Histoi’Art – Secrets de bijoux dans les portraits royaux

Ils fascinent, rayonnent, attrapent des fragments d’émerveillement, les renvoient à nos âmes en mille faisceaux ostentatoires qui captivent… Ils ont toujours été là, mêlés à nos souverains, à la fois discrets sur leurs portraits et en même temps rutilants de beauté extatique… Et si nous nous plongions un instant dans ce fantasmagorique univers pour découvrir les petites anecdotes, les rocambolesques aventures, de ces pierres qui, sorties de leur écrin de terre, ont accompagné ceux qui ont fait la grandeur de notre France ? C’est ce que le Louvr’Boîte vous propose dan ce Secret d’Histoi’Art inédit…

François Ier et les joyaux de la couronne

CLOUET, François Ier, 1530, huile sur toile, 96 X 74 cm, Paris, musée du Louvre

Qui incarne le mieux la Renaissance française que notre incomparable roi François Ier ? Obsédé par cette Italie rêvée, ce duché de Milan qu’il veut faire sien, il traverse les Alpes avec son armée. Si finalement il reviendra d’une campagne assez mitigée qui l’enfermera même en Espagne quelques temps, François ne s’avoue pas pleinement vaincu et repart avec dans ses bagages de précieux personnages, d’illustres artistes et artisans italiens, qui n’hésitent pas très longtemps avant d’accompagner ce nouveau Prince des Arts. De Vinci, Del Sarto, Primatice, Rosso Fiorentino… Des noms qui ont fait vibrer la cour française et ses différents châteaux au XVIème siècle. Moins connus du grand public, del Nassaro et Cellini méritent pourtant tout autant les honneurs. Orfèvres « geoliers », ils donnent à la France un nouveau souffle dans ses arts du beau éclatant, du métal flamboyant, du bijou étincelant. Installés dans l’hôtel de Nesle, ils apportent leur savoir-faire italien à leur atelier français, introduisant de nouveaux sujets mythologiques. La religion reste toutefois encore représentée sur quelques bijoux comme sur le médaillon que le roi arbore dans son portrait peint par Jean Clouet visible au Louvre. Il s’agit d’un rappel de l’ordre de Saint-Michel fondé par Louis XI, son royal prédécesseur, en 1469. L’absence de la salamandre mais la présence de cette iconographie sont sans doute une volonté de François Ier de se légitimer dans la succession monarchique qui est passée de la dynastie des Capétiens à celle des Valois. Toutefois, le roi fait une entorse aux statuts de l’ordre qui

demandaient que le collier ne soit pas rehaussé de pierreries et devait se composer de vingt-trois coquilles en or. La présence du médaillon avec saint Michel terrassant le dragon est toutefois bien respectée. Le portrait le montre tout en apparat, soulignant un message implicite clair : « Je m’inscris dans le passé de mes prédécesseurs mais incarne le renouveau frais et noble, dans un raffinement moderne. ». François Ier va même plus loin et institue en 1530 les « Joyaux de la Couronne ».  Huit pierres, toutes alors appelées « diamants », enchâssées sur des bagues, avaient été apportées quelques années plus tôt à la couronne par la reine Claude, son épouse, la fille d’Anne de Bretagne. Quelques semaines avant son second mariage (Claude mourant en 1524), le roi demande à la Chambre des Comptes d’inscrire l’inaliénabilité de ces trésors. Toute souveraine française a le droit d’en jouir durant le règne de son époux mais une fois devenue veuve, elle doit obligatoirement les rendre au Trésor Royal.

Le Diamant bleu et Louis XV

VAN LOO, Portrait de Louis XV, après 1750, huile sur toile , 244X 186 cm, Dijon, Musée des Beaux-Arts

À ces beautés originelles s’en sont ajoutées d’autres au cours des règnes suivants. C’est notamment le cas du Diamant bleu, acheté par Louis XIV, venant tout droit des Indes. D’un bleu intense de 69 carats, il est l’heureux cadeau que s’offre le roi Soleil, fan de gemmologie, pour l’équivalent monétaire de 179 kilos d’or pur. Son successeur, Louis XV, boude un peu cette merveille jusqu’à ce qu’il soit adoubé chevalier… de l’ordre de la Toison d’Or en 1749 ! Il demande alors à Jacquemin, pour son insigne, de rappeler la royauté française

FARGES, Gouache représentant la Toison d_Or de Louis XV, 2008

(l’ordre de la Toison d’Or étant décerné par la famille des Habsbourg). Quoi de mieux qu’une sublime pierre de couleur bleu roi ? Même si aujourd’hui cet insigne final de Louis XV est perdu, le moule en plomb ayant accueilli le Diamant Bleu existe toujours. Sur l’ensemble commandé pour le roi, la pierre est censée protéger la Toison d’Or des flammes crachées par un dragon. Ce dernier est par ailleurs taillé dans une spinelle, mais pas n’importe laquelle : il s’agit de la « Côte de Bretagne », aujourd’hui seule rescapée des huit premières pierres originelles des Joyaux de la Couronne ! Une catastrophe arrive cependant: l’insigne de Louis XV finit par être volé en 1792 dans l’hôtel du Garde-Meuble (aujourd’hui l’Hôtel de la Marine). Beaucoup d’autres joyaux de la Couronne sont dérobés au même moment. Si certains finissent par être retrouvés, d’autres sont pour le moment encore perdus. Vingt ans après, en 1812, le Diamant Bleu réapparaît en Angleterre ! Ouf ! Retaillé, il est désormais connu sous le nom de « Hope » et est conservé au Smithsonian Institute.

Le Régent et Napoléon Bonaparte

Lui-aussi venu des Indes, le Régent est un diamant blanc, sûrement le plus connu et le plus précieux au monde. Encore aujourd’hui, il est visible au musée du Louvre. Son histoire avec Napoléon Bonaparte a pourtant commencé bien mal… Afin de financer la campagne d’Italie du général, le gouvernement le met en gage en 1797. Heureusement, le coût du triomphe de ces années militaires n’est pas oublié par le Corse qui, une fois Consul, s’empresse de le racheter cinq ans plus tard.

BOUTET, ODIOT, NITOT, Épée du sacre de Napoléon Ier, damasquinure, or, écaille, jaspe, pierres précieuses, 96 cm, Château de Fontainebleau

Il s’attache tant à cette pierre qu’il la fait monter sur la garde de son épée (une commande de 11 000 francs, quand même réestimée à 14 200 000 francs en 1802). Il se fait alors portraiturer avec par Ingres. La pierre le suit dans son ascension, fidèle bonne étoile de ses succès. Le Régent avait veillé sur ses exploits en Italie, il l’accompagne désormais bien visible sur son arme durant le Consulat… jusqu’à son sacre d’Empereur. Sur son portrait officiel en pied par Gérard conservé à Versailles, le Régent étincelle toujours, extrêmement mis en valeur, sur le flanc gauche du souverain. Un porte-bonheur ? Sans doute… Puisqu’en 1812, l’Empereur le fait transférer sur une autre arme impériale, en forme de glaive antique. Ne cherchez toutefois pas le fameux Régent sur le tableau du Sacre de David au Louvre : il semblerait que l’arme représentée sur le côté de Napoléon Ier, avec une garde formée d’un aigle en or, ne soit qu’une invention de l’artiste. Si aujourd’hui le Régent a effectivement été retiré de l’épée, une reconstitution de l’ensemble est encore visible à Fontainebleau.

Le Trèfle et Eugénie de Montijo

Terminons ce tour d’horizon à carats et facettes avec cette fois… une souveraine ! Ceux qui se passionnent pour la belle Eugénie de Montijo le savent peut-être, elle raffolait du vert. En arpentant encore ses appartements impériaux dans certains palais, les tentures Second Empire sont souvent, en plus du cramoisi, de cette couleur. Nous allons donc parler d’un magnifique bijou de la même nuance. Glissez-vous confortablement dans un fauteuil crapaud à franges pour lire cette histoire presque digne d’un conte de fées… Rencontrée lors d’un dîner chez la cousine du prince-présient, la princesse Mathilde, la jeune demoiselle espagnole subjugue le Louis-Napoléon Bonaparte qui débute alors une cour assidue auprès de la belle. Pendant l’automne 1852, Eugénie est invitée à séjourner à Compiègne, rejoignant ainsi sa mère… et son prétendant !

FOSSIN, Trèfle en or, argent, émail et diamants, ©Collection privée

En se promenant un matin avec lui dans les jardins, la jeune femme remarque, subjuguée, un trèfle où de fines gouttelettes de la rosée s’étaient déposées, faisant ainsi étinceler la plante d’une poésie magique, suspendue dans l’incroyable et éphémère moment de la contemplation. Le cœur du futur Empereur cède complètement : Eugénie est la femme qu’il lui faut. Le lendemain, il lui offre une broche en forme de trèfle en émeraude, entouré d’un liseré de petits diamants, signé Fossin de la dynastie de joaillier Chaumet. Le bijou, faisant office de cadeau de fiançailles, sacre leur amour. Eugénie le porte alors comme un talisman de cette promesse éternelle et se fait régulièrement représenter avec, sur ses portraits.

 

 

 Laureen Gressé-Denois

Histoi’Art – Quand Charpentier orchestre les affetti musicaux

Charpentier – Détail de la fresque des Français peintes par le collectif A Fresco

          « On a dit avec raison que le but de la musique, c’était l’émotion. Aucun autre art ne réveillera d’une manière aussi sublime le sentiment humain dans les entrailles de l’homme » confie George Sand dans son roman Consuelo (1843), contant l’histoire d’une chanteuse bohémienne au XVIIIème siècle. Qui n’a jamais été pris dans l’enivrant tourbillon des mélodies ? Bien qu’adorant tous les arts, la musique a toujours été selon moi la reine de tous car elle est la plus à même de promptement et profondément toucher toute personne. En entendant un air, nous sommes obligés d’être immédiatement pénétrés par une émotion. Elle nous enlace, nous enserre, crépite et palpite en nous. Je me sens par exemple toujours terrassée de crainte et de fureur en écoutant le Dies Irae de Verdi, exaltée de piété et de pureté avec le Miserere d’Allegri, altière et puissante avec le O Fortuna d’Orff, guillerette et confiante avec le Credo de la messe en ut mineur de Mozart, douce, méditative et nostalgique avec Mignonne, allons voir si la rose de Costeley… Comment expliquer ces différences de couleurs, ces peintures musicales qui nous touchent jusqu’au plus profond de notre être ?

          En 1690, Marc-Antoine Charpentier tente de donner une réponse. Depuis que la musique existe, tous les compositeurs ont cherché à faire passer un message, à transcrire une émotion dans leurs créations. Tient-elle du génie ? Provient-elle d’une recette magique à exécuter pour obtenir de si délicieux résultats à l’oreille ? Est-ce une science plus exacte ? Depuis la mort de Lully survenue en 1687, les autres compositeurs français peuvent enfin être un peu plus sous les feux de la rampe musicale à la cour du roi. Charpentier est ainsi chargé d’apprendre l’art de la composition au duc de Chartres Philippe d’Orléans, neveu de Louis XIV, cousin de Mademoiselle de Guise… et futur régent de Louis XV ! Afin d’apprendre ses connaissances à son élève, Charpentier rédige à Paris un opuscule manuscrit intitulé Règles de composition. Dans l’ouvrage, il explique la codification des émotions en musique et comment une tonalité arrive à susciter un sentiment chez la personne qui écoute. Cette théorie explore ainsi les différentes tonalités. On désigne par ces dernières la combinaison d’un mode (majeur ou mineur) et d’une gamme de huit notes (où la première est celle de référence et est appelée « la tonique » : c’est elle qui donne le nom à la tonalité). Par exemple, tout le monde connaît la gamme de do majeur, qu’on apprend en cours de musique au collège : do, ré, mi, fa, sol, la, si, do. Ici, la note do est la tonique : c’est la première de la gamme, prise dans le mode majeur. Il existe énormément de tonalités en musique occidentale mais il y en a bien d’autres encore différentes dans le reste du monde ! Charpentier s’intéresse à celles écoutées dans la France de son siècle. Il établit alors une liste, qui indique au duc de Chartres comment construire sa musique avec telle ou telle tonalité selon le sentiment qu’il veut susciter. La musique, si subjective, aurait-elle donc bel et bien des règles explicites pour créer la beauté ? La science des accords, très mathématique (en calculant l’écart entre chaque note), s’allierait alors à la poésie de notre âme pour créer des résultats insoupçonnés !

 

Do (ut) majeur Gai et guerrier
Do (ut) mineur Obscur et triste
Ré majeur Joyeux et très guerrier
Ré mineur Grave et dévot
Mi bémol majeur Cruel et dur
Mi bémol mineur Horrible et affreux
Mi majeur Querelleur et criard
Mi mineur Efféminé, amoureux et plaintif
Fa majeur Furieux et emporté
Fa mineur Obscur et plaintif
Sol majeur Doucement joyeux
Sol mineur Sérieux et magnifique
La majeur Joyeux et champêtre
La mineur Tendre et plaintif
Si bémol majeur Magnifique et joyeux
Si bémol mineur Obscur et terrible
Si majeur Dur et plaintif
Si mineur Solitaire et mélancolique

 

          Toutefois, Charpentier n’est pas le seul dans l’Histoire de la musique à décrire ce qu’il ressent selon la tonalité jouée. Par exemple, si on reste toujours avec la tonalité du do majeur, Johann Mattheson écrit en 1713 qu’il ressent un « caractère insolent [et des] réjouissances. On donne libre cours à sa joie ». Rameau confie lui en 1722 dans son Traité de l’Harmonie que le do majeur sonne plutôt comme un « chant d’allégresse et de reconnaissance ». Schubart parle lui en 1806 de tonalité « parfaitement pur[e]. Innocence, naïveté, Éventuellement charmant[e] ou tendre langage d’enfants ». Pas de grande différence de ressenti donc, pour le do majeur, qui explicite à l’unanimité un sentiment triomphant de joie ! Je vous propose de vérifier de suite ce constat avec des extraits du concerto pour orgue en do majeur de Jean-Sébastien Bach (BWV 595) et de la symphonie n°41 Jupiter de Mozart (K 551).

 

 

 

          Cependant, l’âme humaine reste différente entre les êtres et nous avons parfois des expériences distinctes qui affectent notre perception de la musique. Penser qu’une loi de composition rendrait explicite un sentiment commun pour tout le monde selon telle ou telle tonalité semble même assez dangereux pour cet art. Comme ce serait bien triste, si nous ressentions tous exactement la même chose en écoutant une même mélodie ! Heureusement pour nous, Charpentier ne semble pas avoir trouvé en 1690 le code absolu des sentiments. Si l’on compare les ressentis des autres compositeurs dans les siècles qui suivent, il faut constater des écarts dans leur manière de percevoir un air.  Regardons ensemble le cas du mi majeur. Charpentier voit dans cette tonalité un sentiment « querelleux et criard ». Mattheson se rapproche de son avis et évoque une « tristesse désespérée et mortelle, [un] amour désespéré » une sorte de « séparation fatale du corps et de l’âme » engendrant un ressenti « tranchant, pressant ». Contrairement à eux, Rameaux trouve que le mi majeur « convient aux chants tendres et gais, ou encore au grand et au magnifique » quand Schubart évoque plutôt ceci : « Allégresse bruyante. Joie souriante mais sans jouissance complète ». Des avis différents donc, passant du tout au tout ! La science des écarts de notes a donc oublié un facteur essentiel : l’histoire humaine. Nos rencontres, nos souvenirs, nos actions, nos valeurs, nos goûts, notre éducation influent sur toute formule mathématique musicale. Je vous laisse vous forger votre opinion en écoutant le célèbre premier mouvement en mi majeur du concerto du Printemps d’Antonio Vivaldi (RV 269), ainsi que le premier mouvement d’Arabesques de Claude Debussy (L 66) ! Moralité de l’Histoire : on ne discute pas les goûts et… les notes !

 

Laureen GRESSÉ-DENOIS

 

À Bianca M. et à ma tante qui m’ont appris quelques rudiments de solfège pendant le confinement. Un grand merci à elles !

 

 

Sources :

  •  Verdier, Véronique. « Des affects en musique : de la création à l’expérience esthétique », Insistance, vol. 5, no. 1, 2011, pp. 69-81.
  • Charpentier, Marc-Antoine. « Règles de composition par M. Charpentier » in Catherine Cessac, Marc-Antoine Charpentier, Fayard, Paris, 1988.
  • De Villiers, Henri. « Marc-Antoine Charpentier : tableau des énergies des modes », article sur le site de la Schola Sainte-Cécile de Paris, 14 février 2008
  • Magazine de la musique ancienne et baroque en ligne « Muse baroque »

Histoi’Art – Un bretzel ou un sort ! Les sorcières en Alsace !

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Dessin par notre illustratrice Éloïse Briand

Ah l’Alsace, ses bretzels, sa cathédrale, ses bredala, ses cigognes… Qui n’est jamais tombé sous le charme sublime de cette région enchanteresse ? Si sa magie blanche entoure constamment les  touristes qui actuellement assiègent les marchés de Noël des villages de mon enfance, il y a des sortilèges et rites beaucoup plus sombres dans notre passé que vous ne connaissez sans doute pas ! Yésses Gott ne faites pas cette tête, elles ne sévissent plus chez nous aujourd’hui si tant est qu’elles aient réellement existé les pauvres. Oui, je parle des sorcières ! Si vous avez un peu peur avant de lire cet article, rien de mieux qu’un bon coup de schnaps avant de commencer. Hopla Geis ! Tous sur vos balais !

 

 

Gravure des Pendus de Hésingue, musée de Huningue

Gravure des Pendus de Hésingue pendant la Guerre de Trente Ans, musée de Huningue

On s’imagine souvent que l’âge d’or de la sorcellerie en France date du Moyen Âge mais les Historiens ayant recensé les procès sont d’accord pour affirmer qu’il s’agit en réalité des XVIème et XVIIème. L’Alsace est une des régions alors la plus touchée par la croyance et les jugements de sorcières… Cela s’explique avant tout par le fort contexte de famine, de maladies (peste et ergotisme) et de guerres lors de la Guerre de Trente Ans (1618-1648). Au début du XVIIème siècle, l’Alsace est un ensemble de mosaïques d’états et de villes libres. Mulhouse, ma ville de naissance, est quand même la plus vieille république de France si on y songe : 1347-1798  (bon d’accord à l’époque nous étions Allemands mais c’est un léger détail, de toute façon on se rattache à la France seulement quand la tout jeune première République est née, pas de roi chez nous pendant très longtemps donc !) Toutefois, cette guerre, qui prend place en plein petit âge glaciaire tombe très mal pour les populations paysannes qui sont les premières touchées par la recherche assidue de coupables à ces maux. La suspicion des voisins et des ennemis va bon train et amènent à de terribles accusations. Entre le XVème et le XVIème siècle, 80% des personnes visées par ses dénonciations sont des femmes. Cela ne vous étonne pas n’est-ce pas ? Qu’à cela ne tienne entre 1480 et 1520, la première vague de chasse à la sorcière alsacienne est organisée par l’Inquisition.

 

 

INSTITORIS et SPRANGER, Malleus Maleficarum, édition lyonnaise de 1669

INSTITORIS et SPRANGER, Malleus Maleficarum, édition lyonnaise de 1669

Comment retrouver ces perfides mégères qui sèment troubles et chaos dans la paisible plaine d’Alsace ? Cette histoire trouve ses origines bien avant la Guerre de Trente Ans… Qu’à cela ne tienne, le pape Innocent VIII rédige une bulle le 5 décembre 1484 intitulée Summis Desiderantes Affectibus. Celle-ci octroie à deux hommes de Sélestat, au centre de l’Alsace, le droit de mener les premiers féminicides au nom de l’éradication de la sorcellerie. Le nom de ces  deux crapules ? Heinrich Kramer et Jakob Spranger. Ceux-ci prennent très à cœur leur tâche au point que Spranger aidé d’Institoris, écrit entre 1484 et 1487 un ouvrage édifiant : le Malleus Maleficarum, mieux connu sous le nom de Marteau des Sorcières  qui explicite comment trouver les sorcières, comment les reconnaître, comment les capturer, comment leur faire avouer leurs crimes, comment instruire leur procès et comment s’en débarrasser. Véritable mode d’emploi, le livre va connaître un succès incroyable notamment dans tout le Saint-Empire-Romain-Germanique avec plus d’une trentaine de rééditions en latin et dans tous les formats ! Pour information ce livre est encore édité et publié de nos jours ! Bien évidemment la femme est naturellement accusée ouvertement d’être à l’origine de la sorcellerie puisqu’elle est une créature faible et non intelligente. Il faut bien garder à l’esprit qu’à cette époque la société était encore ultra machiste, patriarcale avec la figure féminine immédiatement rattachée à la faute du péché originel. La loquacité abrutissante de certaines épouses et les fausses-couches régulières font parfois douter de nombreux maris du bienfondé de leur mariage. Les guérisseurs sont ensuite les suivants le plus souvent incriminer. Célébrés en période de paix et prospérité, ils sont accusés en période de malheur d’avoir retourné leur pouvoir et avoir lancer des malédictions sur leur propre communauté.

 

 

 

WEIDITZ, Nonnes pactisant avec le diable, gravure

WEIDITZ, Nonnes pactisant avec le diable, gravure

Être une sorcière induit forcément une rencontre avec le Malin qu’on appelle souvent en Alsace Hemmerlin ou encore Peterlin. Toutes les classes de la société peuvent être accusées d’acoquinement avec le Diable, même si c’est quand même majoritairement le cas des paysans et surtout des personnes très marginales et fragiles. Dans tous les procès, certaines mentions sont récurrentes : Satan vient toujours visiter son futur serviteur à son domicilie ou directement sur son lieu de travail. Il donne alors lui-même un nouveau nom à ses recrues, ce qui donne lieu à des trouvailles très humoristiques pour les Historiens. Un procès incrime ainsi une jeune femme qui aurait reçu le prénom de Krauterdorschen par le Diable. Comprenez « Morue aux herbes » aujourd’hui en français. Tout le monde a toujours rêvé de se faire appeler Morue, surtout avec un tips cuisine aux aromatiques ! Le pacte signé entre la sorcière et Satan est ensuite effectif à partir du moment où les noces diaboliques ont été célébrées. Là aussi les registres de procès regorgent de détails. Elles sont célébrées la nuit dans un lieu sauvage isolée le soir du sabbat. Le scellement de l’union avec le Malin se concrétise une fois que l’appelée renie sa foi, ses parents et accepte sa damnation éternelle. Elle signe alors le serment de son propre sang. De grandes festivités sont ensuite organisées avec les autres sorcières, aux comportements lubriques et arrosés dignes des plus grandes bacchantes. Grand festin, danse magique toute la nuit sans être épuisé, tout est à l’heure de la fête. Enfin, alors la nuit se termine, le Diable clôt alors les noces en apposant sa fameuse marque sur sa nouvelle vassale. Ces faits nous sont parvenus via des témoignages avancés devant l’Inquisition. Un homme de Rouffach (ville considérée comme le plus haut lieu de sorcellerie dans le Haut-Rhin) assure qu’au retour d’une promenade à minuit, il aurait vu tout un cortège diabolique  dans un grand palais lumineux sur la colline du Bollenberg (haut lieu de rassemblement de sorcières qui revient dans de nombreux écrits, ancien lieu de rituels magiques celtes dédiés au dieu du feu Belen). D’autres procès n’hésitent pas à aggraver largement les faits reprochés en mentionnant même parfois des sacrifices d’enfant, des cadavres de bambins déterrés et démembrés, la cervelle de mort-nés récupérée pour faire des potions. Seuls les enfants non baptisés étaient visés. D’où l’empressement des parents, à chaque naissance, pour faire rentrer son nourrisson dans l’ordre de Dieu dès les premières heures de sa vie.

 

 

Mais qu’est-ce qui inquiète tant chez les sorcières ? Poudres magiques à base de cerveau, de peaux, d’écorces seraient utilisées pour détruire les récoltes. Des baguettes magiques seraient frottées avec des onguents. Parfois, on a même des accusations qui parlent de sorts jetés rien que par la parole, un geste bref ou même pire, uniquement un regard ! Certains témoins affirment même avoir vu des femmes se métamorphoser en créatures maléfiques planant la nuit au-dessus de leur village et voilant la lumière de la lune. Alors, pour se protéger, on a créé un autre mode d’emploi best-seller : le Geistlishe Schild (« le bouclier spirituel »). Ce livre de protection était même à force considéré comme un grimoire et certaines églises alsaciennes du Sundgau (partie extrême sud de l’Alsace avant les trois frontières) avaient des compartiments cachés en-dessous où le prêtre pouvait cacher son exemplaire des yeux des soricères pour ainsi protéger sa paroisse. Le format était de poche pour être discret.

La-Tentation-de-Saint-Antoine_Martin-Schongauer

SCHONGAUER, Tentation de Saint-Antoine, 1470-1475, gravure, H: 31 cm, NYC, the MET

Comment se passait alors les procès une fois les confessions des sorcières obtenues, souvent par la torture d’ailleurs ? Au XVIIème siècle, les juges étaient tous des religieux. Par la suite, au siècle suivant, les juges sont des laïcs. Chaque village a alors son Malefizgerich (tribunal de vingt-quatre juges). Dans 90% des cas pourtant pas d’illusion ! Les accusés finissent quasiment tous brûlés vifs. Heureusement pour nous aujourd’hui, les seules choses qu’on aime faire flamber en Alsace désormais, ce sont nos tartes !

Laureen Gressé-Denois

 

 

 

 

 

Si le sujet vous intéresse, je vous recommande vivement de faire un tour dans cette brève documentation :