Deux légendes fantastiques praguoises

L’Atlas de Mala Strana. Crédit : Djama ESPINOLA SERRANO (@toucan_nwar_neg)

De toutes les légendes praguoises, la plus fameuse est sans doute celle de Faust. Mais pour ce numéro Magie, laissez-moi vous faire découvrir deux autres histoires fantastiques sur des monuments de la capitale tchèque. L’une est plus malheureuse que l’autre mais toutes deux s’achèvent sur une belle touche d’humanité qui réchauffera peut-être votre cœur en ces premiers jours de froid.

 

L’enfant innocent du pont Charles

Au XIVe siècle, dans le contexte des luttes du grand schisme d’Occident, Wenceslas IV, roi des Romains et de Bohême, fit arrêter Jean Népomucène, vicaire général de l’archevêque de Prague, et le fit précipiter dans la rivière Vltava du pont Charles. L’événement fut suivi d’une crue soudaine et violente qui brisa le pont. Ce dernier demeura longtemps irréparable : chaque jour, à l’aube, les maçons constataient avec effroi que tous leurs efforts s’étaient comme évaporés dans la nuit. Jusqu’au jour où l’un d’entre eux décida qu’il en avait assez.

Curieux, le jeune homme veilla une nuit sur le pont et le Diable en personne lui apparut. Comprenant qu’il n’obtiendrait rien du Mal incarné par la simple raison, il accepta sa proposition : les maçons pourraient réparer le pont à condition que la première personne à le traverser soit livrée au Diable. Le lendemain soir, le pont était achevé. Mais entretemps, le jeune homme s’était rendu compte de la cruauté de son pacte. Il décida de se faire plus malin que le Diable et plaça des gardes aux entrées du pont. Le lendemain, à l’aube, il y lâcherait un coq.

Mais le Diable avait une longueur d’avance. Sous l’apparence d’un maçon, il se rendit chez le jeune homme pour hâter sa femme de rejoindre son mari sur le pont. Les gardes, la reconnaissant, la laissèrent passer. Quelle fut l’horreur du jeune homme lorsqu’il comprit le destin tragique qui attendait son épouse et l’enfant qu’elle portait encore en son sein. A nouveau, il crut échapper aux desseins du Diable et renvoya sa femme chez lui en espérant livrer sa propre vie à la place. Mais le Diable ne vint jamais et, à l’aube, le jeune homme regagna sa maison pour constater le décès de son épouse et de leur enfant. Peu après, le jeune homme mourut à son tour.

Il est dit que, des siècles durant, le fantôme du mort-né hantait le pont Charles et qu’on pouvait discerner ses éternuements dans le brouillard des froides matinées. Mais un jour, un homme l’entendit et répondit « A tes souhaits ». Ces simples mots, empreints d’humanité, suffirent à libérer l’âme de l’enfant qui put enfin reposer en paix.

 

L’Atlas de Malá Strana

Depuis les années 1820, une statue géante d’Atlas garde l’entrée du jardin Vrtbovska. Un jour, une petite fille du voisinage la remarqua en levant les yeux et fut prise de pitié pour le destin d’Atlas, chargé de porter le poids du monde sur ses épaules. Dès lors, elle vint tous les jours saluer la statue et parfois déposer des fleurs devant le portail.

Elle ne comprenait pas comment les fleurs qu’elle déposait chaque jour sur le sol pavé pouvaient se retrouver le lendemain au pied de la statue. Mais cela ne la préoccupait pas beaucoup. Du reste, elle rêvait de pouvoir atteindre le pauvre Atlas, de pouvoir le toucher, pour lui partager qu’il n’était pas seul.

Un jour, elle vint le saluer et lui déposer des fleurs, comme à l’accoutumée, et s’en retourna insouciamment en gambadant dans la rue. Au même moment, les chevaux effrayés d’un boucher du marché de Lesser Town surgirent, dévalant la rue Klimentska en direction du jardin. Craignant qu’ils ne la renversent, Atlas se réveilla, sauta du portail et jeta son globe à terre. D’un geste, il stoppa net les chevaux. La petite fille put enfin atteindre le géant qu’elle étreignit avant qu’il ne retourne sur son portail. Une fois rentrée, elle raconta ses aventures à sa mère et dès lors, reconnaissantes, elles déposèrent chaque jour ensemble des fleurs aux portes du jardin.

Sur le sol pavé de la cour où Atlas a jeté son globe, demeure un renfoncement qui s’emplit d’eau les jours de pluie. Il est dit que cette eau ouvre les portes à toutes les légendes du monde et que les oiseaux du jardin Vrtbovska qui s’en abreuvent peuvent entonner toutes les chansons du monde et chanter les légendes de Prague dans le monde entier.

 

D’après la chaîne YouTube Old Prague Legends.

 

Suzon GAUTHIER

Le Billet Neuchâtelois – Guillaume Tell : l’identité implicite suisse

SANDREUTER, L’arrestation de Guillaume Tell et de son fils, 1901, mosaïque murale extérieur sur l’aile sud du Landesmuseum, Zurich

Tout le monde retient son souffle. L’attente est intenable, les badauds serrent leurs enfants dans leurs bras, le regard fiévreux, parfois détourné. Va-t-il le blesser ? Va-t-il toucher uniquement la pomme ? Le carreau part, siffle dans l’air, semble transpercer la lumière en mille fragments éthérés, jusqu’à éclater la pomme qui craque, se déchire, explose sous la fureur de l’impact. Guillaume est soulagé, tout en tenant fermement, le poing serré, le deuxième carreau à moitié dissimulé dans ses vêtements, après avoir abaissé son arbalète. La population du village d’Altdorf soupire face au drame évité et exulte devant l’exploit. Toutefois, ce n’est pas le défi réussi qui intéresse le bailli Gessler, l’œil soupçonneux, contenant son mécontentement. Il faut dire qu’il n’a rien pour être satisfait : ce gringalet des montagnes, cet arbalétrier de pacotille, non seulement il avait refusé de lui rendre hommage en saluant son chapeau hissé sur la place publique, mais en plus il avait osé réussir ce challenge de tir. Il fulmine… Toutefois, ces sombres pensées ne l’ont pas empêché de remarquer la poigne serrée de Tell sur ce deuxième carreau caché… Il l’interroge immédiatement. Pourquoi avoir pris le soin de garder une seconde flèche ? C’était simple pourtant : avec un tir, Tell touchait la pomme ou Walter, son fils. Alors pourquoi ? Tell se retourne, lance un regard noir au bailli qui, sous la coupe autrichienne, n’avait de cesse de soumettre les pauvres villageois du canton à la pire vie possible. Ce deuxième carreau, Tell le réservait pour Gessler, au cas où son Walter aurait été blessé ou tué. L’affront ultime ! Le bailli, devant l’audace de la réponse, demande l’arrestation de l’arbalétrier et de son garçon. Est décidé de les envoyer par bateau dans la prison forteresse de Küssnacht (littéralement, le « baiser de la nuit », qui a dit que l’allemand n’était pas une langue sublime ?). Les prisonniers et le bailli embarquent quand une terrible tempête s’abat aussitôt sur les flots. L’aide de Tell est demandée pour sauver tout le monde en amenant la barque à bon port. En récompense, Gessler lui fait miroiter la possibilité de le libérer. Le bateau arrive près du rivage, Tell saute alors de bord, embarquant son arbalète et son fils sous le bras. Une fois à terre, sa rapidité et sa précision légendaires lui confèrent le temps de repousser la barque loin de la berge d’un coup de pied tout en arrivant à viser le bailli de son arbalète. Le tir part et tue l’homme qui leur a fait tant de tort, ainsi qu’aux autres habitants du canton. D’autres versions amènent le trépas de Gessler plus tard, dans une embuscade en forêt ou montagne… Quoi qu’il en soit, le méchant meurt et Tell est alors célébré en héros, ayant su se montrer capable d’autant de force que de courage dans sa quête d’indépendance et de liberté.

 

FÜSSLI, Les trois Confédérés faisant le serment sur le Grütli, 1780, huile sur toile, 267X178 cm, Zurich, Kunsthaus

Ce qui est intéressant avec Guillaume Tell, c’est qu’au-delà de l’histoire-même, les politiciens s’en sont servi en Suisse pour construire une identité nationale. En 1848, l’Helvétie connaît aussi son Printemps des Peuples. La toute nouvelle Confédération a alors un défi de taille : trouver sa place dans une multitude de cantons au caractère et au fonctionnement plus trempé les uns que les autres. Encore aujourd’hui, cette mentalité fédérale est très forte en Suisse. Elle se ressent en permanence dans les médias que je lis ici, dans les explications de cours que nous donnent les professeurs de l’Université ou même quand j’en discutais avec les autres camarades locaux (avant le début d’un semi-confinement ici aussi). Comment créer une cohésion suisse, un esprit helvète ? La chose n’est pas simple, les cantons ayant toujours oscillé entre autonomie et occupation étrangère. Deux exemples qui m’ont beaucoup frappée : sous le Premier Empire, le canton du Jura et de Bâle appartenaient… au département du Haut-Rhin ! Quant à l’actuel canton de Neuchâtel où je me trouve, Napoléon Ier avait réussi à le négocier au roi de Prusse et avait nommé le maréchal Alexandre Berthier prince de Neuchâtel en 1806. Amie française mais souveraine quand même !

Comme bien souvent, le premier cheval de bataille a été dans le ressenti de l’identité et pour cela, rien de mieux que de trouver un symbolisme… fédérateur ! On cherche alors de premières images fortes. On se penche sur la question du drapeau. En 1899, le conseil fédéral commence à réfléchir à ce sujet pour qu’une ordonnance en 1913 institue le carré rouge à croix blanche comme drapeau officiel. Le symbole est repris des anciens mercenaires suisses qui, sur leur propre étendard, inscrivaient les mots « honneur » et « fidélité ». En plus du drapeau, il faut également chercher un mythe fondateur de l’unité suisse. L’épisode du Serment de Grütli est retenu : trois braves hommes, subissant chacun dans leur canton les sévices de baillis abusifs, décident une nuit de 1291 de se retrouver en secret dans la prairie de Grütli. Ils promettent alors de défendre leurs cantons, même s’ils doivent en mourir. Cette légende de conjuration est souvent associée à la vraie histoire du Pacte fédéral de 1307 (choisi par la Confédération pour placer la date de la fête nationale au 1er août de chaque année). Ce dernier est en effet un document historique officiel d’alliance défensive et judiciaire, signé par les trois mêmes cantons représentés lors du Serment de Grütli.

 

KISSLING, Guillaume Tell et son fils, statue réalisée en 1895, sur la place principale d’Altdorf

Pourtant, c’est l’histoire de Guillaume Tell qui est la plus connue, du moins à l’étranger quand on parle de la Suisse. De nombreuses villes en France ont une rue portant son nom (même à Paris, dans le XVIIème arrondissement !). Toutefois, même en Suisse, la légende fut longtemps tenace. Il faut savoir que l’histoire de Tell était encore enseignée aux écoliers suisses jusqu’en 1901 ! L’importance du mythe s’introduit même jusque dans le patois local : en Helvétie, traiter quelqu’un de Gessler revient à le qualifier de tyran vaniteux (vivent les baillis)! L’iconographie de Guillaume Tell se met alors en place. Les politiques vont même jusqu’à fournir un programme représentatif de l’arbalétrier très détaillé à Richard Kissling. Le sculpteur est alors chargé d’édifier une statue de Tell et son fils sur la place principale du village d’Altdorf en 1895 avec un « homme décidé, hardi et libre, arborant le costume traditionnel paysan. ». L’œuvre achevée, respectant à la lettre la commande, plaît tellement qu’elle se décline sur beaucoup d’autres supports. Elle est copiée… jusque sur les timbres, les affiches publicitaires… et la dentelle !

Guillaume Tell et son fils, dentelle, après 1845, Zurich, collection Marion Wohlleben

Il est à rappeler que l’histoire de Tell est une légende. Il est un héros sorti des chansons de gestes, des contes racontés de génération en génération. Sa première mention comme Guillaume Tell se trouve dans le « livre blanc de Sarnen » narrant les alliances et victoires des Waldstätten. Une première chanson de Tell (« Tellenlied ») circule en 1477, avec plusieurs variantes pour de légers détails. Sauf que les mythes sont souvent brisés : les historiens ont fini par trouver trace d’un autre Guillaume Tell, beaucoup plus vieux. Un écrit de l’érudit danois Saxo Grammaticus au XIIème siècle raconte la même histoire… qui se serait passée au Danemark au Xème siècle ! Guillaume devient Toko. Le bailli Gessler devient le jarl Harald-la-Dent-Bleue. À noter : la cible est toujours une pomme ! Comment expliquer cette origine viking ? Un mouvement de population celte descendant le bassin rhénan, aurait amené cette histoire qui, racontée de famille en famille, à travers le temps, a fini par devenir celle de Guillaume Tell et de son fils Walter.

 

Comme quoi, même les plus grands mythes fondateurs ont aussi leurs petits secrets ! La suite au prochain épisode… !

Je vous dis à très bientôt pour un nouveau Billet Neuchâtelois * ! Grüetzi ! Tchô ! **

 

Laureen Gressé-Denois

 

* Même à l’étranger, on a tous quelque chose en nous de Monsieur Patrimoine !

** « Salut ! » respectivement en suisse allemand et en suisse romand

J-6 GALA : Le monstre du Loch Ness : pourquoi les mythes ?

Une fois n’est pas coutume, je vais commencer cet article en évoquant un rêve d’enfant : rencontrer le monstre du Loch Ness. Quand j’en ai entendu parler pour la première fois, je devais avoir environ huit ans. Prenons en compte le fait que j’étais fascinée par les dinosaures et que déterrer des squelettes de grosses bêtes me faisait rêver (on se demande pourquoi j’ai atterri à l’École du Louvre). Imaginez un peu le tourbillon d’idées, d’émotions et le rêve de gosse que voir cette espèce de gros dinosaure marin représentait pour la gamine que j’étais.

Cette histoire était toujours dans un petit coin de ma tête. J’avais envie d’aller en Écosse juste pour voir le lac et apercevoir le monstre. Puis, au bout de quelques années, j’ai appris qu’il ne s’agissait que d’un canular (du moins à la base) et que de nombreuses études avaient été réalisées dans le but de réfuter les « preuves » avancées par les personnes affirmant avoir vu le monstre. Déception totale. Mon petit rêve de rencontrer une créature aussi fabuleuse s’effondrait doucement et silencieusement.

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En apprenant le thème du Gala de cette année (comme tout le monde, en novembre en janvier), la première image qui s’est imposée dans mon esprit, ça n’était pas une image de dieu ou de monde mythologique. La première chose qui m’est passée par la tête, c’est le monstre du Loch Ness. En y réfléchissant, je me suis rendu compte que cette grosse bête (que j’imagine globalement comme une baleine à long cou avec une tête de diplodocus) occupait une place assez importante dans mon imaginaire, et je ne pense pas être la seule dans cette situation. Car même si les mythes nous font rêver et alimentent notre imaginaire depuis toujours, ils ont tout de même été créés par les hommes. Pourquoi ? Pourquoi avoir créé quelque chose qui ne résiste pas à l’épreuve de la science ?

 

On peut se pencher sur ce que racontent les mythes (rassurez-vous, je n’ai pas la prétention de donner ici toutes les clés de compréhension d’un sujet qui mériterait des volumes entiers) afin de les comprendre. Dans son ouvrage sur la Psychanalyse des contes de fée, Bruno Bettelheim analysait la différence entre le mythe et le conte, mettait en avant le fait que le mythe comportait toujours une dimension qui nous dépasse. Pour prendre l’exemple des mythes grecs, ils concernent en grande partie les divinités auxquelles il arrive des aventures plus rocambolesques que la coupe de cheveux de Ludovic Laugier. Un mythe, c’est une histoire qui, d’une certaine façon, nous dépasse, qu’on ne pourra jamais atteindre et qui restera hors de portée. C’est de l’ordre de l’inatteignable, plus haut que le swag de Beyoncé et du Président du BDE réunis. Bref, vous voyez le genre.

 

Mais dis donc Jamy, pourquoi créer de telles histoires ? On peut imaginer plusieurs raisons dont l’une d’elles serait que ça nous pousse à chercher plus loin que ce que l’on connaît. Pour rester avec le monstre du Loch Ness, le mythe nous pousse à examiner les frontières de notre monde et de nos connaissances pour voir si ce que l’on connaît correspond à la réalité que l’on pourrait imaginer. En d’autres termes, on peut se demander si le mythe pourrait devenir réalité ou s’il resterait si mythique qu’il en a l’air. Dans le cas de Nessie, des études ont démontré qu’un monstre ne pouvait techniquement pas vivre dans le Loch Ness à cause de sa taille trop importante (donc là, c’est bien la taille qui compte).

 

Et pourtant, une petite partie de moi a toujours envie d’aller en Écosse pour aller sur les berges du Loch Ness et essayer d’apercevoir cette bestiole. Même si je sais qu’elle ne peut pas exister, que c’est impossible. Et c’est une autre dimensions du mythe qu’il est important de prendre en compte : en plus de nous aider parfois à remettre en question les limites de nos connaissances, il nous donne quelque chose en quoi croire, un rêve fantastique et puissant qui reste présent par son aura d’improbabilité et de questionnement qu’il suscite en nous.

 

Alors voilà, un jour, j’irai en Écosse pour voir que le monstre du Loch Ness n’existe pas et qu’il est juste une créature qui m’accompagne mentalement depuis tout ce temps. Et peut-être pour quelques années encore.

 

Viena

 

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J- 9 GALA : Licornes, pandas, dahuts, mammouths et autres olgoï-khorkhoïs

Normalement là vous vous posez une question simple : mais c’est quoi ce titre, il a bu ou quoi ? Alors déjà oui, bien sûr ! Et ensuite vous allez voir que tout ceci est parfaitement LOGIQUE -Billy il m’a dit que oui donc c’est vrai ! Et puis vous êtes des méchants d’abord, voilà !

 

À vrai dire, dans cet article on va parler de cryptozoologie, c’est-à-dire l’étude des animaux dont on pense qu’ils n’existent pas mais que peut-être qu’en fait qu’ils existent… FARPAITEMENT ! Pour vous expliquer cela : il s’agit d’une pseudo-science qui vise à réunir (pour ses membres sérieux) les témoignages de populations indigènes ou d’explorateurs portant sur de grands animaux (plus gros qu’une poule d’eau… pourquoi pas…) non-reconnus par la zoologie actuelle. Donc en soi, il s’agit d’une véritable démarche scientifique, seulement on ne connaît ces animaux que par les témoignages humains. En fait, la cryptozoologie se base sur une négation du dogme de l’omniscience, commun en science, qui consiste à penser (souvent inconsciemment) que tout ce qui n’a pas été découvert par la science n’existe pas, ce qui se trouve être, bien entendu faux. Pour preuve de cette dernière affirmation : au début du XXe siècle, les physiciens annonçaient que la physique n’avait plus rien à découvrir, puis Einstein (entre autres) est arrivé… –sheh ! Cela est d’autant plus compréhensible en zoologie que l’homme n’a pas encore exploré toute la planète et que de nombreux sites restent encore quasi voire totalement vierges de présence humaine. En ce cas, comment affirmer que l’on a connaissance de tous les grands animaux qui peuplent notre planète ? Pour ce qui est de la question des sources, la plupart des espèces étaient connues des indigènes, parfois en tant que simples légendes, avant notre science occidentale, alors pourquoi leurs témoignages ne devraient-ils pas être pris au sérieux ?

 

On retrouve assez peu de représentations de cryptides dans l’art. Bien sûr on connaît les différents protomes, statues et dessins de griffons apotropaïques antiques. Les bestiaires de la fin de l’Antiquité et du Moyen-Âge comme le Physiologos (et ses dragons, phénix, cynocéphales, sirènes ou autres licornes) sont aussi autant de supports aux représentations en enluminures de ces animaux. Les licornes pasted image 4.pngjustement ! Il s’agit sans doute du cryptide le plus mainstream ever, alors je vous le dis tout de suite les amis, il n’existe aucun cheval à corne pétant des arcs-en-ciel dans notre dimension. Même les cryptozoologues n’y croient pas, c’est dire ! Pour autant, on la considérait au Moyen-Âge comme aussi réelle que les biches et les chamois, au même titre que les cryptides précédemment cités d’ailleurs. Rapidement devenu un symbole chrétien de pureté voire de l’Annonciation –même si on ne m’enlèvera pas de l’esprit qu’il s’agit d’abord d’un symbole pénien très apprécié de tous les bons cryptozoophiles (si si, ça existe)–, on la retrouve dans quelques œuvres monumentales telles que la tapisserie de la Dame à la Licorne. Enfin, on pourrait aborder le sujet épineux du dahut, un cryptide purement français –cocorico ! Moi ? Chaunnameduvin ? Noooon !–, et plus précisément alpin, dont on retrouve des exemples jusque dans les plus grandes œuvres néoclassiques comme le Bonaparte franchissant le Grand-Saint-Bernard de Jacques-Louis David –juré sans trucage ! Il s’agit en fait d’une sorte de chamois à tête et oreilles de Saint-bernard et à queue de vache –calme-toi Pasiphaé ! J’ai dit de vache !– qui a pour particularité d’avoir les pattes plus courtes d’un côté que de l’autre et ne peut donc tourner autour des montagnes que dans un sens. Mouais, nos cryptides manquent quand même un peu de classe…

 

Mais plus sérieusement, plus on se rapproche de la véritable cryptozoologie, plus on ne peut qu’en admirer le manque de représentations dans l’art classique. En effet, la plupart des cryptides sont moins sexys que les centaures ou les sirènes –bien que la queue de poisson me bloque un peu, mais je m’égare…– et sont donc moins connus et peints. Outre en effet les hominidés type yéti (qui pourrait d’ailleurs très pasted image 3.pngbien être un ours), sasquatch ou homme sauvage d’Asie, qui soulèvent un grand intérêt du fait de leur apparente proximité avec notre espèce, la plupart des sujets d’étude des cryptozoologues sont aussi palpitants que des félins aquatiques, de très gros serpents, des poissons aux formes bizarres ou des éléphants américains : en bref, des animaux existants mais (plus ou moins) légèrement différents. Prenez comme exemple la baleine sans nageoire dorsale de l’Atlantique Nord, l’ahool (une chauve-souris javanaise de 3,80 mètres d’envergure) ou encore l’adjule (ou loup du Sahara)… pas tout à fait des blockbusters cryptozoologiques. Ainsi, à part les spécialistes et les grands curieux, ils ne fascinent pas grand monde et leur intérêt artistique reste donc très faible.

 

Pour autant, il en existe des plus excitants que d’autres. Par exemple la cryptozoologie couvre aussi tous les animaux apparemment disparus qui auraient eu l’audace de survivre à la main vengeresse de l’homme : mégalodons, thylacines, félins à dents de sabre divers, pachydermes et singes préhistoriques, etc. Le cas du mammouth paraît assez sympathique, car ce gentil pachyderme laineux ne serait ainsi pas, d’après les cryptozoologues, tout à fait éteint et vivrait encore dans les taïgas sibériennes. À l’appui ? De nombreux témoignages. Le plus ancien, faisant mention d’un éléphant velu aperçu au-delà de l’Oural par des Cosaques, daterait de 1580, soit avant la découverte du mammouth par les scientifiques occidentaux en 1799. De nombreux autres témoignages ont ensuite fusé tout au long du XXe siècle. Impossible vous dites-vous ? Mais souvenez-vous que la Sibérie représente un territoire immense et très peu peuplé, dans les forêts duquel un pachyderme plus petit qu’un éléphant d’Asie pourrait très bien se cacher. Donc pourquoi pas ?

 

Il existe aussi des cryptides bien pétés et ridicules… comme l’olgoï-khorkhoï du désert de Gobi ! Bon, outre le fait qu’il ait un nom aussi rocambolesque que la naissance de Ganesh –blague d’edlien !– il s’agirait surtout de la créature la plus… minable de toute la création. En fait, il s’agit d’un ver rouge sombre de 60 à 90 pasted image 1.pngcentimètres de long pour vingt de diamètre ressemblant à un intestin de vache, sans yeux ni tête, se tortillant sur le sol. Cet animal n’aurait aucune chance de survivre s’il n’était pas apparemment doté d’une capacité de tuerie assez phénoménale, qui le hisserait au rang des pires saloperies de notre belle Terre derrière Adolf Hitler et ces emmerdeurs de chats. Ainsi, il pourrait tuer un homme, un chameau ou un troupeau d’animaux par simple contact voire à distance, peut-être grâce à des décharges électriques. On cherche donc un Pikachu mongol rouge sang de la forme d’un très gros boudin… Impeccable !

 

Pour finir, j’aimerais vous conter l’histoire du grand panda de Chine (Ailuropoda melanoleuca taxonomistorgasm ? Taxonomistorgasm !) qui, si vous vous imaginez qu’elle n’a rien à voir avec le sujet, pourrait très bien vous faire réfléchir très fortement sur la question de la cryptozoologie. En 1868, le père Armand David, lazariste basque de son état, s’en va en mission pour la deuxième fois en Chine avec un but d’évangélisation, mais aussi de prospection du vivant pour le Museum d’Histoire Naturelle de Paris. Il décrira ainsi de nombreuses espèces de plantes et d’animaux. En 1869, il découvre dans les piémonts de l’Himalaya une peau blanche et noire et demande à ce qu’on lui ramène l’animal à qui elle appartient. On ne peut lui apporter qu’un jeune panda mort et il fait son rapport au Museum d’Histoire Naturelle mentionnant une nouvelle espèce d’ours asiatique. Les expéditions occidentales s’enchaînent ensuite, telles que celle d’Ernest Henry Wilson en 1908, ou celle de John Weston Brooke, qui en aurait tué un la même année, ou encore celle de  James Huston Edgar, qui en aurait vu un en 1916, etc. En soit, à ce stade, le grand panda est très proche du statut de cryptide, et on ne parvient à en capturer un qu’en 1929, avec l’expédition de Theodore Jr et Kermit Roosevelt, fils du président Roosevelt, de Jack Young, de Herbet Stevens, de Philip Tao et de Suydam Cutting. En bref, un animal de la taille d’un ours a échappé pendant 60 ans à toute une tripotée de scientifiques et de chasseurs aguerris, qui savaient pertinemment où il vivait et étaient assurés de son existence. Au regard de cette histoire, comment ne pas se demander le nombre d’animaux qui nous passent entre les doigts si nous ne faisons que croire qu’ils existent ?

 

Raphaël Vaubourdolle

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Chronique d’une licorne ratée…

« Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre. (…) Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin : ce fut le quatrième jour. Dieu dit : « Que les eaux produisent en abondance des animaux vivants, et que des oiseaux volent sur la terre vers l’étendue du ciel. » Dieu créa les grands poissons et tous les animaux vivants qui se meuvent, et que les eaux produisirent en abondance selon leur espèce ; il créa aussi tout oiseau ailé selon son espèce. Dieu vit que cela était bon. Dieu les bénit, en disant : « Soyez féconds, multipliez, et remplissez les eaux des mers ; et que les oiseaux multiplient sur la terre. » »

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Mais ce que l’histoire ne dit pas, c’est que Dieu se rata — il créa donc le même jour l’erreur. Cette erreur était infime, elle ne tenait qu’à un minuscule détail. Détail presque insignifiant pour tout le monde, sauf pour une espèce qui, depuis ce quatrième jour, vit chaque instant avec le poids de cette erreur. Cette espèce, c’est le narval.

Triste histoire en réalité que celle du narval, fruit d’une simple maladresse. En réalité, c’est une licorne que Dieu voulut créer ce jour-là — car il aimait beaucoup les licornes —, mais il se mélangea avec le béluga et pouf : il fit le narval ! Comme quoi, les coïncidences arrivent plus vite qu’on ne le croit. Depuis, les narvals ont en réalité vécu une bien sombre existence, car durant très longtemps, personne ne les reconnut à leur juste valeur…

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Déjà, leur nom vient du mélange de « nar » (cadavre en islandais) et « hual » (baleine). Nous partons donc sur des bases assez instables, leur nom signifiant littéralement « cadavre de baleine », il fut assez difficile pour cet animal de se faire une place dans la création avec un diminutif pareil… « C’est quelque chose dont on ne parle pas vraiment entre nous, nous confie tristement Robert* le narval, c’est vrai que c’est pas réellement la chose à dire lors d’un premier rencard quoi… » De plus, ils sont connus sous un autre nom : « licorne des mers ». Donc, encore aujourd’hui, on utilise le nom d’un autre animal pour les décrire. Ce fait révèle clairement un manque d’identité propre, les narvals ne sont parfois même pas reconnus pour eux-mêmes, on leur vole leur identité. C’est quelque chose dont ils souffrent beaucoup.

 

Néanmoins, le plus dur pour les narvals reste de vivre avec cette dent. Cette dent, qu’on prend à tort pour une corne, leur rappelle chaque jour ce qu’ils ne seront jamais : une licorne. Bernie* le narval nous a même confié vouloir se la faire enlever. Selon ses dires, « (s)a corne (lui) rappelle chaque jour quand (il se) regarde dans le miroir, qu’au lieu d’atteindre la grâce, (il est) condamné à vivre chaque jour dans un corps flasque et gros qui fait « blop » quand (il s)’assoit ».

En effet pendant longtemps les narvals ont cru pouvoir « atteindre la grâce » (cit) : jusqu’au XVIIe siècle les pêcheurs de la Mer du Nord revendaient leur dent aux Européens en faisant croire qu’il s’agissait là de cornes de licornes. Cet ornement faisait alors l’objet d’un commerce très lucratif, son cours étant alors plus de six fois supérieur au prix de l’or ! Ainsi, durant quelques siècles, on attribua à la dent de narval des propriétés exceptionnelles comme le pouvoir de guérir des maladies ou celui d’être un remède au poison. Des moines dirent même d’une dent, aujourd’hui conservée au musée de Cluny, qu’elle avait la faculté de dégager des bulles par sa pointe lorsqu’on la plongeait dans l’eau. Même si les narvals étaient conscients d’être des imposteurs, ils se sentaient pour une fois importants et reconnus.

Ce fut Ambroise Paré dans son Discours de la momie, de la licorne, des venins et de la peste (1582), qui émit pour la première fois l’hypothèse que ces cornes venaient en réalité d’animaux marins. Au départ, les narvals n’étaient pas très inquiets, « on pensait naïvement que les gens le prendrait pour un fou » se remémore tristement Angélique*, la soeur de Bernie. Mais rapidement, le masque tomba, et les Européens comprirent alors la supercherie. Cela eut des conséquences dramatiques sur le cours de la dent de narval qui chuta considérablement.

 

De cette période de gloire, les narvals ne regrettent rien, « on savait à quoi on s’exposait » maintient Angélique. « C’est vrai que pendant longtemps les gens nous en on voulu, poursuit Robert, mais au moins, notre espèce est désormais connue et reconnue, la preuve : on expose encore nos « cornes » dans les musées. » Il est vrai que durant longtemps les dents de narval étaient de vraies pièces de collection qu’on retrouvait souvent dans les cabinets de curiosité ou même les trésors d’églises. Cela n’a donc rien d’étonnant qu’encore aujourd’hui certaines soient exposées au sein même de musées.

 

De plus, bien qu’aujourd’hui tout le monde connaisse la vérité à propos de la dent du Narval, personne ne sait à quoi elle leur sert ! Les avis des spécialistes divergent à ce propos. Si certains pensent qu’elle leur sert à briser la glace, d’autre maintiennent que cette dent est faite pour pêcher. Jules Verne et Darwin pensaient tous les deux qu’elle leur servait d’arme défensive.

Des chercheurs qui travaillent sur le sujet depuis le début des années 2000 ont démontré en 2014 que cette dent est en fait une sorte de sonde chimique qui renseigne les narvals sur le taux de salinité et la température des eaux dans lesquelles ils se trouvent — cette avancée n’étant pas incompatible avec une fonction défensive. En effet, après quelques expériences ils ont constaté que le rythme cardiaque du narval change considérablement suivant si l’animal se trouve dans l’eau salée ou l’eau douce. Cela serait dû, selon eux, au fait que la dent est en réalité recouverte d’un cément, tissus poreux et sensoriel, et non par de l’ivoire. Les pores répartis sur cette dent sont parcourus par un réseau dense de terminaisons nerveuses, qui sont directement reliées à la partie centrale de la dent (la pulpe) au cinquième nerf crânien. Ainsi, la dent de narval serait un véritable organe sensoriel, et cette fonction assurée par une demeure unique chez les mammifères ! « C’est vraiment une étude qui nous a rassurés… » commença Angélique, avant de se faire interrompre par Bernie — le patriarcat et le sexisme sont aussi présent chez les narvals — « Avant on pensait juste être normaux, maintenant on comprend qu’on a en plus des super pouvoirs ! Donc finalement, notre dent est aussi magique qu’on le dit ! »

 

* Les noms sont changés par soucis d’anonymat

 

Élise Poirey

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