Présentation d’un artiste contemporain : Robinson Haas

Le club Marché de l’Art vous propose un compte-rendu de sa récente entrevue avec l’artiste contemporain Robinson Haas. Voici une retranscription des propos de l’artiste.

Parcours :

Robinson Haas est né en 1995 à Lille. Très tôt, il souhaite s’orienter vers une carrière artistique et a une volonté de « créer des choses ». Il suit bac en Arts Appliqués puis un BTS en design graphique. Il est ensuite diplômé des Arts Décoratifs de Paris en Design d’objet. Il travaille un temps comme designer freelance, ce qui lui permet surtout de se consacrer en parallèle à sa pratique du dessin et lui laisse du temps pour développer ses recherches plastiques.

Robinson Haas travaille sur la question de répétition. Il commence ce projet pendant ses études en design graphique, avant même de rentrer aux Arts Décoratifs. Ce qui l’intéresse le plus à cette époque dans le graphisme, c’est le rapport au langage. Ses professeurs l’incitent à avoir une démarche expérimentale, il en retient un notamment, qui aimait déconstruire les typographies dans une logique de simplification à l’extrême pour atteindre des formes d’abstraction. Lui commence à dessiner à partir de la ligne, dans ce lien au langage, à la typographie et aux signes, ligne comme un signe primaire du langage. Cette ligne est mise en action par des protocoles. La notion de protocole l’intéresse particulièrement dans le processus de création, ce qu’il met en lien avec la musique pour laquelle la partition définit le jeu et cause une forme d’intellectualisation du processus.

La ligne et le protocole combinés entraînent assez vite la répétition des lignes, tracées à la règle. Cela donne lieu à son premier dessin suivant ce processus, qui consiste alors en une juxtaposition de lignes parallèles dont les variations émanaient des écarts entre chacune, qui n’étaient pas anticipés mais résultaient du hasard de la répétition. Cette pratique est poursuivie pendant toutes ses études et encore aujourd’hui.

 

 

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Ce rapport au médium et à l’outil (utilisation de la règle) peut être vu comme un lien toujours présent dans sa pratique avec le design. Ce qui l’intéressait dans le design, c’était le rapport à la matérialité, au procédé de fabrication, presque plus qu’à la fonctionnalité. Le parallèle se fait donc dans le sens où dans sa pratique actuelle, il envisage le dessin comme un moyen d’expression de l’outil et du médium. Au départ il n’utilisait que le stylo bille et la règle parallèle, ce qui montre comment le processus du dessin permet de révéler des qualités plastiques et esthétiques d’un outil. Il rappelle alors l’adage du design « la forme suit la fonction ». Dans son travail, la résultante en est l’aspect fonctionnel et technique plus que formel, lié aux contraintes de fabrication.

Inspirations :

Au départ ses inspirations ne sont pas tant visuelles que musicales, notamment la musique répétitive dans les années 1960 aux États-Unis (Philippe Glass mais aussi Steve Reich, La Monte Young, Terry Riley). Il aime l’idée de partir d’un motif sonore et la
transcendance d’un motif simple par la répétition.

Dans les arts visuels, le travail de Sol Lewitt l’inspire, qui travaille aussi beaucoup sur le protocole dans une sorte de mise à distance du spectateur. Celui-ci écrivait en amont la manière de réaliser les œuvres et a fait des expositions où il ne se rendait pas, il donnait le protocole au monteur qui s’occupait de fabriquer l’œuvre. Robinson Haas est intéressé par l’idée que ce n’est pas le résultat qui compte mais la manière dont on l’anticipe. Cela se retrouve aussi chez Bernard Frize, artiste français installé en Allemagne, qui travaille aussi beaucoup sur l’idée, en peinture, de jeu formel à travers un protocole et une autocontrainte, qui
définit la forme. Dans le développement de l’idée de répétition se joue aussi l’idée de singularité, le fait qu’une chose existe à un instant T et ne pourra pas être reproduite, la répétition à l’identique n’existe pas, il y a des petites transformations à chaque fois.

Technique :

En ce qui concerne l’utilisation du stylo bille, elle peut être mise en lien avec le design. Il s’intéresse à ce médium qui incarne une forme de mondialisation, d’industrialisation. C’est un objet qui a été inventé dans les années 1950 et n’a quasiment pas évolué depuis. Malgré sa popularité, Robinson Haas constate qu’il est le fruit d’une longue technologie, et cette précision de la fabrication contraste avec l’accessibilité du médium. Il a aussi une résonance populaire forte, autant dans le nom de l’objet que dans sa couleur assez particulière, et facilement identifiable, notamment le bleu, seule couleur que l’artiste
utilise.

Il part d’un medium assez pauvre, ayant eu peu d’estime plastique (bien qu’expérimenté par certains artistes comme Giacometti lors de sa création). Il cherche alors comment le processus du dessin et de la répétition en révèlent des qualités plastiques insoupçonnées. Il y a quelque chose dans le médium de latent qui attend d’être révélé. Il travaille par couches successives, l’encre sature le papier (pourtant, ne représente que quelques gouttes) Au fur et à mesure que l’encre s’accumule, des reflets iridescents se révèlent et le bleu devient violet voire rose. Sur une série de dessin sur papier Chromelux (papier glacé) l’encre ne pénètre pas, reste en surface ce qui rend ces reflets encore plus présents. Si elle est exposée trop longtemps aux UV, les reflets disparaissent et l’encre se désature. Il utilise aussi le papier bristol, très dense qui peut supporter des passages multiples. Le support ne s’altère pas mais peut gondoler.

 

 

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« il y a aussi quelque chose de fugace dans cette apparition » Robinson Haas

Évolutions :

Le principe de son œuvre est resté le même avec questions de répétition, ligne et tracé à la règle qui sont restés une constante. Il trouve cette autocontrainte stimulante, et apprécie de voir comment peuvent naître des choses différentes à partir de cette base commune. Il crée des séries différentes à partir de cette base mais dans laquelle des changements s’opèrent dans le protocole, par des gestes différenciés, des variables intégrées chaque fois, mais son travail est assez empirique, par des recherches libres, des observations, et changements dans le choix de format, de médium. La cohérence de son œuvre reste majeure.

Ces deux aspects formels et techniques évoluent en parallèle. Robinson Haas a commencé au stylo bille mais ses recherches l’ont amené à intégrer de nouveaux médiums (crayon de couleur, graphite et plus récemment pointe d’argent). Ces recherches autour d’un nouveau médium consistent aussi à trouver comment en révéler les qualités plastiques.

La durée de réalisation est variable. Le temps de production, très long, fait partie du processus. Cela peut aller à l’encontre de l’idée qu’on se fait du dessin, domaine de la rapidité, par opposition à la peinture, domaine associé davantage au temps long. Mais cela fait partie de son processus car le temps long lui permet de révéler des choses. Ce temps dépend des séries, il lui est nécessaire pour les œuvres au stylo bille de laisser poser le dessin, le laisser sécher pour revenir dessus après un temps d’observation.

Une série qu’il développe en ce moment est faite sur un mode plus rapide, basé sur le tempo du dessin. Pour chaque pièce, il définit un tempo qui guide l’ensemble du dessin, qui peut être fait sur une journée, tandis que d’autres nécessitent plusieurs jours voire une semaine. Ses œuvres sont pensées en série, ce qui entre aussi dans le principe de répétition : répéter les dessins eux-mêmes les uns à la suite des autres. Il aime aussi présenter ces séries ensemble afin de révéler des singularités qu’on ne verrait pas sur un seul format.

 

Travail avec les galeries :

La galerie Hors-Champs l’a contacté, ce qui a donné lieu à une première exposition collective puis récemment une exposition solo, « Entretemps ». Robinson Haas travaille aussi avec la Galerie F (galerie de la fondation Francès à Senlis), qui est orientée vers la création émergente. Dans ce cadre il a répondu à un appel à projet pour intégrer la galerie, a pu exposer avec eux à Draw it Now. Suite à ça, il était présent lors d’une exposition en duo à la galerie à Senlis. À Lyon il est représenté par la galerie Nörka qui l’a repéré dans lors d’une journée professionnelle dans le cadre des ateliers Le Grand Large.

L’organisation d’une exposition dépend des galeries, certaines assument le commissariat, ont une idée précise en amont de l’exposition de la forme qu’elle aura. Pour une exposition collective notamment, c’est davantage la galerie qui assume le commissariat afin de faire cohabiter œuvre et artistes au sein d’un même lieu. Pour le choix des pièces, l’artiste envoie un dossier avec une sélection et la galerie choisit en fonction, il y a par conséquent moins d’intervention du point de vue de l’artiste. Pour une exposition solo, l’artiste a davantage la possibilité de penser à un nom, proposer un accrochage, apporter davantage à l’exposition.

Pour choisir le titre de l’exposition, Robinson Haas note ses idées dans un carnet. C’est le cas pour Entretemps, titre de son exposition qui a eu lieu du 26 janvier au 28 février 2023 à la galerie Hors-Champs. Ce nom a été choisi par rapport à des concepts qui régissent son travail. Il souligne la difficulté à la fois d’évoquer un aspect de son œuvre sans pour autant être
réducteur.

 

 

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Réception du public :

Robinson Haas constate une réaction des spectateurs davantage par rapport à la matérialité de l’encre, ainsi que du graphite, qui peuvent surprendre les gens, comme s’ils redécouvraient quelque chose qu’ils connaissaient déjà.

Le rapport au temps long, est aussi visible et surprend lorsqu’on se voit confronté à une telle minutie. La patience qui ressort de l’œuvre relève d’un aspect méditatif. L’artiste apprécie que ce point, qui est déjà présent dans le processus de création s’infuse dans l’œuvre finale et puisse être reçu par celui qui la regarde. On constate donc une continuité entre la volonté de l’artiste et la réception de l’œuvre.

Une autre inspiration qu’il relève alors est la peinture coréenne Dansaekhwea (« monochrome »), daté des années 1970 mais encore pratiquée aujourd’hui, dont l’artiste Park Seo-Bo est un représentant majeur. On retrouve dans son œuvre l’idée de simplicité transcendée par la répétition, presque artisanale, et le dépassement technique à partir de quelque chose de simple. Il développe l’idée d’une esthétique méditative et la manière dont ce processus peut être presque ressenti par le spectateur. Robinson Haas cite alors la conception de la création pour Park Seo-Bo, qui ne cherche pas à dans son art quelque chose d’intellectuel mais avant tout à « apaiser le monde ».

 

Autres projets à venir :

Une résidence création est en cours aux ateliers Médicis : programme de recherche dans lequel il développe différentes séries de dessin tourné autour des médiums, avec une série sur crayon de couleur, la question du son dans le dessin, le dessin sonore. Une partie aussi est sur la pointe d’argent, avec un parallèle entre des gestes simples et réduits et cette technique très utilisée à la Renaissance.

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