Les expositions de textiles ont le vent en poupe ces dernières années. Plusieurs maisons de haute couture ont ouvert leurs collections au grand public, et notamment Dior et son exposition au Musée des Arts Décoratifs, Christian Dior, couturier du rêve. Celle-ci avait accueilli plus de 700 000 visiteurs en 2017. Depuis, les expositions de mode et de textiles se sont multipliées dans le paysage muséal parisien: Gabrielle Chanel. Manifeste de mode en 2020-2021 au palais Galliera, Thierry Mugler, Couturissime en 2021-2022 et Shocking ! Les mondes surréalistes d’Elsa Schiaparelli en 2022-2023 au Musée des Arts Décoratifs. Outre la haute couture, le vêtement asiatique est aussi mis à l’honneur avec Sur les routes de Samarcande. Merveilles de soie et d’or fin 2022 et en 2023 à l’Institut du monde arabe. A la même période, le musée du quai Branly – Jacques Chirac (MQB) accueille l’exposition Kimono organisée par le Victoria and Albert Museum de Londres.
Qui dit automne dit Halloween et bien évidemment les déguisements de sorcières. N’est-ce pas la saison parfaite pour se préparer un bon bouillon magique et caresser son chat noir ?
Mais après tout, pourquoi parle-t-on autant des sorcières à Halloween ? Enfin je veux dire, font-elles si peur que cela ? J’aurai tendance à dire que oui, surtout lorsque nous sommes enfant. Quand j’étais petite, la nuit, je me cachais sous la couette car j’avais peur qu’une méchante sorcière sorte de dessous mon lit, comme la vilaine sorcière de Blanche-Neige (et j’imagine que je n’étais pas la seule… si ?). Dès notre plus jeune âge, nous rencontrons des sorcières que ce soit dans les dessins animés ou encore les livres de l’école (petite pensée pour La sorcière de la rue Mouffetard).
Mais à vrai dire, l’imagerie de cette femme aux pouvoirs magiques a vraisemblablement toujours existé. C’est le cas dès l’Antiquité. Chez nos amis les Grecs, la sorcière est par exemple incarnée par Circé dans L’Odyssée d’Homère. C’est une femme puissante qui transforme les hommes en porcs pour lui tenir compagnie. Elle incarne donc la puissance mais aussi la terreur. Ulysse doit faire preuve de ruse pour ne pas terminer comme son équipage.
Le club Marché de l’Art vous propose un compte-rendu de sa récente entrevue avec l’artiste contemporain Robinson Haas. Voici une retranscription des propos de l’artiste.
Parcours :
Robinson Haas est né en 1995 à Lille. Très tôt, il souhaite s’orienter vers une carrière artistique et a une volonté de « créer des choses ». Il suit bac en Arts Appliqués puis un BTS en design graphique. Il est ensuite diplômé des Arts Décoratifs de Paris en Design d’objet. Il travaille un temps comme designer freelance, ce qui lui permet surtout de se consacrer en parallèle à sa pratique du dessin et lui laisse du temps pour développer ses recherches plastiques.
Robinson Haas travaille sur la question de répétition. Il commence ce projet pendant ses études en design graphique, avant même de rentrer aux Arts Décoratifs. Ce qui l’intéresse le plus à cette époque dans le graphisme, c’est le rapport au langage. Ses professeurs l’incitent à avoir une démarche expérimentale, il en retient un notamment, qui aimait déconstruire les typographies dans une logique de simplification à l’extrême pour atteindre des formes d’abstraction. Lui commence à dessiner à partir de la ligne, dans ce lien au langage, à la typographie et aux signes, ligne comme un signe primaire du langage. Cette ligne est mise en action par des protocoles. La notion de protocole l’intéresse particulièrement dans le processus de création, ce qu’il met en lien avec la musique pour laquelle la partition définit le jeu et cause une forme d’intellectualisation du processus. Continuer la lecture →
Cela fait maintenant deux semaines que la polémique autour de Fuck Abstraction ! s’est tue. Le tribunal administratif de Paris a conclu le débat judiciaire en déboutant les associations de protection de l’enfance, et en reconnaissant à Miriam Cahn un contexte de production et d’exposition qui garantit une juste compréhension de son œuvre, éloignée de toute lecture pédopornographique. Sans prendre ici position sur un débat déjà passé, tranché et enterré, il peut être intéressant de déplacer toute cette affaire sur un autre plan.
Si le sens de l’œuvre – et ce faisant, sa légalité – ont fait débat, tous les camps se sont accordés sur son caractère choquant. Tant les adversaires du tableau, qui y voyaient un contenu attentant aux droits de l’enfant, que Miriam Cahn elle-même, qui désirait dénoncer l’utilisation de la sexualité comme arme de domination en temps de guerre. Mais une œuvre d’art a-t-elle encore besoin aujourd’hui de choquer le spectateur ?Continuer la lecture →
J’ai suivi, de plus ou moins loin, les débats qui ont agité les spectateurs de la série Euphoria. Deux camps se sont peu à peu dessinés. D’un côté, les défenseurs fervents du divertissement – avecparmi eux des psychiatres – qui arguent de son utilité pour briser les tabous entourant la santé mentale. De l’autre, les critiques qui mettent en garde contre l’esthétisation à outranceet les dérives parfois mortelles qu’elle peut entraîner. L’ambiguïté va jusqu’aux propos mêmes de Zendaya, qui affirme que la série, figurant des adolescents joués par des acteurs trentenaires, est destinée uniquement à un public adulte. Parallèlement, une hotline a bien été mise en place par la série…à destination des adolescents. De la fiction pédagogique et briseuse de tabous,au récit trash et esthétisant destiné à nourrir les fantasmes et pulsions des adultes, il n’y a décidément qu’un pas.
Un an après la sortie de la saison 2, je ne vais pas chercher d’une quelconque manière à trancher le débat. Pour être tout à fait sincère, je n’ai pas vu Euphoria. Mais cette situation m’a conféré une position d’observatrice, qui m’a poussée à m’interroger. Y a-t-il, dans les arts, une esthétisation des maladies mentales ?
Evaristo Baschenis ? Ce nom ne vous dit peut-être encore rien. Voici donc l’occasion parfaite de le découvrir ainsi que quelques-unes de ses œuvres les plus remarquables grâce à l’exposition de la Galerie Canesso.
L’exposition Evaristo Baschenis s’inscrit dans la volonté de la galerie d’organiser tous les trois à quatre ans environ des expositions faites en collaboration avec des institutions italiennes et tout particulièrement cette année en éclairant un artiste encore très méconnu en France et jamais exposé sur notre territoire. Ainsi elle se démarque du cadre commercial de la galerie tout en gardant cette appétence pour l’Italie. En effet, la Galerie Canesso expose principalement des tableaux italiens de la Renaissance au baroque, le directeur étant lui-même italien. Vous avez jusqu’au 17 décembre pour saisir cette formidable occasion et vous laisser transporter dans l’œuvre et le style si caractéristiques de Baschenis, mais avant toute chose, laissez-nous vous en dire davantage sur cet artiste et susciter votre curiosité ! Continuer la lecture →
Le fil de la mémoire et autres photographies – une exposition au musée du quai Branly du 8 février au 20 novembre 2022
Dinh. Q. Lê est un photographe né au Vietnam qui a étudié aux États-Unis où il vit et travaille aujourd’hui. Son œuvre se situe dans une zone poreuse entre l’histoire complexe de son pays natal et son parcours personnel au-delà les frontières. Le musée du quai Branly lui rend hommage lors de cette rétrospective qui met en scène ses recherches transdisciplinaires où l’image photographique est sans cesse « interrogée, découpée, transformée ». Ce parcours chronologique, concentré sur les quinze dernières années de la production de l’artiste, découvre la technique exceptionnelle du tissage de photographies.
« Trop souvent nous avons vu notre histoire racontée par d’autres que nous, ou mise de côté. » déclare Dinh. Q. Lê. Tel est le constat amer de l’artiste ayant choisi de replonger dans ce lourd passé pour le réécrire. En effet, ce plasticien hors norme instaure un dialogue entre le regardeur contemporain et sa mémoire la plus intime. Cette exposition nous raconte comment le vécu du déchirement d’un pays remonte le fil des générations à travers les corps et les mentalités.
Les images créées par Dinh. Q. Lê laissent une trace qui brouille les repères entre la vision, le souvenir et l’immédiateté. Le spectateur est ainsi projeté dans une zone hybride entre l’immatériel, le lointain et la présence physique vibrante et sombre de ces œuvres multiformes.
Au détour d’un couloir de l’exposition, nous rencontrons des nuées de confettis d’images photographiques qui flottent dans l’air. Il s’agit d’une « dérive dans les ténèbres » comme nous l’indique le titre A drift in darkness (2017). Ces tirages numériques sur papier Awagami bambou tissés sur une structure en rotin reprennent la technique du tissage d’images pour former un ensemble de trois nuages et rondes-bosses évoquant l’instabilité des réfugiés politiques ayant fui le Vietnam.
Les pérégrinations de l’artiste induisent ainsi une sorte de transcription dans le domaine tangible et concret des arts plastiques d’une identité en déshérence. Les réalisations de Dinh. Q. Lê sont des chimères, des personnages amphibies pris au piège dans un couloir sur les parois duquel se reflètent les échos lointains de la trame historique décousue du Vietnam.
Cambodia Reamker (2021), un tissage photographique monumental, entremêle le portrait d’une jeune victime du génocide cambodgien Tuol Song et des fresques du Palais royal de Phnom Penh, illustrant un poème épique traditionnel écrit entre 1500 et 600 avant notre ère. L’Ensemble est un tableau nébuleux et solennel où des temps distincts s’interpénètrent avec magie.
Les images sont déconstruites et reconstruites, traduisant la perpétuelle métamorphose des mémoires. Ces représentations d’une perception vagabonde nous transportent dans le cœur palpitant et douloureux d’une nation morcelée.
(Cette interview date de 2009, publiée dans le deuxième numéro du Louvr’boîte et remise à l’honneur en ce mois de septembre après la nomination de Maximilien Durand au poste de conservateur du nouveau département des arts de Byzance et des Chrétientés d’Orient du musée du Louvre.)
Trois années dans le même amphithéâtre obscur, à discerner vaguement des silhouettes professorales se découpant sur d’immenses clichés. A écouter des voix surtout, qui défilent et enrobent un discours plus ou moins palpitant. Il y en a que l’on attrape au vol et que l’on retient. Ce timbre velouté par exemple qui, de Baouit à Byzance, nous entraina à travers les méandres d’une légende chrétienne peuplés de vierges folles, de païens concupiscents, et de saints débonnaires. Derrière la voix, l’homme : Maximilien Durand. Plutôt jeune. Plutôt charmant aussi. Et doté d’un charisme et d’une éloquence naturelle qui nous font oublier sa pauvreté capillaire.
Rencontre avec celui qui danse sur les ponts dans son bureau du musée des arts décoratifs. Un ange passe…
J’ai du mal à me l’avouer mais la guerre fait désormais partie du quotidien. Je ne passe plus autant de temps à scruter l’écran de mon téléphone ou à allumer la télévision chaque soir pour écouter le journal. Mais où est-ce que l’on en est ? il se passe tant, sans que l’on ait l’impression qu’il se passe quoi que ce soit.
Tout se détruit sous nos yeux, les hôpitaux, les écoles, les aéroports, les habitations. Je préfère me réfugier dans mes souvenirs, qui eux, demeurent intacts et lumineux. J’ai grandi avec mes grand-parents jusqu’à mes cinq ans et nous avions des routines qui m’amusent encore aujourd’hui. Je me rappelle qu’en rentrant de la maternelle avec ma grand-mère, mon grand-père nous attendait déjà attablé, tenant, dans une main un couteau et dans l’autre, une gousse d’ail entamée. La scène était complétée par les écailles d’ail parsem ées sur le bord du meuble. C’était son rituel. Tous. Les. Soirs. Il me faisait toujours rire quand, toujours à table, au moment des repas, il était le premier servi, et le temps que mon assiette soit préparée, il avait déjà englouti la moitié de son assiette. Alors, comme a chaque fois, je lui demandais « Pourquoi manges-tu aussi vite ? », ma grand-mère, lassée de cette même question qui revenait à chaque fois, répondait à sa place « C’est parce qu’il était à l’armée, ils n’avaient jamais le temps là-bas ».
Ah, cette grand-mère, une vraie marraine fée ; elle cherchait constamment à me faire plaisir, me cuisinait des crêpes, des tartines grillées avec du fromage et un chocolat chaud ; voilà ce qui m’attendait après le lever chaque matin. La nourriture à la maternelle faisait légèrement moins rêver…entre les pâtes au lait et le pain desséché, le choix était dur à faire.
Je lui en veux de m’avoir arraché cette belle image que j’ai de mon pays, je lui en veux d’avoir réduit ces souvenirs vivants à des ruines, je ne retrouverai plus ces endroits tels qu’ils étaient.
La guerre nous paraissait lointaine, que ce soit géographiquement ou historiquement. C’est considéré comme appartenant au passé, comme des erreurs faites par nos ancêtres que nous ne pourrions plus refaire ; car nous avons la chance de regarder l’histoire avec du recul et de réfléchir avant de prendre des décisions qui toucheraient le monde entier. On se disait que personne ne voulait revenir aux temps de l’Union soviétique. On se trompait.
Mes parents ont vécu pendant cette période, ils m’en parlent peu, sauf quand je leur pose des questions concrètes. Ils me disent de me méfier de ce que j’ai pu lire dans mes manuels de collège, car la période des années 70-80 correspond à un certain relâchement au niveau des interdictions. Mais ils se rappellent que même enfants, on leur disait de ne faire confiance à personne. Chaque mouvement et chaque parole était pesé et contrôlé. On ne pouvait pas envisager l’acte de prier, ni d’entrer dans une église. A la place, ma mère priait avec sa famille en secret. Chaque dimanche matin, ils se coiffaient, s’habillaient en chemises brodées, cueillaient des fleurs du jardin, et, une fois assis en cercle, on allumait la radio pour écouter la liturgie.
Quand ils me racontent ces bribes de leurs vies qui me paraissent si lointaines et inconnues, je me rends compte que je ne les connais pas aussi bien que je le pensais.
Cette méfiance des informations subsiste pourtant. Lorsque j’ai débuté mes recherches concernant l’histoire de mon pays, j’ai été rapidement confrontée à des problèmes. Le seul livre en français sur l’histoire complète de l’Ukraine que j’aie pu trouver en librairie s’est avéré truffé de fautes. Dès la première page, il y eut une erreur. Elle concernait l’origine linguistique du mot « Ukraine ». le livre disait que l’appellation venait des mots ou – qui signifie « à, près de » – et de kraina – qui signifie « territoire » – le tout voulant dire « territoire au bord », le territoire au bord d’un autre. Cela aurait été donné par les Russes, par dédain envers leur voisin ukrainien. Mais cela est complètement faux. C’est l’explication qui avait été donnée par les Soviétiques pendant l’URSS.
Le mot « Ukraine » vient tout simplement de kraina qui veut dire « territoire » certes, mais aussi « vaste plaine » ; et c’est bien un nom que se sont donné les Ukrainiens eux-mêmes. Je n’en veux pas aux écrivains de ce livre, il est malheureusement très difficile de trouver les bonnes informations concernant l’histoire de l’Ukraine et j’en ai moi-même fait les frais au cours de mes recherches.
Il faut rester vigilant à la désinformation et aux intox, qui sont nombreux, à travers l’histoire, et aujourd’hui plus encore.
Si vous êtes intéressé par l’histoire de l’Ukraine, je vous conseille vivement de jeter un œil aux ouvrages de Iaroslav Lebedynsky (archéologie et histoire), Iryna Dmytrychyn (qui a traduit de nombreux romans ukrainiens) et au livre De la « Petite-Russie » à l’Ukraine de Mykola Riabtchouk (qui explique l’origine du conflit russo-ukrainien).
Mardi 15 mars 2022. 10 :05. La journée débute de la même manière que depuis ces dernières semaines : dès le réveil, je scrute les dernières informations pour savoir ce qui a pu se passer pendant la nuit. L’Ukraine est mon pays d’origine, ma patrie, la terre que mes ancêtres ont foulé, la terre où les générations se sont succédées, où ma famille vit encore. Je ne vais pas parler de politique, ni expliquer ce qui peut se passer en ce moment-même à deux mille kilomètres de là d’où j’écris, je ne peux que parler de ma propre expérience et de mon ressenti en tant qu’immigrée ukrainienne en France. Je suis née en Ukraine et j’ai eu la chance d’y passer mon enfance, j’en garde des souvenirs précieux et très nostalgiques. Je me rappelle des promenades en automne où l’on rassemblait les feuilles mortes pour en faire des bouquets, des balades en luge avec mon grand-père et même de certaines journées de maternelle. Nous avions des goûters assez atypiques : des pâtes au lait ou de la kacha de différentes sortes – bouillie de sarrasin, de millet ou d’avoine ; que l’on appelait « kacha Heraclès » quand on y ajoutait des fruits secs et des noix – que l’on mangeait après la sieste quotidienne. A l’époque, l’heure de la sieste parassait plus de l’ordre de la punition. Une salle pleine de petits lits d’enfants était consacrée à ce temps calme. Mes animatrices étaient très strictes et nous obligeaient a nous endormir dans la position « adéquate » : les deux mains rassemblées – la même position que pour faire une prière – étaient placées sous la joue droite et la position du corps devait suivre. Je m’endormais rarement et je passais surtout l’heure à observer mes camarades qui soient avaient peur d’ouvrir les yeux, soit faisaient les clowns ; une fois, un garçon, Pavlo, avait décidé de se rebeller. Il s’était levé de son lit en sursaut pour essayer de se faufiler par une des petites fenêtres. Inutile de préciser qu’il a finit sa sieste au coin. Mais je me souviens aussi de la Révolution Orange, des rassemblements dans ma ville les soirs d’hiver où tout le monde portait des écharpes et des drapeaux oranges, levait sa bougie et chantait à tue-tête « Yushchenko tak », une chanson consacrée au futur président, censé remettre le pays dans le droit chemin. J’ai quitté mon pays peu de temps après avec mes parents, en mars 2005, direction Paris, ils souhaitaient m’offrir plus d’opportunités et un avenir, que je n’aurais pas pu avoir en Ukraine. Moi je voyais les choses d’une façon plus innocente, je ne voyais pas les difficultés ni les problèmes, je voyais ça comme un long voyage de Kyiv, en passant par l’Autriche et la Pologne pour arriver a Paris. Mon enfance a été remplie de mes souvenirs de l’Ukraine et j’ai rapidement été propulsée sur le devant de la scène au sein du Centre ukrainien de Paris où je chantais des chansons ukrainiennes tous les mercredis. Mon pays ne m’est jamais sorti de l’esprit ni du cœur, dès que j’avais l’occasion d’en parler, je le faisais. Durant ma scolarité, lorsqu’on était amené à faire un exposé je choisissais toujours l’Ukraine et sa culture. En fin de primaire, j’étais même venue en costume traditionnel en proposant des petits gâteaux typiques que ma mère avait passé la veille à préparer. J’étais en 3e lorsque la guerre a éclaté dans le Donbass, je ne comprenais pas encore très bien les choses et je ne savais pas trop quoi penser, ma famille a toujours été dans les Carpates ce qui fait que je ne minquiétais pas vraiment pour eux. Cependant lorsque je suis revenue pour la première fois – comme tous les étés – depuis le début de la guerre chez moi, les gens étaient différents, quelque chose avait changé dans leur attitude et dans leur perception de l’avenir qui les attendait. J’ai commencé à poser des questions sensibles à ma famille bien plus tard, et je me suis rapidement rendue compte que j’ignorais beaucoup de choses sur l’histoire de mon pays mais aussi sur l’histoire de ma propre famille. Il y avait beaucoup de non-dits – et pour des raisons bien compréhensibles – comme sur le destin de certains de mes ancêtres, des résistants au régime stalinien qui ont été exécutés pour trahison et en guise de punition, la maison familiale a été rasée et les parents de ceux- ci furent envoyés en Sibérie. Combien d’histoires me reste-t-il encore à découvrir ? J’ai su assez vite au sujet du Holodomor, le génocide des ukrainiens de 1933 orchestrée par Staline ayant fait plus de 5 millions de morts, mais aussi de la chasse et torture des intellectuels et artistes ukrainiens des années 1960 dans le but d’effacer la culture et la mémoire ukrainienne.
Mais aujourd’hui la situation est différente. Les événements récents m’ont frappé plus forts que les dernières fois. Les émotions diverses que je ressens se contredisent : un mélange de frustration et d’impuissance – de ne rien pouvoir faire d’ici pour l’Ukraine – ,de culpabilité – d’avoir quitté mon pays – ,mais aussi de fierté d’être ukrainienne et de pouvoir compter sur toutes les personnes qui défendent courageusement le territoire chaque jour et qui ne comptent pas s’arrêter de si tôt. Pourtant, j’ai peur, peur de ne pas pouvoir y retourner, ou pire encore; d’y revenir mais de ne plus retrouver la maison de mon enfance dans le même état que j’ai pu la laisser. Serais-je capable de reconnaitre ces lieux ? Ces gens ? Est-ce que l’air sera le même ? et les montagnes ? les rivières ? Malgré tous ces sentiments, j’entends ces derniers jours mon pays qui m’appelle de plus en plus fort, qui ne m’abandonnnera pas et que je n’abandonnerais pas non plus : « Chante mes chansons, apprends mes histoires, lis mes poèmes, danse quand tu entends ma mélodie mais ne me pleure pas ». Une Table-ronde sera organisée à l’Ecole le mardi 29 mars et consistera en une présentation de l’histoire, archéologie et traditions ukrainiennes, suivie d’un débat et se finira par une approche musicale ainsi qu’une petite exposition. Venez nombreux, votre présence est déjà une lutte contre l’oubli.