La PETITE apARTé scientifique – Que reste-t-il de Jeanne d’Arc ? Ou la carbonisation du bois au secours de l’archéologie

Jeanne d’Arc au bûcher

Jeanne d’Arc au bûcher Hermann Anton Stilke 1843 Huile sur toile Saint-Pétersbourg, Musée de l’Ermitage

Nous y voilà pour le premier bonus de l’apARTé scientifique -petite larme d’émotion … Billy ! Ouvre le champagne !- qui aura pour sujet la carbonisation ou pyrolyse -range ton Pokédex, ce n’est pas l’évolution d’Evoli ! Et puis tu l’as surnommé Rainer en plus ! (petite blague pour les joueurs de PokemonGo)- du bois. Car en effet ce sujet, en marge de celui traité dans l’apARTé scientifique officielle du numéro Ardent, nous intéresse particulièrement en archéologie où certains sites très anciens comme celui de Mureybet -de 9 500 à 8 300 avant Jules César si tu te souviens des cours d’Ariane Thomas … enfin je crois …- nous sont restés justement car certains bâtiments, avec des armatures en bois par exemple, ont brûlés et ne se sont donc pas décomposés. Petite étude de ce phénomène passionnant -si si, je vous jure !

 

Tout d’abord, faisons un petit point sur la composition du bois, parce qu’il est complexe le bougre ! Donc dans du bois vous avez : des « extraits » (résines, tanins, pigments, …) entre 4 à 15 %, de la lignine entre 18 et 35 %, de l’holocellulose (cellulose et hémicelluloses) entre 40 et 60 % et des « cendres » (oxydes de Ca, K, Na, Mg, Si, Fe, P, …) pour environ 1 %.

Du calme Billy du calme ! On va voir les choses dans l’ordre ! Concentrons nous sur les trois principaux composant du bois : lignine, cellulose et hémicellulose. Je pourrais me lancer dans une explication compliquée avec plein de noms en -ose et en -ane mais en bref, c’est du carbone (C), de l’oxygène (O) et de l’hydrogène (H). Je donne les formules semi-développées pour les courageux et les fous (dont je fais partie –#chemicalorgasm !  :

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Ainsi, on peut considérer que la composition moyenne chimique du bois est : CH1,44O0,66. J’avoue, ça ne va pas nous servir des masses -molaires ! … Rigole Billy !- mais j’aime avoir une belle formule propre. Car en effet, le bois étant composé de divers éléments, chacun réagit indépendamment à la pyrolyse ! Alors allons-y !

 

La pyrolyse (on ne parle pas ici de combustion, qui est en fait une pyrolyse suivie de la combustion des gaz formés) est un procédé de transformation de solides en gaz divers par leurs décomposition. En clair ce n’est pas un bête changement d’état comme pour l’eau par exemple, la molécule est séparée en plusieurs plus petites qui sont plus stables à une température donnée, souvent sous forme gazeuse. Je me contenterai ici de la pyrolyse lente, pour laquelle j’ai beaucoup plus d’informations -oui, ça veut dire qu’il en existe une rapide, t’es un p’tit génie toi !- et parce que c’est ce qu’il se passe en général lors d’un feu de bois.

 

De ce fait, lors d’une pyrolyse, on observe une déshydratation du bois aux alentours de 100 °C. Puis a lieu un dégagement de dioxyde de carbone (CO2), d’eau (H2O) et d’acide acétique (CH3COOH) entre 100 et 250 °C. Ensuite, de 250 à 500 °C a lieu un dégagement gazeux rapide de monoxyde de carbone (CO), de dihydrogène (H2) (qui se lie directement au dioxygène (O2) de l’air pour former de l’eau) et de méthane (CH4) et la formation de goudrons. Enfin, quand la température dépasse les 500 °C se forme une formation de charbon de bois (composé de carbone et de quelques composés minéraux), ce qui nous intéresse tout particulièrement !

 

Tous les mécanismes ne sont pas encore connus mais pour étudier tout ceci de façon plus précise, voici quelques explications.

Les lignines se décomposent tout d’abord en fragments aromatiques (vanilline, syringaldéhyde, phénols et crésols) :

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Puis ces produits aromatiques se décomposent ensuite, au fur et à mesure que la température monte, en méthanol (CH3OH). Enfin, à plus haute température, la lignine est en grande partie à l’origine du charbon de bois.

Les hémicelluloses se décomposent en furfural, furanne, acide acétique et aldéhydes divers, comme le formaldéhyde :

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Pour le cas de la cellulose, on assiste à une hydrolyse interne (adjonction d’eau) et une déshydratation conduisant à un produit primaire qui est le lévoglucosane. Stable jusqu’à environ 210 °C, il se décompose à partir de 270 °C pour donner de l’eau, des acides formique et acétique et des phénols :

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Au-delà de 500 °C une partie des grosses molécules se recondensent pour s’agréger dans le charbon de bois qui provient principalement de la lignine. Les plus petites molécules, en se décomposant à partir de 250 °C, sont responsables quand à elles des différents  gaz formés :

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Ouf ! Nous voilà enfin avec notre charbon de bois ! Voilà la clé de l’éternité pour notre bois, qu’il s’agisse de la charpente d’une maison néolithique ou des piliers d’un temple assyrien ! En effet, cette carbonisation empêche totalement la décomposition. Pour expliciter un peu tout ça : la décomposition ou putréfaction du bois est conduite par divers insectes xylophages, champignons et bactéries qui, en ingérant et digérant le bois (matière organique), le réduisent peu à peu en matière inorganique. Ils le minéralisent ! Pour entrer dans les détails, ils brisent les liaisons des molécules organiques et en tirent de l’énergie, mais cela ne fonctionne que jusqu’à la minéralisation complète, car alors les liaisons ne sont plus aussi fragiles. Ainsi, avec notre charbon de bois composé essentiellement de carbone, plus de décomposition, car ses agents, ne pouvant plus en tirer d’énergie, ne sont plus intéressés !

 

Une carbonisation superficielle du bois est d’ailleurs régulièrement utilisée pour le protéger des outrages du temps. C’est le cas pour la plupart des constructions anciennes imposantes, comme les églises, qui reposent sur des pieux ayant subi une carbonisation. Elle a aussi été utilisée pour traiter le bois de marine d’après les proposition de Henri Cochon de Lapparent (1807-1884), citant entre autres la longévité exceptionnelle du HMS Royal William de 1719 dont les bois auraient été carbonisés. Ainsi les charpentes étaient carbonisées avec de la paille ou des fagots enflammés et certaines pièce de membrure isolée, par de petit feux de copeaux. On  suggérait aussi de leur appliquer du gaz d’éclairage au chalumeau. Comme les bateaux, des traverses de chemin de fer seront traitées par cette méthode. Pour ce qui est de l’architecture, on observe aussi cette méthode au Japon, dans la technique traditionnelle du yakisugi ou shō sugi ban. En archéologie enfin, on retrouve régulièrement du charbon de bois sur les sites. Il peut alors servir autant à mieux comprendre la nature des vestiges en question par 

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sa forme qu’à les dater par carbone 14 (pratique quand on a un truc composé exclusivement … de carbone !). L’étude de ce charbon de bois se nomme anthracologie.

Voilà voilà ! Et en espérant que le soleil estival ne vous carbonise pas, toute l’équipe de l’ApARTé scientifique (Billy et moi) vous souhaite de bonnes vacances !

 

Raphaël Vaubourdolle

 

 

 

 

Raphaël Vaubourdolle

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