
© Audrey de Moura
Les expositions de textiles ont le vent en poupe ces dernières années. Plusieurs maisons de haute couture ont ouvert leurs collections au grand public, et notamment Dior et son exposition au Musée des Arts Décoratifs, Christian Dior, couturier du rêve. Celle-ci avait accueilli plus de 700 000 visiteurs en 2017. Depuis, les expositions de mode et de textiles se sont multipliées dans le paysage muséal parisien: Gabrielle Chanel. Manifeste de mode en 2020-2021 au palais Galliera, Thierry Mugler, Couturissime en 2021-2022 et Shocking ! Les mondes surréalistes d’Elsa Schiaparelli en 2022-2023 au Musée des Arts Décoratifs. Outre la haute couture, le vêtement asiatique est aussi mis à l’honneur avec Sur les routes de Samarcande. Merveilles de soie et d’or fin 2022 et en 2023 à l’Institut du monde arabe. A la même période, le musée du quai Branly – Jacques Chirac (MQB) accueille l’exposition Kimono organisée par le Victoria and Albert Museum de Londres.
Cette fois-ci, le vêtement est étudié au travers de l’un de ses matériaux les plus précieux: l’or. Quelques mois auparavant, fin 2024, le musée Guimet avait déjà étudié ce précieux métal dans son exposition L’Or des Ming avec la présentation de pièces de vaisselle et de parures. Ici, c’est au tour du MQB de mettre en avant ce matériau au travers de ses riches collections de textiles, en collaboration avec la créatrice de mode chinoise Guo Pei. Hana Al Banna-Chidiac, ancienne responsable des collections Afrique du Nord & Moyen-Orient au MQB et Magali An Berthon, professeure assistante en Fashion Studies de l’American University of Paris, et membre associée du Centre for Textile Research de l’Université de Copenhague, sont les commissaires de cette exposition.
Près de trois cent vingt et une œuvres d’exception sont exposées, dont une grande partie fut restaurée pour l’occasion. Elles sont majoritairement issues des collections du MQB, très riches en textiles du Maghreb et d’Asie, mais certaines pièces proviennent d’autres institutions patrimoniales. Parmi les prêteurs publics, nous pouvons notamment citer le Musée des Arts Décoratifs, le Musée national des Arts Asiatiques – Guimet, le musée national d’histoire naturelle ou encore le musée des confluences de Lyon. Mais l’exposition accueille également des œuvres d’institutions étrangères, comme le Golden Silk Peach de Siem Reap au Cambodge, mais aussi privées avec le prêt d’échantillons de broderie de la Maison Lesage. La sélectionnée des œuvres s’est tournée vers le vêtement féminin, beaucoup plus riche en or que le vêtement masculin.
L’or est ainsi étudié d’un point de vue historique, technique et scientifique dans cette exposition qui suit un parcours à la fois chronologique et thématique. La première partie aborde l’histoire des premières extractions et emplois de l’or, de l’Antiquité où il est employé pour la confection de bijoux, de parures et d’armes, à l’époque contemporaine avec l’invention du Lurex®. Ce début de parcours fait aussi la part belle aux récentes découvertes archéologiques, notamment celle de la nécropole du quartier de Saint-Pierre-l’Estrier d’Autun. Plus de 230 tombes dont celles de riches citoyens ont fourni aux archéologues de l’Inrap (Institut national de recherches archéologiques préventives) bon nombre d’objets précieux, dont une luxueuse étoffe tissée de fils d’or.
Le MQB ayant un grand espace modulable pour ses expositions temporaires, le visiteur n’enchaine pas une suite de salles en enfilade, mais plutôt un long chemin sinueux dont le changement de couleurs des cimaises et des kakemono indiquent une nouvelle thématique. Après la présentation historique et technique, le voyage du Maghreb au Japon au travers des collections textiles peut commencer: caftan, robes de mariées, vestes, écharpes, tenues de fêtes, coiffes, sari indien, sarong indonésien et kimono, autant d’œuvres précieuses se déploient sur les socles et les cimaises. Et les réactions du public ne se font pas attendre: les exclamations d’émerveillement face à ces œuvres qui en donnent plein la vue se font entendre durant toute la visite. Le choix de ce découpage géographique permet de mettre en avant les singularités de chaque culture.
De plus, ce voyage est ponctué de “bulles thématiques”. Ces petits espaces se penchent sur des matériaux pour le moins atypiques, pouvant être confondus avec de l’or : la soie marine ou “laine de mer” correspondant aux filaments d’un coquillage marin (pinna nobilis), la soie de néphiles et enfin la soie dorée du Cambodge. Après avoir fait son tour du monde des textiles, le visiteur retrouve la France dans une section intitulée la “magnificence de la broderie française”. Celle-ci expose les nombreux échantillons de broderie de la Maison Lesage qui agrémente les créations des grands noms de la haute couture française comme Chanel, Givenchy, Jean-Paul Gaultier ou encore Yves Saint-Laurent.
Par ailleurs, les textiles sont accompagnés de peintures et d’œuvres imprimées sur les kakemono comme support iconographique. La vidéo complète cette médiation avec des animations sur l’histoire de certains vêtements comme la robe de mariée tunisienne. Elle reste surtout employée pour expliquer certaines techniques de broderie et des méthodes de filages.
Il est également intéressant de mentionner l’attention du musée à l’éco-conception de cette exposition. Les questions écologiques sont en effet une préoccupation de plus en plus prise en considération par les institutions patrimoniales. Les expositions sont une problématique majeure puisque leur production a un fort impact environnemental. Ici, la scénographie fait aussi la part belle à la matière textile : 575m2 de cimaises ont pu être remplacés par des tissus ! La conception des podiums ajourés a aussi permis une grande économie de matière tout en permettant un démontage propre. De même, le musée a eut recours à de nombreux remplois pour cette scénographie: 175 m2 sont composés des cimaises réutilisables de l’exposition Ultime Combat. Arts martiaux d’Asie (septembre 2021-janvier 2022) et 71% du verre des vitrines provient des expositions Ouvrir l’album du monde – Photographie 1842-1896 (avril-juillet 2023) et Senghor et les arts. Réinventer l’universel (février-novembre 2023). Enfin, la mise en avant des collections du musée a permis de réduire l’empreinte carbone liée au transport d’œuvres.
La création contemporaine est aussi de mise dans Au Fil de l’or, puisque l’exposition est organisée avec la collaboration de la créatrice de mode chinoise Guo Pei. Elle fait partie de la première génération de créateurs de mode chinois et l’une des premières du pays à s’être lancée dans la haute couture. Née en 1967, elle apprend très tôt la broderie aux côtés de sa mère avant de s’orienter vers les métiers de la mode dans les années 1980. A 30 ans, elle fonde “Rose Studio”, un des premiers ateliers de mode sur-mesure en Chine. Fascinée par l’histoire de son pays et inspirée par les mythes et les légendes, les créations de Guo Pei mêlent techniques traditionnelles et esthétique contemporaine. Soie, cristaux, pierres précieuses, plumes, perles et surtout or composent ses robes, qui demandent parfois plusieurs milliers d’heures de travail! Sur la base de l’héritage de la technique traditionnelle de broderie chinoise au point panjin, l’équipe de Rose Studio a développé la “broderie au fil d’or” en ayant recours à un fil d’or extrêmement fin pour une broderie de grande précision. De ce fait, le fil d’or est aujourd’hui une composante essentielle des créations de Guo Pei. Certaines d’entre elles sont exposées tout au long du parcours. Dès leur arrivée, les visiteurs peuvent admirer “les cinq somptueux petits ors”, une réplique à échelle réduite de Magnificent Gold, “L’or somptueux” que Guo Pei et son équipe ont mis près de cinq ans à produire. Par la suite, huit robes ponctuent le parcours.

© Audrey de Moura
Ce dialogue entre mode et art ancien n’est donc pas sans faire écho à l’exposition Louvre Couture qui se tient au même moment au musée du Louvre. Pour la première fois de son histoire, le plus grand musée du monde accueille une exposition entièrement dédiée à la mode. Après avoir foulée les podiums des grands défilés de modes, les robes de stylistes de renom ponctuent désormais le parcours du département des arts décoratifs, une occasion unique pour attirer les visiteurs dans l’un des départements les moins fréquentés du musée.
Au MQB, les robes de Guo Pei sont présentées sur un large socle circulaire bleu foncé, se détachant sur un fond uni de même couleur. Outre l’emploi de l’or, le choix de la robe exposée ne se fait pas par hasard, puisque certaines évoquent la même aire géographique que les œuvres du musée. Ainsi, dans l’espace accueillant les textiles d’Asie du Sud et du Sud-Est est présenté Himalaya. Cette robe possède une longue traîne ornée d’une imposante broderie dont la composition et les figures s’inspirent des peintures portatives tibétaines (thangka). Autre exemple, en fin de parcours, l’imposante robe Legend of the Dragon fait écho aux vêtements de l’espace consacré à l’Extrême-Orient. Elle est recouverte de près de 3000 fleurs impériales anciennes en soie, spécialement produites pour la cour royale. Cette tradition s’est perdue, mais Guo Pei a pu se procurer le dernier lot de ces fleurs de palais. Froissées avec le temps, elles ont été ramenées à la vie grâce à un traitement à la vapeur. Cette création constitue donc un bel exemple entre ancien et contemporain. d’ancien et de contemporain.
Quel intérêt pour un musée de présenter des créations de mode ? Sans doute faut-il y voir une opportunité de créer un dialogue entre art ancien et création contemporaine, mais aussi un moyen pour donner une nouvelle image du musée. Là où certains y voient une vieille institution poussiéreuse, avec des œuvres sans intérêt, voire un loisir uniquement destiné à une certaine classe sociale, la mode peut être un levier pour attirer d’autres publics et inscrire le musée dans son époque. Il suffit de pencher notre regard sur la campagne de communication pour s’en rendre compte: le vêtement choisi pour habiller l’affiche de l’exposition est la robe de mariée de Guo Pei. Pour rappel, l’exposition accueille plus de trois cent œuvres de différents musées contre dix œuvres la créatrice! Il est donc indéniable que la présentation des créations de cette styliste chinoise de renom est un argument marketing incontestable pour attirer le public au musée, notamment celui qui n’aurait pas l’habitude de s’y rendre. De même, pour les créateurs et les maisons de haute couture, l’exposition de leur patrimoine dans ces institutions muséales est aussi une grande campagne de communication et une valorisation de la marque. Certains pourraient même déplorer cette communication et la scénographie qui met bien en avant les robes de Guo Pei. Il faut dire que leur présentation sur un large socle et un fond uni bleu marine s’harmonisant parfaitement avec les reflets chatoyant de l’or sont parfaites pour les story Instagram !
La thématique même de l’exposition peut d’ailleurs sembler plus grand public. Un musée de Beaux-Arts peut paraître peu accessible pour ceux qui n’ont pas reçu une éducation artistique et donc qui n’ont pas appris à regarder les œuvres, à les « décrypter ». Or, le vêtement parle au plus grand nombre, nous en portons tous les jours ! Par ailleurs, si la présentation d’expositions de mode au Musée des Arts Décoratifs peut sembler évidente au vu des collections du musée, il n’en vas pas de même pour le MQB et ses collections d’œuvres extra-européennes. Cette exposition est donc aussi l’occasion pour le musée de susciter un intérêt nouveau chez des visiteurs et d’attirer de nouveaux publics.
Quoi qu’il en soit, le public a jusqu’à l’été 2025 pour découvrir cette belle sélection d’œuvres. Les textiles étant très fragiles, ce n’est pas tous les jours que nous pouvons les admirer au musée ! Quant à la participation de Guo Pei, elle reste une collaboration inédite pour le musée parisien, mettant en avant la création contemporaine.
Audrey DE MOURA