Ek°Phra°Sis – Ça devient chaud pour Théophile de Viau !

ANONYME, La Femme entre deux âges, XVIème siècle, 117X170 cm, Musée des Beaux-Arts de Rennes

 

            Impiétés ! Abominations ! Blasphèmes ! François Garasse exulte de rage. Ah il croyait sans doute bien s’en tirer, ce Viau ! Pas de chance pour le malandrin ! Quelle erreur de signer le premier poème du Parnasse satyrique, publié en avril 1623. Comment Diable avait-on déjà pu lui accorder un privilège en 1622 pour publier cette horreur ? Garasse ne se laissera pas faire, lui le redoutable Jésuite qui faisait même trembler les feuillets de pamphlets distribués sous le manteau dans tout Paris. La cause de son agitation et de sa suffocation ? Ce recueil de plus d’une centaine de poèmes licencieux, à la tonalité érotique aussi crue que burlesque.

            Tous ne sont pourtant pas écrits par Théophile de Viau qui en a signé le premier poème dans l’édition originale. Aidé par d’autres auteurs, les compositions glissent peu à peu dans un libertinage de plus en plus extrême et assumé. Le sous-titre même le souligne : le lecteur y trouvera « le dernier recueil des vers picquans et gaillards de nostre temps ». Pour cause, certains poèmes aussi longs que courts (la taille ne compte pas, tout le monde le répète), sont très imagés et explicites. En voici un petit florilège :

 

« A Philamon. Sur sa Perrette.

Pour n’estre par elle vaincu
Au jeu, où elle est tousjours preste,
En luy pensant rompre le cu,
Philamon, tu te romps la teste. »

 

« Sonnet.

Mes dames qui avez inventé cet usage,
De vous jouer vous-mesme à des V. de velours,
Si vous vouliez d’autruy rechercher le secours,
Certes vous y auriez du plaisir davantage.
Pour apaiser d’un c… la fureur et la rage,
Il luy faut un gros v… et lequel soit tousjours
Bien roide et bien fourny de la sauce d’amour,
Que l’on nomme f…tre, en naturel langage.
Foutez-vous tout un jour, toutes deux, s’il vous plaist
De vos gaudemichis, enfin tout cela n’est
Que pardonner l’amour par une moquerie.
Mais prendre à belle main un bon gros V. nerveux,
Et en remplir d’un c… le gosier chaleureux,
C’est le vray jeu d’amour et vraye f…terie. »

 

            Dès lors, on comprend un peu mieux ce qui a pu autant choquer le Jésuite. Pourquoi Viau s’est-il lancé avec ces compères dans un tel projet, pourtant si dangereux pour eux ? La réponse se trouve peut-être dans l’avertissement au lecteur, uniquement présent dans la première édition de l’ouvrage. Non signé, beaucoup pensent toutefois que ce message est bien de la main du licencieux Théophile. Il y explique combien le poème satyrique est difficilement maîtrisable et que, pour le rendre parfait, il faut en premier lieu savoir le déclamer sans peur. Même s’il salue le talent et les efforts de Ronsard et ses autres prédécesseurs, il regrette toutefois que ceux-ci aient toujours dû se plier à la règle de la censure. Avec ce contre-exemple, il tend à montrer qu’à travers les poèmes qui vont suivre, écrits par lui et certains comparses contemporains qu’il va jusqu’à citer, l’art atteindrait enfin sa perfection. Avec le recul de la lecture, en reprenant la fin de l’avertissement, il est dur de s’empêcher de sourire en lisant l’une des dernières phrases : « Jouys cependant de ce que je t’offre ». Le double-sens était vraisemblablement volontaire…

            Hors, François Garasse n’en aurait apparemment pas joui… En plus du caractère immoral du recueil, la publication est d’autant plus grave pour lui que Théophile fait parfois l’apologie… de la sodomie ! Dès le premier poème qui plus est ! Cela part donc déjà mal entre les deux hommes… En effet, le recueil débute par un sonnet dont on sait s’il a bel et bien été écrit par Viau. Un jeune homme se plaint d’avoir contracté la vérole en couchant avec une demoiselle dénommée Philis. L’ultime tercet explicite alors une pointe blasphématoire faisant blêmir le Jésuite :

 

 « […]
Mon Dieu, je me repens d’avoir si mal vescu ;
Et si vostre courroux à ce coup ne me tuë,
Je fais vœu désormais de ne f…tre qu’en cu. »

 

En d’autres termes, si une intervention divine guérit le poète, celui-ci fait vœu, en repentance de ses ébats avec Philis, de n’avoir désormais des rapports sexuels qu’avec des hommes.

 

Portrait gravé de Théophile de Viau, XVIIème siècle

Garasse n’en reste donc pas là. Il contacte le procureur général du Parlement de Paris, Mathieu Molé, qui lance les poursuites contre les présumés auteurs du recueil. Ces derniers prennent alors la poudre d’escampette. Le temps de mettre la main sur les libidineux poètes, un  jugement est toutefois rendu par contumace. Viau est condamné à être brûlé vif avec ses œuvres et Pierre Berthelot à la pendaison. Absents lors du procès et donc, à défaut de leur faire subir réellement leur sort, ce sont des effigies qui prennent leur place sur le bûcher ou avec la corde au cou.

 

Quand Théophile est finalement attrapé avant qu’il n’embarque pour l’Angleterre, il est enfermé à la Conciergerie. Le procès reprend mais s’accompagne d’une bataille de libelles pour ou contre l’auteur du nouvellement baptisé « sonnet sodomite ». Sous la pression, le tribunal commue la peine en un exil de neuf ans… Pourtant, quelques temps après sa libération, Viau finit par mourir en 1626. Ce décès provoque un ralentissement presque brutal des publications libertines du début du XVIIème siècle. Le sort de Théophile de Viau a donc servi d’exemple pour tous ceux étant tentés de faire de même.

           

 

            Dans d’autres arts également du XVIIème siècle, un libertinage est perceptible. En peinture, malgré le contexte de la Contre-Réforme qui limite l’érotisme dans les œuvres, certains trouvent quand même des moyens détournés pour justifier des compositions plus grivoises. Simon Vouët est l’un d’eux. Pour assurer ses arrières, prendre un sujet religieux s’avère un bon choix, surtout dans l’Ancien Testament. Entre Bethsabée au bain, Samson et Dalida, Suzanne et les vieillards, la palette du possible est assez large. Toutefois, le premier peintre de Louis XIII choisit le thème le plus favorable d’entre tous pour peindre la sexualité la plus audacieuse possible : Loth et ses filles.

VOUËT, Loth et ses filles, 1633, huile sur toile, 160X130 cm, Strasbourg, musée des Beaux-Arts – Palais Rohan

 

            Au Palais Rohan de Strasbourg, le Musée des Beaux-Arts abrite cette huile sur toile grand format de 1633. Loth, enivré par ses propres filles, s’apprête à coucher avec l’une d’elle qui préfère avoir des enfants de son père plutôt que de se donner à un païen. Vouët s’attache à peindre une sensualité calme en apparence, pourtant tout en tension : la jeune fille écarte déjà les jambes pour se donner avec empressement, elle échange un regard complice et ardent avec son père qui a déjà la main posée sur son sein tandis que l’une des sœurs ayant enivré Loth avec sa cruche, scrute la scène dans un voyeurisme satisfait par un sourire en biais. Alors que nous sommes au début de l’attouchement, une prolepse est créée dans le choix des lignes par le peintre. L’enchevêtrement des corps, le mélange de ces jambes emmêlées dans les tissus froissés baignés d’une lumière blonde, préfigurent l’acte sexuel qui va suivre.

            Que ce soit à travers Viau ou Vouët, le XVIIème siècle se révèle alors à nos yeux dans une vision moins sage qu’il n’en avait de prime abord l’air, s’éloignant parfois de la stabilité profonde, maîtrisée et universelle que prône pourtant la mesure du classicisme. Si la Contre-Réforme et la réponse de Garasse avec sa Doctrine curieuse des beaux esprits en 1623 tentent de masquer l’existence de ces mœurs légères, il est encore possible aujourd’hui de reconsidérer le début du Grand Siècle avec un œil nouveau… et parfois bien frivole !

 

Laureen Gressé-Denois

 

Nota Bene : Pour ceux avides de continuer leur lecture du Parnasse satyrique, la première édition se trouve entièrement numérisée ici, sur le site de la BNF.

Histoi’Art – Un bretzel ou un sort ! Les sorcières en Alsace !

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Dessin par notre illustratrice Éloïse Briand

Ah l’Alsace, ses bretzels, sa cathédrale, ses bredala, ses cigognes… Qui n’est jamais tombé sous le charme sublime de cette région enchanteresse ? Si sa magie blanche entoure constamment les  touristes qui actuellement assiègent les marchés de Noël des villages de mon enfance, il y a des sortilèges et rites beaucoup plus sombres dans notre passé que vous ne connaissez sans doute pas ! Yésses Gott ne faites pas cette tête, elles ne sévissent plus chez nous aujourd’hui si tant est qu’elles aient réellement existé les pauvres. Oui, je parle des sorcières ! Si vous avez un peu peur avant de lire cet article, rien de mieux qu’un bon coup de schnaps avant de commencer. Hopla Geis ! Tous sur vos balais !

 

 

Gravure des Pendus de Hésingue, musée de Huningue

Gravure des Pendus de Hésingue pendant la Guerre de Trente Ans, musée de Huningue

On s’imagine souvent que l’âge d’or de la sorcellerie en France date du Moyen Âge mais les Historiens ayant recensé les procès sont d’accord pour affirmer qu’il s’agit en réalité des XVIème et XVIIème. L’Alsace est une des régions alors la plus touchée par la croyance et les jugements de sorcières… Cela s’explique avant tout par le fort contexte de famine, de maladies (peste et ergotisme) et de guerres lors de la Guerre de Trente Ans (1618-1648). Au début du XVIIème siècle, l’Alsace est un ensemble de mosaïques d’états et de villes libres. Mulhouse, ma ville de naissance, est quand même la plus vieille république de France si on y songe : 1347-1798  (bon d’accord à l’époque nous étions Allemands mais c’est un léger détail, de toute façon on se rattache à la France seulement quand la tout jeune première République est née, pas de roi chez nous pendant très longtemps donc !) Toutefois, cette guerre, qui prend place en plein petit âge glaciaire tombe très mal pour les populations paysannes qui sont les premières touchées par la recherche assidue de coupables à ces maux. La suspicion des voisins et des ennemis va bon train et amènent à de terribles accusations. Entre le XVème et le XVIème siècle, 80% des personnes visées par ses dénonciations sont des femmes. Cela ne vous étonne pas n’est-ce pas ? Qu’à cela ne tienne entre 1480 et 1520, la première vague de chasse à la sorcière alsacienne est organisée par l’Inquisition.

 

 

INSTITORIS et SPRANGER, Malleus Maleficarum, édition lyonnaise de 1669

INSTITORIS et SPRANGER, Malleus Maleficarum, édition lyonnaise de 1669

Comment retrouver ces perfides mégères qui sèment troubles et chaos dans la paisible plaine d’Alsace ? Cette histoire trouve ses origines bien avant la Guerre de Trente Ans… Qu’à cela ne tienne, le pape Innocent VIII rédige une bulle le 5 décembre 1484 intitulée Summis Desiderantes Affectibus. Celle-ci octroie à deux hommes de Sélestat, au centre de l’Alsace, le droit de mener les premiers féminicides au nom de l’éradication de la sorcellerie. Le nom de ces  deux crapules ? Heinrich Kramer et Jakob Spranger. Ceux-ci prennent très à cœur leur tâche au point que Spranger aidé d’Institoris, écrit entre 1484 et 1487 un ouvrage édifiant : le Malleus Maleficarum, mieux connu sous le nom de Marteau des Sorcières  qui explicite comment trouver les sorcières, comment les reconnaître, comment les capturer, comment leur faire avouer leurs crimes, comment instruire leur procès et comment s’en débarrasser. Véritable mode d’emploi, le livre va connaître un succès incroyable notamment dans tout le Saint-Empire-Romain-Germanique avec plus d’une trentaine de rééditions en latin et dans tous les formats ! Pour information ce livre est encore édité et publié de nos jours ! Bien évidemment la femme est naturellement accusée ouvertement d’être à l’origine de la sorcellerie puisqu’elle est une créature faible et non intelligente. Il faut bien garder à l’esprit qu’à cette époque la société était encore ultra machiste, patriarcale avec la figure féminine immédiatement rattachée à la faute du péché originel. La loquacité abrutissante de certaines épouses et les fausses-couches régulières font parfois douter de nombreux maris du bienfondé de leur mariage. Les guérisseurs sont ensuite les suivants le plus souvent incriminer. Célébrés en période de paix et prospérité, ils sont accusés en période de malheur d’avoir retourné leur pouvoir et avoir lancer des malédictions sur leur propre communauté.

 

 

 

WEIDITZ, Nonnes pactisant avec le diable, gravure

WEIDITZ, Nonnes pactisant avec le diable, gravure

Être une sorcière induit forcément une rencontre avec le Malin qu’on appelle souvent en Alsace Hemmerlin ou encore Peterlin. Toutes les classes de la société peuvent être accusées d’acoquinement avec le Diable, même si c’est quand même majoritairement le cas des paysans et surtout des personnes très marginales et fragiles. Dans tous les procès, certaines mentions sont récurrentes : Satan vient toujours visiter son futur serviteur à son domicilie ou directement sur son lieu de travail. Il donne alors lui-même un nouveau nom à ses recrues, ce qui donne lieu à des trouvailles très humoristiques pour les Historiens. Un procès incrime ainsi une jeune femme qui aurait reçu le prénom de Krauterdorschen par le Diable. Comprenez « Morue aux herbes » aujourd’hui en français. Tout le monde a toujours rêvé de se faire appeler Morue, surtout avec un tips cuisine aux aromatiques ! Le pacte signé entre la sorcière et Satan est ensuite effectif à partir du moment où les noces diaboliques ont été célébrées. Là aussi les registres de procès regorgent de détails. Elles sont célébrées la nuit dans un lieu sauvage isolée le soir du sabbat. Le scellement de l’union avec le Malin se concrétise une fois que l’appelée renie sa foi, ses parents et accepte sa damnation éternelle. Elle signe alors le serment de son propre sang. De grandes festivités sont ensuite organisées avec les autres sorcières, aux comportements lubriques et arrosés dignes des plus grandes bacchantes. Grand festin, danse magique toute la nuit sans être épuisé, tout est à l’heure de la fête. Enfin, alors la nuit se termine, le Diable clôt alors les noces en apposant sa fameuse marque sur sa nouvelle vassale. Ces faits nous sont parvenus via des témoignages avancés devant l’Inquisition. Un homme de Rouffach (ville considérée comme le plus haut lieu de sorcellerie dans le Haut-Rhin) assure qu’au retour d’une promenade à minuit, il aurait vu tout un cortège diabolique  dans un grand palais lumineux sur la colline du Bollenberg (haut lieu de rassemblement de sorcières qui revient dans de nombreux écrits, ancien lieu de rituels magiques celtes dédiés au dieu du feu Belen). D’autres procès n’hésitent pas à aggraver largement les faits reprochés en mentionnant même parfois des sacrifices d’enfant, des cadavres de bambins déterrés et démembrés, la cervelle de mort-nés récupérée pour faire des potions. Seuls les enfants non baptisés étaient visés. D’où l’empressement des parents, à chaque naissance, pour faire rentrer son nourrisson dans l’ordre de Dieu dès les premières heures de sa vie.

 

 

Mais qu’est-ce qui inquiète tant chez les sorcières ? Poudres magiques à base de cerveau, de peaux, d’écorces seraient utilisées pour détruire les récoltes. Des baguettes magiques seraient frottées avec des onguents. Parfois, on a même des accusations qui parlent de sorts jetés rien que par la parole, un geste bref ou même pire, uniquement un regard ! Certains témoins affirment même avoir vu des femmes se métamorphoser en créatures maléfiques planant la nuit au-dessus de leur village et voilant la lumière de la lune. Alors, pour se protéger, on a créé un autre mode d’emploi best-seller : le Geistlishe Schild (« le bouclier spirituel »). Ce livre de protection était même à force considéré comme un grimoire et certaines églises alsaciennes du Sundgau (partie extrême sud de l’Alsace avant les trois frontières) avaient des compartiments cachés en-dessous où le prêtre pouvait cacher son exemplaire des yeux des soricères pour ainsi protéger sa paroisse. Le format était de poche pour être discret.

La-Tentation-de-Saint-Antoine_Martin-Schongauer

SCHONGAUER, Tentation de Saint-Antoine, 1470-1475, gravure, H: 31 cm, NYC, the MET

Comment se passait alors les procès une fois les confessions des sorcières obtenues, souvent par la torture d’ailleurs ? Au XVIIème siècle, les juges étaient tous des religieux. Par la suite, au siècle suivant, les juges sont des laïcs. Chaque village a alors son Malefizgerich (tribunal de vingt-quatre juges). Dans 90% des cas pourtant pas d’illusion ! Les accusés finissent quasiment tous brûlés vifs. Heureusement pour nous aujourd’hui, les seules choses qu’on aime faire flamber en Alsace désormais, ce sont nos tartes !

Laureen Gressé-Denois

 

 

 

 

 

Si le sujet vous intéresse, je vous recommande vivement de faire un tour dans cette brève documentation :