Critique : Dinh. Q. Lê – Histoires morcelées

Crédit : Dinh. Q. Lê

Le fil de la mémoire et autres photographies – une exposition au musée du quai Branly du 8 février au 20 novembre 2022

 

Dinh. Q. Lê est un photographe né au Vietnam qui a étudié aux États-Unis où il vit et travaille aujourd’hui. Son œuvre se situe dans une zone poreuse entre l’histoire complexe de son pays natal et son parcours personnel au-delà les frontières. Le musée du quai Branly lui rend hommage lors de cette rétrospective qui met en scène ses recherches transdisciplinaires où l’image photographique est sans cesse « interrogée, découpée, transformée ». Ce parcours chronologique, concentré sur les quinze dernières années de la production de l’artiste, découvre la technique exceptionnelle du tissage de photographies.

 

« Trop souvent nous avons vu notre histoire racontée par d’autres que nous, ou mise de côté. » déclare Dinh. Q. Lê. Tel est le constat amer de l’artiste ayant choisi de replonger dans ce lourd passé pour le réécrire. En effet, ce plasticien hors norme instaure un dialogue entre le regardeur contemporain et sa mémoire la plus intime. Cette exposition nous raconte comment le vécu du déchirement d’un pays remonte le fil des générations à travers les corps et les mentalités.

 

Les images créées par Dinh. Q. Lê laissent une trace qui brouille les repères entre la vision, le souvenir et l’immédiateté. Le spectateur est ainsi projeté dans une zone hybride entre l’immatériel, le lointain et la présence physique vibrante et sombre de ces œuvres multiformes.

 

Au détour d’un couloir de l’exposition, nous rencontrons des nuées de confettis d’images photographiques qui flottent dans l’air. Il s’agit d’une « dérive dans les ténèbres » comme nous l’indique le titre A drift in darkness (2017). Ces tirages numériques sur papier Awagami bambou tissés sur une structure en rotin reprennent la technique du tissage d’images pour former un ensemble de trois nuages et rondes-bosses évoquant l’instabilité des réfugiés politiques ayant fui le Vietnam.

 

Les pérégrinations de l’artiste induisent ainsi une sorte de transcription dans le domaine tangible et concret des arts plastiques d’une identité en déshérence. Les réalisations de Dinh. Q. Lê sont des chimères, des personnages amphibies pris au piège dans un couloir sur les parois duquel se reflètent les échos lointains de la trame historique décousue du Vietnam.

 

Cambodia Reamker (2021), un tissage photographique monumental, entremêle le portrait d’une jeune victime du génocide cambodgien Tuol Song et des fresques du Palais royal de Phnom Penh, illustrant un poème épique traditionnel écrit entre 1500 et 600 avant notre ère. L’Ensemble est un tableau nébuleux et solennel où des temps distincts s’interpénètrent avec magie.

 

Les images sont déconstruites et reconstruites, traduisant la perpétuelle métamorphose des mémoires. Ces représentations d’une perception vagabonde nous transportent dans le cœur palpitant et douloureux d’une nation morcelée.

Elio Cuilleron

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