Interview Anaïs Ripoll

Voici un article exclusif de notre site, une sorte de hors-série. Le Louvr’Boite avait déjà interviewer Anaïs Ripoll il y a deux ans à l’occasion de son premier roman, le Secret de l’École du Louvre. À l’occasion de cet entretien nous organisons en parallèle un concours sur Instagram afin de gagner un exemplaire de son nouveau romain Réparer l’affront.

Pour débuter cette interview, pourriez-vous vous nous décrire votre parcours à l’Ecole du Louvre et nous parler de votre premier livre, Le Secret de l’Ecole du Louvre ?

Je suis rentrée à l’Ecole du Louvre en 2006. J’avais 19 ans et j’ai suivi la spécialité «Art du XXe siècle ». J’ai commencé à écrire le manuscrit du Secret de l’Ecole du Louvre en 1ère année, en le voyant comme une parodie du Da Vinci Code car l’histoire met en scène quatre étudiantes de l’Ecole du Louvre menant une enquête à la suite du vol d’un tableau du musée. Je l’avais écrit pour faire rire mes copines, immortaliser nos « délires », les surnoms que l’on donnait à nos professeurs et aux garçons de l’amphithéâtre par exemple. Je n’avais jamais pensé à en faire un véritable ouvrage.

Dans votre dernier roman « Réparer l’affront », quel est l’origine du roman, l’idée qui vous a poussé à le commencer ?

J’ai repris et terminé Le Secret de l’Ecole du Louvre presque dix ans après avoir écrit le manuscrit à l’Ecole. Comme je l’avais écrit pour des raisons personnelles et que je ne le voyais pas comme un véritable roman, je l’avais un peu abandonné. Je ne me considérais pas écrivain et quand je l’ai terminé et autopublié en 2019, j’ai pensé que je ne réécrirais probablement plus jamais.

Pourtant pendant le confinement de l’année dernière, j’ai été inspirée par la situation et j’ai écrit un second roman intitulé Tant que le jour se lèvera, centré sur un couple de toulousain partant vivre dans les Pyrénées, en autonomie dans la nature. Avoir retrouvé de l’inspiration m’a étonnée moi-même. On me demandait souvent « À quand le deuxième ? » mais je ne pensais pas vraiment réécrire un jour. D’ailleurs même après ce deuxième roman, je me suis dit encore une fois que parcours d’écrivain allait s’arrêter là car je n’avais pas d’idée pour un autre livre. Je ne me mettais pas non plus de pression pour trouver de nouvelles idées, j’avais aussi ma vie professionnelle à côté.

Cependant, l’année dernière, mon travail m’a fourni une nouvelle source d’inspiration. Je suis commissaire-priseur dans une étude d’huissiers de justice. J’ai été assez fascinée par le pouvoir d’investigation des huissiers qui ont la charge de retrouver certaines personnes pour récupérer des dettes et faire exécuter des jugements. Ils peuvent donc enquêter pour les retrouver. De cette pensée, j’ai brodé un fil en imaginant ce qui se passerait si ce pouvoir se retrouvait entre les mains de quelqu’un d’un peu fragile ou obsessionnel. La personne pourrait alors utiliser cette capacité d’enquête pour retrouver la trace de quelqu’un qu’elle aurait perdu de vue.

Votre vie influence donc souvent vos histoires. Dans la dédicace de votre livre, vous mentionnez vos amies qui vous auraient aidées à créer le personnage d’Elodie, la meilleure amie. Y a-t-il d’autres détails comme celui-ci dans votre histoire ?

« Est-ce que c’est vrai ? » est souvent la première question que me posent les lecteurs. Ce livre peut être assez choquant car l’héroïne est ambivalente, très attachante mais à la limite de la folie, ce qui la rend donc un peu effrayante. Des personnes de mon entourage se sont donc demandées quelle était la part de vérité dans cette histoire un peu sombre.

Je me suis inspirée de ma seule histoire d’amour de vacances, il y a maintenant plus de dix ans. Le personnage de Robin existe donc bel et bien, même si le prénom a bien évidemment été modifié. Je n’ai plus aucun contact avec lui, je ne sais pas ce qu’il est devenu et il ne sait sûrement pas que ce livre a été écrit. Cependant, contrairement à cette histoire, je ne l’ai pas retrouvé dix ans après notre rencontre.

J’ai aussi voulu rendre hommage à une amie en particulier, Lisa, qui m’a inspirée le rôle d’Elodie, la meilleure amie rigolote et parfois un peu pathétique. J’ai porté un regard tendre sur toutes nos années de galères lorsque nous avions la vingtaine, avec nos histoires compliquées avec les garçons ou les aventures sans lendemain. J’ai même ressorti des journaux intimes de cette époque, donc d’il y a dix ans. Cela a été un vrai travail d’introspection et certaines anecdotes et textes du livre sont réels. Je sais que Lisa a été touchée de relire et redécouvrir ces moments-là.

En tant que lecteur, on peut avoir l’impression que la seule personne réellement décrite et introspecté est Jeanne, l’héroïne et que les personnages qui gravitent autour d’elle sont assez flous et indiscernables dans leur personnalité. Est-ce un choix fait pour accentuer sa personnalité égocentrique ?

Le choix a été fait non pas d’un narrateur omniscient mais d’un narrateur avec un point de vue unique, celui de l’héroïne ce qui limite les points de vue. On voit les autres personnages à travers ses yeux. Jeanne est très torturée et son évolution psychologique est particulière, il est donc difficile de se faire une idée précise du caractère de ces autres personnages, surtout que je voulais également que les personnages gravitant autour d’elle soient ambivalents, que l’on ne sache pas véritablement quoi penser d’eux. Dans la première partie par exemple, on s’attache à Robin, puis finalement on se demande pourquoi l’héroïne n’arrive pas à l’oublier alors que c’est un homme ordinaire, ou au contraire on le trouve très attachant. Je voulais que rien ne soit tranché, que chacun ait son opinion sur qui est le bon et le méchant de l’histoire, ou même qui est le plus décevant.

C’est également le cas pour la meilleure amie, on la voit vraiment à travers le regard de Jeanne. Parfois elle est très attachante, on la trouve loyale, on voit en elle une très bonne amie, et à d’autres moments elle est très pathétique, comme lorsqu’elle est prête à mettre le grappin sur n’importe quel homme. Elle est désespérée, donc on la trouve décevante, on trouve qu’elle rate un peu sa vie. C’est à chacun d’aimer ou non les personnages.

Comme vous l’avez dit précédemment, cette histoire est inspirée d’un amour de vacances, pouvez-vous nous en dire plus ? Pourquoi avoir choisi ce thème de l’amour à distance et de l’idéalisation ? Et enfin pourquoi l’avoir tourné dans une forme aussi torturée alors que le début nous laisse plus présager un roman « à l’eau de rose » ?

A mon avis, si cela n’avait été qu’une simple histoire d’amour, ce livre aurait été comme tous les autres et n’aurait eu aucun intérêt particulier, plus comme un roman de vacances à l’eau de rose effectivement. Il fallait qu’il se passe quelque chose, qu’il se noue un drame. Je me suis inspirée du livre Mort sur le Nil d’Agatha Christie, un auteur que j’affectionne beaucoup. Ce roman raconte l’histoire d’un triangle amoureux lors d’une lune de miel qui va tourner au drame. C’est mon roman préféré d’Agatha Christie.

C’est donc autour de ce thème récurrent et presque immortel du triangle amoureux que j’ai voulu travailler sur pourquoi et comment un amour de vacances aussi furtif avait pu prendre tant d’importance. De plus, cela m’est arrivée l’année dernière de rêver de ce garçon que j’avais rencontré plus jeune et que je n’avais plus vu depuis dix ans. Au réveil, cela m’a choquée de voir à quel point notre inconscient est capable de nous jouer des tours. Je me suis demandée pourquoi j’avais tout d’un coup rêvé de lui. C’est en relisant mes journaux intimes que je me suis rendue compte que ce garçon avait été important pour moi pendant très longtemps alors que notre histoire avait été très courte. C’est à partir de là que j’ai réalisé qu’il y avait sûrement quelque chose à travailler autour de ces amourettes de vacances qui peuvent nous marquer pendant longtemps.

L’héroïne passe parfois de la 3e personne du singulier à la deuxième personne du singulier lorsqu’elle pense à Robin. Est-ce pour montrer sa confusion ? Ses sentiments pour lui ? Le déni qu’elle met en place pour se protéger ?

A certains moments, Jeanne est tellement en colère qu’intérieurement elle s’adresse à lui. Et c’est une manière d’établir un dialogue qui n’a jamais eu lieu, d’évacuer une frustration, car ils ne sont jamais expliqués sur ce qui s’était passé.

Il y a peu de verbes de paroles et d’incises dans les dialogues. Est-ce un trait d’écriture récurrent dans vos romans ou est-ce particulier à celui-ci ?

Je crois que c’est plutôt personnel à celui-ci. J’en avais mis beaucoup dans mon premier roman quand j’étais très jeune et à la relecture j’ai trouvé ça un peu lourd. J’ai donc voulu alléger les dialogues.

L’héroïne a une évolution psychologique très forte. On la voit passer d’une jeune fille un peu naïve à une sorte d’obsession ou de folie. Pourquoi avoir poussé jusqu’à la limite cette évolution psychologique ?

Je pense que l’on a tous une Jeanne en nous et je voulais montrer qu’il y a une limite à ne pas franchir et elle l’a dépassée car elle est très orgueilleuse. Elle voulait réparer une blessure d’ego. On en vient même à se demander si elle a vraiment aimé Robin car finalement ils ne se connaissent pas. C’est un amour de vacances, un amour idéalisé. Et pourtant elle veut absolument le récupérer. On a l’impression qu’elle cherche plutôt à guérir quelque chose en elle. Je voulais que tout l’intérêt du roman, dans lequel il ne se passe finalement pas grand-chose, soit mis sur cette radicalisation de sa personnalité, de sa psychologie, de voir comment quelque chose qui n’a pas été traité ou évacué tout de suite peut laisser des séquelles et peut empirer. Cela pour cela que l’on passe d’une héroïne un peu naïve, amoureuse, à laquelle on peut facilement s’identifier, pour qu’à la fin on la déteste tellement elle est odieuse. Elle en vient à mépriser tous ces proches. Comme on est dans sa tête, on voit à quel point elle est méchante. C’est ce sur quoi j’ai voulu mettre l’accent dans ce roman.

Ca donne un tout autre ton au roman, il y a un moment, je ne saurais dire quand, on bascule vraiment, point de vue interne donne un sentiment de malaise car on est pas d’accord avec elle. Tout le long du roman, on est plutôt du côté de la copine, Élodie.

C’était inédit pour moi de me mettre dans la peau d’une méchante, même si le terme est assez réducteur, j’ai trouvé ça génial, un côté un peu machiavélique. Dans mon second roman, « tant que le jour se lèvera », c’est un roman très contemplatif, l’héroïne est une artiste, se poser des questions existentielles, c’est un couple qui survit dans la nature donc on est pas du tout sur des choses de ce niveau là. Et la d’avoir choisi volontairement d’être dans la peau d’un personnage que le lecteur va finalement détester, c’était vraiment une expérience super pour moi. Très intéressante. Mais je me rends bien compte que c’est un parti pris. 

Mais c’est aussi ça qui fait l’originalité du livre. J’avais un autre question pour rebondir quand vous disiez qu’on à tous une Jeanne en nous, la toute fin du livre laisse présager que c‘ est pas vraiment la fin de l’histoire de Jeanne, est-ce que vous penser peut-être à une suite, juste dans votre tête, ce qui pourrait arriver avec ce nouveau contact.

C’est vrai que j’aime beaucoup les fins ouvertes, parce que à la fois il y a un goût d’inachevé qui fait « à zut ! ». À la fois énervant et excitant. Ça laisse la possibilité au lecteur d’imaginer ce qu’il veut. Et pk pas une suite, chacun est libre d’imaginer que mb l’arrosera serai arrosé et la méchante punie dans un futur proche ou lointain. Je voulais quand même aussi, sans spoiler mais une partie de la fin du roman est un procès. Et ca je voulais rendre à César ce qui est à César, c’est tiré d’un roman qui à reçu de nombreux prix, qui est sorti très récemment que j’ai adoré, Les Choses humaines de Karine Tuil. C’est un roman qui est tiré d’une histoire vraie, qui s’est déroulé aux États-Unis, d’un fait divers autour d’un viol et de la question autour du consentement. Une question très épineuse, repose sur la parole, contre la parole de l’autre. A quel point il n’y à pas de preuve, que c’est très compliqué. Cette affaire m’a intéressé et le livre que j’ai adoré, de se plonger dans un procès, un peu comme si on y était en direct. Avec des questions très directes posées et aussi le machiavélisme avec lequel parfois elles sont posées dans l’intention d’orienter la réponse. Et ça je voulais vraiment essayer de retranscrire quelque chose de similaire. Et montrer que Jeanne arrive tout le temps à rebondir, elle a réponse à tout, c’est insupportable. J’en dis pas plus. Le thème du procès m’intéressait beaucoup et celui de la victime qui est piégé, qui n’est pas forcément celle que l’on croit. 

Cette fin personnellement, ça m’a donné l’impression que vous vouliez donner une idée de cercle sans fin. Comme vous dites c’est l’arroseur qui est arrosé mais surtout on à l’impression que tout le monde peut être dans le cas de Robin mais aussi celui de Jeanne, les deux à la fois sans s’en rendre compte.

Exactement. Quand à la fin, ce contact dont Jeanne n’a pas le moindre souvenir, qui ne l’a pas marqué revient en disant qu’il ne l’a jamais oublié. Elle est choquée, même effrayée en se disant « mais il est complètement cinglé, il m’a complètement idéalisé, on ne se connait pas ». Elle ne se rend pas compte qu’elle à eut exactement cette attitude envers Robin, qu’elle a nourrit elle-même un fantasme. On peut donc être chacun l’un de ces personnages, on a tous eu des fixettes, des idéalisations, des fantasmes sur des histoires qui n’ont jamais été faites. On est probablement aussi le fantasme de quelqu’un, on n’en sait rien. Pour l’anecdote, car c’est très drôle qui m’a inspiré cela, j’ai un ex, vous allez croire que j’ai beaucoup d’ex (rires), avec qui j’étais sortie à la fac avant de faire l’École du Louvre, j’étais très jeune, dix-huit ans, l’histoire d’une soirée. Il m’a recontacté l’été où j’écrivais ce roman, donc douze ans après, véridique, en me disant « tu as été odieuse, tu m’as bloqué de partout » À l’époque je l’avais bloqué de tout mes réseaux et il m’a retrouvé sur Instagram. Il m’a dit « je ne t’ai jamais oublié, tu représente tout ce que j’imagine de mieux ». J’ai eu très peur, j’ai failli le bloquer de nouveau mais je me suis dit « non, ne soit pas odieuse, il faut arrêter de bloquer les gens ». Je me suis dit que le mec était complètement fou, on ne se connait pas, on ne s’est pas vu depuis douze ans. Il me connaît à travers l’image que je donne via les réseaux sociaux. Et le fait que tout cela se confronte, mon roman et le fait que mon ex insignifiant me recontacte à ce moment-là, c’est là que je me suis dit, on peut nourrir une obsession mais en être l’objet. 

Que diriez-vous aux écrivains en herbe qui sommeillent sur les bancs de l’école ? Des personnes qui comme vous on écrit quelque chose mais n’ont pas confiance ou l’idée même que cela puisse devenir sérieux ?

C’est assez magique d’avoir une espèce de secret qui dort dans son ordinateur, on à l’impression d’avoir une histoire qui n’existe que dans notre imaginaire, une relation fusionnelle et unique avec l’histoire que l’on crée, que l’on invente. On est les seuls à savoir qu’il existe donc il y a une sorte de beauté mais je crois qu’il ne faut jamais s’arrêter à la peur du regard de l’autre et trouver le bon moment. Moi cela a été dix ans après pour Le secret de l’école du Louvre, de mon point de vue, cela ne valait pas la peine d’être lui, ne tenait pas debout. Je me suis dis, on n’a qu’un vie et aujourd’hui avec l’autoédition, tout le monde peut publier son livre et l’avoir dans les mains. C’est quand même une chance. Il y a quelque chose de magique de tenir son rêve dans les mains et de se dire que tous peuvent potentiellement le lire. C’est presque publier son journal intime même si c’est une fiction. C’est vous qui inventez l’histoire et les personnages. Entre guillemet, vous vous mettez à poil, pardonnez-moi l’expression. *rire*. C’est comme sauter dans le vide si on aime les sensations fortes. Je pense qu’il faut oser, au bon moment même s’il faut plusieurs années de maturité, il faut y aller, s’auto-publier pour le plaisir.
Je voulais juste rebondir sur une dernière chose, il y avait un fil rouge dans ce roman, qui était les réseau sociaux

Voulez-vous faire une critique, un message de votre propre expérience ou peut-être juste de la société en générale ?

Au départ, ils s’ajoutent sur Facebook, ensuite Messenger. Puis chacun fait croire à l’autre pendant des années qu’il va très bien, que leur vie est géniale via Facebook. Ensuite, symboliquement, Jeanne décide de tourner la page définitivement en le supprimant de Facebook mais elle finit par le chercher sur les réseaux pour le retrouver. Dans la période du procès, les médias s’emparent de l’affaire, chacun donne son avis en polluant l’affaire. Et cela m’a été beaucoup inspiré des féminicide actuelle, Delphine Jubillar, toute ses affaires non élucidés de meurtres horrible, de viol. Chacun devient enquêteur, donne son avis pour une raison, voir même crée des pages dédiées à l’enquête. C’est une chose qui me choque, je me suis dit que d’aborder le sujet de A à Z, la manipulation par les réseaux pouvait être intéressant. J’en ai été victime à la fois, et tout le monde à mon avis dans notre société actuelle, c’est très dangereux de jouer avec son image parce que Jeanne se retrouve piégé car Robin va croire pendant des années qu’elle s’est parfaitement remise de leur histoire alors qu’elle est au fond du trou. Je l’ai vécu quand j’avais la vingtaine mais je pense qu’on est nombreux à l’avoir fait. Donner l’image qui n’est pas la bonne via les réseaux, surtout quand on va mal. 

Est-ce que vous pensez que la relation entre Jeanne et Robin, s’il n’y avait pas eu ce prisme des réseaux sociaux, mentir à l’autre, que finalement la relation aurait pu fonctionner ou qu’en fin de compte, Jeanne aurait tout autant idéalisé Robin.

C’est difficile à dire car cela reviendrait à imaginer l’histoire sans ces réseaux, comme à l’époque de nos parents. Peut-être que la relation aurait été plus saine, qu’il se serait parler de manière plus honnête et transparente. Il est difficile de réécrire l’histoire, je ne saurais dire. Jeanne à ses névroses. À un certain moment du roman où elle dit « Sauve-moi », elle attend d’être sauvée. Robin aurait pu, mais lui-même avait ses propres problèmes, que c’est peu probable. J’avais une question à vous poser, en tant que lectrice, qu’est ce qu’on ressent pour un personnage aussi ambivalent que Robin ? 

Je n’ai pas apprécié Robin au début, parce que j’avais l’impression qu’il avait un comportement assez mauvais envers Jeanne. Au fur et à mesure du roman, notamment vers la dernière partie, j’ai eu plus d’empathie envers lui par rapport à l’attitude de Jeanne envers lui. (Éloïse)
Je l’ai trouvé dragueur à leur première rencontre. J’ai toujours eu beaucoup d’empathie pour lui car il n’avait pas une situation facile. Il effaçait sa personnalité pour son père, ce que je trouve assez fort. Je comprenais son besoin de mettre de la distance, de faire la fête, donc cela ne m’a pas gêné. Je trouvais Jeanne trop dans la retenu de ses sentiments, il n’y avait pas assez de communication donc je ne blâmais pas non plus Robin pour cela. Finalement, de toute manière, on a de plus en plus d’empathie pour lui, à mesure que le temps passe pour Robin. Le pauvre se retrouve pris dans quelque chose qu’il n’a pas demandé. (Cassandre)

J’ai essayé que l’on aime Robin dès le début parce qu’il est charmeur, un peu fou fou etc, on sent qu’il est sincère et qu’il à un vrai coup de coeur pour elle. 

C’est un homme bien.

Exact, ce n’est pas un baratineur, sauf qu’il est lâche. Il est jeune et immature, ne sait pas quoi faire de sa peau. C’est du vécu, quand on à la vingtaine, les mecs ils veulent pas s’attacher quand ils ont le coups de cœur. Ils veulent s’amuser, on a toutes vécu cela. Ce qui est hyper décevant car on sens qu’il y a un potentiel mais qui n’est pas assumé de l’autre côté. On le blâme donc pour sa lâcheté, mais quand elle le retrouve dix ans plus tard, on se dit que le type n’a toujours pas évolué, il a les mêmes démons alors pourquoi elle s’acharne sur le même mec qui pourrait être n’importe quel autre ? Jeanne veut plus régler une question d’orgueil que de véritablement le reconquérir à tout prix. 

Oui parce qu’on voit que ce n’est pas un homme parfait, mais qu’il n’est pas mauvais non plus.

Mais il est tout de même très facilement manipulable. On sent qu’il est perdu car il suffit que Jeanne débarque dans sa vie et trois jours après il a foutu sa vie en l’air. Il est très faible et comme elle c’est un dragon, forcément cela explose. 

Auriez-vous un mot pour achever cet entretien, une remarque ?

Je ne sais pas, peut-être qu’un jour le vrai Robin lira cette interview et se reconnaîtra. Rassurez-vous, je ne suis pas obsessionnelle et je suis très sympathique *rire*. 

Merci beaucoup de vous avoir accordé votre temps et au revoir.

Cassandre et Éloïse

Le lembas

Pour ce numéro « Salé », j’ai souhaité faire découvrir à de jeunes novices de l’œuvre de Tolkien l’un des aliments les plus connus de son œuvre (ou rafraîchir les mémoires des initiés de ce grand univers).

Notre petit article prend donc ses racines dans l’œuvre la plus complète de Tolkien : le monde fantastique de la Terre du Milieu que je vous invite (si ce n’est pas déjà fait) à découvrir dans les livres et l’adaptation filmographique de la trilogie du Seigneur des Anneaux. Cet homme, écrivain, professeur de lettres et poète, a imaginé tout un monde et son histoire pour soutenir les différentes langues fantastiques qu’il avait créées (comme les langues elfiques du quenya ou du sindarin). Pour la petite anecdote, le monde de la Terre du Milieu, dans l’esprit de J.R.R Tolkien, n’est que le récit de temps anciens menant aux périodes historiques que nous connaissons déjà. L’écrivain désirait créer toute une nouvelle mythologie du début des temps pour l’Angleterre, la patrie où il a le plus longtemps vécu (il est né en Afrique du Sud !).

Je souhaitais m’attacher à redonner toutes ses lettres de noblesse à un aliment très populaire de l’œuvre de Tolkien depuis l’adaptation filmographique de Peter Jackson : le lembas. Le lembas est un mot sindarin qui signifie « pain de Route ». Il était en effet fabriqué pour les expéditions et les voyages car c’est un pain fortifiant et revigorant qui, en plus de sa propension à être extrêmement nourrissant, peut rendre de la vigueur et effacer la fatigue. Il nourrit autant l’âme que le corps, et aide à conserver la volonté d’avancer même devant des obstacles ou des distances pouvant sembler insurmontables. 

Le lembas est un pain de fabrication elfique et, parmi ce grand peuple, seules les reines avaient le pouvoir de le conserver et de le donner si elles en jugeaient la nécessité. C’est ainsi que lorsque la Communauté de l’Anneau, constituée des principaux protagonistes du « Seigneur des Anneaux », se rend en Lothlórien, une forêt elfique, la dame Galadriel, sa gardienne, décide de leur offrir dans sa grande sagesse du lembas. Ce cadeau s’avère être déterminant pour la suite de l’histoire car il permet à deux des héros de survivre dans des terres arides et désolées ainsi qu’à deux autres de trouver le courage et la force de se libérer de leur captivité. 

A l’origine, le lembas fut créé par la Valië Yavanna, l’équivalent d’une déesse dans l’univers de la Terre du Milieu. Yavanna est la créatrice de toute la faune et de la flore de ce monde. Elle créa ce pain alors que les premiers Elfes devaient effectuer un grand exode de l’Est de la Terre du Milieu jusqu’à ses rivages Ouest (plongés sous les eaux au moment des livres et des films du Hobbit et du Seigneur des Anneaux et donc non visibles sur les cartes). La déesse se serait servie de grains de maïs ne poussant qu’en Aman, la terre des dieux. 

Cette préparation n’était connue que par certaines femmes elfes initiées spécialement par Yavanna elle-même. Elles seules pouvaient toucher le grain du lembas avant que celui-ci ne soit achevé. On les appelait les Yavannildi, les jeunes filles de Yavanna en quenya, une des principales langues elfiques avec le sindarin.  

Le lembas est donc essentiellement connu et vulgarisé par les quelques scènes d’humour mises en scène à l’écran par Peter Jackson et qui ont accentué sa popularité. Pourtant ce pain n’est pas qu’un gag de plaisanterie facile mais un élément important des plus connus des récits de J.R.R Tolkien et également une preuve très précoce de l’alliance entre les dieux et les Elfes, une alliance qui sera longue et parfois mouvementée entre ces deux parties et qui est à la base de la plus grande œuvre sur cet univers : le Silmarillion.

Pour finir, je n’aurais donc qu’un conseil à l’approche des vacances de Noël : plongez-vous (ou replongez-vous) dans l’incroyable œuvre du professeur Tolkien !

Crédit image : Pixabay, image posté par paxillop.

Cassandre BRETAUDEAU

Salière de Cellini

Carte d’identité :

  • Nom de l’œuvre : Salière de Cellini,
  • Artiste : Benvenuto Cellini
  • Date d’exécution : entre 1539 et 1543
  • Matériau : or, ébène et ivoire
  • Dimensions : 26,3 x 21,5 cm
  • Commanditaire : François Ier
  • Localisation : Musée d’Histoire de l’art de Vienne

Sur une base d’ébène de forme ovale ornée d’un décor en émail, qui repose sur quatre petites boules d’ivoire permettant de faire rouler la salière sur la table, deux sculptures en or massif se font face. D’une part, la Terre, figurée par Cybèle entièrement nue, trône sur un animal allégorique et appuie sa main gauche sur son sein. D’autre part, Neptune, dieu de la mer, est porté par des chevaux à la crinière d’or et il tient un trident auprès d’une barque, conçue pour recevoir le sel. Quant au socle, il contient des figurles émaillées qui symbolisent les quatre saisons et les quatre moments de la journée (l’aurore, le jour, le crépuscule et la nuit).

L’œuvre est chargée de symboliques en lien avec la nature omniprésente du style maniériste : la montagne et les plaines à travers la courbe des jambes de Cybèle ; le lieu de naissance du sel entre la terre et la mer, avec l’entrecroisement des jambes des deux protagonistes.

Benvenuto Cellini (1500, Florence – 1571, Florence), était un orfèvre, sculpteur, fondeur, dessinateur et écrivain de la Renaissance. Élève de l’orfèvre Michelangelo Brandini, puis de Marconi, il est exilé quelques années plus tard, suite à diverses altercations. Il voyage alors entre différentes villes italiennes (Bologne, Pise…), avant de s’arrêter à Rome entre 1522 et 1540, tout en retournant plusieurs fois à Florence, pour régler ses problèmes avec la justice. Il est complètement libéré de toute charge, suite à l’implication du cardinal Hippolyte II d’Este de Ferrare, qui intercède auprès du pape Paul III. Il se rend l’année suivante (1540), à la cour de François Ier, qui souhaite le prendre à son service. Il lui passe plusieurs commandes, dont la Salière et la Nymphe de Fontainebleau. Il rentre ensuite à Florence en 1545, où il réalise son très spectaculaire Persée et écrit plusieurs textes dont des traités et ses mémoires. Son œuvre s’inscrit principalement dans le style maniériste, qu’il a pu étudier lors de ses séjours romains et qu’il exporte en France lors de sa venue.

La salière était un ornement destiné aux plus grandes tables européennes pour contenir le plus précieux des condiments : le sel. À cette époque, le sel était vital pour la conservation d’aliments tels que la viande, le poisson ou les légumes. Son prix a cependant décollé sous François Ier, suite à une augmentation de la taxe.

Réalisée dans un premier temps, pour le roi de France, François Ier, la salière Cellini fut ensuite offerte à l’archiduc Ferdinand de Tyrol, par le roi de France Charles IX, en remerciement pour un service rendu. L’œuvre entre alors dans les collections des Habsbourg, où elle est dans un premier temps conservée au château d’Ambras, puis elle est transférée au Kunsthistorisches Museum de Vienne au XIXe siècle. 

L’œuvre est particulièrement célèbre pour avoir été volée, dans la nuit du 10 au 11 mai 2003, avant d’être retrouvée en bon état, près de Zwettl, à environ 90 km de Vienne, au début de l’année 2006. 

Source : Hervé Grandsart, « La salière de Benvenuto Cellini », Revue de la Société française de promotion artistique, no 639,‎ 2006.

Trattati dell’ Oreficeria e della Scultura di Benvenuto Cellini, publiés par M. Carlo Milanesi, Florence, 1857

Crédits photographiques : Guerinf

Interview exclusive: Clara, présidente du club Art-Thémis sur le grill

Voici la suite de l’interview du club Art’Thémis. Merci au club féministe de l’école de nous avoir accordé cette interview enrichissante.

Question plus ciblée sur le féminisme : comment définiriez-vous votre engagement ?
C’est beaucoup de choses, un mouvement autour d’idées, de questionnements, d’élaboration de concepts, d’émulation. C’est aussi une lutte, contre un ennemi bien défini, le système patriarcal et ce qui en découle. C’est aussi un concept philosophique théorisé et historique. Tous.tes les militant.e.s vous diront que c’est un combat, le féminisme.

Comment définiriez-vous le féminisme ?
Le féminisme, c’est un mouvement qui a une très longue histoire maintenant et qui a eu tendance à s’accélérer au tournant de la Seconde Guerre mondiale et dans les années 1950 avec les premières vraies coalitions entre les femmes qui décident de théoriser le féminisme. Vous le savez peut-être mais ce mot est assez ancien et était presque exclusivement connoté péjorativement et les féministes se le sont réappropriées. Pour nous, il s’agit d’un ensemble de mouvements et d’idées qui visent à rétablir l’égalité totale et à tous les niveaux entre les femmes et les hommes. On vit dans une société patriarcale où les femmes sont largement dominées par des systèmes de valeurs et de symboles et qui les empêchent de jouir des mêmes privilèges que l’homme (blanc, cisgenre, hétérosexuel). Le féminisme concerne toutes les femmes, qu’elles soient victimes de sexisme, de racisme, d’homophobie, de transphobie ou encore de classisme pour ne citer que ces discriminations. Nous avons une définition qui s’inscrit dans le mouvement intersectionnel tel que théorisé par Kimberlé Williams Crenshaw, qui remet en cause le monopole de la surreprésentation de certains groupes au sein du mouvement. Le féminisme, c’est toutes les femmes ! Il lutte contre le patriarcat, les VSS subies par les femmes et contre des dominations qui sont intériorisées dans notre société et qui justifient aussi des crimes coVamme la culture du viol par exemple. À terme c’est un mouvement, nous l’espérons, qui est appelé à disparaître (mais qui a certainement encore quelques milliers d’années devant lui !).

On remarque que tu utilises beaucoup le terme « domination », mais qu’est-ce que tu mets derrière ce terme ?
Ah oui, c’est très intéressant, il faut retirer le tabou de ce mot. La domination, c’est un fait sociologique : dans notre société, il y a une classe dominante et une classe dominée. Et même plusieurs. Dans le cas du patriarcat, les hommes dominent les personnes sexisées au même titre que les colons ont dominé les personnes racisées. Aujourd’hui par les systèmes de valeurs, de représentation, ou quand on sait que les femmes sont payées 18% de moins que les hommes par exemple, on voit que c’est un fait. Ce n’est pas une perception personnelle. Dans la rue, un homme est moins en danger qu’une femme statistiquement. C’est factuel, pas accusateur.

Comment a été perçue la création d’un nouveau club féministe au sein de l’école ?
Je crois que ça a été très bien perçu. Quand j’ai rencontré Tanguy, l’ancien président des clubs, il m’a dit que ça avait été voté à la majorité, donc ça a été très bien vu à ce niveau-là, par tout le monde. Il y en a qui avaient un peu peur que le club marche sur les plates-bandes de Mauvais Genre(s). Mais c’est un truc avec lequel je n’étais pas du tout d’accord. Parce qu’il n’y a jamais trop de militants. Même s’il y a des convergences avec Mauvais Genre(s), chacun a ses lignes de fond, nous nous battons pour une chose et Mauvais Genre(s) a ses propres combats . Nous c’est vraiment contre le système patriarcal et ce n’est peut-être pas son ennemi premier. Une très bonne réception aussi au niveau de l’administration. Madame Barbillon en a pas mal parlé aux masters, au gala, où elle a encouragé les élèves à participer. Les personnes femmes se sont reconnues dans ce qu’on prônait. Beaucoup de gens nous ont écrit pour nous remercier. Étant donné qu’on est à l’École du Louvre, qui est une école d’art, les mentalités sont beaucoup plus ouvertes à ce type de questions. On n’est pas à HEC ou en école de commerce où on en aurait vraiment bavé, de source sûre, les associations féministes de ces institutions en bavent un peu plus. Au niveau de la définition du féminisme, c’est compliqué et on a eu quelques appréhensions à ce niveau-là. On se réunit donc demain avec le bureau pour élaborer une définition claire de notre féminisme. Vous avez peut-être entendu parler de certaines controverses pour certains mouvements. Nous on reste vraiment dans quelque chose d’inclusif et d’intersectionnel.

Justement, le féminisme se rallie à d’autres combats, de par l’intersectionnalité comme tu l’as évoqué. Alors à quand des actions avec d’autres clubs ? Notamment Mauvais Genre(s) (le club LGBTQIA+ de l’Ecole du Louvre) ?
Alors on fait pas mal de choses avec d’autres clubs, parce que tous les clubs peuvent se reconnaître dans notre combat, le club féministe n’est pas le seul à pouvoir être féministe, tous les clubs peuvent être féministes. Et ça, ça permet de faire de nombreux projets… comme ENDOrun ! Mauvais genre(s), ça ne s’est pas encore fait, mais on est en novembre, on s’est créé en septembre, donc on a le temps de créer des choses ! En plus ce serait formidable, on est des milieux militants, on est donc souvent d’accord, du moins on se contredit peu ! On aimerait collaborer avec eux et elles, mais pour cela il est nécessaire qu’ils sachent ce que nous prônons.

D’où l’établissement de la liste de vos valeurs …
Oui, c’est ça ! Ce travail de définition est essentiel dans un milieu militant, et d’ailleurs c’est ce qu’on fait tout le temps, de la redéfinition, de l’approfondissement. C’est la partie réflexive et théorisation du mouvement, et je trouve ça super intéressant. Le féminisme est au cœur de notre époque, il est au cœur des débats, il est en train d’être défini, c’est une émulation qui est superbe !

Il est pluriel en plus, il y a différents mouvements.
Oui ! L’intersectionnalité vise justement à unifier ces mouvements qui se créent spontanément. C’est important de définir ses termes quand on est militant. C’est nécessaire pour les gens qui s’engagent ! L’intersectionnalité, peu de personnes connaissaient ce terme il y a un an, alors qu’il est aujourd’hui au cœur des débats.

Pour parler un peu d’art, pensez-vous qu’il y ait une différence entre l’art produit par les femmes et par les hommes ?
Alors non, pas du tout ! C’est une idée reçue qu’il y aurait un art féminin et masculin. Dire qu’il y aurait une différence entre les deux reviendrait à alimenter des discours sexistes qui créent une dualité entre les hommes et les femmes et justifier certaines réflexions sur les femmes, qui auraient un art plus sensible, plus romantique, alors qu’absolument pas ! Il n’y a pas de différence innée entre les hommes et les femmes, c’est une différence de personne, de comment elle a évolué dans la société, et de vécu. Le genre de la personne n’intervient pas dedans. Après, le fait que dans le système actuel, quelqu’un ait grandi en tant que femme et ait été soumis à des dominations et des oppressions peut influencer son art. Mais c’est une personne dans une société et pas son genre en tant que femme. Tout comme la notion de male gaze qui était à l’origine utilisée dans le cinéma, théorisée par Iris Brey. Elle décrit comment un homme va percevoir et représenter des personnages féminins à l’écran. Mais encore une fois ça n’est pas le genre, c’est comment quelqu’un qui a évolué en tant qu’homme dans une position de domination dans la société va se représenter les femmes. Il faut distinguer l’inné de l’acquis en fait. Notre jeu du Jeu de piste était sur ce sujet, justement, déconstruire l’idée qu’il y ait un art féminin et un art masculin. Nous avions présenté une iconographie similaire, peinte par un homme et par une femme, pour montrer que d’un premier coup d’œil on ne peut pas distinguer si ça a été créé par une femme ou par un homme. Je crois que c’était Judith et Holopherne l’un par le Caravage et l’autre par Artemisia Gentileschi. Celui de Gentileschi est beaucoup plus gore, il se fait décapiter, le sang gicle de partout, c’est une vraie scène de boucherie, alors que celui du Caravage est bien plus doux dans sa lumière, bien plus délicat.

Est-ce que tu pourrais nous parler d’une femme qui selon toi mérite plus de reconnaissance dans le milieu de l’art ?
La première qui me vient à l’esprit c’est une artiste contemporaine qui s’appelle Jane Campion, je ne sais pas si vous connaissez, c’est une très grande réalisatrice avec un cinéma particulier, qui vient déconstruire l’idée du regard de la femme qui serait plus sensible. Son cinéma est gore, elle n’hésite pas à incarner ce genre de cinéma. Alors qu’il y a vingt ans, on n’imaginait pas qu’une femme fasse ce genre de cinéma dans lequel par exemple il y a un personnage qui se fait couper les jambes. En plus c’est un cinéma ultra féministe. Il met en scène des personnages féminins qui viennent déranger la société. Ce sont des femmes indépendantes, qui sont, en plus, souvent artistes, qu’elle met en scène dans ses films. Comme La leçon de piano, mettant en scène une femme artiste amoureuse de son piano. Et le film In the Cut. C’est une femme indépendante, écrivaine. Elle montre des scènes assez violentes et des milieux controversés, comme celui de la prostitution, en luttant contre le male gaze parce qu’elle met en scène des personnages féminins et montre des lieux, sans apposer un regard moralisateur. C’est un cinéma assez cru, très féministe, qui mériterait beaucoup plus de visibilité.

Pensez vous que l’art puisse servir le combat féministe ?
Bien sûr ! L’art est un moyen d’expression privilégié des humains, cela permet de vivre son combat de façon sensible, différemment que par le militantisme. C’est d’ailleurs pour ça que, pendant des années, dans l’art et le cinéma, quand on n’avait que la visibilité des hommes, qui représentaient le monde à travers leur regard et représentaient les femmes, on avait l’impression que c’était la réalité. Pendant des années, notre connaissance de l’art a été exclusivement celle produite par les hommes. L’art sert complètement au combat et permet d’exprimer des choses crues de façon très belle. On voit l’influence de l’art sur le monde. Frida Kahlo quand elle a commencé à représenter son corps et à se réapproprier cette représentation, ça a marqué un tournant. Quand on regarde Sois belle et tais-toi de Delphine Seyrig, c’est un film féministe, choc, ça a motivé beaucoup de femmes à retrouver leur liberté, à se réapproprier leur corps. Ce sont des actes forts qui permettent aux gens de modifier leur mentalité et de représenter un monde qui n’est pas uniquement perçu par les hommes.

Nous avons deux questions peut-être un peu plus complexes. Pensez-vous que certaines personnes soient plus légitimes de se revendiquer féministes ?
Euh… Ah c’est dur ! Vous me piégez ! Ce que je dis peut être retenu contre moi ! *Rire* C’est très complexe la question de la légitimité dans le militantisme. Je vais partir d’un exemple qui m’est personnel. Pour la marche des fiertés, le copain cisgenre, hétéro d’une amie, se demandait s’il était légitime de venir, sachant qu’il n’a pas de revendication LGBTQIA+. Mais pourtant il voulait soutenir ces idées et ce mouvement, et participer à ce combat, mais ne se sentait pas légitime. Et vous voyez comme c’est complexe, car d’une part nous n’allons pas l’interdire de venir marcher, sinon ce serait négatif. Finalement, il n’y est pas allé car il avait peur de déranger les personnes concernées. C’est un choix que je trouve mature et respectueux. Mais la question se pose forcément. Nous on voudrait que tout le monde soit féministe, c’est-à-dire, veuille une égalité totale. Toutes les classes, tous les genres ! Mais pour la question du militantisme c’est plus compliqué. Nous nous sommes demandé à Art-Thémis : si un homme veut travailler au bureau et être secrétaire général, que ferions-nous? D’un côté s’il est féministe, bien sûr ! Nous voulons que les hommes soient féministes. Mais d’un autre côté ça reste un homme, qui n’a pas vécu les oppressions et dominations qu’on a vécues. Il n’a pas cette expérience, de vivre en tant que personne sexisée. Alors est-ce qu’il est légitime de venir défendre ce qu’il ne connaît pas et n’expérimentera jamais ? C’est pour ça que je pense que les hommes peuvent plutôt être désignés par le terme « proféministes », c’est-à-dire partageant les valeurs féministes mais sans être des représentants du mouvement. Mais c’est clair que si une personne se proclame féministe, elle est légitime ! Mais participer activement c’est sujet à débat. Il y a aussi une question de représentation: qui représente le mouvement féministe ? Je ne sais pas ce que vous en pensez, ça m’intéresse…

C’est la même question pour les espaces non-mixtes …
Alors moi je suis pour clairement ! Mais oui c’est le même débat.

Donc, là où est le débat et la complexité, c’est de savoir qui on met sur le devant de la scène pour porter l’engagement militant ? Les militants sont tous légitimes, quelle que soit la sphère militante. C’est ceux qui sont les chefs de file, entre guillemets, qui posent question, c’est bien ça ?
Exactement !

Personnellement cette question, elle m’est venue en me disant : je suis féministe, mais est ce que j’ai la légitimité de débarquer auprès du club et de dire « salut je suis un homme cisgenre blanc, je suis féministe !»
Encore une fois, tout le monde est légitime, mais comme tu dis, c’est la question de la représentation. Si on met un homme dans les postes à responsabilités, à l’échelle d’Art-Thémis secrétaire, ce serait bizarre. D’ailleurs les filles d’Art-Thémis étaient contre. Nous les excluons du bureau, mais ça ne veut pas dire que nous ne voulons pas qu’ils s’engagent, loin de là ! Tout le monde est légitime de se revendiquer féministe mais les hommes c’est compliqué…

Autre question. Pensez-vous qu’il y a des degrés de féminisme ?
Vous me posez des questions difficiles ! *Rire* Des degrés de féminisme… je dirais que plutôt que des degrés de féminisme, il y a des degrés d’engagement. C’est plutôt ça la question, à quel degré, à quelle intensité on va s’engager dans un combat. Une personne peut se dire féministe, sans pour autant être engagée dans un milieu associatif ou dans des institutions, mais juste dans ses valeurs, prôner le féminisme. Et c’est le cas de beaucoup de personnes, qui partagent les valeurs du féminisme, mais qui au quotidien ne font pas des collages, n’approfondissent pas les théories, ne vont pas se lancer dans des études de genre. Le degré c’est plutôt l’engagement. Mais à partir du moment où tu veux une égalité totale, que tu sois engagé 24h sur 24 ou pas du tout, le féminisme est le même.

Pour revenir à ce qu’on disait : ce qui est intéressant, c’est que je comprends que l’égalité c’est l’objectif final, mais que pour l’atteindre on a besoin de renverser le système. On ne peut pas être égalitaires tout de suite ?
Alors oui, pour moi il y a une nécessité là. Une nécessité de la radicalité. Vous vous souvenez quand Alice Coffin a déclaré refuser de lire de la littérature écrite par les hommes. Elle s’est faite lyncher. Moi j’étais d’accord, parce que, à un moment il faut une radicalité avant d’aboutir à une égalité comme tu dis. Donc c’est vrai que ce choix est radical, ça peut paraître extrême, mais c’est un acte militant fort puisque les femmes ont été invisibilisées depuis la Préhistoire si ce n’est des exceptions. Donc oui, avant d’opérer et d’aboutir à une égalité totale, il faut un renversement des valeurs. Passer par des réunions non-mixtes par exemple, c’est nécessaire pour théoriser et avancer nos combats entre nous, concernées. Il faut des exemples radicaux. Je ne sais pas si ça vous satisfait…

Si si ! c’est parfait ! On va tâcher de retranscrire ce que tu dis sans déformer ton propos !
C’est ça qui est subtil quand on parle féminisme ou militantisme, c’est de ne pas heurter et avoir l’air manichéen, tout en montrant que l’engagement est nécessaire. C’est difficile, même au quotidien. Il faut toujours faire attention aux termes qu’on emploie par exemple.

Encore une question : est-ce que vous avez l’impression de déranger l’ordre établi et finalement de venir mettre votre grain de sel ?
Mettre son grain de sel je trouve cela réducteur… Ce n’est pas un terme que je privilégierais. Déranger l’ordre établi… peut-être un peu, mais ce serait un peu malhonnête de le dire comme tel, dans la mesure où on a vraiment eu une très bonne réception, autant de la part des élèves que de l’administration. Donc les gens ont eu une réaction de surprise, mais une bonne surprise. Il y avait déjà eu des essais, et ce besoin de féminisme. Donc ce n’est pas perturber un ordre établi, mais apporter quelque chose qui de manière informelle était attendu. Et c’est aussi parce qu’on est dans une école globalement ouverte d’esprit. On nous laisse organiser des conférences sur les thèmes qu’on veut par exemple.

Oui c’est compréhensible. Maintenant on peut peut-être en venir au mot de la fin. À toi la parole !
Pour moi le truc le plus important c’est de faire passer le message qu’il n’y a pas que le club féministe qui puisse l’être. C’est un terme qui fait encore peur, il y a quelques années, peu de gens se revendiquaient féministes sans avoir peur que ça ait une connotation négative. Ce qu’on veut à Art-Thémis, c’est démocratiser le féminisme, à notre échelle, mener une action pédagogique, répondre aux questions : qu’est-ce que c’est ? Comment je peux l’être ? Nous voulons montrer que tout le monde peut être féministe, que ça n’est pas difficile, que c’est juste un apprentissage à l’échelle de tous. Et aussi prôner l’ouverture d’esprit !

D’accord, merci ! Est-ce que toi tu aurais une question pour les gens, ou est ce que tu voudrais que les gens se posent une question ?
Ce serait bien de se demander: est-ce que je subis des dominations intériorisées ? J’inciterais les gens à faire un travail de déconstruction et à se demander: ce que vous pensez, est-ce votre réception personnelle, ou est-ce que c’est influencé par ce qu’on vous a dit ? En fait se poser de simples questions sur ses valeurs, et savoir simplement si on est en accord avec nos actes.

Très bien… merci ! Je crois bien qu’on a fini… Oui on a fini … TADAMMM !

Alors voilà cher lecteur ! C’est fini ! Eh oui… déjà ! Merci de nous avoir accompagné dans cette rencontre avec Art-Thémis et Clara ! Merci d’être resté avec nous jusqu’ici. On espère que ça vous a intéressé, que vous vous êtes vous-mêmes posé plein de questions et que vous avez réfléchi à votre avis à chacune de nos questions. Si vous avez, vous aussi, des questions à poser à Art-Thémis, n’hésitez pas à les contacter ! Sachez aussi qu’un pôle sensibilisation reste à votre écoute si vous êtes victime ou témoin de harcèlement et/ou de violences sexistes et sexuelles, il vous suffit de les contacter avec l’adresse mail infosensi.arthemis@gmail.com, votre anonymat étant garanti !
Et n’oubliez pas. À la demande de Clara, posez-vous la question : est-ce que mes actes sont en accord avec mes valeurs ? Sur ce, on vous laisse à votre introspection, après cette longue mais passionnante interview, nous on se sépare pour aller manger… un bon repas salé !

Les réseaux de l’association:
Instagram: art_Thémis.edl
Facebook: Art-Thémis: club féministe de l’Ecole du Louvre

Adrien & Noémie

Test : compose ton yaourt glacé, je devinerai en quelle année tu es !

– Tyfenn Le Roux

Avec un taux d’exactitude certifié à 97,35% par moi-même, ce test ne vous apportera rien de nouveau à part le plaisir de me donner raison. En effet, l’art de l’analyse du yaourt glacé est une science très sérieuse qui va me permettre de deviner votre année d’étude à l’EDL. Alors, 1A, 2A, 3A ou M1, à vos ingrédients sucrés !

1- Commençons par le commencement : Quel parfum souhaites-tu pour ta base ?
🎉 Fraise.
💃 Vanille.
💯 Nature.
😊 Chocolat

2- Et pour la sauce par-dessus ?
💯 Beurre de cacahuète.
🎉 Du café.
😊 Coulis de chocolat.
💃 Coulis de fruits rouges.

3- On va mettre quelques bonbons, tu veux quoi ?
😊 Des fraises tagadas.
💯 Des chamallows.
🎉 Des schtroumpfs qui piquent.
💃 Des Dragibus.

4- Bon, il va falloir essayer de mettre un peu de vitamines, quel fruit souhaites-tu ajouter ?
💃 Banane.
😊 Framboise.
💯 Kiwi.
🎉 Citron.

5- Bon vu qu’il n’y a pas grand chose à ajouter, tu veux quelle taille de pot ?
💃 Moyen, faut savoir se faire plaisir.
🎉 Petit, t’as pas le temps.
😊 Enooorme.
💯 Quoi on peut choisir la taille ?

6- Tu prendras peut-être une boisson avec ça ?
😊 Un soda bien sucré.
🎉 Un café bien serré.
💃 Une tisane bien parfumée.
💯 Un chocolat chaud bien chaud.

😊 1A = Tu viens d’arriver à l’École, tu es plein.e d’énergie et d’idées. Tu te découvres une passion pour l’archéologie (bon tu étudies pas grand chose à part ça pour l’instant mais c’est pas grave). Tout reste à découvrir pour toi, alors attache bien ta ceinture et prépare-toi pour un long voyage (n’oublie pas ton yaourt glacé pour la route).

🎉 2A = Tu as réussi tes premiers examens à l’École et tu te sens prêt.e à tout mais voilà que se profile la terreur de tous : le bloc Arts de l’Inde / Arts de l’Islam. Mais n’aie pas peur ! Avec un bon yaourt glacé, tu sauras trouver l’énergie nécessaire pour affronter cette année !

💯 3A = Tu vois enfin la lumière au bout du tunnel alors tu profites ! Tu t’imagines la vie après la 3A et ça a l’air quand même très sympa. On te trouvera sûrement en train de rêvasser devant ton yaourt glacé.

💃 M1 = Tu as passé trois ans à l’attendre et là tu découvres que tu n’as plus de vie ? Bienvenue en M1 ! Mais malgré tout, tu te passionnes pour ces nouvelles matières qui te rapprochent toujours un peu plus du métier de tes rêves. Alors tu prendras bien un yaourt glacé pour fêter ça ?

Les meilleurs cocktails (liste non exhaustive d’après l’avis parfaitement subjectif de Flora)

(Merci à Clément, Diana, Karl et Marion d’avoir commandé un grand nombre de cocktail un soir (de débauche) pour que cet article puisse voir le jour !)
Chers camarades, ami.e.s de la boisson, nous nous retrouvons aujourd’hui autour de ces quelques pages pour que je vous partage ma liste des meilleurs cocktails auxquels j’ai pu goûter ! Nous n’aurons probablement pas les mêmes goûts (et encore heureux !), mais cela pourra peut-être vous permettre de découvrir un nouveau péché mignon dangereusement sucré…

Blue Lagoon (vodka, curaçao, citron)
Un cocktail acidulé et audacieux, reconnaissable entre mille grâce à sa couleur bleu turquoise vibrante dû à la liqueur de curaçao. Petite anecdote, mais pas des moindres, le curaçao est une liqueur qui doit son nom à l’île de Curaçao, île des Antilles hollandaises et plot twist, le Curaçao est fabriqué par les Hollandais (CQFD), à partir de petites oranges vertes amères ou de bigarades.
Alors, mon avis sur ce cocktail (oui, je suis égocentrique), je le trouve à chaque fois surprenant, comme si je le redécouvrais, grâce à son amertume si caractéristique. Un indétrônable en Happy Hours.

Sex on the Beach (vodka (ou rhum), liqueur de pêche, orange, cranberries)
Son nom en interpelle, en choque d’autres, mais est surtout synonyme de bonheur (pour moi). Ce cocktail aurait probablement été créé en 1987, en Floride (Etats-Unis), lors d’un concours de cocktails, où le barman du Bar Confetti’s a surpris tout le monde en combinant la liqueur de pêche qui commençait à devenir très populaire, avec de la vodka et plusieurs types de jus de fruits. Le barman en question se serait inspiré de ce que cherche une grande partie des touristes sur la côte de Floride (le sexe et la plage), pour trouver le nom de son subtil nectar.
Pour ma part, ce cocktail me transporte en première classe en plein cœur du mois de juillet, sur un transat, les pieds dans le sable. Par sa fraîcheur et son côté pleinement sucré, le Sex on the Beach a une place très chère à mon cœur dans cette sélection très select.

Cosmopolitan (vodka, triple sec, citron vert, canneberge)
Popularisé dans la communauté gay du Massachussetts des années 1960, le Cosmopolitan se démocratise aux Etats-Unis, puis dans le monde entier, avec un succès phénoménal féminin, à cause entre autres de sa couleur du jus de canneberge, dans son verre à cocktail évasé (malheureusement, ce n’est pas le cas sur la photo annexe). Son succès s’amplifie encore, grâce à Carrie Bradshaw qui en fait son cocktail favori, dans la série télévisée américaine Sex and the City. Ce cocktail est également un grand classique dans la culture russe (you know, la vodka…).
Cocktail assez léger, qui se boit très bien en milieu de soirée, en attendant un autre Mojito !

Mojito (rhum, soda, citron vert, menthe fraîche)
(Spoiler : le meilleur pour la fin) L’histoire de ce cocktail est encore une fois assez mystérieuse et basée sur des croyances, mais bon, tant que je ne pourrais pas remonter le temps, il faudra malheureusement s’en contenter. La légende raconte que l’histoire du mojito remonterait au début du XVIe siècle, lorsque le corsaire explorateur anglais Francis Drake, entre deux pillages de La Havane, appréciait siroter des feuilles de menthe pilées avec du tafia (rhum produit à partir de mélasse). La recette originelle évolue au XXe siècle, lorsque le tafia est remplacé par du rhum et le citron vert est ajouté au mélange. Ainsi est né le mojito connu aujourd’hui, et qui tire son nom du « mojo », une mixture à base de citron initialement destinée à rehausser le goût des aliments. Très apprécié par Ernest Hemingway lorsqu’il vivait à Cuba entre 1939 et 1960, le mojito est devenu à partir de 1920 un véritable emblème de la culture cubaine. Le rhum est aujourd’hui l’un des principaux produits d’exportation de l’économie de Cuba (et oui, rien que ça !)
Le meilleur cocktail de tous les temps. Arrêtons tous les débats. C’est tout pour moi. Fin.

Disclaimer : L’alcool est à consommer avec modération.

Deuxième disclaimer : L’étude très poussée que j’ai menée pour dégotter les meilleurs cocktails a été réalisée principalement au Bar du Marché, 16 Boulevard Richard-Lenoir, 75011 Paris.

Troisième disclaimer (oui, j’abuse) : Je n’aime pas le goût de la noix de coco associé à un alcool, ce qui explique l’absence de certains cocktails, telle que la piña colada, sorry…

Flora Fief

Coeur de pierre: la rubrique des statues grecques. La Vénus d’Arles

Découverte et réception


Ce nom de « Vénus d’Arles » vient du fait qu’elle a été retrouvée à Arles en juin 1651, lors du commencement des fouilles des vestiges romains, et de manière assez fortuite, elle a en effet été retrouvée près de la citerne d’une maison moderne. L’hypothèse la plus vraisemblable affirme que cette statue fait partie d’un programme iconographique destiné à décorer le théâtre antique d’Arles. La Vénus serait issue de la décoration du postscaenium, un grand mur, comportant trois étages de colonnes, servant de mur entre l’estrade de la scène et les coulisses afin de cacher ces dernières. Ce mur est sublimé par une importante statuaire inspirée de modèles grecs, notamment des danseuses et des déesses, dirigeant le regard du spectateur vers la statue d’Auguste représenté en Apollon, d’une certaine manière, cette statue pouvait donc avoir une importance, plus ou moins grande selon les hypothèses, pour le culte impérial.


Aussitôt découverte, cette statue connut un immense succès – la France étant le centre mondial de la culture et de toutes les attentions à l’époque de Louis XIV – et fut directement acquise par les Consuls d’Arles. Sa renommée peut s’expliquer du fait de sa nudité, en effet, à l’époque, la présence de sculptures féminines à demi-nues était gage de rareté. L’assemblage des quatre fragments fut entrepris en 1652 par Jean Sautereau. Pendant longtemps, cette statue occupa plusieurs places successives dans la ville provençale, la plus connue étant sans doute la tour de l’Horloge, près de l’escalier d’honneur de l’hôtel de ville. C’est de cette exposition dans la ville que naît chez certains poètes l’idée d’une noblesse romaine arlésienne de laquelle descendraient les habitants, cette thèse sera par ailleurs reprise par des écrivains, comme Frédéric Mistral. Jaloux de son succès auprès de la cour européenne, Louis XIV décida par un décret de la faire venir à Versailles afin que cette dernière puisse décorer la galerie des Glaces au même titre que la Diane de Versailles. C’est donc ensemble que ces statues entrent au Louvre en 1798.

Raphaël Papion

Description et analyse


La statue en pied, plus grande que nature, représente une jeune femme à demi-vêtue d’un manteau ceinturé aux hanches. Par bien des aspects elle rappelle le travail de Praxitèle, à qui l’on prête l’original associé. Son attitude souple et l’impression de balancement créée par le contrapposto ne sont pas sans évoquer les recherches du sculpteur du second classicisme (370-323 av. J.-C.) visibles sur l’Apollon Sauroctone. La composition est savamment animée par les bras, visiblement relevés, et par la tête tournée vers la gauche. Les plis variés de l’himation qui se répondent à un rythme mathématique y contribuent également et sont des traces évidentes du classicisme, et plus particulièrement du IVe siècle comme nous l’indique la retombée en cascade du drapé le long de la jambe portante. Le manteau épais, profondément recreusé au niveau de ses hanches, contraste avec la peau lisse et les courbes douces de la déesse. Sa poitrine menue est également un trait fréquent chez Praxitèle. L’écart entre les pieds et le léger déséquilibre quant à eux provoquent une oblique dans les plis du manteau en mouvement qui s’oppose à celle décrite par les bras, mettant ainsi en avant l’objet tenu dans sa main gauche.

L’étude de son visage semble confirmer la parenté avec une oeuvre de Praxitèle; androgyne, le front triangulaire, la paupière inférieure estompée, les lèvres charnues. Notre Vénus d’Arles présente une grande similarité avec la tête féminine du type Aphrodite de Cnide du Louvre exposée à côté. Ses mèches ondulées sont ramenées en un chignon à l’arrière du crâne, tandis qu’au niveau de ses tempes certaines ont été repiquées autour du bandeau, créant un léger bourrelet. Ses oreilles ne sont pas percées, contrairement à certaines statues de marbre, en revanche un trou au centre de son bandeau laisse supposer qu’un bijou était rapporté. De même, elle est parée d’un bracelet au bras gauche, dont le chaton vide était peut-être autrefois orné d’une pierre.

La remise en question de l’attribution à Praxitèle par Ridgway, qui la pense faite «à la manière de» Praxitèle à l’époque augustéenne, est réfutée par nombre de chercheurs, dont Alain Pasquier.

Enfin nous pouvons observer diverses traces de mutilations et de restaurations (cou, épaule droite, omoplate gauche, avant-bras, fragment de ruban) et de systèmes de maintien (tenons à la hanche droite et trou de crampon au niveau des reins, sous le bourrelet du manteau). Ceux-ci nous indiquent que la statue était destinée à être vue de face. D’ailleurs en observant la statue de dos nous notons que le bas du manteau n’est que grossièrement sculpté, à peine dégagé du bloc de marbre, liée au lieu où elle était disposée.

Lilou Feuilloley

La restauration

Arrivée à Paris en 1684, la Vénus d’Arles fut confiée à François Girardon (1628-1715), le bien connu sculpteur du Roi-Soleil. L’œuvre, notamment amputée de son bras droit ainsi que de son avant-bras gauche devait, comme c’était alors l’usage, être restaurée afin d’être exposée dans la Grande Galerie de Versailles. Cette statue de femme faisait alors débat : qui représente-t-elle donc ? Selon certains, il s’agissait de Diane, pour d’autres, elle représentait Vénus bien sûr. Louis XIV acquiesce lorsque F. Girardon lui présente un modèle en cire de son projet de restauration en Aphrodite. Celui-ci l’a donc dotée d’attributs, ne laissant plus de doute quant à la divinité qu’elle était censée représenter : une pomme, allusion au jugement de Pâris, et un miroir pour la belle déesse. Cependant, le travail accompli par le sculpteur du roi n’a pas nécessairement été très bien reçu. En effet, dès 1759, il est affirmé qu’il aurait été bien incongru pour les Anciens de doter leur œuvre de deux attributs, d’autant plus s’il s’agit d’Aphrodite dont l’attribut principal est finalement son corps même. Mais ce qui provoqua la véritable controverse fut la découverte, en 1911, par Jules Formigé, architecte et archéologue originaire d’Arles, d’un moulage de la sculpture avant sa restauration par Girardon. Les différences entre le plâtre et le marbre ont rendu ce dernier coupable d’avoir « dénaturé » la statue. Car si le moulage a été réalisé avant restauration, il semble bien naturel qu’il soit fidèle à l’œuvre en marbre. Pourtant, l’affaire est plus complexe. Effectivement, fiers de cette découverte, les Arlésiens ont exposé le moulage à l’hôtel de ville, mais celui-ci aurait été endommagé à diverses reprises. Plusieurs problématiques se posent alors : par exemple, Girardon a procédé à quelques retouches de telle sorte que le genou de l’oeuvre en marbre est moins saillant à travers le drapé qu’il ne l’était au moment de la mise au jour, à tel point que le moulage retrouvé par Furmigé paraît pour le coup plus fidèle à l’original.

Mais, comme pour une autre Vénus bien célèbre, c’est la position des bras et les attributs (certains ont proposé une Vénus en armes) qui ont probablement causé le plus de discussions. S’il s’avère que la position de l’avant-bras gauche est assez juste, en revanche, le bras droit – dont beaucoup l’auraient placé plus haut, la main droite ramenée vers la chevelure ou bien en direction de l’épaule versant un petit vase d’eau – était en fait à l’origine plus bas, comme l’indique un tenon qui était logé sur la hanche droite. C’est d’ailleurs ce tenon qui a poussé le restaurateur à diminuer la largeur des hanches de la déesse afin qu’il ne soit plus visible. Cela lui valu quelques critiques, comme pour le tenon antique de l’épaule droite qu’il a transformé en petit ruban. Par ailleurs, la position de la tête diffère entre le moulage et l’œuvre. Elle aurait été mise de telle sorte que la déesse se contemplait dans le miroir dont elle a été pourvue au XVIIe siècle.

En somme, si la restauration effectuée par François Girardon a été contestée, il n’en reste pas moins que la Vénus d’Arles, sans doute moins fidèle à l’original qu’elle ne l’a été, demeure tout à fait harmonieuse. Le sculpteur a bien accompli sa mission : restaurer un antique afin de le rendre digne de figurer parmi les chefs-d’oeuvre d’un roi qui se souciait davantage de la renaissance d’un âge d’or que de recherches archéologiques, et ce notamment en faisant revivre des sculptures qui étaient restées ensevelies pendant des années.

Le cas de la Vénus d’Arles est ainsi singulièrement intéressant puisqu’il pousse à comprendre l’histoire et les enjeux de restauration spécifiques aux différentes époques. Dans ce contexte, il est donc bien compréhensible qu’à son arrivée au musée du Louvre la Vénus de Milo, laissée presque telle quelle, ait eu du mal à trouver sa place parmi toutes ces œuvres restaurées !

Lyse Debard

Sources :
– PASQUIER Alain, MARTINEZ Jean-Luc, 100 chefs-d’oeuvre de la sculpture grecque au Louvre, Musée du Louvre, Département des antiquités grecques, étrusques et romaines, Paris, Somogy éditions d’art : Musée du Louvre éditions, 2007
– MICHON Étienne, « La Vénus d’Arles et sa restauration par Girardon », Monuments et mémoires publiés par l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Fondation Eugène Piot, 21, 1913
– MILOVANOVIC Nicolas, MARAL Alexandre, Versailles et l’Antique, catalogue d’exposition (Versailles, Musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, du 13 novembre 2012 au 17 mars 2013), Paris, Artlys, 2012

Les raisons pour lesquelles notre cœur fond :

« Lorsque je regarde la Vénus d’Arles, je ne peux m’empêcher de penser à toute la douceur qu’elle dégage, les bras et les épaules sont particulièrement doux. La volupté du buste s’additionne avec la délicatesse sculpturale du ventre. Finalement le mouvement s’effectue avec le drapé. Pris dans son avant-bras gauche, celui-ci dessine de grandes obliques traversant le jeu de jambes de la copie romaine attribuée à Praxitèle. Les plis forment une longue succession de cannelures descendant vers les pieds que le drapé laisse le soin de légèrement découvrir. Je suis particulièrement émerveillé par les drapés de sa jambe gauche, le rabat du vêtement vient se traduire par une chute de plis travaillés au foret. Enfin, la longue plage de calme au-dessus du relief du genou droit vient achever ce délicieux mélange de volupté et de sérénité. Pour ce qui est du visage, celui-ci respecte les codes très appréciés par les Grecs à cette époque puis par les Romains. Finalement comment ne pas les comprendre, la rectitude du nez, les yeux en amande, les lèvres fines et délicates, tous ces éléments sont de véritables bonbons pour les yeux. »

Raphaël Papion

« Ma vue favorite de la Vénus d’Arles est celle de son dos. Paradoxalement, c’est en observant ce que les Romains et Gaulois n’étaient pas destinés à voir que nous pouvons saisir l’histoire et la force de cette Aphrodite: le bloc de marbre initial qui se devine à ses pieds, le drapé glissant le long de ses hanches, la posture sinueuse et l’extrême douceur praxitéliennes, les marques de restauration et de mutilations qui laissent entrevoir le marbre brillant, ou encore la coiffure élégante. Même la question des attributs divins se trouve ajustée car nous ne sommes plus influencés par les attributs restitués: de dos elle permet à toutes les hypothèses (miroir, peigne, casque, pomme) de coexister. »

Lilou Feuilloley

L’aparté scientifique : la pomme

Pour cette reprise de la rubrique de l’aparté scientifique, quoi de mieux que de suivre le thème sucré, en l’associant à un peu de biologie grâce aux pommes. Fruit suprême de mon alimentation, j’en consomme à toutes les sauces ayant été matrixée par le proverbe “an apple a day keeps the doctor away”. 

Mais ce dicton fut démenti par l’étude faite sur un échantillon de 8728 individus et publiée en 2015 dans la revue médicale JAMA, qui stipule (et je cite en traduisant directement) ”qu’il n’y a pas de preuves démontrant que la consommation d’une pomme par jour a un lien direct avec le fait de ne pas consulter un médecin, mais que les adultes états-uniens mangeant une pomme par jour ont tendance à moins utiliser de substances médicamenteuses ». Mais heureusement, je suis là pour redorer l’image de ce fruit (j’espère le faire rougir au passage), car bien qu’il ne nous empêche pas d’aller chez un médecin, il conserve des bienfaits indéniables, dont… la réduction des crises cardiaques ! En vérité il s’agit de l’ensemble des fruits et légumes à chair blanche, mais la pomme est incluse dedans donc je me permets des raccourcis, et en profite pour en faire un article.

D’abord, un peu d’histoire. C’est une espèce qui existe depuis plus de cinquante millions d’années, dans la région du Kazakhstan, mais elle se diffuse peu à peu, jusqu’à arriver en Europe où elle finit par être cultivée au Néolithique. Plusieurs écrivains de l’Antiquité en parlent, dont Caton et Pline l’Ancien.

Disons le clairement, la pomme part plutôt mal dans la vie : pomme de la discorde pour les Grecs, associée au fruit de la connaissance du bien et du mal chez les chrétiens, elle finit même par porter sa réputation dans le nom scientifique de l’espèce, Malus. Mais loin de se laisser abattre, elle fait fi de sa forme en sphère et peut être vue comme une référence érotique. Les poètes antiques en tirent grandement parti… Et oui, comment Dionysos aurait-il pécho Aphrodite sans pomme ? 

Maintenant, ça se complique: la pomme n’est pas un vrai fruit. Non non, c’est un “faux-fruit”, c’est-à-dire qu’il est constitué d’autres organes que l’ovaire. C’est une différence qui se développe au moment où l’ovaire est fécondée et qu’elle se transforme peu à peu en graine : un faux-fruit intègre d’autres parties de la fleur que l’ovaire, comme le pédoncule, alors que le vrai fruit ne se forme qu’à partir de l’ovaire.

Venons-en aux bienfaits des pommes : en plus d’être succulente, la pomme est riche en vitamine C, ce qui fait qu’elle joue sur le métabolisme du fer (adieu l’anémie), mais c’est aussi une vitamine utilisée pour la synthèse de collagène (adieu les rides), et qui contribue au bon fonctionnement du système immunitaire (on ne dit pas adieu au rhume, il est juste moins chiant). En plus de cela, associée à de la pectine et d’autres agents anti-oxydants que la pomme contient, la vitamine C réduit la croissance des cellules cancéreuses du foie et du côlon, selon une étude de l’université Cornell. 

Alors certes, ça n’est pas un médicament et certaines études restent à confirmer, mais ça vaut le coup de rajouter une pomme à son petit déjeuner! (mais évitez quand même de faire un smoothie de pépins de pomme, c’est du cyanure).

Sources

  • Davis MA, Bynum JPW, Sirovich BE. Association Between Apple Consumption and Physician Visits: Appealing the Conventional Wisdom That an Apple a Day Keeps the Doctor Away. JAMA Intern Med. 2015;175(5):777–783. doi:10.1001/jamainternmed.2014.5466
  • Linda M. Oude Griep, W. M. Monique Verschuren, Daan Kromhout, Marga C. Ocké, Johanna M. Geleijnse. Colors of Fruit and Vegetables and 10-Year Incidence of Stroke. Stroke, 2011; DOI: 10.1161/STROKEAHA.110.611152
  • Fruit and it’s types (biologydiscussion.com)
  • La page Wikipedia sur la pomme, j’assume.

Jo

Bons plans pour étudiant

Les courses sur Paris, c’est très vite cher, et on en arrive rapidement à une routine pâtes / riz pour le repas. Alors, il est difficile de ne pas avoir envie de déguster un bon tacos triple viande ou de se préparer de bonnes grillades dans un grill coréen. « Mais quel trou dans le budget ça me ferait ! », pense l’étudiant ignorant. « Existe-t-il une solution à mon problème ? » Et bien oui ! Cette solution s’appelle TooGood ToGo (on n’est même pas payé pour dire ça !), une appli gratuite sur ton téléphone qui te permet de racheter les invendus de tes restaurants parisiens préférés, et ça pour une modique somme de quatre euros en moyenne pour un plat qui coûterait douze euros ! Après ton achat, tu ramènes ton plat chez toi et tu te régales. Alors il est clair que pour certains, quatre euros ça peut déjà être un budget, mais ça amortit déjà ton petit plaisir hebdomadaire. De plus, en rachetant les invendus, tu aides la planète (si c’est pas beau tout ça). C’est aussi valable pour tes courses au supermarché, tes achats à la boulangerie… Bref, dans tous les commerces alimentaires près de chez toi.

« Bon, c’est bien sympa de pouvoir manger pour moins cher, mais quid de ma sociabilité ? Suis-je destiné à rester manger chez moi tous les repas en tant qu’étudiant fantastique (j’étudie à l’EDL) ? » se questionne à nouveau l’étudiant ignorant. Et bien non, rien ne t’oblige à rester chez toi et tu peux aller manger avec tes amis dehors si tu le souhaites, dans la pizza la moins chère de Paris ! Pour la modeste somme de six euros, tu peux aller manger chez Brooklyn Pizzeria une superbe Margherita cuite au feu de bois. Tu souhaites emmener ton date au restaurant, mais tu es en galère parce que c’est la fin du mois ? Invite le/la chez Brooklyn Pizzeria ! Six euros pour une pizza cuite au feu de bois, à déguster en terrasse entre amis, ça ne peut que te faire du bien (et pendant un instant tu ne penseras plus aux milliers de noms propres à apprendre pour Ariane Thomas). Alors, si tu as une petite faim et que tu veux profiter du beau temps, rendez-vous au 33 Boulevard Beaumarchais.

Tu saupoudreras ta vie de po’aimes

Mielleuse, fruitée, acidulée, la parole poétique nous fait voyager au milieu des saveurs sucrées. Convoquant des symboles très différents, jouant sur le sens des mots, conjuguant nos différents sens : toutes les excuses sont bonnes pour contempler un monde au goût sucré !

La satire à la sauce aigre-douce
« Au lecteur », Les Regrets, Du Bellay (d’après la traduction Livres de Poche) : « Ce petit livre, lecteur, que nous te donnons maintenant, a un arrière-goût composite : celui du fiel, en même temps que celui du miel et du sel. »

A tout réquisitoire salé contre la société, à toute indignation, et donc à tout fiel, il faudrait ajouter un peu de miel d’après Du Bellay. Bien qu’il soit surtout connu pour ses élégies (seum et amertume), le poète a bien précédé Molière dans la critique de l’hypocrisie des courtisans (ici, de la cour pontificale romaine). Quoi de plus ironique que de mimer les manières mielleuses de ces personnages qui cherchent à « Seigneuriser chacun d’un baisement de main » ? Au fiel de la colère de Du Bellay contre le luxueux train de vie que mènent les courtisans, se mêlent d’une part d’autres registres (tout n’est pas vindicatif) et d’autre part un peu d’ironie douce-amère.

Rimbaud, Poésies, II : « Ce qu’on dit au poète à propos des fleurs » : « Oui, vos bavures de pipeaux / Font de précieuses glucoses ! » IV. « Ton quatrain plonge aux bois sanglants / Et revient proposer aux Hommes / Divers sujets de sucres blancs, / De pectoraires et de gommes ! »

Rimbaud s’érige contre tout ce qui est « fadasse », trop convenu, doucereux et univoque. C’est grâce à ce dieu de la poésie qui a su trouver la Beauté – cet idéal éthéré, écœurant et glucoseux – « amère » (Une Saison en enfer) que les poètes ont abandonné les poèmes-barbapapa pour des trucs un peu laids, un peu trash, un peu… ancrés dans le réel finalement ? (Bon d’accord, Baudelaire avait déjà bien déblayé le chemin).

Abondance, fertilité, érotisme : le sucre, que de promesses !
Exode 33, 1 – 3 : « Le Seigneur parla à Moïse : « Va, toi et le peuple que tu as fait monter du pays d’Egypte, monte d’ici vers la terre que j’ai juré de donner […]. Monte vers une terre ruisselant de lait et de miel. » (source : aelf.com)

Le miel et le lait évoquent ici ce qui est agréable, doux, mais aussi précieux. Pour qu’il y ait lait et miel, il faut qu’il y ait alliance entre la nature et l’homme, et donc harmonie et paix. Là où ça devient intéressant, c’est lorsque certains commentateurs rapprochent le lait et le miel des fluides corporels, et donc de la fertilité – quel que soit le sexe. Cette image biblique archi-connue aurait-elle un sens caché érotique ?

Verlaine, Jadis et naguère, « Luxures » : « Chair ! ô seul fruit mordu des vergers d’ici-bas, / Fruit amer et sucré qui jutes aux dents seules / Des affamés du seul amour, bouches ou gueules, / Et bon dessert des forts, et leurs joyeux repas »

Ce poème suggère que des amoureux ont faim l’un de l’autre, ce qui renvoie à plein d’expressions (comme « se dévorer du regard »), à des images poétiques (la bouche de l’être aimé devient coupe à laquelle on vient boire), mais aussi au sémantisme du sucré, puisque le sucre et l’amour partagent plein de points communs (la douceur, le fait d’être addictif…). Cette richesse sémantique fait que ces quelques vers cités peuvent être lus de plein de façons différentes (littéraire, romantique, érotique…).

Une douceur trompeuse
Si l’amour et le sucre, par leur chair, leur sucre et leur jus identiques, sont un seul et même fruit, alors ils ont aussi en partage l’a mertume et la tromperie (le même vers dans le fruit que les manières mielleuses des courtisans à la cour pontificale selon Du Bell ay !), d’où l’expression « faire sa sucrée » employée par le même Verlaine dans « Femme et chatte » (section « Caprices », Poèmes saturniens) pour inciter le lecteur à se méfier autant de la femme que de la chatte, toutes deux « rentr[an]t [leur] griffe acérée ».

Le sucre est ainsi associé à l’amour trompeur à cause de son côté séducteur. C’est ce qui incite Ronsard dans une de ses Chansons à multiplier les qualificatifs se référant à son amante, quitte à se contredire tant l’ambiguïté est grande : d’ « angelette », la femme aimée devient « Toute ma petite malice », et ce, au prisme d’une comparaison avec des aliments sucrés – le miel et la réglisse –… Méfiance, donc ! Chez les poètes, le sucre, élément lyrique par excellence si l’on se réfère au livre de l’Exode ou même au poème « Luxures » de Verlaine, a donc autant une connotation positive que négative. S’il peut se manger, il ne rassasie pas, et s’il soulage et apaise, cela n’est pas sans risque d’assujettissement. C’est pourquoi, dans un seul et même vers, dans une seule et même chevelure, Baudelaire réunit « l’odeur du tabac mêlée à l’opium et au sucre » (« Un hémisphère dans une chevelure », Le Spleen de Paris). Quelle fragrance complexe !

Offrir des « mosaïques de gâteaux »
Et pourtant ! Les poètes ne se lassent pas de ces comparaisons (trop abondantes pour être toutes citées ici !) parce que justement, il y a ambivalence, nuance et contradiction. Même dans les satires les plus vindicatives et même dans les éloges les plus dithyrambiques, du fait de la richesse de ce sémantisme commun, une once d’ambiguïté demeure… C’est ce dont on peut s’apercevoir dans le réquisitoire contre le sucre de Tholomyès (Les Misérables, VII) – je me permets de le citer tant le lyrisme est, comme toujours chez Totor, incommensurablement poétique – : « Tu es faite pour recevoir la pomme comme Vénus ou pour la manger comme Eve » et « Vous n’avez qu’un tort, ô femmes, c’est de grignoter du sucre. O sexe rongeur, tes jolies petites dents blanches adorent le sucre. ». Peut-être peut-on opposer les verbes « recevoir » et « manger » et au contraire, assimiler « rongeur » à « adorent ». Il y aurait deux conceptions du sucré (et de l’amour !) qui s’opposeraient : celle consommatrice (qui donne lieu à l’addiction comme on l’a déjà vu) et celle du don désintéressé, qui porte des fruits. C’est donc un problème de réception-consommation qui nous occupe !

Victor Hugo, Les chansons des rues et des bois, « Fêtes de village en plein air » : « La bière mousse, et les plateaux / Offrent aux dents pleines de rire / Des mosaïques de gâteaux. »

Par ailleurs, cette autre image pittoresque hugolienne nous fait observer combien le sucre joue un rôle social. Qui n’offrirait pas une part de gâteau à ses invités lors d’un anniversaire ? Il semble que le sucre soit un incontournable des rassemblements joyeux. Difficile de le proscrire à tout jamais sans passer pour un trouble-fête…

Ivresse poétique et orgie de sucre !
Jean-Baptiste Clément, « Le temps des cerises » : « Quand nous chanterons le temps des cerises, / Et gai rossignol et merle moqueur / Seront tous en fête ! / Les belles auront la folie en tête / Et les amoureux le soleil au cœur ! »

Les aliments sucrés, parce qu’ils ne nourrissent ni n’abreuvent le gourmand insatiable, donnent lieu à de véritables festins, à une consommation démesurée… Le sucre lors des fêtes abroge les limites et restrictions ! Dans le cas du « Temps des cerises », il symbolise en plus l’insouciance : les cerises des temps idylliques deviennent semblables aux taches de sang des temps de guerre lorsqu’il n’est plus temps de les cueillir. On a donc, avec le sucre, une morale plutôt horatienne et épicurienne (Carpe diem, etc.).

Si l’on pense en termes de boissons, le lecteur peut être invité à une bacchanale poétique[1], d’autant plus que le vin a été perçu dans de nombreuses civilisations comme un symbole de vie, d’éternité, de jeunesse et de renouveau. On pourrait là encore citer Rimbaud (« Le bateau ivre »), Baudelaire (« Enivrez-vous ») ou Verlaine (« Il Baccio »), mais pour varier un peu… voici un extrait de l’œuvre Rubaiyat (c’est-à-dire « quatrains ») d’Omar Khayyâm, un poète perse du XIIe siècle : « Bois du vin… c’est lui la vie éternelle, / C’est le trésor qui t’es resté des jours de ta jeunesse : / La saison des roses et du vin, et des compagnons ivres ! / Sois heureux un instant, cet instant c’est ta vie. ».

En bref : les poètes vous recommandent les mets sucrés à condition de les recevoir et non de vous les procurer vous-mêmes pour une consommation purement égoïste. De fait, le sucre est quelque chose de social, il se partage dans les moments festifs. Il n’en n’est pas moins un fameux séducteur, plein de promesses en ce qui concerne l’amour, l’extase, le renouveau, l’insouciance, etc., mais en ce qui concerne la liberté, la sincérité et la santé… Néanmoins, si vous aimez le sucré, l’amour et la poésie, saupoudrez donc votre vie de po’aimes et jetez-vous corps et âmes dans des expériences lyriques à base de sucre, vous vivrez certainement des choses ahurissantes (n’hésitez pas à contacter la rédac’ pour nous faire part de vos témoignages à ce propos) !

Blandine

[1] Si vous aussi voulez être ivres de poésie, je vous recommande la série de podcasts de France Culture sur le sujet.