Millet ou le classique engagé

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MILLET, L’Angélus, huile sur toile, 1857-1859, 66 cm X 55,5 cm, Paris, musée d’Orsay

L’auteure de cet article se doit de préciser que ce texte s’inscrit dans le cadre du clash des spés qui divise la rédaction depuis quelques temps. Entre les Grands Demeurés qui veulent prendre le pouvoir et les spé Anthropo qui s’accaparent les analyses *teasing du prochain numéro, le LB 54*, il était temps que la spé XIXe intervienne pour rétablir l’ordre dans les rangs !

 

Millet (Jean-François de son p’tit nom) naît en 1814 et connaît une carrière assez mouvementée, qui alterne entre les références classiques et les œuvres qui le sont moins. Arrivé à Paris, il est tour à tour élève de Gros et de Delaroche (classique). Il connaît la Bible, les textes mythologiques et antiques (classique), les auteurs anglais contemporains comme Shakespeare (pas classique depuis très longtemps), collectionne des œuvres du XVIIe siècle hollandais (classique), et bien d’autres encore. C’est un homme pétri de culture classique (sans blague) qui, après avoir principalement peint des scènes mythologiques et des portraits, décide d’aller peindre dans un coin de forêt pas loin de Fontainebleau : Barbizon. Il s’intéresse alors au genre du paysage. Mais c’est avant tout pour ses scènes de genre mettant en scène des paysans qu’il est le plus connu.

 

En effet, le nom de Millet ne vous est peut-être pas familier (sauf pour les personnes qui s’intéressent aux graines), mais les noms de ses peintures, comme L’Angélus (1857-1859, musée d’Orsay) ou encore Les Glaneuses (1857, musée d’Orsay), vous évoquent peut-être de doux souvenirs de lumière dorée qui se reflète sur les blés en fin de journée. Peut-être pensez-vous aussi à des paysans tout entier dévoués à leur travail agricole, n’ayant d’yeux que pour les récoltes.

 

Avec ces quelques éléments, on peut avoir l’impression que les œuvres sont harmonieuses et calmes. Pourtant, ça n’est pas du tout le sentiment qu’elles inspirent au public parisien lors du Salon. L’Angélus suscite la panique et les visiteurs se demandent ce que ces « épouvantails en haillons » font sur une toile. Le souvenir du peuple qui s’est révolté en 1848 hante encore les esprits des classes aisées. Le peuple représente une force dangereuse et qui est susceptible de renverser l’ordre établi.

 

Il ne faut pas non plus oublier que Les glaneuses représentées par Millet n’ont le droit d’exercer leur activité que depuis peu de temps. Elles sont autorisées à passer dans les champs en fin de journée afin de récupérer les épis négligés pendant les récoltes. C’est un travail de longue haleine, très physique puisqu’il faut se pencher pour ramasser les épis. De plus, elles ne peuvent le faire qu’après les récoltes, alors qu’elles ont déjà passé une journée entière à travailler. Le contraste entre leurs conditions de vie et celles des classes aisées du Second Empire qui se complaisent dans des fêtes et des spectacles plus fastueux les uns que les autres (j’exagère à peine), n’en est que plus fort.

 

Millet, c’est donc ce peintre qui donne aux paysans une visibilité dans un contexte social et politique plus que sensible. En les représentant de façon réaliste dans leurs véritables conditions de travail, généralement pendant l’effort que nécessite celui-ci, il leur confère une grandeur et une dignité qu’ils n’avaient pas auparavant. C’est un peintre qui s’engage pour les causes qui lui sont chères. Ses grands-parents étant paysans, il a côtoyé le travail de la terre dès son enfance et s’attache à en représenter la beauté dans ses toiles. Ses efforts sont récompensés à la fin de sa vie en 1875 et bien après : l’image de L’Angélus est devenue une icône du monde paysan et, lorsque le tableau revient en France en 1909 après avoir changé maintes et maintes fois de propriétaire, c’est un véritable triomphe qui est fait à la peinture.

 

Ivane