard comme « le musée de l’électricité », son nom égyptisant ferait rêver n’importe quel élève de l’École du Louvre. Dans une ancienne centrale électrique en brique du début du XXe siècle, la fondation EDP (comme dans électricité du Portugal, on s’en doutera) propose des expositions temporaires de qualité. J’y ai retrouvé Lightopia, propos sur le design électrique qui était déjà passée par la fondation EDF (Que la lumière soit !) en 2014 ; découvert un festival de vidéo au sein de la salle des machines de la centrale, 100% bien huilée. La centrale apporte bien entendu une somme non négligeable de plaisir à la visite, complétée par de petites expériences jouables rondement menées qui semblent surgies, au choix, du Palais de la Découverte ou d’un épisode de C’est pas sorcier !. En plus, c’est peu fréquenté.

Pourquoi c’est mieux à Lisbonne : Parce que le bâtiment, la vue sur le Tage et le pont du 25-avril.

maat belem lisbonne

Inclassable : La Fundação Calouste Gulbenkian

5€ (tarif étudiant) • gulbenkian.pt

Tellement mieux que la Fondation Louis Vuitton. Excentrée mais vraiment chouette, aux collections de grande qualité. Mes éloges sont nombreuses concernant le bâtiment, intérieur-extérieur, et autant pour le jardin habité par des canards et autres tortues. Bref, c’est un sans fautes. Par contre, la collection moderne-contemporaine peine à envoyer autant d’étoiles dans les yeux.

Pourquoi c’est mieux à Lisbonne : Parce que c’est à Lisbonne.

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