De l’animation chinoise : La Bénédiction de l’officier céleste

La Bénédiction de l’Officier céleste ou pourquoi l’animation chinoise mériterait d’être plus connue et appréciée

 

Vous connaissez probablement l’animation japonaise par les films du studio Ghibli ou les séries de centaines d’épisodes maintenant disponible sur des plateformes de streaming comme Netflix, pour ne citer que Naruto, HunterxHunter, L’attaque des Titans et One Piece. En revanche je doute que vous soyez familiers avec ce que l’on appelle le donghua, l’animation chinoise produite en Chine. Beaucoup plus confidentielle et moins exportée, elle mérite pourtant toute votre attention et je souhaite vous en convaincre en prenant pour exemple La Bénédiction de l’officier céleste, désormais disponible sur Netflix. Ceci n’est pas un article pour dénigrer ou même comparer les deux types d’animation (chinoise et japonaise) mais simplement attirer votre regard d’intéressé de l’animation vers d’autres horizons. 

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Les reprises et covers : le présent en chanson

La musique comme la mode n’est qu’un éternel recommencement. Une des meilleures manières pour le voir ce sont les reprises ou les covers, bref quand on reprend une chanson plus ancienne pour en faire quelque chose de plus actuel. « Comment actualiser une chanson ? » vous me direz! En réalité c’est tout simple : déjà il faut s’y connaître un peu en musique (ça aide), avoir un peu d’imagination et surtout essayer de faire de la chanson originelle sa propre chanson. Oui, tous ces conseils viennent d’une personne qui ne sait ni chanter, ni jouer d’un instrument donc si vous avez des réclamations adressez-vous à la direction, c’est-à-dire encore moi.

Pour commencer, on part en Bretagne ! Pourquoi ? Déjà parce que c’est la plus belle région de France (je ne discuterai pas sur ce point) mais aussi parce qu’elle possède une culture musicale très forte, tout comme sa culture culinaire il faut le dire. La musique bretonne de la fin du XXe siècle se sert beaucoup de chansons traditionnelles reprises qui deviennent alors des chansons populaires connues de tous. L’un des exemples les plus caractéristiques est « Son Ar Chistr » d’Alan Stivell :

Alors non, le titre ne veut pas dire « Fils de Dieu » mais bien « Chanson du cidre » en breton (on est très terre à terre). Cette chanson a été écrite par deux étudiants morbihannais dans les années 1920 mais elle n’est vraiment devenue populaire qu’après la reprise d’Alan Stivell (un peu notre Jean-Jacques Goldman local). Même si l’artiste reste plus proche d’une version traditionnelle, la chanson sortie en 1970 a réussi à s’imposer comme un classique en Bretagne où elle était déjà très connue. Comme beaucoup de chansons traditionnelles, elle a été reprise par de nombreux artistes avec des styles bien différents. Si vous êtes plus rock, je vous conseille la version de Gwennyn avec Tri Yann et Gilles Servat.

En parlant de styles bien différents, il est temps de parler de Manau. Catégorisés comme « rap celtique » par Wikipédia, ils ont eux-mêmes eu recours à la reprise. Vous l’apprendrez peut-être aujourd’hui, mieux vaut tard que jamais, mais « La Tribu de Dana » reprend directement un air de harpe très connue issu de « Tri Martolod » une chanson d’Alan Stivell (oui, encore lui, il est partout), elle-même étant une reprise d’une chanson traditionnelle bretonne (ça fait du beau monde). 

 

Manau a demandé à Alan Stivell l’utilisation de son air de harpe, propre à sa version de la chanson, mais ce cher Alan a refusé en voyant l’utilisation faite de son air (coup dur). Au final, un accord à l’amiable a été trouvé pour éviter le procès mais cette reprise a tout de même le mérite d’élargir le public de ce type de musique puisque « La Tribu de Dana » est restée à la première place des ventes en France pendant douze semaines. La musique bretonne n’a alors jamais été aussi actuelle qu’en l’an 1998, année de gloire (oui c’est la bande-son de mon année de naissance, un hasard ? je ne pense pas).

On pourrait parler des reprises de musiques traditionnelles bretonnes pendant des heures, mais quittons la Bretagne pour parler du groupe Indochine. Celui-ci a sorti la chanson « 3e sexe » en 1985 dont il a fait une reprise en 2020 en duo avec Christine and the Queens. Les paroles restent presque identiques entre les deux chansons mais la composition est radicalement différente.

 

Si la première version à coup de synthés et de coupes de cheveux très volumineuses est très clairement issue des années 1980, la seconde version est rendue plus grave et plus lente lui donnant un côté sensuel absent de la première version. Les paroles semblent alors entièrement différentes et donnent l’impression d’être encore plus d’actualité comme avec ce couplet à la fin de la chanson :

Des robes longues pour tous les garçons
Habillés comme ma fiancée
Pour les filles sans contrefaçons
Maquillées comme ma fiancée
Le grand choc pour les plus vicieux
C’est bientôt la chasse aux sorcières
Ambiguë jusqu’au fond des yeux
Le retour de Jupiter

On notera quand même la modification de certains « ma » en « mon » dans la chanson puisque que dans la version originelle le texte est « Maquillées comme mon fiancé ». Chacun peut porter son avis sur la question de ces modifications de la nouvelle version, incarnée par une voix féminine en plus d’une voix masculine, mais cette reprise nommée « 3SEX » permet tout de même de voir que ces questions, si choquantes dans les années 1980 sont toujours au cœur de nos sociétés et au cœur de certains combats pour plus de tolérance. Bref, on a du chemin à faire.

La reprise permet aussi aux artistes d’imprimer leur propre style sur une chanson. C’est là aussi que l’on peut reconnaître le talent d’un artiste qui arrive alors à transformer la chanson pour en faire un titre qu’il aurait pu lui-même écrire. Un exemple intéressant est « Heart of glass » de Blondie ; chanson iconique de la fin des années 1970, elle a de nombreuses fois été reprise notamment très récemment par Miley Cyrus et Yseult.

 

 

 

Si Miley Cyrus lui donne un aspect encore plus rock, Yseult lui donne un tour plus pop et plus doux. Les deux artistes parviennent ainsi à imprimer leur style personnel sur une chanson déjà mythique. La version de Miley Cyrus est plus rock car celle-ci cherche justement à donner un tour plus rock à sa musique. Reprendre la chanson de Blondie lui permet donc de s’imprimer dans une tradition de musique rock qui était assez éloignée de son style de base. Yseult, quant à elle, est presque une spécialiste de la reprise puisqu’elle a participé en 2013 à la Nouvelle Star dont elle a été finaliste. Elle réalise cette reprise en 2017 alors encore à la recherche de son style propre. Depuis elle a su trouver sa voix et rencontre un vif succès notamment avec son titre « Bad Boy » sorti en 2019 et accompagné d’un clip très poétique et puissant qu’elle a réalisé et qu’elle décrit comme ceci dans les commentaires sur Youtube : « j’voulais qu’ça transpire d’audace, de vulnérabilité, de passion, de sincérité et d’érotisme. J’voulais aller au-delà d’un clip, j’voulais qu’on filme des sensations, des sentiments vrais, du brut. J’voulais créer des références inédites ». La reprise est donc aussi un moyen pour l’artiste de se trouver dans un style nouveau pour lui ou dans un nouveau style qui permet de créer des précédents. P.S. : alors on a pas pu mettre le lien du clip de Bad Boy d’Yseult parce qu’apparemment vous êtes trop jeunes (voyez ça avec YouTube) mais je vous le recommande vivement !

Malheureusement, cet article doit trouver une fin mais si comme moi les reprises vous intéressent fortement, je vous conseille vivement l’émission « Live Lounge » de la BBC radio 1. Le principe de l’émission : inviter des artistes qui doivent chanter une de leurs chansons puis faire une reprise. Evidemment, plus la reprise est recherchée et différente de la version originale, plus ça devient passionnant. Je vous quitte avec  un petit florilège de mes reprises favorites du Live Lounge puisqu’elles sont toutes disponibles sur Youtube.

Tyfenn Le Roux

🎵Top 9 des meilleures musiques de Francky Vincent🎵

 

Francky. Ah, cher Francky. Dieu de la musique, qui anime nos soirées sous les cocotiers avec sa voix si suave et agréable…

Enfin, ça, c’était avant. Avant, lorsqu’on pouvait encore improviser une petite fiesta avec les ami.e.s. Avant que l’hiver arrive (oui, nous sommes en automne, mais chute brutale des températures = retour du plaid et de la raclette = hiver, ok ?). Avant, quand on pouvait encore s’improviser des petits concerts privés de Francky Vincent…

Oh, mais qu’est-ce que nous racontons, c’est encore possible ça ! Enfin, ce n’est pas interdit, sauf si vous avez signé une charte de bon voisinage un peu douteuse, ou que vous avez mal réglé votre âge de votre compte Youtube, parce qu’avec Francky, on ne rigole pas avec la limite d’âge !

Bref, laissons notre ami des Caraïbes réchauffer l’atmosphère (dans tous les sens du terme) avec ses douces paroles (idem)…

 

9- À la folie :

 

 

Comme il le dit si bien « Allons-y, On y va »! À l’heure où le body positivism est de plus en plus accepté et répandu, Francky apparaît comme une figure avant-gardiste. Vous ne me croyez pas? Écoutez attentivement la chanson car au-delà de faire son éloge personnel (Francky Vincent je t’aime à la folie, tmtc), Francky nous dit que le sexe nous fait oublier tous nos complexes! Alors on dit merci qui? 

 

8- Tu pues du cul :

 

 

Ma maman m’a toujours dit que péter un coup, ça fait du bien. Mais parfois, ça tourne mal (déso maman). Passer cette musique constitue un moyen très explicite pour dire à votre voisin dans le métro que ses flatulences ne siéent guère à vos narines, ou bien faire passer un merveilleux message d’amour à votre moitié, à savoir : “Prout, ça pue”.

 

7- Sacré cochon :

 

Une autobiographie en tout modestie, mais n’est-ce pas le cas de toutes les œuvres del fabuloso Francky ? (Mon niveau d’espagnol ne lui arrive pas à la cheville). Maintenant, quand ma grand-mère me traitera de petit cochon à table à Noël, quand je mangerai de la dinde (fourrée 😉 ) aux marrons, je penserai à toi…

 

6- Alice, ça glisse :

 

La rédaction s’excuse d’avance du traumatisme causé auprès de toutes les Alice, Francky avait besoin d’une rime. Mais, il a su mettre en valeur ce prénom à coup de références littéraires (oui, on parle bien du pays des merveilles), tout en mettant en valeur le patrimoine régional #Nosrégionsontdutalent. Avec son savon de Marseille, Francky faisait du Made in France avant l’heure (avant-gardiste on a dit).

 

5- Le Restaurant :

 

Tout grand homme cache en lui une part d’ombre, et c’est le cas de Francky. En l’an de Grâce 2003, notre cher ami a ouvert un restaurant à Thiais, dans le Val-de-Marne. Et bah, le moins qu’on puisse dire, c’est que l’ambiance était loin d’être la même que sous les tropiques. Francky est donc parti sans laisser de trace (avec la caisse bien sûr), jusqu’au jour où il a décidé de faire éclater la vérité. Mais pourquoi en venir aux mains quand on peut tout balancer en musique ? C’est bien Francky, tu as raison, il faut toujours dire les choses explicitement, et t’es le king pour ça. Cyprien vs Cortex tremble encore face à ton clash prodigieux….

 

4- Vas-y Francky, c’est bon (Nouvelle génération) : 

 

Qui a dit que Francky, c’était pour les darons ? Ne sous-estimez jamais le maître : il se renouvelle continuellement ! Ecoutez donc ce grand classique remixé avec les outils de notre génération Z ! Vas-y Francky, envoie la sauce !

 

3- T’es chiant(e) :

 

Bien qu’elle soit en elle-même un chef-d’oeuvre musical, cette chanson n’est que trop bien mise en valeur par ce clip minutieusement ficelé. Des moyens hollywoodiens, un jeu d’acteur à couper le souffle et surtout une chorégraphie sans égale ont fait de ce duo un incontournable de la discographie de Francky et même de la chanson française.

 

2-  Les fruits de la passion : 

 

Francky, c’est un homme qui n’a pas peur de choquer. C’est pourquoi il ose même à la fin de cette chanson entonner un air de yodle (oui oui, Francky est un homme qui regorge de talent). Dans ce classique, Francky évoque avant même le très célèbre WAP de Cardi B le plaisir féminin tout en métaphores. 

 

1- Tu veux mon Zizi : 

 

Que dire, que dire…
Cet emploi de toutes les capacités, pour nous faire voyager de la bicoque à la casbah…
Ces fruits et ces étoiles de mer à lunettes qui sautillent dans tous les sens…
Ces petits crabes qui agitent leurs pinces prêts à te… pincer…
Cette gentillesse de nous prévenir tout en te trémoussant “Viens ce soir dans mon duplexe, il y aura sans doute du sexe” (Quel gentleman, le consentement, c’est vital !)
Non, j’ai pas les mots pour décrire un tel chef d’oeuvre. Francky, t’as carrément transcendé l’art de la musique avec ton flow venant tout droit de sous les cocotiers. Même Julien Lepers t’égale pas avec ses douches de “oui oui oui oui’”.
Clairement : c’eeeeeeest çaaaaaaaa !

Histoi’Art – Quand Charpentier orchestre les affetti musicaux

Charpentier – Détail de la fresque des Français peintes par le collectif A Fresco

          « On a dit avec raison que le but de la musique, c’était l’émotion. Aucun autre art ne réveillera d’une manière aussi sublime le sentiment humain dans les entrailles de l’homme » confie George Sand dans son roman Consuelo (1843), contant l’histoire d’une chanteuse bohémienne au XVIIIème siècle. Qui n’a jamais été pris dans l’enivrant tourbillon des mélodies ? Bien qu’adorant tous les arts, la musique a toujours été selon moi la reine de tous car elle est la plus à même de promptement et profondément toucher toute personne. En entendant un air, nous sommes obligés d’être immédiatement pénétrés par une émotion. Elle nous enlace, nous enserre, crépite et palpite en nous. Je me sens par exemple toujours terrassée de crainte et de fureur en écoutant le Dies Irae de Verdi, exaltée de piété et de pureté avec le Miserere d’Allegri, altière et puissante avec le O Fortuna d’Orff, guillerette et confiante avec le Credo de la messe en ut mineur de Mozart, douce, méditative et nostalgique avec Mignonne, allons voir si la rose de Costeley… Comment expliquer ces différences de couleurs, ces peintures musicales qui nous touchent jusqu’au plus profond de notre être ?

          En 1690, Marc-Antoine Charpentier tente de donner une réponse. Depuis que la musique existe, tous les compositeurs ont cherché à faire passer un message, à transcrire une émotion dans leurs créations. Tient-elle du génie ? Provient-elle d’une recette magique à exécuter pour obtenir de si délicieux résultats à l’oreille ? Est-ce une science plus exacte ? Depuis la mort de Lully survenue en 1687, les autres compositeurs français peuvent enfin être un peu plus sous les feux de la rampe musicale à la cour du roi. Charpentier est ainsi chargé d’apprendre l’art de la composition au duc de Chartres Philippe d’Orléans, neveu de Louis XIV, cousin de Mademoiselle de Guise… et futur régent de Louis XV ! Afin d’apprendre ses connaissances à son élève, Charpentier rédige à Paris un opuscule manuscrit intitulé Règles de composition. Dans l’ouvrage, il explique la codification des émotions en musique et comment une tonalité arrive à susciter un sentiment chez la personne qui écoute. Cette théorie explore ainsi les différentes tonalités. On désigne par ces dernières la combinaison d’un mode (majeur ou mineur) et d’une gamme de huit notes (où la première est celle de référence et est appelée « la tonique » : c’est elle qui donne le nom à la tonalité). Par exemple, tout le monde connaît la gamme de do majeur, qu’on apprend en cours de musique au collège : do, ré, mi, fa, sol, la, si, do. Ici, la note do est la tonique : c’est la première de la gamme, prise dans le mode majeur. Il existe énormément de tonalités en musique occidentale mais il y en a bien d’autres encore différentes dans le reste du monde ! Charpentier s’intéresse à celles écoutées dans la France de son siècle. Il établit alors une liste, qui indique au duc de Chartres comment construire sa musique avec telle ou telle tonalité selon le sentiment qu’il veut susciter. La musique, si subjective, aurait-elle donc bel et bien des règles explicites pour créer la beauté ? La science des accords, très mathématique (en calculant l’écart entre chaque note), s’allierait alors à la poésie de notre âme pour créer des résultats insoupçonnés !

 

Do (ut) majeur Gai et guerrier
Do (ut) mineur Obscur et triste
Ré majeur Joyeux et très guerrier
Ré mineur Grave et dévot
Mi bémol majeur Cruel et dur
Mi bémol mineur Horrible et affreux
Mi majeur Querelleur et criard
Mi mineur Efféminé, amoureux et plaintif
Fa majeur Furieux et emporté
Fa mineur Obscur et plaintif
Sol majeur Doucement joyeux
Sol mineur Sérieux et magnifique
La majeur Joyeux et champêtre
La mineur Tendre et plaintif
Si bémol majeur Magnifique et joyeux
Si bémol mineur Obscur et terrible
Si majeur Dur et plaintif
Si mineur Solitaire et mélancolique

 

          Toutefois, Charpentier n’est pas le seul dans l’Histoire de la musique à décrire ce qu’il ressent selon la tonalité jouée. Par exemple, si on reste toujours avec la tonalité du do majeur, Johann Mattheson écrit en 1713 qu’il ressent un « caractère insolent [et des] réjouissances. On donne libre cours à sa joie ». Rameau confie lui en 1722 dans son Traité de l’Harmonie que le do majeur sonne plutôt comme un « chant d’allégresse et de reconnaissance ». Schubart parle lui en 1806 de tonalité « parfaitement pur[e]. Innocence, naïveté, Éventuellement charmant[e] ou tendre langage d’enfants ». Pas de grande différence de ressenti donc, pour le do majeur, qui explicite à l’unanimité un sentiment triomphant de joie ! Je vous propose de vérifier de suite ce constat avec des extraits du concerto pour orgue en do majeur de Jean-Sébastien Bach (BWV 595) et de la symphonie n°41 Jupiter de Mozart (K 551).

 

 

 

          Cependant, l’âme humaine reste différente entre les êtres et nous avons parfois des expériences distinctes qui affectent notre perception de la musique. Penser qu’une loi de composition rendrait explicite un sentiment commun pour tout le monde selon telle ou telle tonalité semble même assez dangereux pour cet art. Comme ce serait bien triste, si nous ressentions tous exactement la même chose en écoutant une même mélodie ! Heureusement pour nous, Charpentier ne semble pas avoir trouvé en 1690 le code absolu des sentiments. Si l’on compare les ressentis des autres compositeurs dans les siècles qui suivent, il faut constater des écarts dans leur manière de percevoir un air.  Regardons ensemble le cas du mi majeur. Charpentier voit dans cette tonalité un sentiment « querelleux et criard ». Mattheson se rapproche de son avis et évoque une « tristesse désespérée et mortelle, [un] amour désespéré » une sorte de « séparation fatale du corps et de l’âme » engendrant un ressenti « tranchant, pressant ». Contrairement à eux, Rameaux trouve que le mi majeur « convient aux chants tendres et gais, ou encore au grand et au magnifique » quand Schubart évoque plutôt ceci : « Allégresse bruyante. Joie souriante mais sans jouissance complète ». Des avis différents donc, passant du tout au tout ! La science des écarts de notes a donc oublié un facteur essentiel : l’histoire humaine. Nos rencontres, nos souvenirs, nos actions, nos valeurs, nos goûts, notre éducation influent sur toute formule mathématique musicale. Je vous laisse vous forger votre opinion en écoutant le célèbre premier mouvement en mi majeur du concerto du Printemps d’Antonio Vivaldi (RV 269), ainsi que le premier mouvement d’Arabesques de Claude Debussy (L 66) ! Moralité de l’Histoire : on ne discute pas les goûts et… les notes !

 

Laureen GRESSÉ-DENOIS

 

À Bianca M. et à ma tante qui m’ont appris quelques rudiments de solfège pendant le confinement. Un grand merci à elles !

 

 

Sources :

  •  Verdier, Véronique. « Des affects en musique : de la création à l’expérience esthétique », Insistance, vol. 5, no. 1, 2011, pp. 69-81.
  • Charpentier, Marc-Antoine. « Règles de composition par M. Charpentier » in Catherine Cessac, Marc-Antoine Charpentier, Fayard, Paris, 1988.
  • De Villiers, Henri. « Marc-Antoine Charpentier : tableau des énergies des modes », article sur le site de la Schola Sainte-Cécile de Paris, 14 février 2008
  • Magazine de la musique ancienne et baroque en ligne « Muse baroque »

Interview – Boy Racer : Un projet musical en pleine croissance dirigé par Gautier Roques, représentant de l’électro-pop parisienne

 

Boy Racer

© Nine David

Ce 22 novembre, l’équipe du Louvr’Boîte a rencontré Gautier Roques, artiste à l’origine du projet Boy Racer.

 

  • Tout d’abord, pourriez-vous vous présenter simplement, en quelques mots ?

Boy Racer est un projet solo, de pop (pour rester large, le terme de « pop » voulant à la fois tout et rien dire), où je compose et j’écris. Je fais souvent chanter des filles sur mes morceaux pour y ajouter un petit truc en plus, car j’aime beaucoup les voix féminines. Le projet total est assez difficile à décrire en quelques mots, mais le meilleur résumé est sûrement de dire que c’est de la musique pop, avec des filles.

 

  • Pourquoi le nom Boy Racer ?

J’ai trouvé ce nom à l’époque où je voulais me lancer dans la musique en solo. J’étais en concours blanc de philo en hypokhâgne quand j’ai eu la révélation. Il y a un morceau du groupe Metronomy dont le titre est « Boy racers » : j’ai donc repris ce nom, en le mettant au singulier, pour mon projet.

 

  • Travaillez-vous seul ou en groupe, en ce qui concerne la composition, l’écriture, puis sur scène ?

Je fais vraiment tout tout seul en amont en termes de composition, mais je travaille parfois avec les filles pour l’écriture des textes. Ensuite, pour le live, j’arrange le maximum auparavant mais les autres musiciens avec qui je joue (batteur, claviériste entre autres) sont tous des supers musiciens, et ont de meilleures idées que moi en ce qui concerne leurs instruments respectifs.
Tout prend ensuite bien forme en répétition, et pendant le live nous sommes cinq sur scène.

 

  • Depuis quand pratiquez-vous la musique concrètement ?

Personnellement, je pratique la musique depuis très longtemps : j’ai commencé vers mes quatre ou cinq ans, en pianotant un peu sur les instruments de mes parents, puis je me suis mis au violon pendant un an. Ensuite je me suis mis à la basse, qui est l’instrument que je pratique principalement depuis douze ou treize ans maintenant.
J’ai aussi commencé à composer assez jeune, j’aimais déjà bien ça, et c’est toujours ce qui m’intéresse le plus : je faisais des petits morceaux sur GarageBand sur l’IPad, vers la fin de collège-début lycée.
C’est après ça que c’est devenu plus sérieux, j’ai fait partie de plusieurs groupes où je n’avais plus vraiment mon mot à dire. C’est ce qui m’a alors poussé à faire des musiques tout seul car je voulais pouvoir faire ce que je voulais. Je porte ce projet solo depuis deux ans maintenant.

 

  • Votre genre musical est bien particulier. Pourriez-vous le définir assez simplement ?

C’est très difficile de définir un genre, c’est sûrement la question la plus dure pour moi, et pour les artistes en général, d’ailleurs. Ça peut nous mettre dans une case dans laquelle on n’a pas forcément envie d’être. Moi je m’en fiche un peu à vrai dire, on pourrait dire pop, parce que c’est très large encore une fois, voire définir ça comme de l’électro–pop, car il y a le côté très moderne qui est présent. On peut même dire électro-pop française, voire parisienne si on prend en compte le côté très épuré de la musique. Et ça correspond, parce que même si ça reste très restreint comme dénomination, tous les musiciens, même ne venant pas de Paris, y viennent forcément pour y développer leur musique.

 

  • Qu’est-ce qui vous a vraiment poussé à vous lancer en solo ?
    Et comment avez-vous évolué jusqu’à faire ce que vous faites aujourd’hui ?

J’aime bien tout contrôler. Et quand tu fais partie d’un groupe, c’est impossible, tu dois toujours te plier à ce que les autres veulent que tu fasses etc. C’est aussi difficile de se confronter à l’égo des musiciens (des guitaristes par exemple), tu ne peux pas leur demander de modifier ce qu’ils font, ou de jouer moins. Je me suis donc dit : autant se lancer seul. Tu contrôles tout, et c’est tant mieux.
Tu décides de tout, mais sans être trop autoritaire non plus et que les autres n’aient rien à dire, au contraire. Plus j’avance, plus je rencontre des gens qui sont tellement talentueux que tu te tais et tu prêtes attention à ce qu’ils ont à te proposer, et c’est aussi ça qui est vraiment cool. Tu sais que les gens sont meilleurs que toi, donc forcément tu écoutes, et c’est le cas aussi avec des gens qui ne sont pas forcément musiciens.
L’avantage est surtout sur le contrôle de la chose, où tu peux te mettre plus en recul, même si ça reste ton truc. Tu peux mettre cette distance justement parce que tu sais que les gens sont compétents et que tu n’as pas de souci à te faire, et ça peut même t’enlever une part du travail.

 

  • Y-a-t-il eu des obstacles à ce parcours ?

Ben, au début, je faisais de la merde, donc c’est forcément le plus gros obstacle. Maintenant, je trouve que ça se passe plutôt bien. Il n’y a pas eu de gros obstacle, j’arrive à peu près à tenir mes objectifs. Après, aujourd’hui, je pense que le plus gros obstacle auquel je suis confronté c’est de passer du niveau où je fais tout tout seul dans ma chambre, à celui où je vais signer quelque part, avoir une grosse distribution, changer d’échelle. Là, je suis arrivé aux limites du développement du système tout seul, ça commence à bien tourner. Boy Racer a joué mardi aux Étoiles, on a trois dates en décembre, donc c’est trop cool. Mais on en veut toujours plus, on pense à une tournée en France, une tournée européenne, on voit très loin. Je pense qu’à force, le plus gros obstacle dans tout ça, c’est l’argent, forcément, et les contacts, qui peuvent te donner de la visibilité, etc.
Les contraintes que je peux avoir sont surtout pratiques, le jour où tu as des contraintes artistiques c’est là où il faut se remettre en question. Je trouve ça justement bon signe d’avoir ces obstacles-là, qui sont totalement indépendants de moi (même si je pourrais travailler à les diminuer, m’arranger pour gagner plus d’argent et donc avoir plus de moyens par exemple), donc globalement je trouve que j’ai de la chance.

 

  • Quels sont les artistes que vous écoutez le plus, vos influences musicales ?
    Vous intéressez-vous à d’autres artistes appartenant au même genre musical que vous, ou au contraire préférez-vous vous pencher sur autre chose ?

Personnellement, j’écoute vraiment de tout, comme tout le monde. Pour ce qui est de Boy Racer, j’ai vraiment des influences récurrentes, j’en cite souvent trois ou quatre. Il y a Air, Gainsbourg, Metronomy, surtout. Pour voir plus large il y a aussi LCD Soundsystem, même si ça se voit moins dans ma musique. J’ai eu aussi un parcours et un background jazz en conservatoire, ça se ressent plus en live ça pour le coup, où il y a des moments qui sont carrément jazz. Pour l’instant ça se prête moins à la musique en studio, parce que faire du jazz sans rien, sans vraie batterie, c’est moche, donc on verra peut-être plus tard pour le faire.
Après il y a Arcade Fire qui est une grosse inspiration, Pink Floyd forcément parce que j’écoute ça depuis super longtemps, et Sébastien Tellier aussi.

 

  • Un modèle ou mentor dans le domaine ?

Le modèle suprême dans l’écriture, c’est Gainsbourg évidemment, mais il reste inatteignable. J’admire énormément Metronomy pour ce qui est de la composition, et surtout l’album « The English Riviera » qui est, je trouve, parfait. La musique que je veux faire peut vraiment se définir par ça. Parfois, j’ai tendance à faire un peu du copié-collé de ce qu’ils font, c’est un peu dur de s’en détacher. Pareil pour Air, dans le côté électronique avec des vrais instruments, analogique et très planant, (qui se retrouve avec les synthés) et que j’aime beaucoup ajouter dans ma musique.
Il y a les Beatles aussi, pour le fait de pouvoir tout faire, parce qu’ils ont tout fait et eux ils ont tout bien fait. Et là je ne suis pas du tout dans la comparaison, c’est purement un idéal.

 

  • Vous avez parlé de synthé, de batterie, de basse. Quel est l’instrument privilégié dans vos morceaux, et quels sont ceux que vous pratiquez ?

J’essaie de ne rien privilégier, c’est plus mon niveau dans chaque instrument qui fait qu’il sera privilégié par rapport à un autre. C’est sûr que la basse est souvent ce qu’on retient de mes morceaux et dont on me parle le plus, parce que mon niveau en basse est vraiment au-dessus de celui dans les autres instruments desquels je joue. Dans l’idéal, j’aimerais bien jouer de tout et de la même manière, même si j’ai plus d’affinités avec la basse ou les synthés. Le problème avec les synthés c’est aussi que ça vaut extrêmement cher, donc on fait avec ce qu’on a et c’est parfois dur de faire ce qu’on a en tête quand tu vois que celui que tu voudrais avoir vaut 15.000 euros. Donc tu te ravises et tu mets autre chose.
Après ça dépend vraiment de ce que je veux faire comme morceau, ça vient naturellement. Tu commences un truc, tu vois que c’est un peu plus rock, c’est la guitare qui est plus présente. Si tu veux un truc plus électro, là c’est le synthé, et un peu plus groove, c’est la basse. Le seul problème reste la batterie, parce que je n’ai pas de moyens d’enregistrer une vraie batterie, parce que ça vaut très cher, c’est ce qui est le plus mis de côté pour l’instant mais que je compte bien ramener vers le devant plus tard.

 

  • Musique électronique : quel est le processus de fabrication des morceaux ? En live ?
    Comment se passe le processus de création en général ?

Il n’y a pas de processus de création, pas de recette. Il y a des morceaux que tu peux créer en quelques heures seulement, ou bien en six mois. Il n’y a pas d’ordre dans la composition non plus, je ne commence pas forcément par la basse ou autre. Tout dépend de si je trouve une ligne de basse en premier et que je tourne autour ensuite, ou un rythme avec une boîte à rythme et que je commence à créer autour de ça.
Pour le live, c’est différent comme les morceaux sont déjà écrits. On essaye de les penser live, et de penser aussi la contrainte : on n’est que trois musiciens sur scène, il y a aussi les chanteuses dont une des deux qui fait de la clarinette. Mais donc je ne suis pas tout seul dans ma chambre à pouvoir enregistrer et réenregistrer autant de fois que je veux, faire plein de pistes différentes. Il faut vraiment rééquilibrer le truc, et c’est un côté auquel je ne pense pas forcément quand je compose, je ne pense pas forcément à la façon dont ça sonne en live.

D’autant plus que je privilégie quand même le côté studio au côté live pour l’instant. Après on s’en sort toujours, comme les mecs sont vraiment calés, ils proposent toujours de faire telle chose ou telle chose, et de simplifier pour que ça puisse passer. Et on a ce côté électronique en live, avec mon synthé, le clavier aussi, le batteur a maintenant un SPD (pad échantillonneur pour enregistrer et sampler les percussions, NDLR) donc on peut mixer batterie et pad.
On garde donc ce côté électro, mais aussi un peu jazz, un peu funk/disco avec la basse qui reste assez présente et le chant rend tout ça pop : c’est un gros mélange de tout ça en live, plus que dans ma musique en studio.

  • Donnez-vous régulièrement des concerts, si oui dans quels lieux en particulier ?

Je commence à vraiment tourner depuis la rentrée. Ma première grosse salle, je l’ai faite cet été, au Hasard Ludique, après j’ai fait L’Alimentation Générale début septembre, le Pop In en octobre, on a fait le P7 (dans le 13e) une semaine après, on a joué aux Étoiles en novembre et on joue à L’International le 12 décembre. Ensuite on jouera donc le 18 décembre au 1999. Et on clôturera l’année au Supersonic le 28 décembre. Et c’est ça qui est super cool, ce ne sont que des salles qui sont top, et il y a ne serait-ce qu’un an, je n’aurais jamais pensé pouvoir jouer là dès maintenant. L’évolution est allée super vite, on s’est mis d’un coup à jouer dans des grosses salles.

 

  • Préférez-vous vous consacrer à la scène ou à l’enregistrement ?

Le live est super bien parce qu’il y a le public, c’est super cool parce qu’on se fait applaudir etc., tu joues avec les gens, il y a une énergie particulière. Ça fait aussi beaucoup de bien à l’ego. Mais mon truc c’est vraiment de composer, j’aime beaucoup ça, galérer et chercher un son pendant super longtemps, bidouiller les boutons, trouver le bon accord qui va au bon endroit, c’est vraiment plus mon truc. Même si je reconnais que le live, c’est trop bien.
En fait, l’idéal c’est vraiment ce cheminement : passer des heures en studio, faire ton morceau, et puis le jouer en live. A la fin de ça, t’es trop content.

 

  • Et justement, quels sont vos projets à venir ? EP, LP, album ?

J’ai un clip qui devrait sortir mi-décembre. Et là j’ai presque fini mon deuxième EP… mais pas de date de sortie officielle pour l’instant, je ne peux rien vous dire. Mais on jouera deux des morceaux de l’EP au concert ! En avant-première, c’est la première fois qu’on les jouera.
L’EP, que j’ai juste fini cette semaine, est vraiment différent du premier. Les Filles et la Mer était vraiment un coup d’essai, et quand je prends du recul maintenant dessus, je me dis qu’il aurait pu être mieux quand même.
C’était il n’y a même pas un an, mais il n’y avait pas les mêmes savoirs dans la composition déjà, et pas les mêmes moyens mis en œuvre. Là j’ai pris beaucoup plus de temps à le faire, et même s’il ne s’agit que de quatre morceaux, il est plus riche. Les thèmes ont changé aussi, bon, ça parle de cul du début à la fin. Il y a bien sûr Gainsbourg dans l’idée, mais c’est plus électro dans le genre (il y a un morceau, on dirait une BO de film de cul des années 70, avec une grosse ligne de basse, le saxophone), enfin c’est à peu près l’idée de cet EP-là. Il arrivera vers début 2019.

 

Par cette interview, le Louvr’boîte souhaite vous faire découvrir les artistes présents lors de la soirée de Noël à laquelle le BDE de l’Ecole du Louvre vous convie.
Merci à Gautier pour sa disponibilité.
Parce qu’il est aussi important de promouvoir, avec cette nouvelle scène française, la culture vivante qui nous entoure. Alors, bonne écoute !

 

Jeanne SPRIET

Quand Bob Morane raconte comment s’égarer dans la vallée infernale…

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Parmi les histoires que j’ai découvertes durant mon cursus à l’école, le Voyage en Occident de Wijouji est l’une de mes préférées. En plus d’avoir inspiré le très bon manga Dragon Ball (bonjour les références en dissert’), ce texte narrant l’épopée du moine chinois Xuanzong parti en mission à travers l’Asie est aussi un pionnier de la littérature de voyage.

Ce genre conduit son auteur à raconter ce qu’il a vu, vécu et ressenti durant ses voyages à travers le monde. S’il romance parfois pour des raisons de fluidité, il privilégie la plupart du temps le réel à la fiction. Parmi les récits les plus connus, on peut bien évidemment citer Le Devisement du monde ou Livre des Merveilles qui raconte les voyages de Marco Polo à travers l’Asie jusqu’à la cour mongole de Kubilaï Khan à l’aube du XIVe siècle. Pour l’anecdote, le marchand vénitien dicte son ouvrage à Rustichello de Pise alors qu’il est prisonnier à Gênes après avoir participé à une guerre entre les deux patries (non, il ne pouvait pas se poser 5 minutes en rentrant de 26 ans de voyage). Ce récit a plus tard été diffusé grâce à l’imprimerie au sein de la communauté scientifique.

Avant même de parler de roman, l’écriture en elle-même possède une place importante durant les expéditions, souvent sous le format du journal de bord. Les explorateurs y notaient au quotidien leur position et l’ensemble des évènements du jour, qui pouvaient aller de la découverte d’une tribu ou d’une terre inconnue à la diminution toujours plus importante du stock de chocolat ou plus vraisemblablement d’eau emporté pour tenir durant le voyage (triste). L’ensemble de ces indications permet à la fois aux explorateurs de maintenir un cap et de garder la trace de leurs découvertes.

Le carnet de bord (et toute feuille volante plus ou moins bien rangée) est également un support idéal pour tracer des ébauches, voire de véritables cartes des côtes, des routes croisées, ou réaliser des croquis. Par exemple, Charles-Alexandre Lesueur, naturaliste du XVIIIe siècle originaire du Havre, a, lors de ses voyages, démontré ses talents de dessinateur en réalisant des aquarelles et autres croquis de l’ensemble des espèces qu’il a pu rencontrer avec une précision tout à fait incroyable.

À partir de toutes ces notes, les explorateurs rédigent leurs propres récits de voyage comme Louis Antoine de Bougainville, qui réalise son tour du monde entre 1766 et 1769. Il apporte notamment à la communauté scientifique et à son lectorat une connaissance de la géographie, de la faune, de la flore et des habitants d’Océanie, zone géographique jusqu’alors bien méconnue. Ce travail a pu être réalisé grâce aux membres de son expédition composée notamment d’un cartographe, d’un astronome et d’un botaniste.

Cependant, ce n’est qu’au siècle suivant que la littérature de voyage se popularise. Le XIXe siècle est marqué par la succession des révolutions industrielles, des évolutions scientifiques et techniques, qui permettent de voyager toujours plus vite, toujours plus loin, toujours plus haut, toujours plus fort, mais aussi de posséder des outils d’analyse plus performants. Grâce au chemin de fer et aux bateaux à vapeur, il est dorénavant plus aisé pour les scientifiques (et les particuliers !) de voyager. Ces progrès fulgurants trouvent leur illustration dans Le Tour du Monde en 80 Jours de Jules Verne. En plus de prouver qu’il est effectivement possible de réaliser un tour du monde en 80 jours (même si aujourd’hui, il suffit pour cela de passer 48h dans un avion), le voyage rocambolesque de Phileas Fogg montre la capacité de l’homme à voyager aisément où il souhaite et comme bon lui semble.

Ce roman est aussi le témoin de la popularité croissante d’un sous-genre : le voyage imaginaire. Si ce terme peut très bien désigner les voyages fantastiques à travers le temps ou les dimensions (mais cela s’éloigne trop du sujet de cet article), il comprend aussi les épopées inventées de toutes pièces. Ces œuvres ont eu un succès considérable auprès des lecteurs ainsi dépaysés à une époque où l’on se fascine pour les curiosités exotiques et scientifiques. En effet, les expositions universelles à partir de Londres en 1851 mettent à la portée du grand public ces cultures venues d’ailleurs, dont on n’avait jusqu’alors qu’un aperçu dans divers récits.

En outre, les aventures de Robinson Crusoé de Daniel Defoe ont donné lieu à un sous-genre dans la littérature de voyage, les Robinsonnades, qui ont pour sujet la survie d’un héros dans un milieu inconnu, sa manière de s’adapter, les techniques qu’il emploie, ses éventuelles rencontres avec des autochtones (un survival game en pleine nature quoi). Parmi ses héritiers, on compte Sa Majesté des Mouches de William Golding ou les œuvres de Michel Tournier, qui choisit carrément de reprendre le récit de Defoe dans Vendredi ou les Limbes du pacifique ou Vendredi ou la vie sauvage, adressé à un public plus jeune.

Grâce à ces évolutions sans relâche, l’homme dispose aujourd’hui d’une connaissance du monde qui, si elle n’est pas exhaustive, demeure vaste et accessible : pensons à Google Maps, dont les satellites ont cartographié quasiment chaque mètre carré de la surface de notre Terre. On pourrait croire que cette connaissance d’une précision extrême sonne la fin du merveilleux métier d’explorateur… Mais non. Car si l’époque de la cartographie fractale arrive à son terme, il reste encore de nombreux domaines à découvrir, appréhender et comprendre, dans le cadre de disciplines comme l’anthropologie. Et non, en spé, nous n’étudions pas que les citations de Gandalf le Gris, désolée de briser un mythe.

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En effet, au même titre que l’astrophysicien dans un domaine plus éloigné des compétences enseignées dans cette école, l’anthropologue est un peu la nouvelle figure de l’explorateur du XXIe siècle. La discipline en soi date du XIXe siècle, mais l’ensemble des récits de voyages que j’ai eu l’occasion de citer dans cet article réalisent déjà une certaine forme d’étude de l’individu, toute subjective et incomplète soit-elle. Car oui : l’anthropologie est une science, et à ce titre, se doit d’être objective. Son pratiquant est contraint de se défaire de l’ensemble de ses préjugés lors de l’ethnographie de son terrain, c’est à dire le travail d’observation de la communauté qu’il étudie, le (ou les) lieu(x) où elle vit, ses activités quotidiennes ou particulières, et plus tard lors de son analyse.

L’anthropologie est une science du contemporain, puisque l’anthropologue étudie une communauté vivant pleinement dans notre monde en perpétuelle évolution. Si certains déplorent cette caractéristique, c’est à mon sens ce qui fait le charme de la discipline : on observe quelque chose d’éphémère qui paradoxalement s’ancre dans la continuité d’une tradition, qui possède son passé (pas forcément âgé de centaines d’années !) et son futur. Il faut savoir décrire le fait sur l’instant et le resituer dans un contexte englobant des champs considérablement variés allant de l’économie interne et externe à la communauté, aux techniques employées, aux coutumes…

Enfin, le travail de l’anthropologue est d’expliquer ses observations et ses conclusions à travers la rédaction d’articles ou d’ouvrages que l’on peut, par extension, lier au champ de la littérature de voyage. En effet, la publication de Tristes Tropiques a permis à Claude Lévi-Strauss d’être reconnu comme écrivain par le monde littéraire puisque l’ouvrage a presque été en lice pour obtenir le prix Goncourt, en plus d’être un pilier pour la communauté anthropologique.

Aujourd’hui, le sujet de voyage continue de fasciner les foules. Il suffit de rentrer dans une librairie pour constater la taille des rayons concernés, remplis d’ouvrages plus récents comme Ce qu’il advint du sauvage blanc de François Garde, Prix Goncourt du premier roman en 2012, qui s’inspire d’une histoire vraie pour mener une réflexion autour de l’idée d’oublier sa culture pour en adopter une autre, et sur la manière d’étudier un individu. Tout ceci prouve l’intérêt toujours actuel pour l’aventurier solitaire de parcourir la terre entière traquant avec espoir l’être humain et ses mystères, le secret de ses pouvoirs, pour enfin devenir le roi de la Terre et de le conter grâce à la littérature…

Chloé-Alizée Clément