Musées, distributeurs de vérité ?

Capture d'écran Youtube, clip _Apeshit_, The Carters

 

 

               2020 restera probablement dans les annales comme une année riche en catastrophes, mais aussi comme celle qui a essayé de changer le monde pour le mieux et notamment dans le combat contre le racisme. Mais cette (r)évolution ne peut se faire sans l’aide de la culture, et notamment des musées, qui peuvent contribuer aux luttes sociales.

 

               Le 11 juin 2020, une lettre ouverte aux musées a été publiée par Louise Thurin, présentée dans la lettre comme étudiante métisse à l’école du Louvre, avec Zélie Caillol, présentée comme étudiante à l’ICART Paris, intitulée : « « Cher musée… » La réaction des institutions muséales au mouvement BlackLivesMatter ».

Quelle réaction les institutions ont-elles eu ? Quasiment aucune. Et c’est là tout le problème.

               Cette lettre, éloquente, incroyablement pertinente et émouvante expose, voire dénonce, l’absence d’implication des musées face à ce mouvement, qui brillent par leur silence, par leur « timidité institutionnelle », comme le formule si bien la lettre. Si la lutte a explosé aux Etats-Unis avec la mort de George Floyd, un homme afro-américain décédé sous le coup de violences policières à Minneapolis le 25 mai 2020, le combat anti-raciste ne date pas d’hier et il reste toutefois peu soutenu par les institutions culturelles.

 

               La lettre s’adresse au « musée », au singulier. Étrange ? Pas tant que ça. Le principe du musée comme institution trouve ses débuts à l’heure du « Liberté. Égalité. Fraternité » scandé par la Révolution Française et depuis ce jour, le musée se dit social, porteur d’enseignement et j’en passe. Mais depuis ce jour, le musée a-t-il eu une résonnance anti-raciste plus forte que celle de prêter ses galeries en décor du clip Apeshit de Beyoncé et Jay-Z ?

Je n’en sais rien, car on ne me l’a pas enseigné.

               Ce ne sont pourtant pas les espaces d’interaction et de diffusion, ni les contenus qui manquent. Le site du ministère de la Culture indique à ce jour 1 218 « Musées de France ». En 2016, France Culture publiait une carte dynamique à l’occasion des journées européennes du patrimoine, indiquant 6.1 musées pour 100 000 habitants en France, ce qui est l’un des plus hauts taux en Europe. Derrière cela, des milliers d’étudiants et des milliers de professionnels de la culture croient en l’utilité de ces institutions et de la justesse d’information qui y est véhiculée. D’autres millions d’individus s’y retrouvent pour chercher leur héritage.

 

« Les musées ne sont pas neutres. Ils sont en France un bastion de la République – une conquête du peuple ».

 

Non seulement la lettre ouverte encourage les institutions muséales à réagir, à s’adresser à ses citoyens et à ceux du monde entier pour nous aider à agir, ensemble, contre « le racisme, la désinformation, la haine, le complotisme, les pseudos-sciences », mais elle propose également des moyens d’actions.

 

« Nous n’attendons pas de témoignage de solidarité, mais de contenus […] ».

 

               De nombreux points sont en effet abordés dans la lettre, car le manque de déconstruction peut être dangereux pour notre futur. Il ne s’agit pas d’afficher un tableau noir tagué BLM comme un post Instagram : la lettre insiste sur la nécessité de repenser les discours, la visibilité de certaines œuvres et la diffusion des informations.

 

               Chers élèves, professeurs, professionnels de musées. Notre milieu n’est pas épargné par le racisme systémique. Vous ne pouvez pas fermer les yeux, mieux, vous pouvez faire quelque chose.

               Élève en Master 2 d’égyptologie, je constate tous les jours de nouvelles horreurs à propos de ma discipline. Combien de fois ai-je lu que les anciens Égyptiens n’avaient pas pu construire eux-mêmes leurs pyramides car ils étaient trop « primitifs » pour une telle ingénierie ; combien de fois ai-je lu et entendu que l’Égypte moderne n’était pas capable de gérer son patrimoine et que l’Europe s’en chargeait mieux ; combien de fois a-t-on essayé de me camoufler que ma discipline avait pu voir le jour « grâce » à l’oppression des empires coloniaux européens sur l’Égypte ? Ce sont des informations erronées dont je découvre l’ampleur au fur et à mesure, parce que personne n’ose me l’enseigner vraiment ; or, j’en souffre, mon discours scientifique en souffre.

               Et quel discours scientifique, d’ailleurs, un élève de l’unique école d’Histoire de l’art en France peut-il construire lorsqu’il n’a que quatre cours pour traiter l’Histoire d’un continent entier, de la préhistoire à l’époque contemporaine, alors qu’il en dispose du double pour couvrir un siècle d’art européen ? Pourquoi l’Afrique et l’Océanie ne bénéficientils que de ces quatre cours chacun ? Ce type de différence de traitement doit nous interpeller. Je sais que j’ai beaucoup à apprendre et pourtant je peine trop à trouver les informations qu’il me manque.

 

« Musées, distribuez à la jeunesse des torches de savoir – nous brûlons pour la justice, la vérité et la paix. »

 

               Ainsi, je rejoins l’appel de la lettre ouverte « Cher musée… » : « Eduquez-moi sur le racisme ». Mais, surtout, éduquons-nous sur le racisme. Voici ce que propose la lettre ouverte :

               « Chers musées, dans un premier temps et un premier réflexe sur les réseaux sociaux […] vous pouvez également proposer à votre audience de contribuer eux-mêmes au dialogue à l’intérieur de vos collections. Postez « Chers abonnés, ensemble contre le racisme. Avez-vous des contenus antiracistes en rapport avec nos collections / nos expositions à partager ? Taguez-nous, nous serons ravis de les relayer sur notre compte et d’enrichir ce dialogue. » ».

 

               L’initiative est porteuse de sens et d’espoir, ainsi je vous invite à solliciter vous-mêmes les musées, à les encourager à vous apprendre et à diffuser leur contenu anti-raciste.

               Amoureux du patrimoine, spécialistes des traces historiques, marchons ensemble pour une histoire de l’humanité plus équilibrée et plus complète, en dehors des réappropriations politiques et économiques.

 

Lise Thiérion

 

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Sources :