Exposition Evaristo Baschenis – Galerie Canesso

Evaristo Baschenis ? Ce nom ne vous dit peut-être encore rien. Voici donc l’occasion parfaite de le découvrir ainsi que quelques-unes de ses œuvres les plus remarquables grâce à l’exposition de la Galerie Canesso.

L’exposition Evaristo Baschenis s’inscrit dans la volonté de la galerie d’organiser tous les trois à quatre ans environ des expositions faites en collaboration avec des institutions italiennes et tout particulièrement cette année en éclairant un artiste encore très méconnu en France et jamais exposé sur notre territoire. Ainsi elle se démarque du cadre commercial de la galerie tout en gardant cette appétence pour l’Italie. En effet, la Galerie Canesso expose principalement des tableaux italiens de la Renaissance au baroque, le directeur étant lui-même italien. Vous avez jusqu’au 17 décembre pour saisir cette formidable occasion et vous laisser transporter dans l’œuvre et le style si caractéristiques de Baschenis, mais avant toute chose, laissez-nous vous en dire davantage sur cet artiste et susciter votre curiosité !

 

Baschenis et la nature morte

Evaristo Baschenis est né en 1617 et passe l’intégralité de sa vie à Bergame (au nord de l’Italie) jusqu’à sa mort en 1677. Issu d’une famille d’artistes, plus précisément de fresquistes, Baschenis s’exerce à différentes pratiques artistiques non seulement comme peintre mais aussi comme marchand de tableau ou encore comme musicien. Cet attrait pour la musique est au cœur d’une large partie de sa production picturale. On peut également souligner sa carrière de prêtre.

Ce qui caractérise les productions du peintre italien est sa représentation récurrente d’instruments de musique dont certains lui appartenaient certainement. Il accordait une telle précision au rendu de ces objets que les restaurateurs d’instruments anciens, en particulier les luthiers, utilisent ces tableaux comme une source d’information rare et digne de confiance. Les musiciens sont certainement parmi les premiers adeptes des productions de Baschenis et se hâtent dès que l’occasion se présente d’accéder à de tels chefs-d’œuvre.

Evaristo Baschenis, Nature morte avec instruments de musique, vers 1665-1670, Bergame collection particulière (Crédit photo Galerie Canesso)

Ses tableaux se concentrent sur des natures mortes avec très peu de représentations de figures. On peut retrouver dans ses productions une utilisation somptueuse de clair-obscur et un traitement de la lumière rappelant celui du foyer d’Utrecht où la source d’éclairage est en intérieur, ainsi que le courant du caravagisme. Ses natures mortes s’inscrivent bien plus dans la production flamande du Nord que dans la peinture vénitienne de sa région. Ce caractère peut surprendre du fait de l’absence de voyage de Baschenis tout au long sa carrière. Probablement que les échanges prolifiques de cette période faste ont permis à l’artiste de découvrir tableaux et gravures du reste de l’Europe. Il faut cependant souligner que ses vanités sont plus subtiles que les vanités nordiques, composées essentiellement de crânes et de bougies. La symbolique est moins explicite mais tout de même présente avec les instruments de musique recouverts avec brio de traces de doigts passés dans la poussière et les fruits qui pourrissent discrètement. Baschenis faisait aussi beaucoup de natures mortes de cuisine permettant ainsi d’exposer les plaisirs du corps (les nourritures terrestres) face à ceux de l’âme (les nourritures spirituelles), présents dans les arts libéraux comme sur l’image ci-dessous.

Evaristo Baschenis, Nature morte aux instruments de musique et statuette, vers 1660, Bergame Accademia Carrara (Crédit photo Galerie Canesso)

Sa production connue atteint le nombre d’une cinquantaine de tableaux effectués pour des commanditaires privés. Certains d’entre eux se trouvent dans des collections internationales comme au musée de Bruxelles ou en Italie mais beaucoup de pièces maîtresses font partie de collections privées.

Une particularité de Baschenis est que bon nombre de ses tableaux ne sont pas signés ce qui a entrainé quelques confusions dans l’attribution de vanités avec des instruments de musique dont certaines de Bartolomeo Bettera notamment, l’un de ses suiveurs, mais dans un style plus décoratif et chargé, là où Baschenis réussissait dans la simplicité. L’absence totale de datation dans ses signatures rend la chronologie de ses œuvres difficiles ; la plupart sont estimées entre 1660 et 1670. Un indice chronologique est tout de même présent sur des œuvres exposées, où un petit livre posé sur une guitare édité en 1648 à Venise indique que sa réalisation est nécessairement postérieure à la date mentionnée.

 

Des œuvres d’exception et inédites en France

Neuf tableaux sont actuellement exposés, principalement issues de collections privées mais dont deux viennent de musées italiens : un de l’académie Carrare de Bergame et l’autre de la Scala de Milan. Parmi elles, se trouve notamment le fameux Triptyque Agliardi, appartenant toujours à la même famille que les commanditaires de l’époque, qui sont tous trois représentés par paire, l’un à côté de l’artiste jouant de l’épinette. Deux sont représentés dans leur fonction, avec leurs livres de droits et costumes ; le plus jeune, Ottavio, joue du luth-théorbe avec l’artiste tout en étant décalé sur le côté gauche avec ce dernier, toujours avec cette volonté de mettre au centre les instruments qui ont ici la même importance que les figures humaines (des commanditaires qui plus est). Les instruments sont retournés, une position étrange qui semble les abîmer. C’est ici un prétexte artistique pour le traitement de la lumière et des volumes, la sensation du bois et des nuances de couleurs.

Evaristo Baschenis, Académie de musique avec Evaristo Baschenis et Ottavio Agliardi, vers 1665-1670, Italie collection particulière (Crédit photo Galerie Canesso)

 

Evaristo Baschenis, Académie de musique d’Alessandro et Bonifacio Agliardi, vers 1665-1670, Italie collection particulière (Crédit photo Galerie Canesso)

Baschenis illustre à la perfection le goût pour la représentation de la musique en tant qu’art noble dans les commandes privées, soulignant le statut social élevé des commanditaires. L’œuvre centrale du « triptyque » concentre ce qu’on pourrait appeler un « harmonieux désordre » où tout est ordonné mais semble en déséquilibre, une caractéristique des natures mortes flamandes. Ce tableau, qui n’est composé d’aucune figure humaine, vient toucher plusieurs de nos sens : l’odorat avec la fleur, le toucher avec la poussière, la vue évidemment et l’ouïe avec les instruments. La vanité est, elle, présente avec les fruits qui s’abîment.

Evaristo Baschenis, Tableau central du « Triptyque Agliardi », vers 1665-1670, Italie collection particulière (Crédit photo Galerie Canesso)

Le talent de Baschenis est immédiatement perceptible, même aux regards de non spécialistes, tant les représentations sont précises et élégantes. On saisit parfaitement la texture du bois ou des textiles dont les tapis lotto d’Anatolie, sur lesquels sont posés les objets, qui démontrent vraiment sa virtuosité dans le rendu de la matière et du motif. Aussi sur un des tableaux du triptyque, les détails sont somptueux avec les ombres portées tons sur tons dans le fond noir et le détail d’une mouche, mais également avec la sensation que nous avons nous-mêmes essuyé la poussière des luths quelques minutes plus tôt avec la présence de ces traces de doigts si marquées.

Détail du « Triptyque Agliardi » (Crédit photo Cassandre Bretaudeau)

 

Détail du « Triptyque Agliardi » (Crédit photo Cassandre Bretaudeau)

Parmi toutes ces œuvres, on peut distinguer quelques éléments connus de l’époque, dont la partition d’un madrigal de Roland de Lassus, mettant en musique un poème de Pétrarque ou bien le monogramme « MH » du luthier Michael Hartung, un grand luthier venant d’Allemagne comme beaucoup d’autres au XVIIe siècle. On pense que cet instrument appartenait certainement à l’artiste et qu’il l’aurait utilisé comme modèle, notamment à cause de la présence d’un objet similaire dans l’inventaire dressé après son décès. La guitare du deuxième tableau du triptyque est également signée tout en haut du manche « Giorgio Sellas », un producteur de guitare très important à cette époque.

Détail de la partition (Crédit photo Cassandre Bretaudeau)

 

Détail du monogramme (Crédit photo Cassandre Bretaudeau)

En plus des œuvres exposées, l’exposition vous présente une série d’instruments de musique anciens issus d’une collection privée dont une guitare signée du luthier Giorgio Sellas. Vous y verrez également une partition d’époque du madrigal de Roland de Lassus ainsi qu’un violon signé Nicolò Amati, un des concurrents de Stradivarius (et peut-être son maître). Ces instruments permettent une reconstitution en trois dimensions d’une composition d’un tableau à la manière de Baschenis.

 

Alors, convaincu ?

L’exposition accueillant une vingtaine de visiteurs par jour en moyenne n’attend plus que vous ! Elle se couple en effet parfaitement avec l’exposition du Louvre Les Choses, pour aborder ce thème de la représentation de la musique en nature morte. Les 3A de l’Ecole du Louvre : n’attendez plus pour rajouter cet artiste à vos recherches complémentaires pour le cours d’art du XVIIe siècle !

Prenez un peu de temps pour venir vous détendre dans l’atmosphère intimiste de la galerie, en retrait de la rue. Poussez gratuitement la porte au fond du couloir de l’immeuble du 26 rue Laffitte pour savourer le calme de ces instruments et vous plonger le temps d’une petite visite dans le XVIIe siècle.

Actuellement il n’y a pas d’études sur l’art de Baschenis traduites en français. Mais ne vous inquiétez pas, si vous n’avez pas la motivation de sortir vos dictionnaires d’italien ou d’anglais de retour chez vous, la galerie propose un catalogue de l’exposition très complet dont les ventes serviront à financer la restauration de l’un des tableaux exposés.

 

Exposition Evaristo Baschenis, Galerie Canesso, 26 rue Laffitte, entrée libre jusqu’au 17 décembre 2022.

Raphaëlle Billerot – Mauduit et Cassandre Bretaudeau

cassandrebretaudeau

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