Pour commencer cette nouvelle année scolaire, nous vous présentons l’interview de la fondatrice de la galerie de dessin dHD située au cœur de Paris, dans le premier arrondissement, au 19 rue Jean-Jacques Rousseau. Une lecture qui, nous l’espérons, vous donnera envie d’en découvrir plus sur place…
Pouvez-vous vous présenter et nous parler de votre galerie ?
Je m’appelle Camille Nagel et je suis la directrice et fondatrice de la galerie dHD ouverte en 2022. La galerie est spécialisée dans deux domaines artistiques auxquels je tiens particulièrement : le dessin et l’hyperdessin, d’où sont tirés le nom de la galerie : dHD (dessin Hyperdessin).
Lorsque j’ai ouvert cet espace, je souhaitais que ce dernier se démarque des galeries white cube et aseptisées où peu d’œuvres sont exposées et qui sont des lieux facilement intimidants pour les visiteurs. La galerie est par conséquent conçue comme un appartement dans le but de créer un espace plus chaleureux et convivial, à découvrir à condition de dépasser la demande de rendez-vous…
Dans le concept de la galerie, la scénographie a tout de suite été un point important pour moi. Comme je désirais que l’art investisse tout l’espace, j’ai fait le choix d’éléments de mobilier modulables, pour éviter par exemple de pas avoir à faire de trous dans les murs et pour que les objets exposés soient facilement déplaçables. Même la table est un support d’exposition. Ainsi les convives, lors des cocktails et des dîners, mangent au-dessus des œuvres et sont bien plus immergés dans l’art du dessin. Enfin, je souhaitais que l’accrochage permette d’exposer des dessins non encadrés, pour mettre en avant le dessin lui-même. J’estime que le cadre est un choix personnel qui revient au collectionneur.
L’hyperdessin se réfère-t-il au format de l’œuvre ? Pouvez-vous nous expliquer de quoi il s’agit ?
L’hyperdessin regroupe toutes les formes imaginables du dessin contemporain. Ces possibilités peuvent s’exprimer dans le format, le support et ce que l’artiste souhaite dire par la technique du dessin.
A la galerie nous avons donc du dessin sur feuille « classique », mais aussi du dessin brodé sur abat-jour par exemple, réalisé par Audrey Pol qui a créé sa propre marque « Lou de Pray ». Cette œuvre entre, à mon avis, parfaitement dans le domaine du dessin car c’est souvent par la ligne que le spectateur découvre ce médium et elle est ici un élément dominant. Nous exposons également du croquis brodé réalisé par Stéphanie Cazaentre. Pour réaliser cette œuvre, l’artiste se place deux heures dans un même espace pour laisser son inspiration s’exprimer à travers la broderie. Lorsque les deux heures imparties sont écoulées, quel que soit son état d’achèvement, le croquis est terminé et n’est pas retravaillé ultérieurement.
Les matériaux exposés sont également très diversifiés. Nous avons de la céramique florale créée par les sœurs Barlet et du grès dans les sculptures auto-portées d’Alice Rivière, des œuvres qui dans leur rapport à la ligne se rapportent aussi au dessin. En comparaison, la sculpture lumineuse en verre cémenté d’Aurore Bouter est plus proche de la gravure. Certains des objets comportent un caractère plus décoratif comme le papier peint sérigraphié de Delphine Gauly. Nous cherchons à exposer des œuvres uniques en édition limitée et d’autres, plus artisanales, pour démontrer l’omniprésence du dessin dans les productions artistiques. C’est le mot d’ordre de cette galerie.
Quand et comment l’idée de la galerie est-elle née ?
Lors de l’épidémie de la Covid 19 en 2021, j’ai organisé une exposition au Bastille Design Center avec un projet particulier : celui de proposer à trente artistes de mon entourage d’intervenir sur le même support ; une boite en bois. J’aime expérimenter de nouvelles choses avec les artistes et je désirais voir le résultat obtenu à partir d’un format imposé. Les artistes devaient s’emparer de cette boite avec la contrainte que celle-ci devait toujours pouvoir être posée ainsi que s’ouvrir et se fermer. Pourtant la première question que j’ai reçue demandait s’il était possible de la démonter… Ils étaient ravis de pouvoir travailler sur un nouveau projet pendant cette période difficile.
C’est à partir de cette exposition qu’est née l’idée de la galerie. Certains participants étaient déjà des artistes que je souhaitais exposer mais il y avait également des amis et de la famille car l’exposition était un projet beaucoup plus ouvert. J’ai donc ouvert cet espace il y a six mois, en octobre 2022 et la galerie a donc pu participer à la semaine du dessin cette année 2023.
Pouvez-vous nous parler de ce que vous avez mis en place pour cette semaine du dessin (du 20 au 26 mars 2023) ?
La semaine du dessin se retrouve surtout autour de Drawing Now, le salon du dessin contemporain. Il y a une multitude de salons et de foires d’art lors de cette période, notamment le grand salon du dessin à la Bourse de commerce qui est plus axé sur le dessin moderne et également de nombreux petits salons de dessins.
La semaine du dessin se déroule toute l’année dans cette galerie car elle est spécialisée en dessin contemporain dans son champ élargi. Cependant, nous avons tout de même décidé de faire un petit évènement à la galerie pour marquer ce temps fort, avec trois démarches qui vont, en revanche, être renouvelées beaucoup plus régulièrement. Cinq artistes ont investi la première pièce autour du thème « positif-négatif », une démarche très intéressante car pour la première fois, l’accrochage des trois pièces de la galerie n’était pas homogène. Quatre artistes étaient également présents à la galerie en alternance, le vendredi et le samedi. Cela a permis de nombreux échanges avec les visiteurs, qui s’attardaient souvent plus longtemps, probablement grâce au format en appartement de la galerie qui la rend très conviviale. Enfin, nous avons ouvert la galerie en accès libre. En temps normal, celle-ci n’est accessible que sur rendez-vous.
Votre emplacement, qui ne donne pas sur la rue, doit demander un certain travail de communication pour obtenir de la visibilité ?
Bien sûr. Cependant ce qui m’intéresse le plus dans cette situation, c’est que les visiteurs qui osent franchir la porte de la galerie après avoir pris rendez-vous sont curieux et un peu renseignés sur la galerie, ce qui rend l’échange enrichissant.
Avez-vous eu un plus grand impact et une visibilité plus importante grâce à ces évènements de la semaine du dessin ?
Oui, grâce à la présence des artistes. En revanche, ce n’est pas le temps fort de cet évènement parisien qui est le moteur de cette augmentation. Beaucoup de manifestations sont organisées à ce moment-là et les gens sont par conséquent très sollicités. C’est pour cela que je souhaite renouveler plus souvent ces démarches à la galerie et ne pas les limiter à la semaine du dessin.
Pouvez-vous désormais nous parler de vos artistes ? Exposez-vous plus de femmes que d’hommes ? Des artistes étrangers ?
J’expose les œuvres de beaucoup de femmes, de manière bien involontaire. Je ne sais pas si cela est spécifique au médium du dessin et de l’hyperdessin ou si c’est une situation fortuite. Je choisis aussi mes artistes en fonction de ma sensibilité car je suis incapable de défendre et de vendre l’œuvre d’un artiste que je n’apprécie pas. Tous les artistes exposés ici vivent en France depuis longtemps.
Êtes-vous la seule représentation de ces artistes ?
Ils sont pour la plupart d’entre eux des artistes relativement autonomes dans la gestion de leur carrière. Cependant sur la vingtaine d’artistes exposés à la galerie, la moitié dépendent plus de moi concernant leur représentation.
Comment les artistes en viennent-ils à exposer chez vous ?
C’est moi qui les contacte, bien qu’il ait toujours des exceptions. Ils ont d’ailleurs presque tous été contactés en même temps, l’été dernier lors de la création de la galerie. Certains ont répondu très rapidement et nous nous sommes presque tous rencontrés en personne. La plupart était tous très intéressés par le format de la galerie en appartement.
Est-ce vous qui choisissez les œuvres exposées ?
Cela dépend encore une fois des artistes. Pour la moitié d‘entre eux, je vais choisir moi-même dans leurs ateliers, pendant que certains créent des œuvres spécifiques pour la galerie, comme les sculptures lumineuses en verre cémenté d’Aurore Bouter.
Certains artistes sont-ils plus vendus que d’autres ? Quels sont les œuvres qui accrochent le plus les sensibilités selon vous ?
Bien évidemment, le travail de Claire Duplouy plaît beaucoup, avec ses aquarelles très colorées et florales. Les sœurs Barlet également réalisent des céramiques florales qui attirent peut-être plus les visiteurs avec l’arrivée du printemps et de l’été.
Un cliché commun à toutes les galeries d’art est la question des prix, que l’on imagine cachés et surtout exorbitants. Qu’en est-il pour votre galerie ?
Nous avons un grand classeur consultable sur place à la galerie, que j’appelle avec humour « la Bible » : les œuvres, les artistes ainsi que les prix y sont affichés. Toutes ces informations sont également disponibles en ligne. Par ailleurs, commander directement sur internet est possible car j’expédie pratiquement dans le monde entier.
Enfin, la galerie conserve son intérêt à mes yeux si j’arrive à toucher la sensibilité de personnes différentes et même certaines peu sensibilisées au marché de l’art. Je tiens donc à pratiquer des prix abordables, à partir de 90 euros pour les gobelets en céramique des sœurs Barlet, jusqu’à 3 000 euros pour la plus belle pièce, une gravure de Yu Jen-Chih sous le format d’un rouleau de trois mètres de long. Peut-être est-ce aussi une démarche qui me tient à cœur car mes études se sont terminées il y a peu de temps et que j’estime que l’art doit pouvoir être accessible pour tous, même aux étudiants.
Comment décririez-vous une journée type à la galerie ? Voyez-vous beaucoup de monde ?
Oui. Je dirais que c’est cependant plus calme en semaine. Les rendez-vous se font principalement en fin de journée ou pendant le week-end lorsque les visiteurs sont libres. La journée type s’organise principalement sur l’ordinateur pour répondre aux mails et gérer les réseaux sociaux de la galerie.
Quelles sont donc vos missions au sein de la galerie ?
Je m’occupe de tout. L’opérationnel de la galerie est à ma charge, que ce soit le dépoussiérage régulier des œuvres qui est important ou l’accrochage qui change assez régulièrement. Je soumets mes choix scénographiques aux artistes mais je tiens à garder une certaine liberté à cet égard. Je réponds aux mails, m’occupe des réseaux et des photographies des œuvres pour le site, puis je gère la vente, l’expédition et la comptabilité… Un travail de gestion d’entreprise finalement !
Pour finir, pouvez-vous nous présenter votre parcours jusqu’à l’ouverture de la galerie ?
Il est assez classique. J’ai effectué une licence et une première année de master d’Histoire de l’Art à l’université Paris 1. La deuxième année a été terminée à l’Institut Catholique de Paris en partenariat avec l’université de Poitiers sur l’art contemporain et le dessin qui m’ont attirée dès le début. Je trouve que c’est le médium artistique le plus abordable : nous avons tous déjà dessiné dans notre vie (même si je ne pratique pas personnellement). J’ai grandi en Lorraine et mes parents m’emmenaient souvent à Paris visiter les musées. Cependant je n’étais pas du tout passionnée et c’est un intérêt qui est véritablement apparu plus tard.
Après ce master, mon intérêt s’est porté sur la conservation et le monde muséal. J’ai donc commencé une thèse sur l’hyperdessin. Je ne l’ai pas terminée cependant car je me suis rendue compte que changer les mentalités dans les musées sur le concept de l’hyperdessin allait être long. En revanche, le monde du marché de l’art était bien plus ouvert. J’ai donc effectué quelques stages en galerie puis j’ai directement ouvert cet espace pour promouvoir l’idée de dessin contemporain en France.
Un mot de fin pour nos lecteurs ?
« Le dessin est omniprésent et je souhaite qu’il puisse se retrouver chez le plus grand nombre de personnes possibles. »
Galerie dHD 19, rue Jean-Jacques Rousseau 75001 Paris Instagram : @galerie_dhd Site Internet