Le courrier du cœur – Éros explicite

Illustration : Sofia Pauliac

Pour ce numéro Explicite, le courrier du cœur reprend du service et pas tout seul! En effet, c’est accompagnés de nos fidèles Cupidons, Crush edl, que nous avons décidé de vous aider encore une fois à trouver l’amour!

Certains ont soumis leurs déclarations et leurs poèmes à Crush edl, alors lisez-les bien, peut-être que vous trouverez l’amour !

 

 

💕Pas besoin d’être enflammée, toute déclaration est bonne à prendre! On l’applaudit pour avoir réussi à remarquer un 1A à la BU malgré le peu de temps durant lequel on a eu le droit d’y aller. Mais peut-être sauras-tu le retrouver entre deux classes virtuelles? En tout cas, si tu te reconnais dans cette description fonce dans les dm de @crushedl.

 

 

💕 Quoi? Un peu d’amour propre ça fait toujours du bien! Qui que tu sois (on sait très bien qui tu es no worries), on t’aime très fort et tu sais déjà que nos pages et réunions te seront toujours ouvertes. (Ndlr : insister sur le mot réunions, on travaille ici).

 

 

💕Personne ne va te contredire. Par contre si vous ne savez pas qui est Harry Styles, il va falloir vous inquiéter parce que vous avez un sérieux souci !

 

 

💕Axelle, franchement tu rates quelque chose là! Les dm de Crush edl restent ouverts pour que tu embarques dans un joli voyage poétique. On reçoit pas un poème qui nous est dédié  tous les jours, moi par exemple ça m’est jamais arrivé.

 

 

💕 On est jamais mieux servi que par soi-même : alors pour achever ce courrier du cœur, un petit poème d’un membre de la rédaction afin de finir en beauté.

Des Coeurs et des Ailes : l’interview exclusive de CRUSH.EDL

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Avez-vous entendu parler de «Crush.edl» ? De près ou de loin, c’est certain. Et en ces temps confinés, impossible d’y échapper.

Crushs ? Poèmes ? Gossips ? Voilà qui nous intéresse ! La rédaction a bien évidemment elle aussi succombé au phénomène, et a voulu en savoir plus sur ce compte Instagram si spécial. En espérant vous le faire découvrir au mieux…

 

Louvr’Boîte : Tout d’abord, comment définiriez-vous ce compte, en quelques mots ?

Crush.edl : Un espace à la fois drôle et rassurant ou l’on peut se lâcher et recevoir des conseils et une oreille attentive.

LB : Combien êtes-vous ? 

Crush :  À votre avis, combien y-a-t- il d’anges au paradis ?

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LB : Qu’est-ce qui vous a poussé.e.(s) à créer ce compte ? Le confinement a-t-il été l’ultime déclencheur ?

Crush : Alors on s’est rendu compte que cette école géniale, qu’on adore, était pleine de sagesse mais vide d’amour. Les flèches étaient dans nos carquois … et nous voilà lancés ! C’était bien avant le confinement, mais quand il a commencé on s’est dit qu’on aimait tellement partager de la joie et de l’amour qu’il fallait qu’on propose de nouvelles choses.

LB : Ça fait quoi d’être le/la/les gossip girl/cupidon(s) de l’EDL ?

Crush : Au début on voulait pas être gossips, mais  inévitablement on voit des bribes d’histoires, et ça fait qu’on vous aime de plus en plus et qu’on a de plus en plus envie de vous aider !  On vous cache pas que des fois on s’amuse beaucoup mais on se moque jamais promis, bienveillance et amour sont les mots d’ordre.

LB : Est-ce que vous vous attendiez à avoir autant de réactions/déclarations de la part des élèves ? Parce que jusqu’alors, trouver l’amour à l’EDL semblait être une mission impossible…

Crush : ABSOLUMENT PAS !! Au début on a été débordés et puis maintenant on s’en occupe beaucoup et on adore, on écoute les gens et on essaye de les conseiller comme on peut. On pensait que seules quelques personnes joueraient le jeu et c’est une super surprise, parce-qu’au final on reçoit une vingtaine de messages par jour, que ce soient des conseils ou simplement des messages à poster. Et ce qui est super cool, c’est de pouvoir collaborer avec tous les clubs pour proposer du nouveau contenu divertissant (gros bisous au club chorale qu’on adore, mais aussi au club jeu, le ciné club, et aussi vous le journal !) 

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LB : Combien recevez-vous de déclarations par jour/semaine ?

Crush : Par jour entre 5 et 10 déclarations, mais on reçoit aussi des DM avec des questions, des suggestions (comme le concours de poésie), c’est super sympa on adore !!

 

LB : Qu’est-ce qui fait le succès de votre compte ?

Crush : Aucune idée ! Peut-être parce qu’on est adorables et merveilleux ? 

LB : Avez-vous eu des retours des personnes qui vous ont envoyé des poèmes ? (en gros : est-ce que des gens ont réussi à se pécho virtuellement ? ON VEUT SAVOIR)

Crush : Ça fait déjà trois fois que quelqu’un nous dit qu’il est en contact avec son admirateur/son crush ! Et là, on est sur une affaire… à suivre par nos cupidés !!

LB : Est-ce que votre rôle consiste seulement à publier les déclarations reçues, en espérant qu’elles soient lues par les personne concernées de passage sur votre compte, ou bien vous arrive-t-il de tenter de contacter directement ces personnes ?

Crush : Alors pour les contacts on veut toujours garder totalement anonyme l’envoyeur jusqu’à ce qu’il décide lui même de se dévoiler. Cependant, il nous arrive de discuter avec le destinataire quand on a des infos à faire circuler ! N’hésitez pas à faire passer des messages ou à nous dire si vous voulez qu’on donne des indices sur vous !! 

LB : Autrement dit : plutôt spotted ou entremetteur.euse(s) ?

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Crush : Donc oui on est plutôt des entremetteurs, en tout cas on essaye au max.

LB : Quelles sont vos chansons d’amour préférées ?

Crush : Soon We’ll be Found de Sia, Close the Door de Teddy Pendergrass, et bien sûr Bella de Maître Gims.

LB : Pour une déclaration enflammée : plutôt prose ou poésie ?

Crush : On aime la puissance que peut apporter la prose, et l’élégance de la poésie.  Mais ce qui compte vraiment c’est de parler avec son coeur. Le fond compte, la forme moins ! 

LB : Le premier date idéal selon vous?

Crush : À votre avis ? Au Louvre évidemment !

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LB : Quel.le est votre dieu ou déesse de l’amour préféré.e : Aphrodite, Vénus, Inanna, Rama, Freya, vous-même, … ?

Crush : On aime la féminité assumée d’Aphrodite, mais notre plus grande déesse (comme beaucoup à l’école) c’est Ariane Thomas.

LB : Y a-t-il déjà eu des déclarations refusées (trop crues, trop compromettantes, etc.) ? (ON VEUT DU BUZZ)

Crush : On est parti du principe de n’en refuser aucune mais s’il en arrivait qui sont insultantes pour qui que ce soit on en parlerait avec l’envoyeur. Ça n’est jamais arrivé ! On ne met aucune censure au niveau des sentiments des gens, comme on vous l’a dit, on adore l’authenticité…

LB : Avez-vous déjà reçu une déclaration vous étant adressée via ce spotted ?

Crush : Si vous vous demandez si l’un de nous a déjà été visé, c’est un secret ❤ Par contre, on reçoit tout le temps des messages d’amour à destination du compte en lui-même et ça nous fait des petits frissons d’amour dans les orteils.

Un petit mot pour la fin : n’ayez pas peur de vos sentiments et n’ayez pas honte de vous dévoiler, personne ne vous juge, se déclarer c’est juste la plus belle chose qui existe (d’après nous, bien sûr) !

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Encore un grand merci à crush.edl, qui s’est merveilleusement prêté au jeu ! 

On ne peut que vous encourager à aller découvrir leur compte Instagram @crush.edl, pour satisfaire toutes vos envies les plus folles, prendre une bonne dose de love, et pourquoi pas trouver l’âme soeur, qui sait ? 

Toute la rédac’ en profite pour vous embrasser, virtuellement mais passionnément.

Longue vie à l’amour.

Ek°Phra°Sis : La tourmente des eaux

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Brume en chevelure du fleuve, seules les vagues la connaissent. Dans le chant du soir, elle se languit depuis son rocher. Son regard scrute le firmament des eaux noires et bientôt, au récif, s’écaillent les espoirs. Elle ne contient plus sa détresse ; de souffrance elle se pare. Ô toi belle inconnue qui a tant charmé, sais-tu ramener dans des bras meurtris les marins trop tôt partis ? Nul doute que tu m’entendras, Lorelei, loin de l’écume fumante des entrailles du Rhin. Qu’apporte le vent à tes abyssales notes quand s’élève une plainte, des pleurs jaillissant depuis la Lune qui se plie à ta beauté ? Loin des muets cris de son cœur s’apaise le sommeil calme des assoupies paupières du Rhin, et t’endors-tu pour mieux te réveiller pour le prochain malheureux. Te voici encore, reine sans lendemain.

 

Carl Bertling, huile sur toile, Lorelei, 1871

Carl Bertling, La Lorelei, huile sur toile, 1871

Alors que les fragrances du Sturm und Drang de Goethe flottent toujours dans l’air germanique, le poète Heinrich Heine compose un poème sur la déroutante nymphe. Il y déploie toute la scintillante obscurité d’un lieu qui enivre, enchante et captive. La sonorité de la langue allemande enlace les effets musicaux du bruissement des feuilles face aux bourrasques qui se lèvent, l’agitation de l’eau en surface qui se métamorphose en puissants tourbillons, la captivante clarté d’une voix féminine perçant la nuit…Vous ne la connaissez pas mais sans nul doute résonne son nom dans vos mémoires. Enfant ne vous a-t-on jamais conté l’histoire de cette aquatique enchanteresse ? Il est dit que ces enivrants chants absorbent l’aube et perdent entre les roches les rares navires d’intrépides marins. Elle délivre sa funèbre oraison et quiconque s’approche trop d’elle, doit redouter l’écueil sur d’imprenables rives. Égérie des Romantiques allemands, la Lorelei est encore bien mystérieuse. Nul ne sait sa véritable histoire. Est-elle une magicienne accablée du chagrin d’avoir perdu un amant navigateur ? Les marins l’aurait-il tous cruellement abandonnée ? Ou peut-être est-elle une sombre nixe qui n’a comme volonté que la mort des rameurs de passage ? Le brouillard persiste sur ce rocher haut de cent trente-deux mètres, non loin de la ville rhénane de Saint-Goarshausen… Qui sait encore où elle peut aujourd’hui se trouver… Ce qui est toutefois certain, c’est que de nos jours, elle envoûte encore plus d’un touriste.

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            Le poème envoûte également l’esprit des Allemands qui le font apprendre par la suite aux petits dans leur enfance. La Lorelei devient alors le symbole protecteur de l’Allemagne et continue après le talentueux Heine à fasciner d’autres artistes. Que dire de la mélodie de Friedrich Silcher qu’il compose pour accompagner les vers du romantique Heinrich ? Ou encore de l’ekphrasis picturale de Carl Bertling sur la mystérieuse femme en 1871 ? Il la peint dans une tourmente maîtrisée que seule l’agitation des drapés vient trahir. Prête à basculer, elle se penche depuis sa falaise pour voir quel marin vient la visiter. L’espoir dans son regard sursaute de crainte et d’insoutenable attente. Est-ce son amant qu’elle rêve de voir reparaître ? Et qu’arrivera-t-il au navigateur s’il n’est pas celui qu’elle désire plus que tout ? Nous en connaissons déjà, hélas, la fin…

 

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            Même condamnation de la femme amoureuse désespérée dans l’univers britannique. En 1603, William Shakespeare présente son tragique Hamlet. Fille du roi Polonius, la douce Ophélie s’éprend du jeune prince du Danemark qui partage sa passion bien que tous deux savent qu’un mariage entre eux est impossible. Lorsque Hamlet la délaisse et assassine son père, la jeune femme sombre dans la folie et se suicide en se noyant. Héroïne mélancolique qui ne trouve d’aboutissement à son existence qu’à travers la douceur de la mort, un topos artistique se développe en linceul autour du personnage d’Ophélie. John Everett Millais l’exalte dans son huile sur toile préraphaélite Ophélie, peinte en 1851-1852. La jeune princesse y figure noyée, ses bras revenant à la surface après un dernier sursaut de supplication adressé au destin. Sa chevelure éparse flotte en corolle autour d’elle avec en écho le déploiement de sa robe où meurent des fleurs sur l’onde. Son visage paraît étrangement calme mais dépeint un profond malheur résigné. La nature si vivante autour d’elle apparaît en verdoyant tombeau, en oxymore projeté. Face à la Lorelei, Ophélie est tout autant une héroïne éperdue d’amour mais abandonnée par l’être aimé. Cependant, la nymphe germanique transforme son chagrin en chant plaintif qui la garde en vie et qui lui permet d’attendre ou de se venger du sentiment amoureux. Ophélie, quant à elle, préfère se perdre plutôt qu’accepter la réalité de sa passion outragée, délaissée… La violence de la réaction est forcément fatale, lutte d’une vie trahie qui par l’élément de l’eau, se venge ou agonise comme seules réponses possibles face à la fatalité.

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MILLAIS, Ophélie, huile sur toile, 1851-52

 

Sous les dolentes vagues épiées

Tremble le ressac par l’éprouvé soir

Affolé. Homme de mer, agrippe

L’amer des cordes  sans quoi

L’instant surpris en tes mains

Fanera pour à l’iode s’évaporer.

 

Est l’attache forte quand au vent

Assaillent les lunaires pierres

De braves visages à l’impavide

Embrun jeté. Hélas ! Gare !

 

Le venteau est arraché et,

Par la blancheur des flots, est

Aux inavouées abysses aspiré !

 

Mirage d’absinthe roué au bâton

Infortuné, là demeure la faute.

Éprouvée sous l’écume déchirée,

Par la passion noyée, elle y perd

Le dernier souffle sous les tambours

De la vivante statue condamnée…

 

Laureen GRESSÉ-DENOIS, Noyade

Ek°Phra°Sis : murmures de paysages

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Âmes immuables aux confins des landes d’émotions, l’art de savoir exprimer les passions ou les douleurs demeure toujours une croisade pour les artistes aussi bien que pour nous autres, pauvres mortels. Comme un parfum du passé dansant à la cimaise de notre cœur ou la chatoyante mélodie d’un rire s’élevant un jour de fête, les événements et péripéties de notre destin sont toujours difficiles à dépeindre par des mots. Comment avouer l’inavouable ? Comment révéler des sphères de timide bonheur dans un limpide théâtre de lumière ?

L’enchantement est certain, quelques personnes en ont su apprivoiser le charme… par les fleurs ! Quoi de mieux que ces êtres sereins ourlés de dentelles colorées et de soieries fragiles pour dire à ceux que nous aimons ou dédaignons les choses qui refusent de franchir le seuil de nos mots ? Certaines personnes garderont les fleurs pour cristalliser le souvenir de l’être cher. Comment ne pas sourire en voyant ma mère dans notre jardin s’émerveiller devant la floraison des dahlias, fleurs que son regretté père adorait planter dans ses allées quand elle était petite… Comment ne pas savourer encore plus l’instant quand on sait que le dahlia signifie dans le langage des fleurs « Ton amour fait mon bonheur», comme si ma mère adressait une secrète lettre florale à mon grand-père disparu ?

Asseyons-nous un moment, timides lecteurs, dans les jardins de nos émotions les plus éclatantes comme les plus inavouées. À l’image de ma mère, il est fort probable que vous-mêmes ayez dans votre existence ressenti de telles émotions sans savoir les exprimer avec poésie, force et courage. Laissez-vous alors guider par les palpitations des pétales et plongez dans l’art du langage des fleurs, ekphrasis à la fois terrestre et délicate.

Pierre- Gustave STAAL - Félix et Henriette se promenant le long de l'Indre, gravure de 1871 - Domaine public

Pierre- Gustave STAAL – Félix et Henriette se promenant le long de l’Indre, gravure de 1871 – Domaine public

Dans Le Lys dans la Vallée qu’il fait paraître pour la première fois en 1836, Honoré de Balzac, fidèle amoureux incontesté de la Touraine, fait rencontrer sur les terres de la vallée de l’Indre qu’il chérit, le timide Félix de Vandenesse et la pure Henriette de Mortsauf. Le jeune homme, depuis sa plus tendre adolescence, voue une secrète passion, innocente et réservée à la douce châtelaine, déjà épouse et mère. Il la compare par ailleurs tout au long du roman à un lys. La blancheur de cette fleur révèle toute la pureté, la noblesse d’âme spirituelle et la tendresse maternelle de cette femme qui souffre tant intérieurement sans jamais pourtant le montrer. Balzac peint dans ce roman son amour de jeunesse pour Laure de Berny dans leur chère Touraine et c’est à travers ses mots qu’il la retrouve. Afin de déclarer sa timide passion à sa bien-aimée, Félix part alors cueillir chaque jour des fleurs afin de composer des bouquets, des tableaux floraux à la comtesse qui seule saura comprendre le message d’amour qu’ils délivrent :

« Aucune déclaration, nulle preuve de passion insensée n’eut de contagion plus violente que ces symphonies de fleurs, […]. Madame de Mortsauf  n’était plus qu’Henriette à leur aspect. Elle y revenait sans cesse, elle s’en nourrissait, elle y reprenait toutes les pensées que j’y avais mises, quand pour les recevoir elle relevait la tête de dessus son métier à tapisserie en disant: ―Mon Dieu, que cela est beau ! Vous comprendrez cette délicieuse correspondance par le détail d’un bouquet, comme d’après un fragment de poésie vous comprendriez Saadi. Avez-vous senti dans les prairies, au mois de mai, ce parfum qui communique à tous les êtres l’ivresse de la fécondation, qui fait qu’en bateau vous trempez vos mains dans l’onde, que vous livrez au vent votre chevelure, et que vos pensées reverdissent comme les touffes forestières ? […] Mettez dans un bouquet ses lames luisantes et rayées comme une robe à filets blancs et verts, d’inépuisables exhalations remueront au fond de votre cœur les roses en bouton que la pudeur y écrase. […] Au-dessus, voyez […] les pyramides neigeuses du paturin des champs et des eaux, la verte chevelure des bromes stériles, les panaches effilés de ces agrostis nommés les épis du vent ; violâtres espérances dont se couronnent les premiers rêves et qui se détachent sur le fond gris de lin où la lumière rayonne autour de ces herbes en fleurs. […] Du sein de ce prolixe torrent d’amour qui déborde, s’élance un magnifique double pavot rouge accompagné de ses glands prêts à s’ouvrir, déployant les flammèches de son incendie au- dessus des jasmins étoilés et dominant la pluie incessante du pollen, beau nuage qui papillote dans l’air en reflétant le jour dans ses mille parcelles luisantes ! Quelle femme enivrée […] ne comprendra […] cette blanche tendresse troublée par des mouvements indomptés, et ce rouge désir de l’amour qui demande un bonheur refusé dans les luttes cent fois recommencées de la passion contenue, infatigable, éternelle ? Mettez ce discours dans la lumière d’une croisée, afin d’en montrer les frais détails, les délicates oppositions, les arabesques, afin que la souveraine émue y voie une fleur plus épanouie et d’où tombe une larme ; elle sera bien près de s’abandonner, il faudra qu’un ange ou la voix son enfant la retienne au bord de l’abîme. »

La nature soupire et s’exhale dans la tendresse de Félix qui fait refléter dans ses

Dessin de bleuets - Anna Aubourg

Anna Aubourg – Bleuets

bouquets son innocente passion à la belle comtesse. Leurs promenades dans la vallée, contée avec une tendre poésie dans les chapitres de Balzac, révèlent toute l’ampleur de leurs émotions sur les sentiers fleuris des bords de l’Indre. Le paysage état d’âme s’y forge, s’y mêle, s’y déploie et s’y enivre avec délicatesse. C’est cette atmosphère que le graveur Pierre-Gustave Staal essaie ainsi de recréer dans ses dessins du Lys dans la Vallée, qu’il est chargé d’illustrer pour l’édition de 1871.

Aquarelle de coquelicots - Mauricette Denois

Mauricette Denois – Coquelicots

Si les artistes utilisent les fleurs pour s’exprimer, par un bleuet étoilé révélant l’amour timide mais fidèle ou par un fragile coquelicot gardien d’une éternelle passion à protéger, d’autres encore emploient plus largement toute la nature et tous les paysages pour métamorphoser leurs émotions. Quittons la douce vallée de l’Indre pour gagner les contrées paisibles et authentiques des Pays-Bas… Les paysages nordiques ont toujours eu leurs plus fervents admirateurs, louant l’usage de l’huile pour de merveilleux reflets et vaporeuses légèretés nordiques. En 1638, Rembrandt quitte ses autoportraits et gravures pour peindre son Pont de pierre, conservé aujourd’hui au Rijksmuseum à Amsterdam. La scène a priori baignant dans la quiétude de bateliers voguant sous un pont, se retrouve insidieusement en tension avec la nature l’entourant. L’orage approchant et la vive lumière dorée amenant l’arbre de l’arrière-plan en principal sujet, rappelle les êtres pris dans les bourrasques de l’existence qui parfois malmènent. Les nuages d’un gris profond, le pont semblant s’incliner le long de l’eau, le bain de lumière traversé par un vent plus soutenu amènent ainsi l’astucieux mélange de plus d’une émotion qui parlera différemment à chaque observateur de la toile. Or, ce paysage est une imagination de Rembrandt car les ponts en pierre ne sont que dans les villes alors que celui peint se trouve en pleine campagne. Le peintre y aurait-il inscrit ses invisibles sentiments du moment ?

 

Imprégnés de cette vision changeante, il est temps de vous proposer une ekphrasis terrestre face à cette nature hollandaise.

 

REMBRANDT - Paysage avec un pont de pierre - 1638 - Domaine Public

REMBRANDT – Paysage avec un pont de pierre – 1638 – Domaine Public

 

Si aux berges de l’âme s’érode l’erseau,

Qu’espère la tendre balbutie de l’ondée ?

Florescente ambre de feuillages, embrassant flots

Et nuées, sommeille lors la grège ventée…

 

Sont-ce encore par la pierre l’indécis,

Deux inversés regards, reflétés au ciel ?

Là s’enivre la barque sous le pont fidèle,

Pareil au doux seuil de sombres amours éclaircies…

 

Paisible coteau, es-tu la grande voûte

De mes blessés, arrachés souvenirs au doute ?

Ekphora, dois-je encore garder l’obscur voile ?

 

Cher inconnu, se lève l’aube en éphélides,

Dorant l’abside de mon désespéré lit…

Ekphora, dois-je alors ôter l’obscur voile ?

 

Laureen Gressé-Denois, « Reflets contrastés »

La palourde

la palourde cousteau the lobster

Quand je suis sortie de la séance de The Lobster (2015, Yórgos Lánthimos) hier soir, je me suis sentie dans une drôle d’humeur. D’une part parce que le film ne répondait pas à mes attentes (beaucoup de points restent en suspens), d’autre part à cause de l’ambiance étrange et du sujet même de cette fiction un peu fantastique. Dans un futur proche, les célibataires sont enfermés dans un hôtel avec pour but (obligation ?) de trouver un partenaire sous quarante jours. S’ils échouent, ils sont transformés en l’animal de leur choix. Toutefois, se mettre en couple n’est pas si aisé que ça, il semblerait qu’il faille avoir un signe particulier en commun avec votre future moitié : un boitement, des saignements de nez réguliers ou même la myopie…
Et c’est là que quelque chose me dérange.

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