Début mars 2008. Les jours rallongent, les nuages parsèment le ciel bleu et enfin vos parents vous autorisent de nouveau à faire une balade en forêt. De septembre à février, vous avez été un petit lion en cage dans votre jardin par peur qu’on vous prenne pour une biche. Les chasseurs n’ont apparemment pas les yeux en face des trous, c’est ce qu’on vous a dit. Qu’importe, ENFIN, vous voilà de retour dans votre salle de jeu préférée ! Mais pour cette escapade encadrée, on vous a fait revêtir le top du top du vêtement de sport, de la tenue de baroudeur, laissez-moi vous remémorer cela…
Tout d’abord, papa et maman tiennent à ce que vous n’ayez jamais froid. Le maillot de corps associé à deux t-shirts, un gilet, une polaire et un k-way me semblait amplement suffisant mais il fallait toutefois y ajouter une écharpe, un gros bonnet et des gants. J’aurais dû laisser ces accessoires superflus dans les arbres pour faire un cadeau aux écureuils mais mes parents n’auraient pas été de cet avis. Enquiquinantes toutes ces couches lorsqu’on a six ans.
Mais le saviez-vous ? Le t-shirt a longtemps été un sous-vêtement, au même titre que le marcel qui tient son nom de Marcel Eisenberg, propriétaire d’une bonneterie et qui commercialisa et industrialisa la production de cette forme de sous-vêtement près du corps sans manche. Ce n’est qu’à partir des années 50 que le t-shirt et le débardeur deviennent visibles. De nombreux films les démocratisent comme Un tramway nommé Désir (1951) dans lequel Marlon Brando porte uniquement un t-shirt très moulant mettant en valeur ses muscles d’ouvrier. Mais passons, nous n’étions pas encore intéressés par tout cela à l’époque de notre balade forestière.
Pour affronter le froid et la pluie, j’avais ce k-way rose poudré d’une élégance rare. Il me manque souvent lorsque je repense à sa petite capuche et son intérieur doublé d’une polaire violette… Ainsi, vous n’ignorez sans doute pas que la matière appelée “polaire” a été inventée par l’entreprise Malden Mills comme une alternative synthétique à la laine. Au début des années 60, l’entreprise norvégienne Helly Hansen imagine la fiber pile à l’aspect pelucheux, qui cherche à atteindre chaleur et respirabilité. Puis Polartec récupère l’idée et la perfectionne en créant un tissu double face très efficace contre les basses températures et l’humidité, polar fleece. En effet, les marins et les alpinistes étaient les plus concernés par cette invention innovante.
Je me rappelle aussi que ce qui me fascinait petite était le fait que les polaires soient souvent réalisées à partir de bouteilles de plastique recyclées ! J’avais une pensée pour ce vêtement à chaque gorgée de Volvic que je prenais. La marque Polartec a commencé à recycler dès 1993, avant même que le réchauffement climatique ne soit un sujet d’actualité. Plus de 1,8 milliard de bouteilles plastiques ont été recyclées depuis. Cependant les polaires continuent de polluer les mers comme tout vêtement synthétique : les microplastiques qui s’en échappent modifient le comportement de certaines larves de poissons qui préfèrent les déguster plutôt que d’ingérer du plancton…
Poursuivons notre route. Pour affronter le sol humide et accidenté de la forêt, mieux vaut avoir de solides chaussures. Cette fois-ci vous avez eu davantage votre mot à dire dans le choix de vos souliers et vous avez jeté votre dévolu sur des baskets “à scratch”. Cette invention merveilleuse permettant de fuir le plus longtemps possible l’apprentissage du nouage des lacets…
Mais d’où vient cette ingénieuse création ? Ce qu’on appelle la “fermeture autogrippante” a été conçue en 1941 par le suisse George de Mestral. Il s’est inspiré d’un phénomène naturel fascinant, les graines de bardane qui s’accrochaient aux poils de son chien. Vous savez, ce sont ces petites graines portant des centaines de minuscules crochets et qui s’attachent alors à tout ce qui a une “boucle” ! Elles se sont certainement déjà accrochées à votre polaire ou votre pull lors d’une promenade dans la nature.
Son invention convint difficilement au départ, l’industrie du textile ne trouvant cela pas si pratique et surtout peu esthétique. Il dépose cependant plusieurs brevets à partir de 1951 et dans les années 60, le Velcro (la marque de de Mestral) prend son envol avec des créations futuristes comme celles de Paco Rabanne (récemment disparu), Pierre Cardin et André Courrèges. Le véritable moment de gloire advient lorsque les attaches de Velcro servent aux combinaisons et sacs de collecte d’échantillons des missions du programme Apollo de 1969 à 1972 : eh oui, le velcro a mis un pied sur la Lune ! Aujourd’hui il est employé dans de nombreux vêtements pour enfants mais aussi des tenues de sport comme le ski ou la plongée et fait même partie intégrante de disciplines comme le rugby foulard, le flag football ou le Velcro jumping. Des vidéos fascinantes vous montreront que cette activité sportive consiste à se jeter sur une structure gonflable recouverte de boucles avec une tenue portant des petits crochets !
Enfin, comme nous grandissions bien vite, il n’était pas rare que nos vêtements aient déjà eu une vie avant nous. On récupérait les habits de la grande cousine, de la fille des amis, de la petite-fille des voisins de la grand-mère… Quand j’y pense on était vachement en avance sur la mode actuelle des friperies, j’aurais pu finir influenceuse à la Clara Victoria…
D’ailleurs la fripe ça existe depuis quand ? Difficile de le dire mais il est prouvé que depuis des siècles, les vêtements se transmettent de génération en génération tout en s’adaptant aux tendances des époques pour une question de budget. Si aujourd’hui cela n’est plus réellement possible, c’est en raison de la qualité moindre des textiles qui s’usent trop vite. Ainsi si vous fouillez les greniers de vos grand-parents, il est possible de retrouver des costumes du début du XIXème siècle transformés en déguisements pour enfant du début du XXème par exemple.
On sait que dès le Moyen Âge, un marché de la fripe se développe. Les artisans et les bourgeois se fournissaient fréquemment chez un fripier pour obtenir un vêtement déjà porté mais toujours en bon état. Mais l’une des grandes époques de la fripe est la première moitié du XIXème siècle. A Paris, c’est au Carreau du Temple, de 1809 à 1865 que la plus grande plaque tournante du vieux linge se déroule. Ce marché est divisé en quatre grands carrés :
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Le carré du Palais Royal qui était le plus cossu (on y trouvait tapis, soieries, rubans, gants, plumes et articles à la mode). Tout le monde s’y rendait et les mondes se croisaient : bourgeoises économes, grisettes pour leur robe du dimanche, grandes dames voilées venant acheter un châle cachemire peu coûteux…
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Le carré de Flore pour le linge de maison.
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Le carré du Pou-volant pour la ferraille et les friperies pour les plus modestes.
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Le carré de la Forêt-Noire pour le cuir.
Et ce n’est pas tout, il y avait aussi des revendeuses spécialisées qui faisaient du porte-à-porte pour revendre ou louer du linge déjà utilisé : il s’agissait des revendeuses à la toilette (travaillant dans l’illégalité) et des marchandes à la toilette (qui elles payaient un impôt, une patente). Elles étaient réputées pour leur bagout, qu’elles manipulaient très bien pour vendre : elles faisaient crédit, déballaient moult mensonges sur leurs produits… En outre, à l’époque, on ne jetait rien, tout se recyclait. Les chiffonniers récupéraient les vêtements les plus usés et les revendaient à des usines de pâte à papier. Cependant dans la seconde moitié du siècle, avec les normes hygiénistes et la peur des microbes, mais aussi la démocratisation de la confection, le marché de la fripe à Paris se réduisit considérablement. Cela perdura au XXème siècle et encore aujourd’hui bien que la mode du vintage et des boutiques de seconde main permette une petite renaissance de ce phénomène et mode de consommation.
Ainsi s’achève ce passage en revue de notre garde-robe d’enfance lors des sorties en forêt. J’aimerais retourner vivre ces moments d’innocence mais désormais plus libre qu’à l’époque. Je pourrais profiter de la petite clairière dans laquelle j’installais une table de pique-nique faite de rondins et d’une nappe de mousse à l’attention des écureuils. Je disposais des glands dans des soucoupes d’écorce en espérant qu’ils passeraient un bon festin en mon absence.
Mathilde Bailly
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