Le burkini, ou comment les gens n’ont plus la liberté de s’habiller comme ils le souhaitent

Au cœur de plusieurs polémiques cet été, le burkini rencontre de nombreux détracteurs. D’abord par l’annulation de la « journée burkini » au Speedwater Park, à proximité de Marseille, puis par des arrêtés municipaux successifs à Cannes et Sisco (Corse) interdisant le port de vêtements religieux sur la plage. Ceux-ci ont toujours les mêmes arguments que pour le niqab, le voile, la burka : la liberté de la femme, la laïcité. Pourtant, on peut remarquer de nouveaux arguments pointer le bout de leur nez : l’hygiène et le trouble de l’ordre public.

Inventé en 2004 par Aheda Zanetti, une Australienne, cette tenue a pour but premier d’être confortable et pratique pour les femmes sportives et pudiques, tout comme le hijood (contraction de hijad et hood), dont elle a aussi déposé le brevet. Elle invente le mot burkini pour décrire sa tenue « Je me suis dit : notre tenue de bain est plus légère qu’une burqa et elle a deux pièces comme un bikini, alors je l’ai appelée burkini. C’est juste un mot que j’ai inventé pour nommer mon produit ». Très vite le burkini connait un grand succès. Selon Aheda Zanetti, « plus de 500 000 tenues » ont été écoulées en une douzaine d’années. En effet, la mode islamique connait un grand succès, si bien que des marques, qui ne sont pas spécialisées dans cela à la base, ont commencé à commercialiser des tenues, comme Marks & Spencer qui a sorti un burkini.

Théoriquement le burkini n’est en aucun cas contraire à la loi. En effet, il laisse le visage découvert, et ne s’oppose donc pas à la loi de 2010 qui prohibe la dissimulation du visage dans l’espace public. Il est donc, techniquement, interdit de l’interdire. Pourtant, le tribunal administratif de Nice a donné raison au maire de Cannes et a rejeté le recours du Collectif contre l’islamophobie en France et de trois particuliers. Finalement, cette polémique est révélatrice du climat de peur qui pèse sur la France après les attentats.

Non, interdire le burkini n’est pas une garantie de laïcité. Celle-ci étant l’acceptation et la libre pratique de toutes les religions, mais surtout « l’impartialité ou la neutralité de l’État à l’égard des confessions religieuses ». Ne pas respecter les principes d’une religion en ne permettant pas à ses fidèles de la pratiquer correctement est donc l’opposé même de la laïcité.

Non, interdire le burkini n’est pas une garantie d’hygiène : est-ce vraiment la peine d’expliquer pourquoi ?

Non, interdire le burkini n’est pas une garantie de non-troubles à l’ordre public. C’est juste révélateur d’amalgames : les musulmans ne sont pas Daech. Et Daech n’est pas la religion musulmane. De plus, le burkini ne respecte même pas les principes de Daech car il ne couvre pas le visage. Alors quand le maire de Cannes explique qu’il s’agit de « tenues ostentatoires qui font référence à une allégeance à des mouvements terroristes qui nous font la guerre », il se met le doigt dans l’œil.

Non, interdire le burkini n’est pas une manière de défendre les droits des femmes. Cela revient à dire que les musulmanes n’ont pas le libre-arbitre sur leur corps et leur tenue, qu’elles ne peuvent pas librement choisir de porter, ou non, le voile. Le voile est lui-même antérieur au Coran : chez les Assyriens, une femme libre était obligée de porter le voile selon la loi. On le retrouve aussi chez les Juifs et les Romains, à différents degrés d’obligation. Contrairement à cela, le Coran lui-même ne préconise pas explicitement de porter le voile, mais plutôt de se « couvrir de pudeur », ce qui peut être interpréter comme le croyant l’entend. Si certaines femmes ressentent le besoin de se couvrir, d’autres restent modérées et pudiques dans leurs actes. Là encore chacun vit sa religion comme il l’entend. De plus, il est possible de se demander ce qui est le plus en accord avec les sacro-saints droits de la femme que les maires masculins, qui ne sont pas les personnes les plus exposées au sexisme, s’acharnent à défendre avec tant de bravoure : une femme musulmane choisissant de porter le burkini en accord avec sa pudeur ou une femme non-musulmane qui ne porte que des bikinis ? Dans une société hyper-sexualisée, où il est très difficile de trouver un maillot de bain couvrant, pour lequel les magazines nous préviennent dès février qu’il faudrait quand « perdre du poids avant l’été » tout en « acceptant son corps et ses rondeurs », la femme est-elle réellement libre ? Si comme certains le disent la femme musulmane est soumise à son mari en portant le voile, la femme qui porte un bikini serait peut-être elle aussi soumise aux dictats de la beauté. Alors, le burkini est-il réellement à interdire et à prohiber ? Ou faut-il plutôt revoir notre vision de la « femme libérée en bikini » ?  Il faudrait alors ne pas trop se couvrir, sous peine d’être associée par bêtise humaine à des associations terroristes. Mais pas trop se découvrir non plus, les femmes en monokini étant jugées par des regards réprobateurs, car on est d’accord : un téton c’est quand même très, très provoquant… Finalement, cette histoire est révélatrice d’une misogynie ambiante, qui ne touchera jamais les hommes, puisqu’aucun d’entre eux ne sera inquiété pour le port d’un bermuda de bain qui, rappelons-le, est tout sauf hygiénique.

Hussein Chalayan – Collection Between S/S 1996 : Un défilé durant lequel le créateur montre l’objectivation et la dé-personnification de la femme, du voile intégral cachant le visage, à une femme nue et montrée alors comme un objet sexuel.

Elise Poirey

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