Les reprises et covers : le présent en chanson

La musique comme la mode n’est qu’un éternel recommencement. Une des meilleures manières pour le voir ce sont les reprises ou les covers, bref quand on reprend une chanson plus ancienne pour en faire quelque chose de plus actuel. « Comment actualiser une chanson ? » vous me direz! En réalité c’est tout simple : déjà il faut s’y connaître un peu en musique (ça aide), avoir un peu d’imagination et surtout essayer de faire de la chanson originelle sa propre chanson. Oui, tous ces conseils viennent d’une personne qui ne sait ni chanter, ni jouer d’un instrument donc si vous avez des réclamations adressez-vous à la direction, c’est-à-dire encore moi.

Pour commencer, on part en Bretagne ! Pourquoi ? Déjà parce que c’est la plus belle région de France (je ne discuterai pas sur ce point) mais aussi parce qu’elle possède une culture musicale très forte, tout comme sa culture culinaire il faut le dire. La musique bretonne de la fin du XXe siècle se sert beaucoup de chansons traditionnelles reprises qui deviennent alors des chansons populaires connues de tous. L’un des exemples les plus caractéristiques est « Son Ar Chistr » d’Alan Stivell :

Alors non, le titre ne veut pas dire « Fils de Dieu » mais bien « Chanson du cidre » en breton (on est très terre à terre). Cette chanson a été écrite par deux étudiants morbihannais dans les années 1920 mais elle n’est vraiment devenue populaire qu’après la reprise d’Alan Stivell (un peu notre Jean-Jacques Goldman local). Même si l’artiste reste plus proche d’une version traditionnelle, la chanson sortie en 1970 a réussi à s’imposer comme un classique en Bretagne où elle était déjà très connue. Comme beaucoup de chansons traditionnelles, elle a été reprise par de nombreux artistes avec des styles bien différents. Si vous êtes plus rock, je vous conseille la version de Gwennyn avec Tri Yann et Gilles Servat.

En parlant de styles bien différents, il est temps de parler de Manau. Catégorisés comme « rap celtique » par Wikipédia, ils ont eux-mêmes eu recours à la reprise. Vous l’apprendrez peut-être aujourd’hui, mieux vaut tard que jamais, mais « La Tribu de Dana » reprend directement un air de harpe très connue issu de « Tri Martolod » une chanson d’Alan Stivell (oui, encore lui, il est partout), elle-même étant une reprise d’une chanson traditionnelle bretonne (ça fait du beau monde). 

 

Manau a demandé à Alan Stivell l’utilisation de son air de harpe, propre à sa version de la chanson, mais ce cher Alan a refusé en voyant l’utilisation faite de son air (coup dur). Au final, un accord à l’amiable a été trouvé pour éviter le procès mais cette reprise a tout de même le mérite d’élargir le public de ce type de musique puisque « La Tribu de Dana » est restée à la première place des ventes en France pendant douze semaines. La musique bretonne n’a alors jamais été aussi actuelle qu’en l’an 1998, année de gloire (oui c’est la bande-son de mon année de naissance, un hasard ? je ne pense pas).

On pourrait parler des reprises de musiques traditionnelles bretonnes pendant des heures, mais quittons la Bretagne pour parler du groupe Indochine. Celui-ci a sorti la chanson « 3e sexe » en 1985 dont il a fait une reprise en 2020 en duo avec Christine and the Queens. Les paroles restent presque identiques entre les deux chansons mais la composition est radicalement différente.

 

Si la première version à coup de synthés et de coupes de cheveux très volumineuses est très clairement issue des années 1980, la seconde version est rendue plus grave et plus lente lui donnant un côté sensuel absent de la première version. Les paroles semblent alors entièrement différentes et donnent l’impression d’être encore plus d’actualité comme avec ce couplet à la fin de la chanson :

Des robes longues pour tous les garçons
Habillés comme ma fiancée
Pour les filles sans contrefaçons
Maquillées comme ma fiancée
Le grand choc pour les plus vicieux
C’est bientôt la chasse aux sorcières
Ambiguë jusqu’au fond des yeux
Le retour de Jupiter

On notera quand même la modification de certains « ma » en « mon » dans la chanson puisque que dans la version originelle le texte est « Maquillées comme mon fiancé ». Chacun peut porter son avis sur la question de ces modifications de la nouvelle version, incarnée par une voix féminine en plus d’une voix masculine, mais cette reprise nommée « 3SEX » permet tout de même de voir que ces questions, si choquantes dans les années 1980 sont toujours au cœur de nos sociétés et au cœur de certains combats pour plus de tolérance. Bref, on a du chemin à faire.

La reprise permet aussi aux artistes d’imprimer leur propre style sur une chanson. C’est là aussi que l’on peut reconnaître le talent d’un artiste qui arrive alors à transformer la chanson pour en faire un titre qu’il aurait pu lui-même écrire. Un exemple intéressant est « Heart of glass » de Blondie ; chanson iconique de la fin des années 1970, elle a de nombreuses fois été reprise notamment très récemment par Miley Cyrus et Yseult.

 

 

 

Si Miley Cyrus lui donne un aspect encore plus rock, Yseult lui donne un tour plus pop et plus doux. Les deux artistes parviennent ainsi à imprimer leur style personnel sur une chanson déjà mythique. La version de Miley Cyrus est plus rock car celle-ci cherche justement à donner un tour plus rock à sa musique. Reprendre la chanson de Blondie lui permet donc de s’imprimer dans une tradition de musique rock qui était assez éloignée de son style de base. Yseult, quant à elle, est presque une spécialiste de la reprise puisqu’elle a participé en 2013 à la Nouvelle Star dont elle a été finaliste. Elle réalise cette reprise en 2017 alors encore à la recherche de son style propre. Depuis elle a su trouver sa voix et rencontre un vif succès notamment avec son titre « Bad Boy » sorti en 2019 et accompagné d’un clip très poétique et puissant qu’elle a réalisé et qu’elle décrit comme ceci dans les commentaires sur Youtube : « j’voulais qu’ça transpire d’audace, de vulnérabilité, de passion, de sincérité et d’érotisme. J’voulais aller au-delà d’un clip, j’voulais qu’on filme des sensations, des sentiments vrais, du brut. J’voulais créer des références inédites ». La reprise est donc aussi un moyen pour l’artiste de se trouver dans un style nouveau pour lui ou dans un nouveau style qui permet de créer des précédents. P.S. : alors on a pas pu mettre le lien du clip de Bad Boy d’Yseult parce qu’apparemment vous êtes trop jeunes (voyez ça avec YouTube) mais je vous le recommande vivement !

Malheureusement, cet article doit trouver une fin mais si comme moi les reprises vous intéressent fortement, je vous conseille vivement l’émission « Live Lounge » de la BBC radio 1. Le principe de l’émission : inviter des artistes qui doivent chanter une de leurs chansons puis faire une reprise. Evidemment, plus la reprise est recherchée et différente de la version originale, plus ça devient passionnant. Je vous quitte avec  un petit florilège de mes reprises favorites du Live Lounge puisqu’elles sont toutes disponibles sur Youtube.

Tyfenn Le Roux