Retour d’expo – « Luxe de poche » au musée Cognacq-Jay

Du 28.03 au 24.11.2024 – Gratuit pour étudiants en art – Durée de la visite 1h30

 

Le Musée Cognacq-Jay est situé à proximité du Marais, dans le centre de Paris. C’est un établissement dont les collections sont essentiellement composées de peintures, de mobilier et d’objets d’arts du XVIIIe siècle.

L’exposition « Luxe de poche » présente différents objets sophistiqués miniatures et a pour ambition de faire changer le regard sur ces objets, en ayant une approche plurielle. Le luxe de poche convoque donc des tabatières, des fioles, des nécessaires d’écriture de cachets secrets, des montres à goussets ou des bonbonnières… Tous les objets témoignent d’une époque et leur usage reflète des coutumes en société. Plusieurs salles se succèdent, elles présentent presque toutes les mêmes types d’objets. Cette façon de décliner des salles entières sur des objets si petits et luxueux montre combien ceux-ci étaient répandus.

Couvercle d'une boîte dont le décor représente une architecture : les éléments architecturaux sont réalisés en or tandis que le fond qui transparait au travers des ouvertures est en nacre.

Pierre-Aldebert Griot, tabatière, entre 1750 et 1760, créée à Berlin, or, nacre, 3.9 x 8.1 x 6.2 cm, Paris, musée Cognacq-Jay

Ces objets sont effectivement particulièrement luxueux. Quasi tous ornés d’or, ils sont également, pour ce qui concerne les tabatières et bonbonnières, décorés d’incrustations de métaux précieux, de copies de tableaux de l’époque, de portraits de l’Empereur ou du propriétaire de l’objet, et sont travaillés extrêmement finement par des orfèvres. Il y a des travaux de décorations végétales par exemple, qui convoquent un savoir-faire particulièrement élaboré et une grande minutie. Il était très intéressant d’observer la virtuosité du travail qu’ont demandé ces objets d’art. On aurait presque souhaité une loupe pour pouvoir en apprécier chaque détail. L’exposition était, en plus de cela, plutôt fournie, ce qui donnait de quoi s’émerveiller sur les travaux des matières, la technique de gravure a une si petite échelle et la virtuosité de la technique des orfèvres qui paraît, à nous grand public, si loin, difficile et noble.

L’accent était mis sur la couleur bleue, un bleu profond presque marine, qui a ponctué l’exposition du début à la fin, ce qui donnait une ambiance assez chaleureuse et surtout très intimiste. D’un point de vue muséographie ce bleu contrastait avec l’or et le luxe des objets de poche. Les objets, qui avaient souvent de quoi briller, étaient bien mis en valeur car ils se détachaient de cette couleur sombre. Ils étaient aussi très bien éclairés, par des petites ampoules situées directement dans les vitrines : on pouvait apprécier autant qu’on le voulait les reflets de l’or, des pierres et de l’argent. Le visiteur était plongé dans une ambiance peu lumineuse, ce qui dirigeait toute sa concentration sur les vitrines. Cette ambiance sombre participait à immerger le visiteur dans l’intimité du minuscule: la pénombre nous plonge, avec les objets, dans les poches des utilisateurs de l’époque et l’on devient minuscule dans ce vertige. J’ai trouvé cela très appréciable et très intimiste.

Petite boîte dont le couvercle est en forme de tatou aux yeux incrustés de rubis. Les plaques de sa carapace sont alternativement vertes, bleues, jaunes et rouges.

Drageoir en forme de tatou, manufacture de Saint-Cloud, vers 1750, porcelaine tendre, rubis, or, agate, 5.1 x 5.8 x 4.4 cm, Paris, musée Cognacq-Jay

Certains objets étaient particulièrement amusants. Beaucoup de fioles à parfum prennent des formes inattendues, comme des animaux. Un nécessaire d’écriture, pour rédiger des petits mots, c’est-à dire un étui dans lequel sont glissées des petites feuilles, était en forme de violon, le tout sur dix centimètres de long. Un grand nombre de tabatières présente des scènes mythologiques sur le haut du couvercle et des nécessaires à couture étaient taillés dans un raffinement extrême. On va de surprises en surprises devant ces tout petits objets, si chargés de sens et si amusants. On se plaît à imaginer comment les gens de l’époque s’en servaient. Pour nous, qui sommes habitués aux objets standardisés, voir des fioles ou bonbonnières taillées sur-mesure, pour un usage précis dont la forme était évocatrice est impressionnant. C’est l’esthétique du luxe de poche certes, mais surtout celle de l’unique, qui fascine le visiteur.

Cependant j’ai trouvé que le sens de certains objets n’était pas toujours exploité. Nombre de tabatières peuvent présenter Apollon, des femmes au bain, d’autres présentent des scènes de genre rococo dans lesquelles des jeunes gens sont isolés dans un décor de forêt… Voila qui charge la scène d’un sens assez érotique. Un flacon de parfum prenait la forme d’un pistolet, si bien que lorsque Madame voulait se parfumer, elle devait se tirer dans le cou avec ce petit objet. Là encore, charge érotique et sensuelle assez prononcée. Or cela n’était que trop peu exploité à mon sens. Il n’y a pas eu de développement sur le sens que l’usage d’un tel objet pouvait avoir en société.

Flacon de parfum orfévré en forme de pistolet, dont le bout de la crosse traité en bouton de fleur s'ouvre pour libérer le vaporisateur de parfum.

Jean-François Bautte, pistolet à parfum, vers 1800, créé à Genève, or ciselé, guilloché et émaillé, 5.6 x 12.3 x 1.6 cm, Paris, musée Cognacq-Jay

De plus, j’aurais apprécié un développement sur la technique de l’orfèvrerie, avec des panneaux explicatifs ou vidéos. Les scènes représentées sur les tabatières étaient souvent peintes puis incrustées dans le couvercle. J’ai trouvé que l’exposition manquait d’un développement sur les techniques en lien avec le minuscule. Assez peu d’objets sont mis en avant pour leur minutie extrême, concernant l’orfèvrerie, gravure ou peinture. J’ai trouvé cela très regrettable car le visiteur se plairait à comprendre la technique. Des objets auraient pu être ciblés et autour d’eux auraient pu s’articuler des explications sur la technique convoquée.

Somme toute, l’exposition était très intéressante et surtout instructive. On y découvre tout ce luxe, qui aujourd’hui, existe différemment, des éléments luxueux d’une époque passée que seule une exposition ainsi organisée peut nous permettre de découvrir. Cela reste passionnant et touchant d’imaginer l’usage des propriétaires, le sens des objets en société. On ne se lasse pas d’observer la qualité technique époustouflante des orfèvres, professionnels du minuscule. L’exposition sur le luxe de poche donne donc à voir à un public du XXIe siècle les objets privilégiés du XVIIIe, en nous laissant nous demander si, aujourd’hui, le luxe de poche existe encore et, si oui, sous quelle forme…

LOÏSE POUJOL

 

Johann-Christian Neuber, boîte, vers 1780, créée à Dresde, pierre, or, perle fine, émail, H. 3.5 cm, D. 8 cm, Paris, musée Cognacq-Jay

 

CRÉDIT IMAGES
CCØ Paris Musées/Musée Cognacq-Jay

 

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