On se le demande bien ! L’idée générale a toujours été de dire que Paris n’a jamais été autant polluée qu’aujourd’hui. Mais passons ces idées reçues bien trop simples pour atteindre les intellectuels que nous sommes. Il est bien évident que le XVIIIe siècle n’était pas une époque où il faisait bon vivre à Paris. La lecture du très précieux Tableau de Paris par Louis-Sébastien Mercier, publié en 1781, ou du moins de son chapitre intitulé « L’air vicié », et celui sur « Les latrines publiques », nous apporte un grand nombre d’informations. En effet cet ouvrage, au caractère documentaire essentiel pour les historiens du XVIIIe siècle nous décrit avec maints détails la ville de Paris. On apprend ainsi que l’air de la ville de Paris était extrêmement pollué, étouffant et rempli de relents d’excréments. Même en sortant de la ville, les odeurs de « gadoue et immondices » couvraient la campagne jusqu’à « une demie-lieue de la Capitale ». Les églises étaient également touchées, on peut donc lire que les fidèles évitaient ces bâtiments car « l’odeur cadavéreuse se fait sentir dans presque toutes les églises » et les arrêtés, décrets ou autres tentatives n’y faisaient rien, les morts étaient enterrés dans la ville et l’odeur y restait. Nombreux étaient donc les problèmes de notre chère cité. Mais l’un d’entre eux primait sur les autres, vous avez bien compris, on parle de celui des emmerdants quoique nécessaires excréments. Les latrines publiques étaient très rares, on pourrait plutôt dire que la ville toute entière faisait office de latrines publiques. Les Tuileries par exemple (que l’on connaît plutôt bien), étaient un lieu particulièrement bien agencé, où (attention ancien français à venir) « Tous les chieurs se rangeoient sous une haie d’ifs, & là ils soulageoient leurs besoins. » et donc « les terrasses des Tuileries étoient inabordables par l’infection qui s’en exhaloit. ».
Ah Paris, ville si romantique, on aurait jamais cru qu’elle fut aussi odorante. Le comte d’Angiviller dût même ordonner l’arrachage des ifs et la création de latrines publiques (payantes bien sûr) pour remettre un peu (seulement un peu) de propreté dans la ville. Parce que c’est pas des latrines aux Tuileries qui vont empêcher les chieurs du Faubourg Saint-Germain de faire leur affaire sur le trottoir, avouons qu’il était quand même compliqué de courir ne serait-ce que 200 mètres quand vous avez la vessie sur le point d’exploser ou bien « que vos viscères soient relâchés » comme le dit si bien Mercier. Les quais posaient donc un problème tout à fait équivalent, quand on manque de possibilité, il reste toujours la Seine. Malgré les panneaux « Défense, sous peine de punition corporelle, de faire ici ses ordures », les chieurs étaient bien les seuls à se promener sur les berges de la Seine. En bref, la ville puait et suintait, par tous ses pores. On avait créé des fosses d’aisances, mais elles étaient insuffisantes et mal construites, ce qui entraînait des fuites dans des puits voisins. Ces mêmes puits utilisés par les marchands, et plus particulièrement les boulangers et voilà : « l’aliment le plus ordinaire est nécessairement imprégné de ces parties méphitiques & mal-faisantes. » Mmmh que ça donne envie le XVIIIe siècle ! Mais et les femmes dans tout ça ? Comment font-elles ? Eh bien, étonnamment, elles savaient avoir plus de retenue et trouver des méthodes plus… discrètes (en même temps c’était facile, elles avaient des robes). C’est un art donc, semble-t-il de faire ses besoins à Paris, on a bien évolué depuis… les flaques de pisse dans la rue, les toilettes rares et payantes, tout ça c’est du passé hein ? Allons donc ! La question encore aujourd’hui se pose. N’avez-vous jamais vu en librairie les fameux guides Où faire pipi à Paris ou encore Pisser à Paris, Guide pratique et culturel des WC gratuits ? Reconnaissons qu’ils sont bien pratiques. Mais ne soyons pas si épouvantés que ça. Il semble que les odeurs et les excréments n’étaient pas un problème pour tout le monde, comme le prouve cette petite perle entièrement consultable sur Gallica, Physiologie inodore illustrée, et propre à plus d’un usage, écrit par un anonyme (évidemment, faut pas exagérer non plus) en 1841, et publié par les libraires du Palais Royal (ça s’invente pas !) en faisant littéralement une ode à la merde :
« Ce qui salit le nez ne salit pas le cœur »
« Je veux célébrer dans mes justes louanges La délicate odeur qu’exhalent les vidanges. Et présenter la merde à vos yeux étonnés. Or, prêtez tous l’oreille et bouchez-vous le nez. »
Pour continuer cette lecture du Paris des chieurs :
- Faire caca à Paris au XVIIIe siècle… pas évident ! sur le blog Orion en aéroplane
super